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Depuis le début des années 2000, les dirigeants de l’Amérique du Sud profitent de chaque occasion pour proclamer que la région est une « zone de paix ». La réitération de cette proposition est même devenue un postulat dans l’analyse de certains chercheurs. Dans Security in South America. The Role of States and Regional Organizations, Tavares remet en question cette proposition et conclut qu’une telle affirmation n’est valide que si l’on utilise une acception traditionnelle et limitée de la sécurité. L’argument principal de l’ouvrage est que la fin de la guerre froide a bouleversé les paramètres de la sécurité et que l’on ne peut pas avoir une vision complète de la situation dans la région sans considérer les nouvelles menaces.
La conception traditionnelle de la sécurité concerne la survie de l’État. Celle-ci est garantie lorsqu’on ne reconnaît pas d’autre autorité suprême dans le territoire que celle de l’État et de son armée, au besoin. Ainsi, le cas classique de menace prend la forme de violation de la souveraineté d’un État par d’autres États. Dans la région, la dernière guerre entre États remonte à 1995, entre le Pérou et l’Équateur ; pourtant, cette vision traditionnelle de la sécurité est encore dominante. Or, la région n’est pas aussi pacifique qu’on le proclame, même lorsqu’on utilise les termes traditionnels de la sécurité. En effet, l’auteur signale l’existence de neuf conflits armés « mineurs » – c’est-à-dire des luttes faisant plus de 25 morts mais de moins de 1000 par année. On peut penser, par exemple, aux cas des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) ou du Sendero Luminoso au Pérou. De plus, la région souffre de quelques conflits non armés : différends entre États ou à l’intérieur d’un même État et qui ont entraîné moins de 25 morts au cours d’une année. C’est le cas des 11disputes territoriales et des 19 crises politiques domestiques qui ont eu lieu depuis la fin de la guerre froide et qui ont provoqué de l’instabilité institutionnelle ou une rupture de l’ordre démocratique. Bref, l’auteur insiste sur la nécessité de nuancer l’approche qui fait rimer l’absence de l’exercice ouvert de la violence entre États avec l’absence de conflits et, en conséquence, avec la paix. En fait, certaines relations bilatérales sont particulièrement tendues, notamment en raison des disputes frontalières non résolues.
Dès lors, après la fin de la guerre froide, la conception traditionnelle de la sécurité est devenue insuffisante pour bien saisir les problèmes réels de sécurité. C’est pour cette raison qu’une analyse complète de la sécurité doit désormais inclure la notion de la sécurité humaine. Celle-ci concentre son attention sur les personnes plutôt que sur les États et se penche sur les menaces dites non traditionnelles, dont le trafic de drogue, le crime organisé, le terrorisme, les risques environnementaux ou la sécurité alimentaire. Ces types de menaces ne connaissent pas de frontières ni d’origine étatiques, et la capacité militaire se révèle moins efficace, voire inutile, pour les affronter. Lorsqu’on adopte cette perspective, l’Amérique du Sud est donc loin d’être une zone libre de toute menace. Par exemple, alors que le taux d’homicide intentionnel a baissé ou s’est stabilisé dans le reste du monde, il a augmenté de 11 % dans la région et se situe ainsi bien au-delà de la moyenne mondiale ; 36 % des homicides commis sur la planète se produisent en Amérique du Sud. Cela montre que le plus grave problème de sécurité des citoyens sud-américains est associé à ce type de menaces. Malgré tout, la sécurité humaine n’obtient qu’une attention secondaire de la part des dirigeants de la région.
Dans ce contexte, l’auteur analyse comment les acteurs fournisseurs de sécurité – les États et les organisations régionales – identifient les problèmes de sécurité, proposent des politiques pour les affronter et coordonnent leurs actions. L’analyse se limite à certains États – ceux qui façonnent le complexe de sécurité régional, à savoir l’Argentine, le Brésil, le Chili, la Colombie et le Venezuela – et aux organisations possédant la capacité légale pour entreprendre des activités liées à la sécurité. L’auteur conclut que les organisations régionales révèlent une faible capacité à gérer les conflits traditionnels et que leurs réactions dépassent rarement les déclarations de soutien ou de répudiation. En ce qui concerne les menaces non traditionnelles, ces entités montrent une forte divergence entre leur capacité légale d’identifier les problèmes et leur capacité opérationnelle de les résoudre. Ainsi, les États sont les fournisseurs quasi exclusifs de sécurité, traditionnelle et humaine. Toutefois, les États de la région n’ont généralement pas les capacités nécessaires pour garantir l’ordre civil et la protection, tant en ce qui concerne la sécurité de l’État que celle des citoyens. Par ailleurs, les menaces les plus graves sont de nature transnationale, ce qui rend indispensable la coopération entre ces mêmes États.
L’ouvrage réussit à montrer l’Amérique du Sud comme un espace défini par un ensemble de relations bilatérales, que les diverses traditions et orientations politiques peuvent renforcer ou affaiblir. L’auteur parvient également à illustrer la superposition des organisations régionales ainsi que leur capacité restreinte d’action. Dans ce dernier cas, l’analyse est toutefois moins poussée et elle reste superficielle par endroits. En outre, certains cas de conflits non armés correspondent mal à une telle caractérisation. Malgré tout cela – et quelques omissions dans la bibliographie –, l’ouvrage est convaincant en ce qui a trait à la nécessité de se méfier de la proclamation de l’Amérique du Sud comme étant une « zone de paix ».