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Depuis sa création en 1949, l’otan a suscité une quantité considérable d’analyses, les nombreuses crises qui ont parsemé l’histoire de l’Alliance atlantique provoquant toujours beaucoup d’intérêt. Ainsi, les déchirements qui ont accompagné l’invasion franco-britannique après la nationalisation du canal de Suez, la décision du Général de Gaulle de retirer la France de la structure militaire intégrée de l’Alliance en 1966 ou encore les dissensions qui ont suivi l’adoption du rapport Harmel en décembre 1967 ont été examinés par de nombreux politologues et historiens. Sans surprise, la transformation de l’otan depuis la fin de la guerre froide a aussi donné lieu à une quantité non négligeable de travaux, ceux de Stanley Sloan, de Sean Kay ou encore de Lawrence Kaplan figurant certainement parmi les plus accomplis. En dépit de cette production scientifique importante, il est étonnant de constater à quel point le rôle du secrétaire général de l’otan a intéressé peu de chercheurs jusqu’à maintenant. C’est ce vide que cherche à combler Ryan Hendrickson par son ouvrage Diplomacy and War at nato.

Dans son livre, Hendrickson souhaite évaluer comment les secrétaires généraux qui se sont succédés à la tête de l’otan depuis la fin de la guerre froide ont influencé l’évolution de l’organisation. Plus précisément, l’auteur souhaite déterminer quelle place ont occupée les secrétaires généraux dans les débats entourant l’utilisation de la force par l’Alliance atlantique. Le livre d’Hendrickson se présente donc comme une série d’études de cas, chacun des chapitres abordant à tour de rôle les actions des secrétaires généraux qui ont veillé aux destinées de l’Alliance depuis 1989. Ainsi, après avoir fait dans le premier chapitre une brève récapitulation des fonctions assumées par les secrétaires généraux à l’époque de la guerre froide, Hendrickson aborde dans les deux chapitres subséquents les actions posées par Manfred Wörner, secrétaire général de 1988 à 1994, et Willy Claes, qui lui a succédé à ce poste jusqu’en décembre 1995, pour engager l’otan en Bosnie-Herzégovine. Dans le chapitre 4, l’auteur tente cette fois d’établir le rôle de Javier Solana, secrétaire général de 1995 à 1999, dans la décision de déclencher des bombardements aériens contre la République fédérale de Yougoslavie en 1999, l’opération « Force alliée » demeurant à ce jour la plus importante campagne militaire de l’histoire de l’otan. Finalement, dans le cinquième chapitre, Hendrickson examine l’apport de Lord Robertson, qui a assumé les fonctions de secrétaire général de 1999 jusqu’à la fin 2003, dans la décision de l’otan de fournir des appuis défensifs à la Turquie en février 2003, au moment où se préparait l’intervention américaine en Irak.

Pour évaluer l’influence des secrétaires généraux, l’auteur adopte un modèle d’analyse qui prend en compte trois « forums de leadership » où ils ont pu faire valoir leurs idées et défendre leurs prises de position au sujet de l’utilisation de la force par l’Alliance atlantique. Le premier forum sur lequel s’arrête Hendrickson est celui du niveau « systémique ». Quoique le terme « systémique » puisse ici porter à confusion, Hendrickson examine surtout, à cette étape de son analyse, comment les secrétaires généraux ont contribué à façonner l’agenda politique international et comment, en retour, les conditions politiques internationales ont interagi sur leur habilité à diriger l’otan au moment où le recours à la force militaire était envisagé. Le deuxième forum de leadership se situe au niveau organisationnel, où Hendrickson examine surtout comment les secrétaires généraux dirigent les débats au sein du Conseil de l’Atlantique Nord, le principal organe décisionnel de l’Alliance. Finalement, Hendrickson aborde un troisième niveau d’analyse, celui des relations civilo-militaires, par lequel il tente d’évaluer le type de relations que le secrétaire général est en mesure d’établir avec le Commandant suprême allié Europe (saceur). Dans cette portion de son analyse, Hendrickson cherche surtout à évaluer comment les relations avec le saceur déterminent l’influence du secrétaire général lorsque vient le temps de débattre de la question de la mise en oeuvre de moyens militaires.

