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Le titre suggère le sujet du livre : la mondialisation aide plusieurs groupes identitaires à se former, s’exprimer et se défendre ; elle leur fournit éventuellement un forum, une légitimité idéologique et des réseaux sur lesquels s’appuyer ; elle met à la mode des normes qui servent ces groupes et relativise l’emprise de l’État qui les contrôle. Le livre débute par une introduction théorique. Suivent cinq études de cas et une conclusion générale.
L’introduction souligne d’abord que les revendications en faveur de l’égalité, de l’inclusion et de la non-discrimination ont fait place de plus en plus à des revendications pour la reconnaissance d’identités singulières. Il faut cependant remarquer que ces dernières revendications réussissent d’autant mieux qu’elles peuvent compter sur une démocratie où égalité, inclusion et non-discrimination sont déjà valorisées. Les groupes identitaires sont extrêmement divers et souvent incomparables, mais plusieurs ont en commun d’être marginalisés. Ils sont aussi relativement plus stables que des mouvements sociaux fondés sur la défense d’intérêts qui dépendent de la conjoncture.
La première étude de cas concerne les mouvements de femmes indigènes en Équateur. Celles-ci souffrent d’une marginalisation nettement renforcée par les cultures indigènes et pourtant elles choisissent de s’identifier à celles-ci plutôt qu’aux associations féministes du pays. L’auteure se demande pourquoi. Un élément de réponse réside dans une tradition socialiste en faveur des classes (ou ethnies assimilées à des classes) opprimées. Un autre élément tient au fait que le féminisme fait appel à des valeurs libérales occidentales que ne partagent pas les cultures indigènes. L’inégalité dont sont doublement victimes les femmes dans ces cultures, en tant que femmes et en tant qu’indigènes, leur semble plus fortement dénoncée par le discours en faveur des droits collectifs des indigènes que par le discours en faveur des droits individuels des femmes.
La deuxième étude porte sur Hong Kong, résistant à la Chine et s’identifiant au cosmopolitisme, aux valeurs libérales et à la démocratie. Hong Kong ne connaît pourtant des éléments de celle-ci que depuis les quelques semaines précédant son retour à la Chine. On peut s’étonner du ton très militant de l’argument.
La troisième étude a pour objet la minorité hongroise en Roumanie. Elle semble ignorer l’histoire ancienne et récente de cette collectivité. Il faudrait au moins savoir que par le traité du Trianon en 1920 les vainqueurs imposèrent à la Hongrie vaincue la perte de la Transylvanie, que ni les Hongrois ni les Slaves n’ont été dans la région de toute éternité et que la Roumanie souffre aujourd’hui d’un populisme nationaliste qui n’est pas rassurant pour la minorité hongroise.
L’étude suivante traite de la tentative de l’Afrique du Sud sous la présidence de Mbeki de s’identifier à une renaissance africaine, de refuser la colonisation mentale dont l’Occident serait coupable et de rejeter, dans la foulée de ces bonnes intentions, le traitement prescrit internationalement pour lutter contre le sida.
Dans la dernière étude, il est question du mouvement Gülen qui, d’abord turc, est devenu international. Celui-ci promeut une forme de l’islam moderniste, modérée, favorable à la science, à la technologie et aux affaires. Il est favorable au parti gouvernemental ak et contribue à définir la Turquie contemporaine.
On remarquera que les cas passés en revue, sauf celui concernant les Hongrois de Transylvanie, correspondent à des identités problématiques ou de faible intensité. Les femmes indigènes d’Équateur se définissent plus comme indigènes que comme femmes. Hong Kong veut maintenir sa différence vis-à-vis de la Chine, mais en fait partie et en profite. Le refus de la colonisation en Afrique du Sud par l’opposition au traitement internationalement reconnu du sida a suscité une forte opposition au sein de la société sud-africaine. Le mouvement Gülen est très modéré et accepte la modernité, et il contribue à définir une Turquie moderne et modérée. Cependant, il contribue aussi à l’affranchir d’un sécularisme sourcilleux imposé par des élites occidentalisées. En ce sens, il lui permet de retrouver une identité originale.
On peut regretter que les exemples retenus de mouvements identitaires ne soient pas plus nombreux ni plus fortement identitaires. Le but de l’ouvrage est cependant de montrer que de tels mouvements profitent particulièrement de la globalisation. Comme le répètent les directeurs de l’ouvrage dans la conclusion, les médias qui s’influencent les uns les autres sur la planète, les normes sociales et politiques internationalement reconnues et diffusées ainsi que le concert des onhg et des organisations interétatiques accréditent la reconnaissance des droits des collectivités comme ceux des personnes. Ces trois facteurs agissent les uns sur les autres et renforcent ainsi leur action en faveur de groupes identitaires. Ils tendent aussi à les réduire à l’image qu’ils s’en font et ne peuvent rien à l’encontre d’un État fort et résolu à les ignorer.
L’ouvrage ici recensé atteint le but qu’il s’est donné, mais de façon généralement trop scolaire. Il manque d’originalité et ne renouvelle pas le sujet qu’il traite.