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L’ouvrage collectif réalisé sous la direction de Michèle Rioux regroupe les actes du colloque Débordement sécuritaire. Entre ouverture économique et exclusion sociale organisé en 2005 par le Centre d’études internationales de Montréal (maintenant appelé le Centre d’études sur l’intégration et la mondialisation). Il tente de synthétiser les recherches sur les nouvelles formes d’insécurité dans le monde. Comme le titre de l’ouvrage l’indique, les douze contributions brossent à grands traits l’ensemble des « débordements sécuritaires » liés aux transformations des enjeux sécuritaires, aux carences de la gouvernance mondiale et à l’affaiblissement, voire à l’instrumentalisation des États. L’ouvrage sera avant tout d’une grande utilité pour les chercheurs en relations internationales qui veulent réévaluer les enjeux sécuritaires à la lumière des aspects économico-politiques de la mondialisation.
Le débordement sécuritaire en rapport direct avec la marchandisation de la sécurité et la privatisation de la gouvernance démultiplie les sens et les finalités du concept de sécurité, d’où le constat principal de l’ouvrage. Le débordement sécuritaire englobe tout d’abord les nouvelles formes de gouvernance qui désignent de multiples modes de privatisation des processus décisionnels. Au coeur des carences de la gouvernance mondiale se trouvent particulièrement les impacts négatifs des insécurités économiques et sociales qui engendrent nombre de risques sécuritaires. Comme le souligne Rioux à la fin du livre, les désillusions actuelles au sein du système international ne sont plus organisées et stabilisées, tant sur le plan national qu’international. La sécurité se caractérise non seulement par ses traits caractéristiques classiques, mais aussi par ses aspects humains, économiques, juridiques et sociaux. Il devient dès lors difficile de distinguer les sécurités internes et externes, de même que les domaines publics et privés. Prenant appui sur une synthèse compréhensive à travers les points de croisement des aspects économiques et politiques de la mondialisation, cet ouvrage analyse la prolifération des discours sur l’insécurité et les politiques qui visent à sécuriser les États, les populations et les individus, d’où l’insécurité multidimensionnelle. La problématique centrale du livre s’articule en effet autour du renversement de la logique de la mondialisation à la suite des attentats du 11 septembre 2001 et de la guerre contre le terrorisme. D’ailleurs, le fait que cette dernière ait entraîné la mise en place d’un vrai débordement sécuritaire a rendu la séparation entre le national et l’international encore plus floue.
Les différents chapitres du livre qui abordent des enjeux liés à l’élargissement de la sécurité gagnent en pertinence dans la conjoncture mondiale actuelle, caractérisée par la crise économique du capitalisme qui a éclaté en 2008, donc trois ans après la tenue du colloque. Dans sa contribution, Jean-Paul Hébert constate que l’émancipation des firmes d’armement européennes est un phénomène marqué par la privatisation de la sécurité au détriment de la souveraineté étatique. Analysant en détail l’évolution de ces firmes de 1989 à 2003, l’auteur met l’accent sur le paradoxe sécuritaire autour de la démilitarisation de l’État et de la désétatisation du militaire. Il apparaît que l’émancipation de ces acteurs privés représente un nouveau risque pour les États. Parallèlement à ces analyses, la contribution de Peter Lock est particulièrement éclairante quant aux nouvelles guerres liées à la crise du néolibéralisme et à la privatisation de la sécurité. Selon Lock, le fait d’organiser la défense nationale afin de mener des guerres interétatiques ressemble de plus en plus à un vrai défi pour les États défaillants incapables d’établir même leurs fonctions régaliennes. C’est d’ailleurs dans ce contexte que les « marchés de la violence » désignent la forme la plus radicale de la privatisation de la sécurité. De son côté, Chalmers Larose souligne la dichotomie entre les politiques de sécurisation et celles de libéralisation en analysant l’inversion du rapport entre le commerce et la sécurité en Amérique du Nord. L’auteur évoque aussi la tendance des pays de la région à sécuriser la globalisation depuis les attentats de 11-Septembre.
En somme, le livre de Michèle Rioux est un ouvrage original qui tisse des liens entre des approches variées sur la problématique de débordement sécuritaire. Cependant, malgré les divers angles d’analyse des contributions (macro-micro, thématique-géographique, etc.) qui touchent au concept de sécurité, le contenu – riche de ce point de vue – apparaît pour le moins déconcertant en ce qui a trait à la cohésion globale de l’ouvrage, ce qui rend difficile le passage d’un niveau d’analyse à un autre entre les diverses contributions. De plus, en dépit des références sous forme de notes de bas de page, on pourra regretter l’absence d’une bibliographie à la fin de chaque contribution ou, encore, d’une bibliographie recommandée à la fin du livre, ce qui pourrait bien guider le lecteur dans ses recherches prospectives sur ce sujet. Il nous semble nécessaire de signaler la présence de fautes d’orthographe bien visibles, de même que la nécessité d’une meilleure qualité d’impression et de mise en page pour un ouvrage scientifique. Malgré ces quelques inconvénients, l’ouvrage recensé propose une nouvelle grille d’analyse interdisciplinaire pour l’étude de la sécurité, tant sur le plan pratique que théorique, qui nous pousse à repenser les systèmes politiques et économiques mondiaux en sortant des cadres traditionnels.