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Les trois directeurs de la publication, professeurs et praticiens expérimentés dans le domaine de la justice pénale internationale, nous proposent douze contributions, entièrement en anglais, éclairantes sur leur domaine de prédilection. Bien que centrées sur le droit, ces contributions sont annoncées comme bénéficiant d’apports d’autres disciplines (notamment l’histoire, la politique, la sociologie et la psychologie). Mais c’est l’expérience et la vision des contributeurs (des universitaires et praticiens essentiellement d’Australie et du Royaume-Uni) qui constituent, à notre sens, l’apport le plus précieux de cet ouvrage. Par ailleurs, la multiplicité des perspectives adoptées permet non pas de couvrir par le menu et de manière exhaustive la matière, mais plutôt d’appréhender certaines problématiques particulières et d’en faire, le temps d’un article, la perspective atypique par laquelle la justice pénale internationale est abordée. L’hétérogénéité apparente de l’ouvrage s’efface dès lors que les problématiques choisies sont reliées aux questions, toujours fondamentales, de la légitimité et de la cohérence de la justice pénale internationale, agrégat de multiples réactions variées, légales et politiques, à des problèmes criminels internationaux, graves et complexes.
Une contribution d’ouverture, offerte par Gideon Boas, propose non pas de délimiter et de définir effectivement ce qu’est la justice pénale internationale, comme le titre de l’article semble le supposer, mais plutôt de montrer pourquoi et en quoi il est délicat de le faire. Pour cela, l’auteur, qui a choisi de mener sa réflexion sous le prisme classique de la justice rétributive et de la justice réparatrice, montre de façon concise que la justice pénale internationale doit être abordée de façon plus complexe qu’elle ne le paraît. Sans réelle surprise, mais avec des précisions appréciables, il ressort de sa présentation du socle classique que forme le droit pénal international que le rôle des tribunaux internationaux pour les crimes de guerre, certes crédibles mais à parfaire, ne doit pas occulter deux questions d’importance : l’action réduite des tribunaux nationaux et le problème posé par la création d’un système d’exception pour répondre à la menace terroriste. C’est toutefois le tour d’horizon que brosse l’auteur en présentant les imbrications de la justice pénale internationale avec d’autres disciplines qui explique surtout la complexité à cerner cette notion. La conclusion apportée ouvre une voie royale pour la suite de l’ouvrage : la justice pénale internationale se comprend différemment suivant les personnes et les époques.
Trois contributions examinent ensuite les difficultés à équilibrer l’exigence d’un procès équitable en droit pénal international, nécessaire à la légitimité des procès, avec des intérêts concurrents, telle la nécessité d’assurer que le procès ne se transforme pas en une tribune politique pour l’accusé. De façon remarquable, Peter Morrissey, qui fut conseil principal de l’accusé Sefer Halilović devant le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, nous plonge au coeur du principal défi des conseils de la défense : obtenir la communication des charges reprochées et des éléments de preuve du procureur. À travers l’exposé de l’auteur, qui traite à la fois des deux tribunaux ad hoc et de la Cour pénale internationale (cpi), nous avons ainsi un accès privilégié aux questions et difficultés pratiques, parfois inattendues, auxquelles un conseil peut devoir faire face. À ce titre, l’auteur pose la bonne question : celle d’une communication non pas effective, mais efficace, afin de concentrer le procès sur le coeur des accusations. Toutefois, la nécessité, exposée par l’auteur, du rôle très proactif de la défense pour assurer le caractère contradictoire du procès, et donc sa crédibilité, n’est-elle pas en fait révélatrice d’une faiblesse du modèle, largement accusatoire, de ce type de procès ?
Trois auteurs se penchent par la suite sur les poursuites des crimes internationaux dans une perspective temporelle et comparative. C’est ainsi que Robert Cryer, enseignant à Birmingham, met en perspective les procès pénaux internationaux post-Seconde Guerre mondiale et les procès plus modernes. L’éclairage apporté sur l’utilisation des premiers comme source de jurisprudence pour les seconds, et surtout les raisons de cette utilisation, renouvelle une question ordinairement traitée par le seul prisme du droit. L’apport de l’auteur sur la récurrence de certains problèmes dans le temps (le rôle des juges et du droit coutumier, les reproches d’une justice de vainqueurs et l’impact du financement sur la tenue des procès) est appréciable, en ce qu’il permet de relativiser ces questions d’actualité. Aussi, les développements consacrés aux préoccupations propres aux procès modernes (le débat justice et paix, les difficultés de coopération, le rôle important des droits de l’homme et du procès équitable, la composition civile ou militaire des tribunaux) permettent dans le même temps de jeter une lumière nouvelle sur les procès plus anciens.
Enfin, cinq contributions abor- dent la justice pénale internationale par le prisme d’infractions spécifiques (les actes de terrorisme en droit pénal international, puis le crime d’agression devant la cpi) ou d’acteurs de la communauté internationale souvent relégués à un second rang dans les ouvrages classiques (les femmes, les victimes et les militaires).
En définitive, la multiplicité des approches adoptées, empreintes d’un recul très appréciable ou qui nous placent au coeur de la pratique actuelle, nous pousse à remettre en cause et à enrichir la perception de la matière. Si l’on peut regretter la qualité parfois un peu inégale des contributions (pour des initiés ou très accessibles) ainsi qu’une large prépondérance faite à la justice rétributive et à une approche anglo-saxonne (à l’exception notable de la contribution de Sam Garkawe, sur la perspective des victimes), ce n’est qu’une invitation pour d’autres auteurs à approfondir la question selon ces perspectives atypiques et éclairantes sur la justice pénale internationale.