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La thématique des technologies de l’information et de la communication (tic) en Afrique a, ces dernières années, fait l’objet d’une littérature relativement abondante. L’approche et l’angle d’attaque sont, le plus souvent, liés à l’insertion des tic dans les territoires africains. La mauvaise qualité de l’équipement est un obstacle majeur qui marginalise le continent et le détache de l’économie mondialisée. En somme, la réflexion a jusqu’à présent porté sur la manière de tirer profit des possibilités offertes par ces technologies pour multiplier les échanges, valoriser les complémentarités et produire des contenus de qualité aptes à faire apprécier les ressources et potentialités africaines par l’extérieur.
La singularité de cet ouvrage réside certainement dans sa problématique originale, qui a pour préoccupation centrale l’articulation des tic et des activités diplomatiques pour le développement et la visibilité des États africains. Voilà une approche sinon pertinente, du moins nouvelle, qui garde à l’esprit que l’objectif majeur de tous les efforts est la réduction de moitié du nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté d’ici 2015, tel qu’il est prévu dans la Déclaration du millénaire des Nations Unies. À partir de là, trois parties structurent cet ouvrage. Dans la première, les auteurs plantent le décor de ce qu’advient la coopération pour le développement au regard des mutations de la scène internationale. La mondialisation, en tant que concept polysémique et aux facettes multiples (chap. 1), bouleverse les structures économiques, sociales, politiques de la société internationale. Cela ne peut s’opérer, bien évidemment, sans avoir des implications directes ou indirectes sur le système de fonctionnement des institutions nationales et internationales. La diplomatie n’échappe pas à cette nouvelle donne. Elle se trouve au confluent de deux logiques : la logique marchande, où la diplomatie se préoccupe de faire des affaires, de gagner des contrats, des parts de marché, d’attirer les investisseurs et de permettre la bonne marche de l’économie mondiale ; et la logique de solidarité, qui quant à elle est issue du Sommet du millénaire. La lutte contre la pauvreté devient plus que jamais la préoccupation de la diplomatie et de la coopération internationale. Celle-ci ne date pas d’aujourd’hui. Son analyse (chap. 2) renvoie à l’établissement de l’état des lieux de 40 ans d’action et d’efforts en la matière. En ce sens, les auteurs ont, d’une part, passé en revue les traits saillants de la pensée africaniste sur le développement (la décolonisation, la radicalisation et l’ajustement) et d’autre part, ont relancé l’action et la réflexion sur les trajectoires de sortie de crise des pays en développement. Trois approches ont été retenues. La première est celle des Institutions de Bretton Woods, marquée par un allègement de la Politique d’ajustement structurelle et par un renforcement de la conditionnalité de l’aide de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international. La deuxième approche est celle qui consiste à établir un comparatif entre la manière de voir de la France et des États-Unis d’Amérique. Si la perspective américaine repose fondamentalement sur le postulat trade but no aid, celle de la France ne rompt pas radicalement avec les formes traditionnelles de coopération. Si l’aide est toujours présente dans la politique africaine de la France, les investissements privés sont toutefois de plus en plus encouragés. La troisième approche est africaine et repose sur la vision développée dans le cadre du nepad (Nouveau partenariat pour le développement en Afrique). Elle consiste à dire que le développement doit engager les pays africains individuellement et collectivement dans trois directions : paix, démocratie et justice. Pour ce faire, tous les moyens doivent être mobilisés, y compris et surtout les tic.
