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La mondialisation et sa gouvernance ont été l’objet d’une multitude d’ouvrages au cours des dernières années. Celui de Jean-Christophe Graz, professeur à l’Université de Lausanne et codirecteur de la revue A contrario se distingue avant tout par sa concision et sa perspective très interdisciplinaire. Ainsi, en moins de 125 pages, l’auteur se propose d’analyser une thématique aussi large que complexe et controversée en l’abordant sous des angles historiques, politiques et économiques. Des questions aussi diverses que la globalisation financière, la normalisation, la clause sociale ou encore les enjeux environnementaux sont traitées avec un souci de synthèse plus que d’approfondissement et de détail. Cette approche élargie s’inscrit dans ce que l’auteur appelle la « quatrième génération » des travaux sur la mondialisation. Contrairement aux approches traditionnelles, surtout centrées sur le pouvoir des États face à celui des marchés, il s’agit ici d’intégrer dans le champ d’analyse un ensemble beaucoup plus vaste d’acteurs et de mécanismes de régulation.
Les deux premiers chapitres permettent de mettre en contexte ces mécanismes de régulation de l’ordre international. Dans le premier chapitre, l’auteur propose quelques repères historiques tout en militant pour une vision non linéaire et complexe de la mondialisation. Reprenant le concept classique « d’économie-monde » de Braudel ainsi que les analyses non moins classiques de Polanyi, les origines et le développement du capitalisme jusqu’à la création de l’omc en 1995 sont décrits de façon on ne peut plus succincte. Le second chapitre présente des cadres d’analyse pour appréhender l’ordre international à partir de diverses perspectives théoriques. Après un exposé des principales théories classiques (fonctionnalisme, réalisme, marxisme et impérialisme, libéralisme), le concept de multilatéralisme est décrit comme un « projet de société spécifique » reposant sur des valeurs communes plus que sur un réel principe de régulation. Enfin, les approches contemporaines, centrées sur différents régimes internationaux, sur le pouvoir structurel et sur la théorie critique sont analysées. Le concept de gouvernance, qui s’inscrit dans ces approches contemporaines est abordé à partir notamment des travaux sur la question de la Commission on Global Governance. Ce concept permet d’analyser le rôle des organisations non gouvernementales et des autorités privées dans les mécanismes dits « hybrides » de régulation de la mondialisation.
Les autres chapitres de l’ouvrage sont centrés sur des enjeux majeurs associés à la gouvernance de la mondialisation. Le premier de ces enjeux est celui de la régulation financière internationale. Plutôt que de décrire, en suivant un schéma classique, le rôle des institutions de Bretton Woods, l’auteur centre son analyse sur les liens entre la globalisation, l’instabilité monétaire et le creusement des inégalités dans le monde en dénonçant notamment les effets pervers de la libéralisation des marchés financiers et du consensus de Washington. La description d’une douzaine de plates-formes de régulation financière internationale permet d’illustrer la complexité du système monétaire actuel, le rôle accru des acteurs privés et l’érosion du pouvoir des États. Le second enjeu analysé est celui de la production, du travail et des migrations : délocalisations, accords sur l’investissement, conventions de l’oit, responsabilité sociale d’entreprise, etc. La normalisation internationale et les accords interétatiques sont les principaux instruments de régulation envisagés dans ce chapitre. Le troisième enjeu abordé est celui du commerce et de l’harmonisation des conditions de l’échange. L’auteur fait ici un retour sur les sempiternels débats entre protectionnisme et libéralisme, entre régionalisme et bilatéralisme, etc. Le rôle de l’omc dans le processus de mondialisation et celui de l’opposition alter-mondialiste ne sont pas oubliés. Le dernier enjeu recensé traite de la santé, de l’environnement et de la « gouvernance du vivant ». En suivant le même cheminement généraliste, l’auteur brosse à grands traits les contours de certains problèmes qui dominent l’actualité internationale sur ces questions : la promotion du développement durable, les échecs des sommets sur les grandes questions environnementales, l’application du principe de précaution, le rôle de l’oms dans la gouvernance mondiale de la santé publique, etc. Enfin, dans la conclusion générale, l’auteur ouvre de façon très sommaire et sans doute trop tardive dans le cheminement de l’ouvrage, un débat sur la mise en échec de la logique multilatérale de la gouvernance mondiale par l’unilatéralisme de la politique extérieure américaine, qualifiée ici d’impérialiste et de militariste.
En résumé, l’ouvrage propose une synthèse éclectique sur de grands enjeux internationaux que les concepts très englobants de gouvernance et de mondialisation permettent de réunir de façon plus ou moins légitime et structurée. La perspective interdisciplinaire et la clarté de l’écriture en font un très bon livre didactique d’introduction aux relations internationales contemporaines ou de culture générale. La complémentarité des approches historiques, théoriques et sociopolitiques offre un éclairage très dense sur des questions opaques et trop souvent abordées suivant une perspective disciplinaire restrictive. L’introduction d’éléments d’actualité récents permet également de mettre à jour et d’illustrer un cadre d’analyse fondé sur des auteurs classiques et contemporains. Bref, Jean-Christophe Graz semble surtout motivé par un souci d’intégration et d’élucidation de problématiques, de théories, de perspectives très différentes, en évitant les digressions ou les détails pouvant faire perdre de vue une perspective d’ensemble. Cependant, à l’issue de la lecture de l’ouvrage, cette perspective demeure difficile à cerner. D’une part, il semble quasi impossible dans un ouvrage aussi concis de dresser un portrait de la « gouvernance de la mondialisation » autrement que par des généralisations parfois hâtives. D’autre part, les développements nécessairement elliptiques de l’ouvrage soulèvent en définitive beaucoup de questions qui restent sans réponses et donnent au lecteur le sentiment de propos souvent partiels voire partiaux par rapport à des problématiques d’une grande complexité. Par exemple, dire que les Conventions de l’oit « constituent la référence de base » en matière de responsabilité sociale d’entreprise en oubliant de mentionner qu’une proportion très faible des codes de conduites corporatifs tiennent compte de ces mêmes conventions peut prêter à des interprétations trompeuses. Au sujet des questions environnementales, il semble peu avisé de dire que « la science ne fournit pas directement de solutions praticables » concernant le principe « faire plus avec moins » de Georgescu-Roegen étant donné les nombreux travaux et expériences concluantes sur l’écologie industrielle et sur le principe d’éco-efficience. De même, dire que la conférence de Stockholm de 1972 « marque le passage de la question environnementale sur le plan international », c’est oublier les nombreux accords et rencontres internationales qui l’ont précédée bien avant, soulignant la dimension transfrontalière des enjeux écologiques et la nécessité d’une gouvernance mondiale sur ces questions. Citons, entre autres, l’accord international sur la protection des phoques dans la mer de Behring, signé en 1883, le congrès international pour la protection de la nature, tenu à Paris en 1923, ou encore la conférence intergouvernementale sur l’environnement organisée par l’onu en 1968. Ces imprécisions découlent dans une large mesure de la perspective de l’ouvrage, qui perd en exactitude ce qu’il gagne en généralisations. Par leurs richesses et leurs concisions, ces généralisations n’en reposent pas moins sur un travail de synthèse remarquable, qui offre des points de repères très instructifs pour mieux comprendre les débats contemporains sur la gouvernance de la mondialisation.