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Les organisations intergouvernementales (oig), comme leur nom l’indique, sont des institutions dont les membres sont des États souverains internationalement reconnus comme tels. Ces États décident de former de telles institutions en vue de joindre leurs efforts et leurs compétences relatives pour l’atteinte de certains objectifs communs. Vu l’interdépendance accrue du monde depuis le siècle dernier, la portée des décisions qu’adopte une oig ne se limite pas, le plus souvent, aux seuls États membres, car certaines de ces décisions peuvent avoir de lourdes conséquences sur des États non membres. En outre, certains États non membres peuvent être d’une utilité capitale sur une ou plusieurs questions préoccupant l’oig à un moment donné. D’où le phénomène d’observateurs auprès des oig. Bien entendu, certains pays, comme le Vatican, préfèrent avoir le statut d’observateur auprès d’organisations étatiques afin de préserver leur neutralité (p. 33). D’autres États, à l’opposé, sont obligés de se contenter de ce statut d’observateur, alors qu’ils souhaiteraient devenir membres à part entière de l’oig, à cause de l’opposition de certains États membres. Ce fut le cas de plusieurs pays par rapport à l’Organisation des Nations Unies (onu) avant leur admission comme membres de plein droit.
Dans cet ouvrage, Thierry Garcia tente de répondre à certaines questions relatives à l’historique et au développement de ce phénomène. À cette fin, l’ouvrage est organisé en deux grandes parties, chacune comportant plusieurs chapitres. La première partie trace les origines du phénomène d’observateur, son évolution au fil du temps et le développement des règles du droit international concernant les observateurs, tandis que la seconde partie se penche sur la contribution et les activités des observateurs au sein des oig.
Pour ce qui est de l’historique du phénomène, l’auteur commence par préciser que l’apparition des premiers observateurs date du milieu du 19e siècle. À cette époque, les gouvernements des États ne souhaitant pas participer à une conférence internationale organisée par d’autres États y envoyaient tout de même des délégués, car ils voulaient être informés du déroulement de la rencontre (p. 11). À la conférence de Lausanne de 1922, un délégué des États-Unis réussit à faire accepter par les participants que les observateurs puissent avoir le droit de participer et de s’exprimer aux sessions plénières de la conférence, sans avoir le droit de voter, de présider les séances ou de signer les conclusions de la conférence. Ainsi, la Société des Nations (sdn), dont les États-Unis ne furent pas membres à cause du refus du Congrès américain de ratifier le traité l’instituant, est la première oig à accorder la qualité d’observateur à des États non membres. Depuis sa création en 1945, l’onu a emboîté le pas à la sdn.
Cependant, compte tenu de l’évolution des relations internationales, deux facteurs semblent relever des lacunes majeures dans le droit international concernant les observateurs. D’une part, des oig de diverses envergures régionales et continentales ont émergé dans le monde depuis la seconde moitié du 20e siècle, et ces oig n’ont pas de mandats universels, contrairement à la sdn ou à l’onu. D’autre part, des mouvements de libération nationale (mln) et des entités non étatiques, généralement connues sous le nom d’organisations non gouvernementales (ong), s’efforcent de plus en plus d’acquérir le statut d’observateur auprès des oig. Il y a, d’ailleurs, le nouveau phénomène des oig qui souhaitent obtenir la qualité d’observateur auprès d’autres oig, comme c’est le cas par exemple entre l’Union africaine (ua) et l’Union européenne (ue). L’auteur montre bien cette lacune (p. 28), qui tient au fait que le droit international n’a pas encore pris en compte cette évolution, et n’a donc pas de règles claires sur l’octroi de la qualité d’observateurs auprès des oig régionales ou aux délégués des entités non étatiques. Ainsi, pour remédier à cette lacune, ces organisations tentent d’élaborer, elles-mêmes, les principes et les modalités d’octroi du statut d’observateur aux entités non membres.
Il convient d’observer également que si de nos jours des observateurs, tels ceux qui ont participé à la conférence de Lausanne, existent encore, puisque les conférences internationales se poursuivent, des États non membres, mais les oig aussi, accréditent maintenant des missions « permanentes » d’observation auprès d’autres oig. Ces deux types d’observateurs relèvent de deux domaines différents en droit international. Les premiers, temporaires, bénéficient de moins de privilèges que les seconds, permanents, qui sont traités de façon générale mais à tous les égards comme le sont les missions diplomatiques bilatérales entre États souverains. Sur ce dernier point, l’auteur trouve regrettable que la convention de Vienne sur les relations diplomatiques n’ait pas accordé à l’État hôte le droit de regard et de refus par rapport au personnel des missions permanentes d’observation auprès des oig se trouvant sur son territoire (p. 138). À mon avis, et nonobstant la pertinence de certains arguments avancés par l’auteur, je pense que celui-ci néglige les risques encourus pour les relations internationales si tel était le cas. Imaginons, pour s’en rendre compte, les difficultés qu’auraient pu éprouver les Iraniens et les Nord-Coréens dans la composition de leurs missions auprès de l’onu, basée sur le territoire américain, considérant les relations d’animosité entre ces deux pays et Washington.
Cet ouvrage pourrait s’avérer fastidieux dans certaines de ses parties pour le non-spécialiste, mais il s’agit de descriptions nécessaires pour mieux contextualiser les discussions qui s’ensuivent. Très riche, il constitue une bonne référence pour les diplomates, les juristes, les chercheurs et les étudiants qui s’intéressent au phénomène étudié.