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Le livre de Christopher Kukucha vient remplir un grand vide dans la littérature sur la paradiplomatie, c’est-à-dire la politique internationale des États fédérés, mais également sur la politique commerciale canadienne. Il s’agit d’un livre important qui s’imposera rapidement comme la référence sur le sujet.
Depuis les années 1970, les accords commerciaux affectent de plus en plus profondément les champs de compétence des provinces canadiennes. Ainsi, dans le cadre de négociations commerciales internationales on aborde des thèmes liés aux subventions aux entreprises, au traitement des investisseurs, à la suppression des barrières non tarifaires, à l’agriculture, aux services, etc.
Dans ce contexte, les provinces canadiennes, au premier chef le Québec, l’Ontario et l’Alberta, sont de plus en plus conscientes que leur pouvoir politique ou leur souveraineté, c’est-à-dire leur capacité de développer des politiques et de les mettre en oeuvre, fait l’objet de pourparlers dans le cadre de négociations commerciales.
La question de la place des provinces canadiennes dans la politique commerciale du gouvernement canadien fait référence à la question fondatrice de la science politique contemporaine : « Qui gouverne ? » Comment les décisions en matière de politique commerciale sont-elles prises et mises en oeuvre lorsque les champs de compétence des provinces canadiennes sont concernés ? Quel est le rôle des provinces dans la conclusion (négociation, signature et ratification) et la mise en oeuvre (application) de traités commerciaux lorsque ceux-ci affectent leurs compétences particulières ?
La situation du Canada est particulière en ce que la conclusion de traités passe par deux grandes étapes fondamentales : 1) la conclusion d’un traité, c’est-à-dire la négociation, la signature et la ratification et, 2) la mise en oeuvre. La première étape est un monopole de l’exécutif fédéral. La seconde étape, c’est-à-dire l’adoption des mesures législatives nécessaires afin d’appliquer un traité, est un monopole du législatif fédéral et provincial. Il y a donc nécessité d’incorporer les traités en droit interne par une intervention législative au niveau approprié. Au Canada, un traité ne s’applique pas automatiquement au-dessus des lois existantes. Les juges jugent la loi et non pas les traités.
C’est à cause de cette situation assez particulière, mais pas inédite, que le rôle des provinces dans les négociations commerciales devient important. Puisque les provinces canadiennes ne sont pas obligées de mettre en oeuvre les traités conclus par le fédéral, il est impératif de les impliquer dans le processus.
Dans le domaine commercial, le gouvernement fédéral a ainsi mis sur pied différents mécanismes afin de consulter les provinces. Depuis les débuts des négociations multilatérales de libéralisation du cycle de Tokyo au milieu des années 1970, le gouvernement canadien a instauré des mécanismes consultatifs sur les initiatives fédérales concernant le commerce international. Ces mécanismes étaient rendus nécessaires par le fait que les négociations du cycle de Tokyo commençaient à aborder des enjeux qui étaient clairement des objets de compétence provinciale. Puisque les cycles suivants impliquaient également les champs de compétence des provinces, les mécanismes de consultation vont demeurer. Ces consultations vont gagner en importance, puisque les négociations internationales portent de plus en plus sur les politiques internes concernant les subventions aux entreprises ou les réglementations provinciales ou locales qui ont pour effet de créer des distorsions ou d’obstruer le commerce international. Les politiques de prix des ressources naturelles et de soutien à l’agriculture ne sont que deux exemples parmi d’autres questions de politique interne affectant les compétences constitutionnelles des provinces qui commencent à être abordées lors de conférences internationales à caractère économique. Ces pratiques de négociations intergouvernementales se poursuivront dans de nombreux forums, y compris les forums C-commerces (C-Trade meetings).
Le gouvernement fédéral se doit ainsi de consulter les provinces pour obtenir des avis techniques et pour bâtir des argumentaires de négociations. Ces mécanismes ne signifient cependant pas que le gouvernement fédéral reconnaît un rôle aux provinces en matière de relations internationales.
Dans ce livre, l’auteur nous présente un portrait complet du débat autour de la question des provinces et des négociations commerciales internationales. En plus d’offrir au lecteur une présentation détaillée et très utile des mécanismes et institutions qui portent sur le thème des provinces canadiennes et les négociations commerciales, l’auteur développe la thèse selon laquelle les provinces ont réussi à maintenir un certain niveau d’autonomie en réponse aux pressions de plus en plus fortes de l’économie mondiale et du fédéral. Même si la thèse n’est pas révolutionnaire, elle demeure convaincante.
À lire absolument pour tous ceux qui s’intéressent à la politique commerciale du Canada, au fédéralisme, mais également à la paradiplomatie.