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Dans la période contemporaine, où les conflits interétatiques et régionaux ont diminué et où les conflits intraétatiques connaissent une recrudescence, les populations civiles semblent être devenues les cibles privilégiées de la violence organisée qu’est la guerre. Malgré la révolution dans les affaires militaires et le développement d’armes dites chirurgicales ou précises, créées pour cibler uniquement les installations et les forces militaires de l’adversaire, toute action militaire résulte volens nolens et de plus en plus, comme le démontre la crise de Gaza en 2008-2009, en « des dommages collatéraux » ou, en d’autres termes, en des attaques contre les infrastructures et les populations civiles. Cela n’est, hélas, rien de nouveau. La guerre a toujours fait des victimes innocentes, intentionnellement ou non. L’objectif de cet ouvrage collectif est de situer l’utilisation légitime de la force militaire dans la pensée et l’usage contemporains, mais aussi d’examiner certains développements en droit international humanitaire et coutumier qui touchent directement le droit des conflits armés dans la période contemporaine.
Dans la première partie de l’ouvrage, Howard M. Hensel examine la doctrine de la guerre juste dans la pensée occidentale. Il commence par un examen du droit naturel théocentrique. Basé sur la formule platonicienne que « Dieu est la mesure de toutes choses », le droit naturel théocentrique a élaboré des hypothèses dont découlent des obligations tant pour les individus que pour les États. Il en résulte, en ce qui concerne le droit d’utiliser la violence armée, la création de deux droits de la guerre, le jus ad bellum et le jus in bello.
Or, l’approche théocentrique, tout comme le féodalisme qui la soutenait, fut mise en cause pendant la Renaissance et le siècle des Lumières par l’approche anthropocentrique. Celle-ci fait l’objet d’un chapitre qui privilégie la pensée de Thomas Hobbes et celle de John Locke, qui représentent deux écoles dont les différences en ce qui concerne leur perception de la nature humaine s’estompent lorsqu’il s’agit d’expliquer les relations internationales. Il en résulte que, dans le droit naturel anthropocentrique, c’est le bien-être de l’homme qui est la mesure ultime de sa légitimité, les deux penseurs voyant le principe de convenance (principle of expediency) au coeur des deux droits qui composent la doctrine de la guerre juste.
Mais la discussion lancée par Hobbes et Locke se poursuivit et provoqua une remise en question du droit naturel. C’est ce que Hensel examine avec les écrits de David Hume et Jeremy Bentham, puis ceux de James Mill, John Stuart Mill, Adam Smith et Thomas Green ; tous ont contribué au développement de ce qui deviendra le libéralisme. Hensel passe ensuite à un examen des idées des romantiques, des conservateurs, notamment Edmund Burke, et de Georg Hegel qui rassembla, en quelque sorte, divers éléments de la discussion en cours pour mettre en exergue le rôle de l’État. Il examine aussi la pensée de Carl von Clausewitz dont la contribution à l’art de la guerre rend difficile le maintien de la notion de guerre juste. Alors que cette discussion continuait, le positivisme juridique réapparaissait, basé non pas sur la volonté de Dieu, mais sur la notion que le droit repose sur l’expérience personnelle et collective.
La primauté de l’État ressort dans toutes ces approches. Aussi est-ce l’activité de celui-ci sur la scène internationale qui rendit possible le développement du droit international conventionnel et coutumier. Force est donc de constater que diverses branches du droit international se développèrent, en particulier le droit humanitaire. Cependant apparaissaient en même temps les idéologies et les croisades religieuses contemporaines, qui voyaient dans la guerre le moyen de faire valoir leurs idées et de ce fait convertissaient la guerre qu’ils menaient en guerre juste. Qu’en était-il ainsi devenu de la guerre juste classique et quelle était l’influence du droit international sur le droit de la guerre ? La réponse est partiellement donnée dans la deuxième partie de l’ouvrage, signée par différents auteurs.
Gregory A. Raymond et Charles W. Kegley Jr. examinent le lien entre l’attaque préventive (de l’anglais preemption, parfois traduit par préemption) et la guerre préventive pour voir quelle place ces deux approches militaires ont dans la doctrine de la guerre juste. Ce court chapitre fait un survol rapide de ces deux approches, rattachées au principe d’autodéfense, pour conclure que dans la doctrine de la guerre juste l’attaque préventive est moralement acceptable, surtout dans une situation où la capacité de se défendre serait sérieusement compromise après une attaque initiale, alors que la guerre préventive ne l’est pas. Pour sa part, Jean-Marie Henckaerts examine le développement du droit international humanitaire et la pertinence continue de la coutume. La première constatation est que le droit international s’est développé à partir de règles coutumières et que sa codification est plutôt récente. C’est un chapitre qui saura intéresser les historiens du droit humanitaire.
Il est important de constater que le droit humanitaire international s’est développé en raison du besoin de réconcilier deux extrêmes en temps de guerre, les considérations humanitaires et la nécessité militaire. C’est un aspect de cette réconciliation que Mika Nishimura Hayashi examine en mettant l’accent sur la clause Martens. Il s’agit d’une clause dans la Convention de La Haye de 1899 qui avait pour objectif de parer à la violence qui peut résulter de la nécessité militaire. Son examen est détaillé et saura surtout intéresser juristes et historiens du droit international. Jean-François Quéguinier, quant à lui, examine en profondeur un des principes fondamentaux du droit humanitaire international, celui de la distinction, c’est-à-dire l’obligation de distinguer en tout temps entre les personnes et les objets civils, d’une part, et les combattants et les cibles militaires, d’autre part, qui fut codifié dans le Protocole additionnel de la Convention de Genève de 1949. Il fait non seulement une analyse juridique du principe, mais aussi un examen de sa mise en oeuvre dans des conflits récents caractérisés par de nouvelles méthodes de violence. Il donne à ce principe un caractère impératif, jusqu’à dire qu’il s’agit d’ores et déjà de jus cogens. Une telle conclusion est cependant contestable. Un autre principe important dans le droit humanitaire international est celui de la proportionnalité. C’est A.P.V. Rogers qui en fait l’analyse. La proportionnalité en question est celle qui dit que les « dommages collatéraux » ne doivent pas être hors de proportion par rapport aux avantages militaires anticipés d’une action militaire. Ce n’est que dans les années 1970 que ce principe est devenu une règle obligatoire coutumière. Il est invoqué depuis devant le Tribunal pénal international.
Puisque le droit humanitaire international met surtout l’accent sur les non-combattants, qu’en est-il des combattants qui se trouvent dans une situation « hors de combat » ? C’est ce que Avril McDonald étudie, en particulier les défis qui sont apparus après les attaques du 11-Septembre où les États-Unis ont adopté une approche qui modifie la pratique jusqu’alors généralement acceptée par la communauté internationale. C’est un chapitre fascinant qui donne à penser que la question fera l’objet de discussions pendant longtemps.
Pour sa part, Charles Garraway traite des responsabilités et des contraintes dans une situation d’occupation. Il note que l’approche qui se dégage des conventions et des traités, qu’il définit comme « conservationniste », a été mise en cause avec l’invasion de l’Irak en 2003, rappelant que les Alliés avaient déjà une approche transformatrice au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale. Il a cependant raison de conclure que le droit d’occupation est en train de changer.
Dans sa conclusion, Hensel fait le point sur l’essentiel de la problématique, à savoir dans quelle mesure le droit international humanitaire peut influencer le droit de la guerre contemporain. Bien que l’ouvrage soit loin d’être exhaustif sur la question, il offre la possibilité d’en saisir les tendances principales.