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Dans son article Obama, bof ! daté du 28 octobre 2012 que le respecté quotidien français (de centre gauche) Le Monde a publié, Hervé Kempf ose une comparaison en forme de boutade : On avait, souligne-t-il, retiré au cycliste Lance Armstrong ‒ qui s’était livré au dopage ‒ les sept maillots jaunes consécutifs qu’il avait remportés alors qu’il concourait au tour de France. Ne devait-on pas frapper Barack Obama d’une sanction similaire, en lui retirant le prix Nobel de la paix qui lui avait été remis au lendemain de son arrivée à la Maison-Blanche ? Son (premier) mandat, conclut le journaliste, ressemblait pourtant à une suite de reniements.
C’est, en tout état de cause, sur le thème de ce prix Nobel que Gilles Vandal entame le second ouvrage qu’il consacre, en cette même année 2012, à Obama, après La doctrine Obama. Fondements et aboutissements (puq). L’auteur nous rappelle que l’illustre comité suédois avait remis cette prestigieuse récompense au président des États-Unis peu après qu’il eut décidé (au printemps 2009) de renforcer l’effectif militaire dont son pays disposait en Afghanistan. Washington, qui entendait se libérer progressivement de l’hypothèque irakienne (ses dernières troupes devant quitter ce territoire à la fin de l’année 2011), estimait ainsi que le conflit afghan constituait une « guerre de nécessité » (p. 19). Une telle stratégie ne négligeait pas pour autant la voie diplomatique ; à la suite de l’opération visant à éliminer Osama Ben Laden, Washington put envisager pleinement des négociations avec la mouvance talibane afghane.
Tout comme George W. Bush, Barack Obama ‒ tandis qu’il cherchait à convaincre ses concitoyens de l’importance de l’enjeu afghan dans la promotion de la paix et de la sécurité mondiales ‒ instrumentalisa l’impact encore vivace des événements du 11 septembre 2001 sur les mentalités collectives dominantes américaines. Au demeurant réaliste, il ne voulait pas de rupture trop nette avec l’ère Bush. Toutefois, son approche et le cadre théorique dont il usait différaient de ceux de son prédécesseur. Washington se devait de revenir à son objectif initial, à savoir la lutte à l’encontre du terrorisme international et tout particulièrement le démantèlement d’Al-Qaida.
L’ancien chef de la Maison-Blanche s’était appuyé sur l’analyse néoconservatrice de la scène internationale qui l’avait notamment autorisé à appréhender les drames du 11 septembre 2001. Son successeur se fondait, selon nombre d’analyses, sur un prestigieux théoricien étatsunien qui était alors presque tombé dans l’oubli : Reinhold Niebuhr (1892-1971). Ce dernier avait vanté sept principes essentiels à toute action politique : « l’esprit de compromis », « le réalisme moral », « la nécessité du pouvoir », « les limites morales de l’action politique », « l’humilité », « une action politique responsable » et, enfin, « la fermeté réaliste jointe à l’espérance » (p. 200).
Obama estimait que la capacité des États-Unis d’influer, seuls, sur les destinées mondiales était désormais limitée, d’où la nécessité d’une approche multilatérale qui conduirait à la mise en oeuvre d’un « ordre mondial plus stable » (p. 199). Le Président n’en souhaitait pas moins remettre à l’honneur l’enjeu de la responsabilité qui revenait à la première puissance mondiale ; il entendait, ce faisant, présider au renouveau d’un leadership que Washington continuait tant bien que mal d’exercer. Tout comme Niebuhr, il était cependant opposé à tout exceptionnalisme américain.
Gilles Vandal, professeur titulaire à l’École de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke, emprunte le titre de son étude à de nombreuses publications journalistiques. L’Afghanistan. La guerre d’Obama succède en quelque sorte à une interrogation que le politologue a explorée : celle de la définition d’une doctrine Obama que la Maison-Blanche s’était soigneusement abstenue d’évoquer.
L’étude qui nous est ici proposée comprend sept chapitres, tandis que l’auteur nous offre en notes de bas de pages une abondante bibliographie, témoignant des questionnements que suscitèrent tant la politique étrangère que choisissait Obama que sa gestion du conflit afghan. De même Vandal retrace-t-il les débats d’idées et polémiques qui divisèrent décideurs civils et militaires à Washington, alors que d’aucuns craignaient que l’Afghanistan ne constituât un second bourbier vietnamien. Le lecteur occidental, peu familier des ouvrages universitaires, appréciera le style simple (presque journalistique, diraient les critiques, attachés aux ouvrages dits scientifiques) que le politologue emploie. Le lectorat issu d’autres régions du monde, comme le Pakistan ou l’Afghanistan, ne pourra sans doute cacher son indignation face à une étude qui fait peu de cas de ce qu’il nomme une invasion, laquelle influera durablement sur son avenir. Gilles Vandal fait, il est vrai, oeuvre de politologue, lorsqu’il examine la stratégie d’une première puissance mondiale dont les forces armées se sont ‒ une nouvelle fois ‒ aventurées en dehors des frontières nationales.
Nous ne pouvons toutefois nous empêcher de nous demander si l’auteur ne pèche pas par un excès d’optimisme quand il conclut à la probable victoire étasunienne en Afghanistan. Rappelant qu’il entreprit sa carrière universitaire en se penchant sur la période de reconstruction qui suivit la guerre civile américaine, Gilles Vandal, pour sa part, souligne que les manuels scolaires et les mentalités collectives dominantes à travers le monde se contentent de retenir la seule victoire du Nord, oubliant le long conflit asymétrique qui suivit la guerre de Sécession et qui fit des milliers de victimes.