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Pessimisme ! C’est hélas, le maître mot de cet ouvrage. Les auteurs préféreront sans doute le terme scepticisme tant la situation qu’ils décrivent est complexe et que les multiples tentatives pour la régler se sont soldées par des revers à répétition. Ces trois professeurs, spécialistes du Proche-Orient, présentent un état des lieux du conflit israélo-palestinien qui n’en finit pas et qui semble même se complaire dans l’immobilité politique. Depuis vingt ans et l’espoir de la conférence de Madrid, les acteurs de ce triste théâtre n’ont pas franchement brillé par leur volonté d’avancer.
Ce livre en apporte une nouvelle fois la preuve. En trois cents pages, il passe en revue toutes les tentatives d’accords qui ont marqué ces vingt dernières années. Peu de commentaires de la part des auteurs, juste des explications pour resituer le cadre des avancées et reculs politiques qui marquent les relations israélo-arabes et israélo-palestiniennes depuis Madrid (1991). Des noms, des dates, des hommes, des femmes aussi… et en face toujours les mêmes résultats : des fiascos diplomatiques !
Échecs dont sont responsables (à des degrés différents) les deux parties directement concernées (Israéliens et Palestiniens), mais aussi les autres acteurs, États-Unis et Europe en tête. Négociations secrètes d’Oslo (1993), massacre de Hébron (février 1994), accords du Caire (mai 1994), accord de Taba (septembre 1995), assassinat de Rabin (novembre 1995), sommet de Charm el-Cheikh (1996), négociations de Wye Plantation (1998), retrait unilatéral de Gaza (2005)… tout y est expliqué avec, à l’appui, des extraits des principaux textes et déclarations, la plupart signés par les deux parties et même contresignés par la communauté internationale, essentiellement à travers le Quartet.
D’où cette question : quel autre conflit dans le monde a bénéficié d’un tel déploiement d’initiatives diplomatiques ? Aucun. Le grand intérêt de cet ouvrage est de rappeler cette première évidence en remettant tous les événements en perspective. Loin de se limiter aux vingt dernières années, il aborde également la profondeur historique du conflit en décrivant les revendications juives qui s’appuient parfois sur la Bible. Les auteurs présentent également l’émergence du nationalisme juif, depuis Théodore Herzl jusqu’à nos jours. On regrettera à ce propos qu’un chapitre équivalent n’ait pas été consacré aux Palestiniens. Les lecteurs peuvent légitiment se poser la question des origines de ce peuple qui revendique la même terre que la seconde famille d’Abraham et qu’on fond trop souvent dans l’ensemble arabe. D’ailleurs, les auteurs rappellent que la question palestinienne a été en quelque sorte noyée dans celle plus large des nationalismes arabes. Ce qui n’a pas contribué à éclaircir ce conflit. Au passage, ils n’oublient pas de rappeler le rôle nocif des grandes puissances, comme la Grande-Bretagne et la France, qui ont multiplié les fausses promesses pour protéger leurs intérêts dans la région.
La deuxième partie du livre est consacrée à la période qui va de la fin de la Deuxième Guerre mondiale à l’accord de Madrid de 1991 avec la résolution 181 sur la création de deux États. Un moment de grâce dans le prolongement de la chute du mur de Berlin dont le vent de liberté semblait souffler jusqu’à la terre sacrée des trois monothéismes. Hélas, comme le confirme la troisième partie, l’espoir s’est vite envolé et le processus de paix s’est brisé sur la mauvaise volonté des deux parties. La dernière partie de l’ouvrage s’intéresse à la question et au statut de Jérusalem, l’un des nombreux noeuds gordiens (avec le tracé des frontières et le retour des réfugiés) de ce conflit. Car, pour ce dernier enjeu, il ne s’agit pas seulement de l’opposition binaire entre Israéliens et Palestiniens. La diplomatie chrétienne par l’intermédiaire du Saint-Siège prétend aussi avoir son mot à dire sur l’avenir de la ville trois fois sainte.
Reste la postface, qui porte sur la politique du président américain au Proche-Orient. Les auteurs soulignent à quel point Barack Obama semble préoccupé par cette question. À peine élu, remarquent-ils, il désignait un émissaire sur le dossier. Il fera preuve ensuite d’un certain dynamisme pour animer les débats. Le discours du Caire (juin 2009) adressé à un monde arabe méfiant à l’égard des Américains en sera la première étape. Les auteurs montrent l’activisme de Barack Obama, mais manquent apparemment de recul pour critiquer un président paré de toutes les vertus. C’est pourtant par excès de naïveté que Barack Obama a connu ses premiers déboires au Proche-Orient. Notamment dans la manière dont le premier ministre israélien a balayé du revers de la main ses nombreuses demandes de suspension de la colonisation juive en territoire palestinien.
On aura compris que le but de ce livre n’est pas de proposer une énième analyse du vieux conflit israélo-arabe. C’est un ouvrage de culture générale, extrêmement bien documenté. Étudiants et lecteurs attentifs à la situation au Proche-Orient devraient y trouver de nombreuses informations et surtout matière à réflexion. Un regret toutefois pour les francophones qui ne sont pas à l’aise avec la langue de Shakespeare : aucun des documents présentés n’est traduit dans la langue de Molière.