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Avec des activités de réforme du secteur de la sécurité (RSS) entreprises dans plus de 70 pays depuis 2006, l’Union européenne (UE) est actuellement l’un des principaux acteurs dans le domaine de la résolution des conflits et de la consolidation de la paix. Toutefois, force est de constater que, près de huit ans après la signature du traité de Lisbonne, les résultats de l’organisation sont pour le moins inégaux dans ses efforts visant à améliorer et à démocratiser la gouvernance des institutions de sécurité des pays en transition. Pourquoi certaines initiatives ont-elles conduit à une amélioration durable de la sécurité comme à Aceh, alors que d’autres ont échoué lamentablement comme en République démocratique du Congo ? C’est à cette question que tente de répondre The European Union as an Actor in Security Sector Reform.

Dirigé par Oya Dursun-Özkanca, professeure de sciences politiques au Elizabethtown College, cet ouvrage est en fait la publication sous forme de livre de l’édition de mai 2012 de la revue European Security. Il constitue une compilation d’études de cas portant sur pas moins de sept théâtres d’opérations dans lesquels l’UE s’est engagée dans la RSS.

L’ouvrage est composé de neuf chapitres organisés selon trois thèmes. Le premier thème porte sur les normes et les idées. Il privilégie l’analyse de la RSS en tant que produit d’idées et d’intérêts parfois contradictoires et en tant qu’outil de propagation de normes. Le deuxième thème se concentre sur les acteurs et les pratiques de la RSS, avec un accent plus marqué sur les stratégies et les préférences des acteurs. Le troisième thème se penche sur les structures et les institutions de l’UE oeuvrant dans le domaine, notamment les logiques de coordination et de compétition avec lesquelles elles doivent composer. Chaque chapitre utilise des outils théoriques et analytiques différents afin d’aider le lecteur à voir le sens de l’action de l’UE dans la RSS.

Ce livre met en lumière l’impressionnante diversification des activités de l’UE dans le domaine, tant en termes d’approches qu’en termes de contextes de déploiement, et souligne les avantages de cette action multiniveau. Paradoxalement, il insiste aussi sur l’ampleur du travail qui reste à faire pour que l’organisation puisse se vanter d’être un acteur cohérent de la RSS tant son action dans le domaine est à géométrie variable.

Outre l’analyse des obstacles et défis « traditionnels » auxquels l’UE doit faire face dans ses opérations de RSS, tels que le manque de moyens particuliers, l’absence de leadership ou encore les problèmes causés par la faible appropriation nationale, l’ouvrage laisse la place à des hypothèses plus novatrices qui pourraient attirer l’attention des spécialistes en bonnes pratiques (lessons learned) de l’UE et de la RSS. Trois chapitres attirent ici plus particulièrement notre attention.

Ainsi, dans le chapitre 5, Arnout Justaert démontre en quoi le niveau de ressources d’un acteur de la RSS a un impact direct sur l’importance qu’il va accorder à la coopération : plus il aura de ressources, moins il aura besoin des autres et plus il agira de manière unilatérale, rendant ainsi difficile la mise en place d’une approche cohérente, concertée et coordonnée entre tous les acteurs.

De son côté, Dimitris Boutis met en relief dans le chapitre 7 les limites politiques à l’approche holistique de la RSS préconisée en théorie par l’UE. S’appuyant sur l’exemple de l’initiative européenne de réforme du secteur de la sécurité dans les territoires palestiniens, Boutis souligne les insuffisances du contrôle démocratique des forces de sécurité palestiniennes. Il argue que ces insuffisances seraient dues au fait que la RSS vise à mettre en place des forces de sécurité capables de lutter contre le Hamas, considéré comme une menace terroriste, au risque de perpétrer des violations des droits humains auprès de la population.

Enfin, dans un chapitre 9 particulièrement intéressant, Simone Tholens étudie l’impact de la RSS sur les liens de légitimité entre les autorités indonésiennes et les populations locales à Aceh. Elle analyse l’utilisation par l’UE des communautés coutumières locales (adat) en vue de démocratiser les secteurs de la justice et de la sécurité. En introduisant un modèle exogène – le contrôle démocratique des systèmes de sécurité – avec des outils endogènes (les adat), l’UE a aidé à reconstruire le lien de confiance et de légitimité entre la population d’Aceh et les autorités indonésiennes. Tholens avance l’idée que l’UE est capable de promouvoir et de mettre en oeuvre des efforts de consolidation de la paix pensés et mis en oeuvre localement, qu’elle qualifie « de 3e génération ».

Cet ouvrage a le mérite d’offrir une comparaison des initiatives de RSS de l’UE, de présenter un panorama de leurs succès, de leurs défis et de leurs échecs et de tracer l’évolution de ces initiatives au fil du temps. Il participe également aux efforts de conceptualisation et d’opérationnalisation politique de la RSS au niveau de l’UE (par opposition à celui de ses États membres).

Néanmoins, la pertinence de publier en 2014 sous forme de livre et à un coût prohibitif un numéro de revue spécialisée datant de 2012 peut paraître toute relative. Cela est d’autant plus vrai qu’aucun travail d’édition ou de mise à jour ne semble avoir été fait, ce qui donne pour résultat, outre la redondance des notes biographiques de certains auteurs que l’on retrouve en trois exemplaires, la présence de coquilles et d’erreurs de syntaxe ainsi que de références bibliographiques à paraître en… 2012.

Cela étant, l’ouvrage pourra intéresser chercheurs et praticiens travaillant sur la RSS et la Politique commune de sécurité et de défense de l’UE, surtout ceux qu’intéresse une approche comparativiste.