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L’ouvrage Protesting Citizenship réunit des contributions publiées en 2013 dans un numéro thématique de la revue Citizenship Studies. Le grand mérite de cette publication est d’introduire une analyse rigoureuse, à la fois théorique et appliquée, de la mobilisation migrante et citoyenne par rapport à des enjeux de société préoccupants. Il s’agit de dévoiler une dimension plus sociale et militante de l’immigration, celle qui tend à être marginalisée au profit d’un paradigme économique de l’immigration, faisant de l’immigrant une commodité désirée et formatée selon les critères de la société d’accueil. Ce livre propose par ailleurs d’exposer les lignes de fractures et de rendre visibles les luttes pour la protection des plus vulnérables, les sans-papiers, les illégaux, les réfugiés, les femmes et les mineurs.
Dans l’introduction, Tyler et Marciniak soulignent que l’activisme des migrants eux-mêmes et des associations se focalise sur une critique de la citoyenneté, mais paradoxalement passe toujours par un désir d’y avoir accès, car celle-ci représente l’aboutissement d’un processus tumultueux. Cette conception demeure assez statique et l’intérêt de cet ouvrage est de déplacer les définitions et les pratiques de la citoyenneté vers une réflexion critique de ce que peut être l’au-delà de la citoyenneté. Les études de cas présentées dans cet ouvrage apportent un éclairage nouveau aux problématiques de l’immigration des populations les plus vulnérables, celles que nous retrouvons retranchées dans des camps ou dans des zones dangereuses. La plupart des auteurs situent leur travail autour de deux grandes transformations globales. À l’âge du néolibéralisme, la migration se caractérise par des régimes de mobilité inégaux qui mettent le plus à risque les migrants illégaux. La sécurisation du monde vient accentuer cette réalité sociale qui place le migrant dans une position de délinquant face à l’action de l’acteur étatique. Les migrants indésirables sont de plus en plus criminalisés et terrorisés par les États.
Trois perspectives théoriques permettent de suivre un fil conducteur entre les dix contributions.
Premièrement, le lien de solidarité qui se développe entre les migrants et les militants d’associations qui se portent à la défense des immigrants permet d’envisager la constitution d’espaces différents de celui de la citoyenneté. Plusieurs études de cas font ressortir l’importance de certains lieux communs dans la mobilisation citoyenne. Elles montrent aussi la réalité du terrain, comme dans la ville portuaire de Calais dans le nord-ouest de la France, où des migrants s’entassent dans des zones périphériques et espèrent traverser vers la Grande-Bretagne. NoBorders est par exemple un groupe militant qui cherche à redonner un sens à la réalité que vivent de nombreux immigrants clandestins et qui critique également un discours officiel stigmatisant le migrant. Pour de nombreux activistes, venir en aide au migrant en détresse est un acte risqué, car il s’inscrit aussi dans une logique d’illégalité.
Deuxièmement, par le thème de la protestation, des citoyens s’engagent à développer une citoyenneté plus participative. Des actes politiques et des engagements permettent de faire des migrants des sujets politiques. On note ici l’adoption de nouveaux langages facilitant la sortie du prisme de l’État et de la souveraineté. Plusieurs auteurs évoquent des gestes de défiance et de résistance à l’ordre, comme celui de brûler ses papiers et, ainsi, de s’affranchir d’une condition définie par l’autorité publique. D’autres contributions s’intéressent à des stratégies de convivialité et d’entraide entre les individus souvent éprouvés par le sentiment d’être de nulle part.
Enfin, la condition du migrant, entre la visibilité et l’invisibilité, nous amène à penser le rapport à une esthétique de la représentation du migrant, de son type d’inscription dans la société. Les auteurs se réfèrent au travail de Jacques Rancière, penseur de la sensibilité du sujet et de sa condition par rapport à une frontière. Est-il dedans ou dehors ? Cette réflexion est fort intéressante, car elle permet de cerner comment se constitue la stratégie militante qui aspire à faire connaître la réalité des migrants. Plusieurs études s’appuient sur des supports méthodologiques novateurs, comme le recours au visuel et à la narration.
Cette lecture a le mérite de pousser assez loin la réflexion théorique autour de la citoyenneté. Elle nous fait réfléchir à ce que le migrant désire le plus dans son projet de vie. Elle nous aide à comprendre sa stratégie de survie, présentée tel un acte d’invisibilité voulue, mais aussi à saisir que le migrant aspire à normaliser sa condition, c’est-à-dire à lui donner un sens et un lieu d’ancrage. Cette perspective me semble nécessaire, car elle répond à de nombreux travaux qui ne font que célébrer la mobilité des individus dans un monde fluide et libéré des frontières.