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De l’évanescent Sun Tzu à la publication du manuel de Tallinn sur la guerre cybernétique, en passant par les conséquences de la bataille de Solferino, dire que les tentatives entreprises par l’humanité pour limiter les conséquences trop souvent dramatiques des conflits armés sont nombreuses et variées relève de l’euphémisme. Parmi ces tentatives, la constitution d’un droit des conflits armés – ou droit international humanitaire – est celle d’un agrégat parfois abscons d’instruments juridiques, de coutumes, de jurisprudences et de débats doctrinaux. L’objectif porté depuis 1993 par l’auteur de l’ouvrage recensé ici est précisément d’extraire une substance essentielle de cet agrégat pour la verser dans un exposé des Principes.
C’est fort d’un enseignement en droit des conflits armés dispensé depuis quarante ans que l’auteur propose une cinquième livrée de cet ouvrage, devenu un incontournable des manuels juridiques en la matière. Car il s’agit bien ici d’un manuel : Principes de droit des conflits armés reprend presque tous les codes de ce type d’écrit et déploie avec structure le travail presque encyclopédique réalisé par son auteur, dans une geste parfaitement exécutée mimant la technique juridique rigoureuse. En ce sens, l’objectif de l’ouvrage ne semble pas tant le renouvellement du débat doctrinal par une thèse spécifique que la mise en place d’un outil didactique introductif à la matière du droit des conflits armés, dans lequel le lecteur est invité à observer un corps de règles à travers les lentilles d’une méthodologie éprouvée.
Ainsi le livre s’ouvre-t-il sur un examen du champ d’application du droit des conflits armés, notamment par le truchement de la qualification d’une situation conflictuelle, cruciale pour la détermination du droit applicable et, en conséquence, objet de désaccords doctrinaux parfois vifs sur des notions a priori objectivantes comme celle de « conflit armé ». Dans le deuxième chapitre, qui expose les principales règles de substance du droit international humanitaire, l’exercice d’une nouvelle édition prend un sens certain, l’actualité et l’imagination morbide des belligérants offrant continuellement de nouveaux éléments empiriques à appréhender. Dans toute la mesure où les conditions matérielles du travail d’écriture le permettent, l’auteur s’emploie par exemple à compléter son propos sur le droit relatif à la conduite des hostilités et aux moyens de guerre par les derniers développements amenés par le processus d’Oslo, de même qu’il complète son propos sur le droit relatif à la protection des personnes en se référant aux récents développements sur la question du statut des employés de sociétés militaires privées.
Passé cet exposé du coeur de la matière, l’auteur continue son cheminement logique en se penchant sur les multiples formes de mise en oeuvre du droit international humanitaire. La diffusion de la norme au sein de la population et des forces armées est abordée dans un troisième chapitre assez bref, puis, à nouveau au coeur de la matière, le chapitre quatre constitue un exposé des formes de réparation des violations de la norme. Que cette réparation prenne notamment la forme d’une répression pénale ou de l’engagement d’une responsabilité internationale, Éric David semble ici ne vouloir négliger aucune piste. Il enrichit ses réflexions – engagées dans un moment de balbutiement du droit pénal international – de l’arsenal jurisprudentiel déployé ces dernières années au sein des cours et tribunaux pénaux internationaux, entre autres. Sans jamais rattraper cette actualité jurisprudentielle, mais aussi doctrinale ou simplement factuelle – un exercice matériellement impossible –, l’auteur peut certainement prétendre livrer ici un manuscrit « à la page ».
Au-delà des qualités indéniables de cet ouvrage comme manuel, la surprise vient de son cinquième chapitre, qui pose avec candeur la question « pourquoi le droit des conflits armés est-il si souvent violé ? ». Ici, point de positivisme ni de volontarisme juridique. Cette section de l’ouvrage reflète, si l’on peut dire, la posture de l’homme plutôt que celle du juriste. C’est cette posture, très caractéristique de l’auteur, qui pousse celui-ci à rappeler que le droit international humanitaire n’a d’humanitaire que le nom et que, souvent froidement exposé, il est sans doute et avant tout un droit de l’horreur. Raisonner tant en homme de morale qu’en homme de raison, c’est l’objet de ce chapitre dans lequel l’individu ne se réduirait pas à une catégorie légale, mais où il sera interrogé sur les raisons que peuvent cacher ses actes.
Cette volonté de faire cohabiter la rigueur de la technique juridique et les questionnements sociopsychologiques appliqués à un même fait, la guerre, constitue indéniablement une originalité dans le chef de l’auteur. Elle témoigne d’une volonté saine d’appréhender l’objet guerre pour ce qu’il est par nature, une nature par ailleurs régulièrement convoquée dans des intermèdes littéraires parsemés tout au long de l’ouvrage.
Sans jamais verser dans l’idéalisme béat, c’est sans doute cette posture qui permet le mieux de rendre compte de certaines interprétations de la norme pleinement assumées par l’auteur, que d’aucuns taxeront de maximalistes. Ainsi, les références récurrentes à d’anciens textes – comme la déclaration de Saint-Pétersbourg – ou aux principes d’humanité, pour justifier des limitations coutumières à la guerre non spécifiquement conventionnées, pourraient étonner. Par leur contribution au débat doctrinal, ces interprétations révèlent la véritable thèse de ce manuel : le droit des conflits armés doit être manié en technique juridique au profit des victimes. Ce fil conducteur offre souvent une opposition inédite à d’autres manuels de droit des conflits armés. C’est de cette confrontation d’exercices que le lecteur pourra tirer sa vérité du droit des conflits armés.
Pour ces raisons, les analystes – juristes ou non – comme les praticiens, et en premier lieu les membres des forces armées, gagneraient certainement non pas à simplement compléter leur bibliothèque de cet ouvrage, mais à en donner la lecture qu’il mérite.