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Brown et Langer nous convient, dans l’ouvrage collectif qu’ils dirigent, à la rencontre de préoccupations de recherches variées sur le thème des conflits civils. Ces préoccupations s’inscrivent dans le cadre des réflexions poursuivies notamment en études de sécurité en relations internationales.
En rassemblant les contributions d’une trentaine d’auteurs appartenant à des horizons disciplinaires et paradigmatiques diversifiés, cet ouvrage a pour principal atout de faire entrer en dialogue des spécialités appartenant à différents spectres de l’étude des conflits qui ont trop souvent le malheur d’évoluer en vase clos.
Cette publication est donc une réponse à l’apparent éclatement des problématiques de recherche sur le thème des conflits civils. Elle démontre de ce fait même l’inflexion favorable des auteurs à l’interdisciplinarité, heuristiquement riche et porteuse d’un savoir novateur.
L’article signé par Langer et Brown offre au lecteur la chance de se familiariser avec les concepts de conflits, de post-conflits et d’États défaillants. Les auteurs font alors la démonstration que ces concepts se chevauchent non seulement dans la littérature, mais dans la réalité, et qu’ils participent de dynamiques souvent concomitantes et parallèles. Ainsi, la fragilisation des leviers de l’État contribue au déclenchement des conflits civils, et vice-versa. Langer et Brown montrent aussi qu’à l’inverse la mise en place de structures étatiques appropriées dans un contexte post-conflit peut contribuer à apaiser les dynamiques de contention.
Quoique la priorité semble être accordée à la littérature de la résolution des conflits, de la reconstruction post-conflit et de la consolidation de la paix, une part non négligeable de l’ouvrage est consacrée aux facteurs de déclenchement des conflits et aux motifs qui alimentent leur progression et leur dissémination.
Plusieurs auteurs s’attardent ainsi à recenser les dimensions sociales les plus abondamment citées dans la littérature pour expliquer le déclenchement des hostilités. Parmi les conditions alimentant les antagonismes, on compte d’abord l’ethnicité, qui est abordée sous l’angle de l’économie politique par Robert H. Bates. Selon cet auteur, la diversité ethnique occasionne des coûts supplémentaires en matière d’investissements publics. De plus, leur inégale répartition entre groupes ethniques peut représenter une menace à la stabilité. Dans le même esprit, Frances Stewart émet l’hypothèse voulant qu’une société marquée par ce qu’elle qualifie d’inégalités horizontales, c’est-à-dire d’inégalités vécues sur une base ethnique, soit particulièrement susceptible de voir le ressentiment se matérialiser en conflit ouvert. Peter Vermeersch aborde plutôt l’ethnicité comme facteur de mobilisation.
Les collectifs d’auteurs formés autour de Nils Petter Gleditsch et de Kristian Skrede Gleditsch proposent pour leur part des pistes de réflexion novatrices pour aborder la question des facteurs transnationaux dans le déclenchement et l’essor des conflits. En opérant la jonction entre les résultats des sciences de l’environnement et les conflits civils, O. M. Thiesen, N. P. Gleditsch et H. Buhaug exposent les effets des changements climatiques sur l’ordre mondial, ceux du bouleversement qu’ils représentent pour les populations et ceux des tensions multiformes qui peuvent en résulter. Hors de tout doute, cette piste de réflexion revêt un potentiel énorme du point de vue de la recherche et pourrait bien devenir l’un des principaux chantiers d’investigation en matière de sécurité dans les prochaines années.
Kristian Skrede Gleditsch et ses collaborateurs articulent quant à eux les différentes dimensions transnationales des conflits en réponse à la prévalence des études privilégiant la prise en compte des seuls facteurs internes pour expliquer le phénomène. Ils démontrent que les acteurs impliqués dans un conflit n’évoluent pas en vase clos. Les groupes d’insurgés sont soumis par exemple à l’influence des diasporas, des États commanditaires ou encore des sanctuaires que constituent les États défaillants. Les organes répressifs sont pour leur part soumis au regard de la communauté et des organisations internationales, mais aussi de leurs voisins et rivaux. La dualité entre conflits internationaux et domestiques apparaît donc intenable d’un point de vue empirique. Elle convie le chercheur à repenser la typologie des conflits civils au regard de ces récentes percées des recherches transnationales.
Au final, cette publication, qui est destinée probablement plus à un public professionnel qu’universitaire, semble résulter de la volonté des experts en développement et paix, dont font partie les directeurs, d’élargir aux causes et aux manifestations de la violence organisée leur compréhension des conflits civils de manière à mieux intervenir sur les terrains marqués par le phénomène.
Les a priori paradigmatiques des directeurs de cette édition des Elgar Handbooks sont donc manifestes et s’inscrivent dans la tradition de la réflexion libérale en relations internationales. De là le choix éditorial d’accorder une part importante de la publication aux enjeux éthiques ou juridiques, comme ceux associés à la « sécurité humaine », à la médiation entre les partis et à la justice transitoire. Il en va de même de la mention dans le titre d’« États fragiles », qui révèle d’emblée l’angle institutionnaliste sous lequel sont abordées les problématiques associées aux conflits civils en faisant par exemple de la déliquescence des États, de la rupture du contrat social et des différents enjeux relatifs à la reconstruction de l’État des points saillants de la présentation. Cela dit, cet ouvrage a l’avantage d’offrir une franche alternative aux discours réalistes et néoréalistes en relations internationales et d’ouvrir à de nouveaux horizons interprétatifs.