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Dans leur ouvrage, Elizabeth Economy et Michael Levi, tous deux senior fellows au Council on Foreign Relations (CFR), nuancent le débat sur la montée de la Chine comme puissance à la recherche de ressources naturelles, explorant la portée et les conséquences de cette expansion.
Prenant leurs distances des dérapages enthousiastes ou alarmistes, fréquents dans les médias, les auteurs offrent un portrait enrichi par une analyse détaillée et spécifique de plusieurs marchés globaux. Ces derniers seraient, dit-on, transformés par la montée de la Chine. La question de base consiste à rechercher comment la Chine transforme le monde dans cette quête de ressources, mais le livre ne se limite pas à ce seul sujet. On trouve une interrogation complémentaire, fort judicieuse : la Chine elle-même connaît-elle des transformations à travers ce processus ?
D’emblée, les auteurs affichent leurs couleurs : l’idée d’une Chine qui transforme radicalement les marchés des ressources naturelles et qui, à court terme, menace les équilibres géopolitiques relève plus du mythe que de la réalité. L’interaction chinoise avec les marchés mondiaux transforme la Chine elle-même tout autant, sinon davantage.
Ils constatent par exemple que, si la demande chinoise exerce une pression à la hausse sur les prix du pétrole et du cuivre, il en va autrement dans le cas du gaz naturel et de la bauxite. Cette différence reposerait sur la structure différente des deux marchés, ce qu’on ne peut comprendre si l’on veut simplifier et analyser « les marchés » comme un tout. Dans la perception populaire, la Chine agit sur les marchés mondiaux de manière unitaire, car ses entreprises sont partiellement contrôlées par l’État. Cette thèse est contredite par l’existence de la compétition entre les entreprises chinoises et par le manque de coordination entre les acteurs politiques et économiques.
L’ouvrage remet en cause d’autres mythes, dont ceux relatifs au pétrole. Par exemple, le pétrole extrait à l’étranger par des entreprises chinoises n’est pas envoyé directement en Chine. Elles le vendent plutôt sur les marchés mondiaux.
En ce qui a trait aux normes de responsabilité sociale et environnementale des entreprises chinoises, les auteurs avancent que l’interaction avec des firmes occidentales, avec pour objectif principal le transfert de technologie et d’expertise, expose les gestionnaires chinois à des standards plus élevés qui pourraient les influencer. Par contre, les conduites des entreprises chinoises outre-mer seraient déterminées avant tout par l’évolution des normes à ce sujet en Chine ainsi que du cadre légal, souvent laxiste, mis en place par les pays où a lieu l’exploitation. Selon les auteurs, les entreprises chinoises, ironiquement, paient un prix plus élevé que les autres, en matière de réputation, parce que tout le monde se méfie d’elles. De ce fait, le gouvernement chinois – du moins officiellement – pousse ses entreprises à bonifier leurs pratiques dans ce domaine.
Concernant les impacts géopolitiques de cette quête de ressources, les auteurs distinguent les effets selon la distance des régions par rapport à la Chine. Les impacts dans les régions lointaines seraient minces, surtout à cause des limites à la projection de la puissance militaire chinoise. Les auteurs font le constat selon lequel la Chine, comme toutes les nations du monde, dépend encore des États-Unis pour la sécurisation des voies maritimes qui alimentent son commerce extérieur. Cependant, les impacts sont plus marqués sur les régions rapprochées, soit en Asie centrale, en Asie du Sud-Est continentale ou en mer de Chine méridionale et orientale. Cet état de fait pourrait mener à des conflits dans un horizon relativement rapproché.
Dans l’ensemble, les auteurs apportent une réponse bien documentée et nuancée à leurs deux questions principales, en particulier dans leur dimension économique. Ce faisant, ils soulèvent toutefois d’importantes questions contiguës auxquelles ils n’apportent pas de réponse. L’une porte sur la nature néocoloniale de la présence chinoise dans les pays en développement et sur l’impact potentiel sur leur vie politique et économique.
En effet, l’approche chinoise ne pose pas de conditions sur les « affaires internes » (par exemple la gouvernance ou les droits humains) des pays où elle investit. De ce fait, cette approche pourrait-elle exercer un impact négatif sur leur croissance économique, à travers le mécanisme de la malédiction des ressources ? Question d’autant plus importante que la Chine tend à investir à l’étranger pour y extraire des ressources naturelles, puis vendre des biens manufacturés à ces pays. Elle imite ainsi le néocolonialisme économique « occidental » qui mène à des termes d’échanges peu avantageux pour les pays exportateurs de matières premières.
Le silence sur cette question montre que ce livre, écrit sous l’égide du Council on Foreign Relations, adopte une perspective très américaine sur le sujet. Ainsi, les auteurs explorent peu le point de vue des pays en développement.
Par ailleurs, si le portrait de la situation actuelle convainc, le lecteur s’interroge sur de potentielles mutations sociopolitiques en Chine. Par exemple, le déploiement de nouveaux armements ou une orientation plus agressive en politique étrangère pourraient transformer rapidement les équilibres géopolitiques mondiaux. En effet, rien ne dit que l’approche progressive et modérée du gouvernement chinois actuel se poursuivra si l’on assiste à la décroissance des asymétries de pouvoir entre la Chine et les États-Unis.