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John A. Rees – qui enseigne les Relations internationales à l’Université Notre Dame de Sydney (Australie) – nous propose un ouvrage ardu. Les profanes – qui cherchent à appréhender une situation mondiale d’autant plus complexe que nos médias se cantonnent le plus souvent à une analyse manichéenne – déploreront sans nul doute son caractère peu accessible. Les universitaires, en revanche, accueilleront avec intérêt une étude qui traite d’un thème que la discipline des Relations internationales, adhérant strictement au concept d’un monde politique rythmé par le seul concept de laïcité, a longtemps délaissé : celui de sa dimension religieuse, qui est encore très décriée. De fait, ce que l’on nomme aujourd’hui encore l’Occident continue d’user du schéma de la laïcité pour analyser les événements qui se déroulent en dehors de son aire géographique. Faut-il le rappeler, le terme d’« Occident » est un héritage de la guerre froide que l’expression de « communauté internationale » n’est pas parvenue à supplanter totalement. Il reste de rigueur dans toute analyse des événements mondiaux au sens où il témoigne d’une prédominance, voire d’une hégémonie, que l’Europe occidentale et l’Amérique du Nord s’attachent toujours – bon an mal an – à exercer. Quant à l’expression de communauté internationale, née au lendemain de la chute de l’Union des républiques socialistes soviétiques, elle dépeint un « concert des nations » qui regroupe principalement les pays occidentaux et certains alliés comme le Japon, tandis que des nations comme l’Inde s’y insèrent progressivement.
À considérer le discours simpliste que les médias ont adopté à la suite des attentats du 11 septembre 2001, il y a lieu de tenter un examen plus impartial des réalités mondiales, que nous avons eu tendance à oblitérer. Les mentalités collectives dominantes – en Occident tout comme en Orient (s’il faut user d’un raccourci rendu nécessaire par l’espace qui nous est ici imparti) – ont été marquées par l’analyse de Samuel Huntington. Ce politologue a défendu, dès 1993, la thèse d’un « choc des civilisations » sur laquelle la « guerre contre la terreur » viendrait s’appuyer. Du reste, Rees – dans un premier chapitre qui porte sur les analyses que les Relations internationales ont consacrées aux questions politiques et religieuses – revient sur la thèse de Huntington, ainsi que sur des travaux plus récents.
Examinant le fondement laïque (ou, tout au moins, secularist) des relations internationales, l’auteur entend offrir une approche novatrice tant sur le plan conceptuel que méthodologique, qui permettrait de replacer le fait religieux au sein de cette discipline, et donc d’en faire l’étude. Empruntant la formule de Peter Berger, John A. Rees souligne la relation complexe que religion et modernité entretiennent (p. 7). Il insiste sur un contraste frappant : face à l’intrusion du fait religieux dans le champ politique, la discipline des Relations internationales est longtemps demeurée timide, ses chercheurs se demandant si la dimension religieuse constituait un « objet d’étude légitime ». Au début des années 1990, l’on en vint cependant à contester l’idée que tous les acteurs mondiaux emprunteraient la seule voie de la laïcité (ou plus exactement du secularism) et du rationalisme, synonymes de « biens universels ». Mais il est vrai que l’inclusion de la dimension religieuse au sein de la discipline se fit de manière voilée, tandis que la « communauté internationale » se préoccupait de plus en plus des questions de développement, de bonne gouvernance puis de sécurité. Ce sont de tels enjeux qui conduisirent Rees à s’interroger, comme le sous-titre de son ouvrage en témoigne, sur la problématique de la Banque mondiale et des institutions religieuses – traduction au passage bien peu satisfaisante de l’expression de faith institutions – qui a émergé durant la période 1998-2005.
Il nous est difficile de donner ici un aperçu de la richesse de l’ouvrage que présente Rees. Nous nous contenterons de nous pencher brièvement sur sa structure. L’auteur rappelle l’existence de trois discours qui, en Relations internationales, traitent du fait religieux : le premier discours se fonde sur le secularism, le deuxième accorde au sacré une place centrale et le troisième tente d’intégrer ces deux dimensions en apparence antagonistes. Rees insiste sur la place qu’il faut accorder, en Relations internationales, à l’analyse de la dynamique religieuse. Il s’attache à la définition d’une méthodologie permettant de véritablement prendre en compte l’ensemble des acteurs mondiaux et des intérêts qu’ils défendent. Il s’attelle également à « l’examen de l’impact du sacré et du laïc » sur la problématique du développement à l’échelle internationale (p. 44). Il applique alors le modèle qu’il a défini à la collaboration que la Banque mondiale et les acteurs et institutions religieuses s’attachent à mettre en oeuvre. Nul doute que son ouvrage contribuera à une meilleure compréhension ainsi qu’à une perception plus positive de la dimension religieuse, alors que la question du développement, souvent traitée par des organisations basées en Occident, peine à se défaire des couleurs – négatives – du fardeau de l’homme blanc.