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La consolidation de la paix représente un phénomène qui date de quinze ans à peine. Par contre, la recherche de la paix a été une préoccupation constante des sociétés, depuis qu’elles ont connu la guerre. Phénomène parfois considéré de manière systémique par l’équilibre des forces ou l’hégémonie, la paix qui a longtemps été le propre des relations inter-étatiques, est désormais une préoccupation intra-étatique et globale. C’est justement l’approche adoptée par Faire la paix. Ce concept utopique pour certains est souvent résumé à sa plus simple expression par Jacqueline de Romilly, La paix, interruption de la guerre.
Dans l’ouvrage d’Yvan Connoir et de Gérard Verna, faire la paix n’est pas aussi simple que de faire taire les armes. Pour eux, la paix serait le résultat d’un long processus complexe à la fois multiple dans ses formes et unique à chaque situation, où l’interaction de nombreux acteurs se complète, voire s’oppose sur une longue période de temps. Cette conception de la paix s’harmonise avec les autres recherches sur la consolidation de la paix. Les efforts théoriques afin de modéliser la consolidation de la paix en sont encore à leurs premiers balbutiements, car la paix, dans sa version contemporaine, est avant tout le résultat de la pratique et des actions d’intervenants aussi différents que nombreux. Dans ce sens, Faire la paix ne se veut pas un guide pratique de la paix ou le grand livre des recettes secrètes pour rétablir une société accablée par la guerre. Yvan Connoir et Gérard Verna ont plutôt voulu transmettre le savoir récemment accumulé, une sorte de mémoire collective dont le but est de pousser la réflexion un peu plus loin, afin de faire évoluer la consolidation de la paix d’un simple mode d’actions, à un modèle plus théorique.
Les deux directeurs ne sont pas les derniers venus. De plus, ils représentent l’esprit même de leur ouvrage qui se veut en équilibre entre les praticiens et les chercheurs. Yvan Connoir est bien connu dans le domaine de l’humanitaire puisqu’il a travaillé pour le hcr, care et le ceci. Combinant formation académique et expérience sur le terrain, il a également publié plusieurs ouvrages dans le domaine, dont L’action humanitaire du Canada. Le professeur Gérard Verna offre, quant à lui, une feuille de route encore plus impressionnante. Initié aux oeuvres humanitaires dans les années 60, alors qu’il était militaire, il travaillera dans le domaine du développement et de la coopération sur quatre continents. L’excellence de sa carrière universitaire au Québec ne freine pas son engagement, car il enfante et parraine de nombreux organismes dont les Gestionnaires sans frontière, sa dernière création. La trentaine de collaborateurs de cet ouvrage, juristes, professeurs, chercheurs, coopérants, journalistes, policiers et militaires, combinent leurs expériences et connaissances pour le plus grand bénéfice du lecteur.
Faire la paix débute sur une réflexion essentielle concernant le concept de la consolidation de la paix. Le tour d’horizon théorique de cette partie inclut les origines et l’évolution du concept. Le lecteur y découvre les éléments essentiels à la compréhension du phénomène et du processus complexe de la reconstruction des sociétés ayant été déchirées par la guerre. State-Buiding et Nation-Building sont nécessairement abordés, mais pour les auteurs, la consolidation de la paix va plus loin, car elle représente bien plus que la reconstruction d’infrastructures et l’établissement d’institutions étatiques. Ainsi, la consolidation de la paix serait une approche multidimensionnelle et pluraliste qui se déroule avant, durant et après un conflit. Dans son ensemble, elle englobe donc des activités de diplomatie préventive, d’aide humanitaire d’urgence, de reconstruction d’après-conflit et de développement durable. En définitive, bien qu’il n’y ait pas de consensus universel, la consolidation de la paix est définie dans le cadre de cet ouvrage, comme étant une intervention extérieure destinée à soutenir la construction des capacités politiques, économiques et sociales de règlement pacifique des différends. Pour y parvenir, cinq types d’acteurs importants sont identifiés soit : les États, les organisations internationales, les militaires, les entreprises privées et les ong. Le succès de la tentative reposerait sur trois domaines d’action : sécurité (désarmement, démobilisation, vérification du respect des accords de paix, sécurité physique des habitants…) ; politique (supervision des élections, rétablissement du système étatique et politique de l’État, bonne gouvernance, droits humains, etc.) ; et socio-économique (rapatriement des réfugiés, reconstruction des infrastructures, réformes économiques, réconciliation nationale, éducation, création d’emplois, etc.). Les chapitres subséquents de Faire la paix décrivent ces rouages.
L’ouvrage se divise en cinq parties. Nous avons déjà abordé la première partie qui pose les bases théoriques de la consolidation de la paix. La deuxième partie en établit les piliers ou selon les termes des auteurs, définit les conditions favorables à son succès. Cette partie compose le coeur du livre, soit plus de la moitié des huit cents pages. La troisième section comporte de nombreuses études de cas illustrant l’expérience canadienne en matière de consolidation de la paix et les nombreuses tentatives initiées en Afrique. La quatrième partie présente un sommaire des tentatives présentement en cours, alors que la cinquième et dernière partie comporte de nombreuses annexes, dont une bibliographie imposante incluant des monographies, des ouvrages gouvernementaux et des sites Internet. Autre annexe très utile, le siglaire permet au lecteur plus ou moins familier avec le langage des opérations de paix de s’y référer et de s’initier aux nombreux sigles utilisés dans ce champ d’action.
