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Ceux qui s’intéressent à la manière dont les idées économiques sont diffusées ne seront que très partiellement rassasiés par cet ouvrage qui réunit les contributions d’historiens et d’économistes, des Japonais pour la plupart, et qui examine des épisodes très spécifiques et souvent lointains du développement de la pensée économique.
The Dissemination of Economic Ideas souhaite définir la manière dont les traditions dans le domaine de la pensée économique ont été influencées par des facteurs tant internes qu’externes, et ce, sur une période de plus de 400 ans. Les chapitres de cet ouvrage collectif portent sur des sujets très spécialisés de l’histoire de la science économique, avant même, souvent, que celle-ci soit appelée « science ». Les auteurs y traitent de l’impact d’une branche de la scolastique espagnole sur le caméralisme allemand et de l’influence du cardinal Richelieu sur la pensée de Charles Davenant, un économiste anglais, en passant par l’influence de Schumpeter, Polanyi et Hayek sur la pensée des économistes en Turquie et la diffusion des idées de Marx et de Lionel Robbins au Japon ou en Italie.
Il est difficile de dégager clairement, de toutes ces contributions, un mode universel de diffusion des idées économiques. Le développement de la pensée économique a été influencé autant par la prévalence d’une langue commune – Karl Marx a lu Adam Smith en français – que par des lectures erronées successives d’auteurs clés. Parfois, la diffusion des idées ne nécessitait qu’un emprunt, dans la pratique, des méthodes de gouvernance économique d’une autre nation, bref de l’« imitation des solutions ». Psalidopoulos et Theocarakis concluent que dans l’Europe ottomane, même après une percée relative du libéralisme économique à la fin du 18e siècle, les élites économiques locales continuaient à mettre au point des politiques économiques sans presque jamais faire référence à une quelconque théorie économique.
Bradley W. Bateman discute de l’influence germanique sur la pensée économique américaine au tournant du 19e siècle, précisant qu’elle ne se résumait pas simplement à l’influence d’une certaine méthodologie qui tienne davantage compte du rôle des institutions et de l’État. La révolution marginaliste, qui avait aussi déjà fait une percée en Allemagne, sera exportée aux États-Unis dans les années 1860-1870. Le développement de la science économique américaine a ensuite eu ses propres ressorts, alors qu’après la Première Guerre mondiale le progressisme rassembleur, avec son message d’« élévation morale » (moral uplift), s’est tranquillement éteint pour donner lieu à une opposition plus nette entre institutionnalistes et classiques. Bateman qualifie cette opposition de respectueuse, en raison, croit-il, de la composante majoritairement protestante des deux camps. Étonnamment, Bateman est le seul à s’intéresser à la diffusion des idées économiques aux États-Unis, le centre névralgique de la pensée économique au 20e siècle. Certes, cela a pour avantage d’ébranler les préjugés occidentalo-centrés du lecteur.
Ironiquement, d’ailleurs, un chapitre est consacré aux efforts consentis par des économistes japonais, à partir de 1926, par l’intermédiaire de la Kyoto University Economic Review, pour participer en anglais aux débats académiques ; l’entreprise n’aura toutefois qu’un succès limité. Pourtant, après le milieu du siècle, le Japon comptera plusieurs économistes de renom, mais on n’en saura malheureusement pas davantage. Aussi, malgré le fait que l’ouvrage porte sur un sujet important, il ne présente qu’un intérêt limité pour quiconque veut comprendre la manière dont les idées économiques circulent dans notre monde contemporain doté de multiples (et nouveaux) canaux de communication. Par ailleurs, les contributions, souvent très pointues, s’intéressent parfois à des auteurs relativement obscurs qui ont cessé depuis longtemps, à tort ou à raison, d’influencer la pensée économique. Seul un lectorat averti pourra y trouver son compte.