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Actuelle « loi fondamentale » de l’Union européenne, le traité de Lisbonne est entré en vigueur en décembre 2009, au terme d’une longue séquence politique et institutionnelle : l’adoption du traité de Nice en 2000, la mise en place d’une convention sur l’avenir de l’Europe, le rejet en 2005 par les référendums français et hollandais du résultat des travaux de cette convention, puis le recyclage en 2007 de certaines des dispositions proposées dans un nouveau traité, un référendum irlandais en 2008 rejetant le nouveau traité, et, enfin, l’entrée en vigueur du texte après certains amendements. Le livre dirigé par Laursen revient sur ce processus avec un parti pris clair : les États membres ont été les maîtres du processus institutionnel et de sa réforme, et le niveau d’observation le plus pertinent de ce processus se trouve dans chaque État participant à ce processus. Ce parti pris est développé dans le livre au travers d’une série de contributions nationales.
Le livre commence par une introduction du directeur de publication, qui revient sur les différentes étapes du processus, et en particulier sur les suites de la décision allemande au début 2007 de pousser les États membres vers un nouveau traité à la suite de l’échec de 2005. On voit bien dans cette décision, et durant la conférence intergouvernementale qui va suivre, le rôle joué par l’Allemagne et par la chancelière Angela Merkel ; celle-ci sera le pivot de négociations durant lesquelles, de façon assez prévisible, chaque État se présente avec ses griefs et ses demandes, des « lignes rouges » britanniques aux admonestations polonaises, des inquiétudes des petits États à l’ambiguë volonté de progresser des grands. Le sommet de juin 2007, fermement débattu, finit par son lot de compromis, de délais, d’opt-outs. Une négociation classique des négociations européennes, où l’Allemagne joue très clairement le rôle de chef d’orchestre ; les autres États, comme le Royaume-Uni ou la France, apparaissent en soutien et sur des points particuliers, alors que les institutions européennes, Parlement et Commission, sont très largement absentes.
L’Allemagne fait donc l’objet des deux premiers chapitres. Hans J. Lietzmann revient sur les évolutions de la position allemande entre Nice et Lisbonne, alors que Frank R. Pfetsch s’étend plus largement sur la vision allemande du processus de réforme des institutions de l’ue. La contribution de Pfetsch est probablement la plus utile des deux : elle apporte au lecteur des éléments généraux sur la politique européenne de l’Allemagne et propose une réflexion sur la fonction de la présidence tournante du Conseil européen, axée sur trois rôles : organisation des débats, rôle d’initiative et de proposition, rôle tactique durant les négociations. Loin de l’image d’une Allemagne imposant ses visions à ses partenaires, l’article révèle une Angela Merkel médiatrice et prête au compromis. Le contraste avec l’image publique actuelle de Merkel pourrait inviter en particulier un lectorat français à nuancer son appréciation de la chancelière allemande.
D’autres États membres sont vus par la suite dans des chapitres particuliers. Le texte de Bernard Barthalay sur la France part d’assez loin, faisant de l’opposition entre Jean Monnet et Charles de Gaulle une parabole fondatrice de la politique européenne de la France, puis exprimant sa tension principale entre les désirs souverainistes et fédéralistes. Barthalay est très critique à l’égard du traité de Lisbonne, regrettant son manque d’ambition et appelant de ses voeux un pacte fédéral entre les pays de la zone euro.
Alasdair Blair ramène à la surface les raisons internes qui expliquent la méfiance britannique constante vis-à-vis de l’intégration européenne : manque de consensus au sein des principaux partis britanniques sur la réaction à avoir aux questions européennes, utilisation dans la presse et dans les discussions politiques des questions européennes comme objets de dénigrement systématique, etc. Blair souligne le réflexe britannique consistant à établir lors des négociations des positions très dures, présentées comme sans appel. Il souligne aussi la survie d’une rhétorique de puissance, présentant avec insistance le Royaume-Uni comme une grande puissance et mettant l’accent sur la souveraineté et le destin atlantique du pays. Il rappelle les principaux épisodes des négociations, en particulier le refus du gouvernement conservateur d’accepter Tony Blair comme président du Conseil européen, et regrette l’incapacité de gouvernements successifs à mener un débat sur la relation du Royaume-Uni avec l’intégration européenne. Federiga Bindi, Luigi Gianniti et Joaquin Roy reviennent quant à eux sur les cas italien et espagnol.
