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L’ouvrage collectif dirigé par Richard Price porte sur un thème important pour les relations internationales et le constructivisme, à savoir la morale comme contrainte et ressource. Dans les relations internationales, le rapport à la morale est à l’origine de la distinction, souvent absolutisée, entre réalisme et idéalisme ; au sujet de la démarche constructiviste, il a souvent été reproché à ses tenants de ne pas suffisamment prendre en considération les questions éthiques. Dès lors, on comprend mieux pourquoi cet ouvrage collectif peut être considéré comme se situant au carrefour des relations entre postures théoriques et préoccupations éthiques, comme s’inscrivant dans la dynamique du projet constructiviste qui a intégré diverses priorités épistémiques, notamment le rôle des normes dans les relations internationales, le rôle du changement moral dans l’étude et la pratique des relations internationales. Cette perspective heuristique est fondée sur la prémisse suivant laquelle le programme de recherche, qui a montré comment les normes sont construites et comment elles influent sur les relations internationales, est le mieux placé pour aider à répondre à la question : Que devons-nous faire ? Le raisonnement est simple : à partir du moment où les analyses constructivistes du développement et des effets des normes entraînent des questions théoriques et empiriques sur les conditions, les possibilités et les limites d’un changement moral dans les relations internationales, ces analyses devraient permettre de proposer une réponse adéquate à la question Que faire ? Étant entendu qu’une réponse appropriée ne dépend pas seulement de ce que l’on juge de manière abstraite comme étant juste, mais aussi des attentes raisonnables que l’on peut avoir en se fondant sur le concret et en prescrivant une ligne d’action et de jugement. La question posée ici n’est pas uniquement Que faire ?, mais davantage et surtout Qu’est-ce qui doit être fait ? Les réponses sont proposées à partir de différents terrains de questionnement et de prescription donnant lieu à des usages différenciés de ce qui est bon et de ce qui constitue le progrès.
Les différents chapitres qui constituent l’ouvrage collectif Moral Limit and Possibility in World Politics sont d’égale valeur. On choisira ici d’illustrer la conciliation entre l’éthique et le constructivisme à partir de quelques contributions.
Christian Reus-Smit s’intéresse à l’action humaine dans un monde en voie de globalisation, caractérisé par la dialectique de l’homogénéité et de l’hétérogénéité, pour apporter une réponse à la question praxéologique : Comment devons-nous agir ? Dans cette perspective, il a procédé à une relecture de l’ouvrage canonique d’Edward Carr The Twenty Years’ Crisis pour montrer que la critique de l’utopie ne débouche pas sur une caution au réalisme ne prenant en compte que les faits. Il s’agit plutôt d’une pensée nuancée recommandant la prise en considération des éléments d’utopie et de réalisme pour fonder toute pensée politique profonde. À partir de cette redécouverte d’Edward Carr dont la caricature de sa pensée a souvent servi dans les relations internationales la prépondérance du réalisme aux dépens de la morale et des valeurs, est mise en exergue une conception holistique du raisonnement éthique en phase avec les capacités heuristiques du constructivisme. Ici, il est considéré que la démarche sociologique des constructivistes au sujet des fondations normatives de l’ordre international consiste aussi en un dialogue avec les philosophes et théoriciens politiques préoccupés par des enquêtes normatives.
Jonathan Havercroft propose de faire de la norme du consentement le fondement de la promotion de la reconnaissance des peuples indigènes. Cette proposition s’énonce en s’opposant à la non-reconnaissance du droit à l’autodétermination des peuples indigènes. Dans une perspective normative, le rejet du droit des peuples indigènes à l’autodétermination est considéré comme le sommet de l’hypocrisie, le droit à l’autodétermination étant le droit de tous les peuples, y compris les peuples indigènes. L’analyse constructiviste a ici le mérite de proposer un gisement d’actions que les activistes peuvent entreprendre pour promouvoir l’application de la Déclaration sur les droits des peuples indigènes. Ces actions s’articulent autour de la mise en exergue de l’hypocrisie des États qui excluent les peuples indigènes des peuples pouvant exercer le droit à l’autodétermination, des injustices sociales générées par le statu quo, du coût économique du statu quo et de la désobéissance civile.
La contribution de Marc Lynch se fonde sur le cas empirique des sanctions contre l’Irak avancé pour mettre en relief l’argument moral en interaction avec l’hypocrisie dans les relations internationales. L’analyse constructiviste montre que la sincérité n’est pas nécessairement désirable dans les relations internationales et que seul importe le fait que les États deviennent prisonniers de leur adhésion rhétorique à la morale, adhésion pouvant être utilisée pour exercer des pressions contre eux. L’hypocrisie devient ainsi un mécanisme de changement moral.
Ces contributions, à l’image de celles de Katryn Sikkink, d’Amy Gurowitz, de Martha Finnemore, d’Ann Towns, de Bahar Rumlili et de Richard Price, font suffisamment ressortir l’interaction entre l’empirique et le normatif. Le principal mérite de l’ouvrage dirigé par Richard Price est de montrer la dimension éthique du constructivisme. Toutefois, il reste que cet ouvrage a le défaut de vaciller entre positivisme et postpositivisme, objectivité et subjectivité, faits et valeurs. À la fin, il en découle un mélange des genres qui brouille le repérage de l’identité de la démarche scientifique.