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Dans la littérature en relations internationales, la puissance étasunienne et son analyse ont souvent eu pour effet de laisser au second plan les textes à propos de la périphérie du système international. À cet égard, l’analyse des dynamiques internes et régionales des pays sud-américains est tout à fait exemplaire. Toutefois, cette situation semble évoluer avec l’émergence du Brésil, les succès du mercosur et la nouvelle affirmation latino-américaine dans les Amériques. Ces éléments redonnent de l’intérêt pour l’étude des politiques étrangères des pays moins puissants, mais néanmoins importants, en Amérique du Sud. C’est dans ce contexte que Martin Mullins propose une analyse de trois politiques étrangères, celles de l’Argentine, du Brésil et du Chili. Dans ce dessein, l’auteur dédie deux chapitres à l’introduction et au cadre théorique et trois aux études de cas spécifiques. Le dernier chapitre constitue la conclusion de l’ouvrage.
La majeure partie du livre est consacrée à exposer l’évolution historique de la politique étrangère des trois pays et l’impact des dictatures des années 1980 sur ces politiques. L’auteur met surtout l’accent sur le grand récit national (historical narrative en anglais) qui forge l’identité politique respective de ces pays. Il postule que ce grand récit national a fortement influencé la formulation de la politique étrangère au Brésil, en Argentine et au Chili. Les éléments centraux du livre résident dans le mercosur, dénominateur commun aux trois pays du Cône sud, et dans la façon du Brésil de l’instrumentaliser dans la dynamique des relations internationales en périphérie du système international. La géopolitique des blocs commerciaux et régionaux, les transitions vers la démocratie, les relations des trois pays avec les États-Unis demeurent constamment sous-jacentes à l’analyse du grand récit national.
L’originalité de l’ouvrage tient à la volonté de l’auteur de proposer une approche théorique inclusive pour interpréter la formulation de la politique étrangère dans les trois études de cas susmentionnées. L’analyse de la politique étrangère doit tenir compte d’une multitude de variables explicatives et de facteurs influençant la formulation et la mise en oeuvre de la politique étrangère d’un pays donné. Trop souvent, comme l’auteur en fait le reproche, l’analyse de la formulation de la politique étrangère des États les moins puissants est laissée dans l’ombre par la communauté des chercheurs. Afin de pallier les défauts qu’il identifie dans le réalisme et le néoréalisme, l’auteur propose d’accorder davantage d’importance au niveau local et à l’aspect humain dans le processus de formulation de la politique étrangère. Il prône donc une approche inclusive et interprétative des facteurs culturels et historiques à la base de la politique étrangère. C’est pourquoi il identifie le grand récit national comme étant fondamental dans l’analyse de la politique étrangère.
Le livre est bien ancré dans les débats théoriques des relations internationales (avec une grande exception, lire ci-dessous) et des études interaméricaines. Il est également riche en faits et en exemples. Toutefois, on peut y relever plusieurs failles. Premièrement, l’auteur ne définit pas ce qu’est un grand récit national. S’agit-il de la culture politique ? S’agit-il d’un discours épique et mythifié qui bien souvent est issu de la création de la nation ? S’agit-il de la réinterprétation d’un discours épique dans le discours politique contemporain ? Quel est le lien entre ce grand récit national et l’identité politique d’un pays ? Deuxièmement, l’auteur désire alimenter le débat en relations internationales en prônant une approche inclusive de la politique étrangère. Celle-ci devrait tenir compte du grand récit national et de la culture dans la définition de l’identité politique et de la formulation de la politique étrangère. Selon lui, les écoles réalistes de relations internationales passent outre ces éléments dans leur interprétation du monde. Le problème se situe dans le fait que l’auteur fait, hormis le réalisme et le néoréalisme, abstraction de toutes les autres écoles de pensée en relations internationales, y compris de celle du constructivisme qui souligne justement le rôle de l’identité et de la culture dans les relations internationales. Le choix de l’auteur de restreindre son cadre théorique aux seuls réalisme et néoréalisme est plutôt curieux. D’autant plus que les limites du réalisme et du néoréalisme ont été largement exposées dans la littérature des dix dernières années et que de nouvelles propositions théoriques sont venues combler ces lacunes. Troisièmement, le livre n’apporte rien de vraiment original ni dans les critiques qu’il adresse au réalisme et au néoréalisme, ni dans l’étude de la région du Cône sud, ni dans l’étude des trois politiques étrangères en question. Enfin, on regrettera quelques imperfections quant à la maîtrise des langues (l’espagnol en particulier) chez les auteurs étrangers.