On s’attarde volontiers sur les chapitres traitant du rôle des petits et des nouveaux États membres de l’Union. Le premier cas qui vient à l’esprit est évidemment la Pologne, du fait de son rôle dans les négociations de juin 2007. L’article de Maciej Wilga et d’Ireneusz Pawel Karolewski porte sur les difficultés pour la Pologne, comme pour la République tchèque, d’accepter le traité. Le cas polonais est emblématique d’un pays récemment associé aux coopérations européennes, et pressé de faire reconnaître – pour des raisons intérieures autant que de politique étrangère – sa position comme membre à part entière de l’Union et comme puissance moyenne associée aux négociations européennes. Le Danemark, dont Laursen traite le cas dans un des meilleurs articles de ce recueil, montre en revanche l’image d’un petit pays, vétéran des institutions européennes, et dont la politique a consisté sur ce traité à manoeuvrer dans ses relations avec l’Allemagne pour obtenir certaines satisfactions. Là où la Pologne se crispe, le Danemark négocie. En passant, le cas danois met en avant un des principaux points de ces négociations pour tous les États engagés : éviter au maximum les référendums, ce qui contribue à pousser les États vers une réforme a minima. Declan Walsh et Gavin Barrett reviennent ensuite sur le cas irlandais, important par le double référendum de 2008-2009.
La conclusion de Finn Laursen emprunte largement aux analyses d’Andrew Moravscik, et le livre entier se place dans l’ombre du prophète de l’intergouvernementalisme libéral : les États dans l’Union sont décrits comme ayant des préférences nationales, qu’ils transcrivent au niveau européen et autour desquelles ils organisent leurs discussions. Le Conseil européen est évidemment l’endroit où ces préférences se rencontrent, où des compromis sont élaborés et où la vie de l’Union se décide. On notera seulement que le livre se place au niveau idéal pour valider l’analyse de Moravscik : les discussions d’une conférence intergouvernementale auront évidemment tendance à mettre en avant exactement le genre de processus que définit Moravscik. Par ailleurs, et si l’on se concentre sur la réception de The Choice for Europe, Moravscik a été critiqué sur sa méthode plutôt que sur le résultat final de son raisonnement (on signalera l’article de Jeffrey Vanke, dans lequel celui-ci critique Moravscik sur sa vision de la politique gaullienne et sur son usage des sources).
Cela dit, la conclusion du livre de Laursen s’impose presque comme une évidence dans le cas étudié. Les États membres sont encore largement les maîtres des traités, et les débats internes influencent très largement les positions prises lors de négociations intergouvernementales. Ce sont toutefois des maîtres soumis à certaines contraintes. D’abord, les États ne peuvent plus complètement ignorer l’existence des institutions européennes, en particulier la Commission et le Parlement. Ensuite, les États membres arrivent à la table des négociations non pas pour écrire sur une page blanche, mais pour annoter ou changer un texte écrit : ils travaillent dans un contexte influencé par des développements anciens, des décisions passées et la structure institutionnelle de l’ue. Enfin, les États travaillent au milieu des difficultés inhérentes à un processus impliquant 27 communautés nationales de taille, de ressources et de positions diverses. L’impression qui subsiste après la lecture de ce livre est essentiellement celle d’une Union qui reste en grande partie une forme d’alliance formalisée, une lice encadrant les débats des États membres.
Le livre n’est pas exempt de problèmes d’édition, et il n’échappe pas vraiment au problème récurrent des livres de contribution, qui est l’inégalité des différents chapitres. Du point de vue de l’historien, le manque de recul pose parfois problème, mais l’ouvrage remplira bien son rôle d’introduction aux positions nationales concernant le traité de Lisbonne. Certains chapitres, en particulier concernant la Grande-Bretagne, le Danemark, la Pologne et l’Allemagne, seront utiles dans le cadre d’enseignements liés à l’intégration européenne.