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Les opérations de terrain en matière de droits de la personne sont analysées depuis peu, et rarement dans toutes leurs dimensions. C’est justement ce que les auteurs de cette étude se proposent de faire. L’ouvrage analyse les fonctions, considérations théoriques, principes et questions générales qui sous-tendent ces opérations de terrain. Il est le fruit d’articles rédigés par différents auteurs et met en lumière les principaux défis que doivent relever les opérations dans le domaine des droits de la personne : d’une part, la professionnalisation du secteur à travers la clarification de la doctrine au coeur de ces missions et, d’autre part, l’évaluation permanente des pratiques existantes afin de définir le rôle des acteurs et les modèles de partenariat.
L’ouvrage a une résonance particulière dans le contexte actuel : si les opérations dans les situations de conflit et de postconflit ont été développées après la fin de la Guerre froide, c’est désormais de plus en plus dans les bureaux de terrain permanents que sont défendus les droits de la personne. Ce livre apporte un éclairage particulièrement intéressant dans le cadre de la création du Conseil des droits de l’homme et du départ annoncé de la Haut commissaire aux droits de l’homme.
Cet ouvrage s’articule autour de quatre axes. On présente tout d’abord le cadre général dans lequel s’inscrivent ces opérations de terrain dont la fonction fondamentale consiste à protéger la population contre toutes les formes de violations des droits de l’homme. Puis on souligne le rôle de l’actuelle Haut commissaire aux droits de l’homme dans le déploiement de telles opérations avant d’en préciser la base juridique. L’établissement des opérations repose notamment sur des dispositions issues de la Charte de l’onu, d’accords régionaux ou transrégionaux (accords d’Helsinki), d’accords de paix et d’accords bilatéraux entre le Haut commissariat aux droits de l’homme (hcdh) et le pays en question. Le cadre juridique qui gouverne les opérations est présenté selon les situations auxquelles sont confrontés les agents au sein des missions. Sur le plan de l’éthique, George Ulrich, qui s’appuie sur le principe de responsabilité développé par Hans Jonas, considère que les missions de droits de la personne doivent faire face à leurs responsabilités dans une société globale interconnectée, caractérisée par des disparités en termes de pouvoir, de richesse et par l’irruption de violations massives des droits de la personne. Estimant que les dispositions professionnelles du Code de conduite et du Manuel de formation sur les observations des droits de la personne du hcdh ne sont pas suffisantes, l’auteur propose des standards d’engagements éthiques. Enfin, Daniel Moeckli et Manfred Nowak montrent que les différences en termes de temps de déploiement, de taille, de structure et de mandat des missions de droits de la personne ne dépendent pas de la gravité des situations, mais de facteurs extérieurs divers liés à des considérations politiques et financières. Si certaines opérations sont déployées par l’onu, qu’il s’agisse de composantes de mission de paix ou d’opération et de bureaux de terrain du hcdh, d’autres sont déployées par des organisations régionales (oea, osce). Cette inconsistance dans l’organisation des opérations soulève des problèmes d’ordre juridique et stratégique.
Le second axe est consacré aux partenariats entre les acteurs des droits de la personne et ceux d’autres secteurs des missions établies sur le terrain. Dans le domaine de la paix, Bertrand G. Ramcharan rappelle le rôle que peuvent jouer les opérations de droits de la personne dans les différentes phases ; qu’il s’agisse d’évaluer une situation et de contrôler l’effectivité de sanctions, de rétablir la justice, de recueillir des informations sur des crimes internationaux, de mettre en oeuvre ou de consolider la paix. Dans le secteur de la sécurité, William G. O’Neill s’appuie sur de nombreux exemples pour présenter trois stratégies des agents chargés des droits de la personne afin d’améliorer le comportement des forces de sécurité. Il s’agit 1) de contrôler, enquêter sur et rapporter les activités de ces forces, 2) de former les forces de sécurité nationales et internationales et 3) de créer un système institutionnel de contrôle pour dissuader, traquer et punir les mauvaises conduites de ces forces. Enfin, les auteurs abordent le partenariat avec les secteurs de la justice transitionnelle et de l’aide humanitaire. Les programmes d’assistance humanitaire basés sur les droits de l’homme n’ont émergé qu’au début des années 2000 avec notamment le projet Sphère et l’approche du développement basée sur les droits de la personne.
Le troisième axe présente les expériences d’acteurs chevronnés dans le domaine des droits de la personne. Si les efforts de l’unicef en matière de protection se concentrent à l’origine sur la fourniture des services essentiels aux enfants affectés par les conflits, à partir de 1995, l’unicef porte son attention sur la protection des enfants des violences, exploitations et abus. La protection de l’enfant dans sa globalité devient une priorité pour l’unicef avec l’adoption en 2002 du Cadre de l’environnement protecteur. Le cicr doit parvenir à coordonner son action et à conserver ses spécificités en matière de protection des personnes privées de liberté et des populations civiles. Enfin, Liam Mahony montre que l’accompagnement protecteur conduit par l’ong Brigade internationale pour la paix, la protection des personnes menacées pour leur action en faveur des droits de la personne vise à accroître l’espace politique de ces personnes.
Le quatrième axe est consacré à des études de cas d’opérations de terrain pour identifier et analyser les erreurs et les réussites des acteurs chargés des droits de la personne dans les processus de paix. Les exemples proviennent du Timor oriental, de la Sierra Leone, de l’Angola, de la Bosnie-Herzégovine et du Guatemala. Les auteurs tirent tout d’abord les leçons des embarras auxquels les acteurs chargés des droits de la personne ont été confrontés. Ils soulignent les difficultés liées au recrutement du personnel et les erreurs décisionnelles. Ils montrent aussi que les acteurs en charge des droits de la personne sont parvenus à créer les conditions pour établir une paix durable. On ne considère plus désormais que la situation des droits de la personne doive s’améliorer avec le rétablissement de la paix, mais que les droits de la personne constituent un outil pour contribuer substantiellement au rétablissement de la paix. Dans cette perspective, on met l’accent sur les activités de renforcement de la société civile, les rapports avec les décideurs et le public, les interventions, l’appui à la mise en place des institutions prévues par les accords de paix et l’attention portée à la question de la responsabilité.
Cet ouvrage, qui porte essentiellement sur les actions conduites par les organisations intergouvernementales, et notamment les Nations Unies, analyse les opérations conduites sur le terrain en les mettant en perspective sur le plan contextuel et historique. Il apporte donc un éclairage nourri par la riche expérience des nombreux auteurs qui ont participé à l’ouvrage – qui ont souvent joué un rôle clé dans les opérations analysées – et par les exemples abondants sur lesquels ils s’appuient. Les auteurs, qui adoptent un point de vue critique sur leurs propres actions, font également de nombreuses recommandations, tirées des conclusions de leur étude ou de leurs expériences. Ainsi, cet ouvrage s’adresse en premier lieu à des professionnels des droits de la personne, tant dans les sièges des organisations que sur le terrain, en proposant des « bonnes pratiques ». Il peut aussi constituer un outil pour les universitaires spécialistes de l’étude des organisations internationales et du droit international des droits de la personne.