La deuxième partie brosse le tableau des défis à relever par la révolution technologique et par la diplomatie africaine dans sa lutte contre la pauvreté. Ces défis ne peuvent être décryptés que si, d’après les auteurs, on les place dans le contexte international marqué par le phénomène de la mondialisation (chap. 3). La société internationale est devenue composite grâce à, ou à cause de, la présence d’acteurs non-étatiques (ong, firmes multinationales, organisations internationales). L’État n’a plus le monopole des relations internationales en raison de sa défaillance dans certains secteurs et de l’émergence des problèmes globaux (migration internationale, crises environnementales, terrorisme, pandémies, etc.). Il est devenu incapable de trouver des réponses ou des solutions à ces grandes crises qui sont de plus en plus transversales. Le même constat est à dresser pour ce qui est de l’outil diplomatique. La diplomatie doit désormais assumer une multitude de rôles pour défendre la paix et les libertés, et ainsi promouvoir le progrès social et de meilleurs standards de vie. Lorsque les auteurs abordent la diplomatie africaine face aux défis de la mondialisation, on constate alors à quel point la situation devient alarmante et complexe. La position marginale de l’Afrique dans le monde ne peut que rendre la tâche diplomatique subordonnée à la réduction de la pauvreté, à l’intégration régionale, et à la lutte contre la criminalité organisée ou contre le commerce illicite des armes légères, par exemple. Ce constat est d’autant plus légitime à l’ère de la révolution numérique. Le pays qui dispose et maîtrise les technologies de l’information et de la communication peut s’en servir pour agir et mieux entreprendre des activités de lutte contre la pauvreté (chap. 4). Or, les enquêtes menées par les auteurs auprès des 23 systèmes diplomatiques africains quant à l’appropriation et l’usage des tic relatent la faiblesse de l’informatisation et la presque inexistence de réseaux informatiques. Concrètement, cette faiblesse se traduit à un double niveau : d’abord, le système d’information repose essentiellement sur les moyens classiques (télévision, radio, presse écrite, publications, rapports, etc.) alors qu’aujourd’hui, plus encore que ces moyens, Internet réunit toutes les informations actuelles et de sources différentes. Cela permet aux diplomates de comprendre et d’analyser sous divers angles une situation donnée. Ensuite, la communication reste tributaire de l’outil de la valise diplomatique dans de nombreux pays africains au moment où les pays occidentaux se servent, outre de la valise diplomatique, de téléprocédures qui marquent un recul de l’usage de cette valise.
La troisième partie, quant à elle, s’attache à construire un paradigme fondé sur une e-diplomatie. Les auteurs (chap. 5), après avoir schématisé le réseau d’information et de communication interne de l’appareil diplomatique (relations entre le département central et les représentations diplomatiques périphériques), cherchent à montrer l’utilité de l’Internet et l’efficacité de son rôle pour le bon fonctionnement entre le centre et la périphérie. Le courrier électronique et la messagerie constitueront des outils de communication rapides et utiles pour les diplomates. Mais cela n’est possible que si le continent africain s’affranchit de certains handicaps techniques, financiers, structurels et organisationnels susceptibles de constituer des freins à la mise en oeuvre de ce modèle de e-diplomatie. Celui-ci se traduit en terme d’avantages et de nouvelles perspectives, offertes par l’association tic et diplomatie. On peut citer le cas du renforcement de l’action collective des États africains (chap. 6). Cela pourrait commencer par l’établissement de réseaux d’information qui permettraient aux différents appareils diplomatiques de ces pays de mettre en commun ou de partager les connaissances qui leur seraient nécessaires. Ensuite les tic pourraient jouer un rôle non négligeable dans la construction d’une identité diplomatique en Afrique. Un autre domaine d’utilité pour les tic est celui de la prévention, de la gestion et du règlement des conflits. Mais de tels avantages ne seront perceptibles que si s’opèrent en amont des mutations suffisantes sur le plan culturel et des changements majeurs et effectifs dans les domaines techniques et de management.
En somme, l’ouvrage de Kamara, Pout et Assanvo se montre didactique dans la mesure où les auteurs, tout au long de la construction et de la réflexion, ont été animés par le souci de présenter et de définir les concepts clés, de situer chaque axe dans son environnement politico-économique et d’expliquer les outils de travail. En ce sens, ce livre est accessible à un public large, constitué aussi bien de spécialistes des questions de développement du continent africain, que de personnes qui manifestent une curiosité intellectuelle sur les thématiques des tic, leur rôle et utilité en matière de développement. La part de la réflexion est incontestable dans la construction des axes autour desquels l’ouvrage gravite. La problématique consiste à s’interroger au moins sur l’apport de la révolution technologique et son instrumentalisation par la diplomatie africaine dans une stratégie commune en vue de relever les défis économiques, culturels et politiques. On appréciera le côté réaliste de l’ouvrage, qui ne présente pas les technologies de l’information et de la communication comme le seul moyen pour sortir de l’impasse. Ces dernières ne peuvent en effet opérer que dans une société démocratique et à travers une volonté politique commune.