L’analyse d’Hendrickson illustre à quel point le secrétaire général de l’otan s’avère souvent un dirigeant politique incontournable pour faire évoluer l’Alliance atlantique. En se concentrant sur les circonstances qui ont conduit l’otan à utiliser la force militaire depuis la fin de la guerre froide, Hendrickson montre en effet que le secrétaire général, même s’il possède peu de pouvoirs formels, bénéficie généralement d’un pouvoir de persuasion non négligeable qu’il peut utiliser pour susciter le consensus au sein de l’Alliance au sujet des questions importantes. Ainsi, Hendrickson conclut que l’influence du secrétaire général se situe surtout au niveau organisationnel, où il peut profiter de sa position de président du Conseil de l’Atlantique Nord pour convaincre les alliés récalcitrants à rentrer dans les rangs. Par contre, au niveau systémique, l’influence du secrétaire général de l’otan s’avère souvent limitée et, de fait, seul Manfred Wörner semble avoir eu suffisamment de charisme pour faire évoluer les conditions structurelles. Wörner apparaît en effet comme un personnage clé dans le processus décisionnel qui a conduit l’otan à assumer davantage de responsabilités en Bosnie-Herzégovine, profitant entre autres de sa renommée pour faire pression sur le gouvernement de Bill Clinton qui hésitait à s’engager dans les conflits de l’ex-Yougoslavie. Comme l’explique bien Hendrickson, l’influence de Wörner a probablement été décuplée par le fait qu’il était très malade durant les derniers mois de son mandat et qu’il continuait malgré tout à veiller aux destinées de l’otan, affichant de l’avis de plusieurs diplomates qui le côtoyaient à ce moment-là un courage et une détermination inébranlables. Quant aux relations avec le saceur, celles-ci sont généralement déterminantes pour asseoir l’autorité du secrétaire général.

Bien que le livre d’Hendrickson offre une analyse originale, il comporte malgré tout quelques limites. En effet, si Hendrickson base son argumentation sur de nombreuses entrevues qui permettent au lecteur d’avoir une meilleure compréhension des débats qui animent le Conseil de l’Atlantique Nord, il est par contre un peu regrettable qu’il n’ait pas exploité davantage la vaste et très riche littérature qui existe déjà au sujet de l’otan. Il est par exemple étonnant que nulle part dans son livre Hendrickson ne fasse référence à l’ouvrage de Joyce P. Kaufman qui, pour le moment, se veut l’une des analyses les plus complètes des interventions de l’otan dans les Balkans au cours de la dernière décennie.

Mais surtout, il est difficile de comprendre pourquoi Hendrickson a choisi d’aborder la décision de l’otan de fournir des appuis défensifs à la Turquie en février 2003. En effet, cette étude de cas s’intègre mal aux autres puisqu’à cette occasion les débats au sein de l’otan ne concernaient pas l’utilisation de la force militaire à proprement parler, mais bien le déploiement de moyens défensifs destinés à protéger la Turquie dans l’éventualité d’une intervention américaine en Irak. À première vue, il semble qu’une analyse de la prise en charge par l’otan de la Force internationale d’assistance à la sécurité (fias) en Afghanistan en 2003 aurait été plus riche en enseignements et aurait offert un cas davantage comparable aux expériences de l’otan dans les Balkans durant les années 1990.

Cette critique ne devrait toutefois pas détourner quiconque du livre d’Hendrickson, qui est le seul chercheur à avoir analysé de manière systématique la fonction de secrétaire général de l’otan depuis la fin de la guerre froide. En ce sens, Diplomacy and War at nato est un ouvrage pionnier qui, bien que comportant certaines faiblesses, apporte une contribution originale et essentielle à nos connaissances sur l’Alliance atlantique.