Quinze chapitres composent la deuxième partie. Suivant le modèle explicité par l’approche théorique, de nombreux éléments couvrant les trois composantes de la consolidation de la paix y sont développés. Par mesure de précaution, les auteurs nous mettent en garde, tous les aspects de la consolidation de la paix ne peuvent être dégagés dans un ouvrage aussi bref. Nous en convenons, les thèmes choisis représentent donc la consolidation de la paix après un conflit, plutôt que les activités dans son ensemble. Par contre, au lieu de développer chacune des composantes selon la division proposée par le cadre théorique (sécurité, politique et socio-économique), les auteurs ont choisi de présenter dans l’ordre les sujets suivants : la justice et la réconciliation, la sécurité (aspects militaire, policier, désarmement/démobilisation/réintégration), la reconstruction des sociétés (administration et société civile, l’assistance électorale, l’entreprise privée, l’environnement et le tourisme comme outil économique de développement) et l’enseignement de la paix (maintien de la paix, droits de l’homme et réseau international des écoles pour la paix).
Cette partie de l’ouvrage développe bien les thèmes qui y sont présentés. Par contre, il semble que l’aspect de la justice, base essentielle pour la consolidation de la paix comme cela est reconnu par de nombreux auteurs, prend une place prépondérante relativement à d’autres aspects qui auraient pu être élaborés davantage. Par exemple, l’établissement d’institutions étatiques solides est reconnu par de nombreux spécialistes comme étant un outil clé à la réalisation de la consolidation de la paix, car en définitive, c’est l’appropriation du processus par les autorités locales qui détermine le succès ou l’échec de la paix. Pourtant, ce chapitre ne constitue que dix des huit cents pages de l’ouvrage. Ainsi, de nombreux aspects de la reconstruction de l’appareil de l’État et de la société civile demeurent ignorés. Il en va de même pour l’éducation des enfants et des adultes du pays dans lequel se déroule la consolidation de la paix. Le même manque d’importance est noté pour des sujets comme l’aide humanitaire, la création d’emplois et autres réformes économiques. Par contre, le chapitre de David Last sur la sécurité doit être salué pour sa concision et la profondeur de son analyse qui brosse rapidement un tableau complet des aspects sécuritaires de la consolidation de la paix.
La troisième partie comporte quatorze chapitres tous aussi intéressants les uns que les autres. Trois sections subdivisent cette partie. La première section traite de l’expérience canadienne en matière de consolidation de la paix. Les sujets abordés tels que la sécurité humaine, le commerce des armes et les ressources d’aide au développement attribuées par le Canada y sont traités par plusieurs auteurs de renom. La deuxième section détaille l’expérience africaine du maintien de la paix, du Burundi jusqu’en Éthiopie, en passant par le Rwanda. Un tableau large des nombreuses tentatives de consolidation de la paix sur ce continent y est brossé afin d’en tirer plusieurs constats et quelques pistes de réflexion. La dernière section de ce chapitre dresse un constat de la consolidation de la paix. Les actions actuellement en cours en Irak, le conflit israélo-palestinien, en passant par les résultats obtenus en Bosnie-Herzégovine, sont étudiés afin de dresser un bilan sommaire. Pour les auteurs, après presque quinze ans de consolidation de la paix, il semble qu’il soit encore trop tôt pour tirer des conclusions définitives au sujet du succès ou de l’échec de telles entreprises. Par contre, ces études de cas nous permettent de tirer un certain nombre de leçons qui rejoignent les recommandations théoriques proposées par Charles-Philipe David et Julien Toureille dans le tout premier chapitre, soit : la coordination des efforts, l’unité d’action et la formation du personnel impliqué, mais surtout, la durée et la continuité dans le temps de tous les aspects de la consolidation de la paix. En effet, si dix ou quinze ans ne sont pas suffisants pour identifier des résultats définitifs, il est impératif que la communauté internationale persiste dans ces efforts à long terme.
En définitive, Faire la paix se démarque car malgré la publication de nombreux ouvrages sur le Peacebuilding, aucune étude de cette ampleur n’avait été publiée en français. Yvan Connoir et Gérard Verna réussissent à composer avec le grand nombre et la diversité des collaborateurs qui participent à cette entreprise. Les différentes contributions y sont agencées harmonieusement, afin de faire de cet ouvrage collectif un ensemble cohérent. Ainsi, à l’image de la consolidation de la paix, Faire la paix se veut un travail multidisciplinaire dans lequel chaque aspect est à la fois complexe et unique, mais également essentiel à la réalisation du tout. Cet ouvrage s’avère utile pour tout étudiant, professeur, chercheur, coopérant, praticien oeuvrant dans le domaine, conseiller politique et même militaire, afin d’obtenir une vision d’ensemble de la nature et de la mise en place d’actions pouvant permettre la réalisation d’une paix durable dans une société mutilée par la guerre.