Corps de l’article
L’ouvrage dirigé par Charles-Philippe David et Benoît Gagnon se targue d’être la « première synthèse en langue française des réflexions sur le terrorisme post-11 septembre », un créneau qui n’est en effet que très peu occupé. Il existe peu d’ouvrages de langue française traitant des aspects contemporains du terrorisme dans un tel format. L’ouvrage multidisciplinaire, rapportant principalement des recherches en histoire, criminologie, science politique et droit, se veut un « manuel de base », c’est-à-dire accessible à un large public. Il introduit en effet le lecteur à une diversité de problèmes liés à l’étude du phénomène terroriste et à des questions précises inscrites dans le contexte actuel de la campagne américaine contre le terrorisme ; un vaste champ couvert par seize chapitres regroupés en trois grands thèmes : cadre conceptuel ; évolution et nouvelles formes ; lutte contre le terrorisme.
La première partie est justement consacrée aux problèmes plus larges que pose l’étude du terrorisme. En effet, il s’agit d’un objet d’étude dont les limites restent floues : il reste périlleux de tenter de dresser une ligne entre ce qui est et ce qui n’est pas « terroriste ». L’exercice est néanmoins essentiel pour éviter de rester à la merci des étiquettes apposées pour des motifs politiques. Si la recherche d’une définition du terrorisme est une véritable quête sans fin (voir les définitions diverses fournies au chapitre premier), une autre démarche semble plus fructueuse : celle de distinguer le terrorisme d’autres activités partageant certaines caractéristiques. C’est ce qu’a entrepris Stéphane Leman-Langlois par un exercice de départage de deux phénomènes souvent amalgamés : le terrorisme et le crime organisé. S’il reconnaît certaines similitudes entre les deux (tactiques employées, financement, caractère transnational et traitement médiatique), il en souligne surtout les contrastes (intention des acteurs, usage systématique de la violence à des fins politiques, etc.). Cette mise au point permet de clarifier la définition du terrorisme et de remettre en question les associations abusives faites entre ces « deux mondes » par les autorités politiques et policières.
L’ouvrage a donc pour ambition d’inscrire les événements actuels dans leur contexte historique : si le « nouveau terrorisme » paraît introduire une « rupture historique », il n’a en fait de sens qu’en relation avec les autres « vagues de terrorisme » (telles que définies par David C. Rapoport et reprises au chapitre 2 par Benoît Gagnon). Plusieurs chapitres de la deuxième partie de l’ouvrage explorent – et démystifient parfois – les particularités ou tendances du « nouveau terrorisme » quant aux spécificités idéologiques, aux moyens employés, à l’association aux armes de destruction massive ainsi qu’à l’impact des technologies de l’information et aux particularités organisationnelles. Pour sa part, Olivier Dard met plutôt l’accent sur l’importance de contextualiser le terrorisme, d’en souligner les évolutions contemporaines (étendards, sophistication des modes opératoires, adaptation à la médiation croissante, etc.) tout en retenant les constantes.
La particularité la plus frappante du terrorisme international contemporain a peut-être plus à voir avec les perturbations qu’il engendre dans les sociétés occidentales. C’est le sujet de la troisième partie du livre, qui se concentre justement sur les changements institutionnels, les évolutions du concept de sécurité et les contestations du droit international qu’ont entraînés dans leur sillage les attentats de 2001 contre les États-Unis. Les stratégies adoptées pour vaincre le terrorisme et le rôle des différents acteurs sont analysés de façon transversale.
Benoît Dupont propose une analyse critique de la tendance des réseaux de sécurité à mobiliser les formes organisationnelles empruntées par les organisations terroristes internationales. Il attribue le nouvel accent mis sur les structures en réseau à l’exploitation par les groupes terroristes des nouveaux moyens techniques et informationnels, mais aussi à une « attraction esthétique » exercée par les nouveaux outils informatisés de visualisation qui permettent la représentation « par des images des ensembles de relations sociales, géographiques et temporelles complexes ». Selon Dupont, la pensée « analogique » des organismes publics, qui a généré un nombre important de transformations institutionnelles et a créé diverses « hybridations », est limitée par trois paradoxes : celui de la confiance, celui de l’information et celui de la légalité. Sous ces trois aspects, les réseaux ne sont en effet pas « tous égaux » ; « certaines configurations d’organisation en réseau sont beaucoup plus performantes que d’autres ». Il serait ainsi fallacieux pour les organismes de sécurité de chercher à augmenter leur performance en calquant la structure des organisations transnationales qu’ils cherchent à juguler.
Malgré des inégalités notables quant à la qualité des chapitres, l’ouvrage Repenser le terrorisme offre aux lecteurs un panorama assez complet des diverses facettes des études du phénomène terroriste. Il permet une appréciation globale et introduit des éléments critiques contribuant à alimenter des réflexions nuancées sur le sujet. Le public visé par cet ouvrage est surtout citoyen et étudiant (particulièrement au baccalauréat) ; l’écriture didactique permet une lecture rapide et aisée. Toutefois, l’ouvrage se voulant une synthèse francophone, il aurait été pertinent de traduire toutes les citations utilisées. Certains chapitres intéresseront un public plus informé, qui cherche à approfondir des connaissances sur des aspects plus précis des études sur le terrorisme.