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Cet ouvrage collectif est une publication du Centre Europe-Tiers monde (cetim) rassemblant les écrits de 28 auteurs. L’essentiel de ces contributions gravite autour de la problématique de l’utilité des Nations Unies à l’heure de la rupture de la paix dans plusieurs parties du monde et de la misère qui frappe des populations majoritairement issues des pays en développement. L’ouvrage est au coeur de l’actualité relative à la réforme de l’onu et tient sa place dans la littérature inhérente à cette thématique. Son attrait réside dans sa vision qui développe de nouvelles relations entre les nations, les peuples et les individus au regard des mutations que connaît la société internationale. Pour ce faire, quatre parties ont été retenues pour traiter ces regards militants sur les Nations Unies.
La première partie, à titre introductif, brosse à grands traits quelques originalités de l’Institution. Celles-ci résultent d’abord des formulations ambiguës de la Charte constitutive de l’onu. Le préambule s’entame par cette célèbre formule « nous, peuples des Nations Unies… » Alors que ni les individus, ni les peuples dans le sens collectif, ne peuvent rejoindre l’Organisation. Le principe de l’égalité souveraine des États est l’un des piliers de la Charte ; or dans le cadre de l’instance restreinte à savoir le Conseil de sécurité, il y a des États qui sont plus égaux que d’autres. L’autre tare dont souffre l’Organisation est l’aspect tentaculaire de son réseau qui fait des Nations Unies une gigantesque machine regroupant à la fois des Institutions spécialisées et des organes subsidiaires. Un tel réseau pose immanquablement la question de la coordination entre ces agences diverses et variées. Néanmoins, les auteurs sont unanimes sur la continuité du système en raison du succès réalisé dans les domaines du droit international sur le désarmement et des droits humains. Certainement, des réformes inévitables s’imposent dont la plus importante est celle qui exige sinon une appropriation du moins une participation des mouvements sociaux aux travaux de l’Organisation.
La deuxième partie du livre est consacrée au bilan de l’action des Nations Unies qui demeure très critiqué en matière politique, économique, sociale et sanitaire. Depuis la chute du mur de Berlin, l’onu est devenue l’objet d’une succession de coups d’État. Elle est de plus en plus dépossédée de ses véritables compétences et pouvoirs. D’abord, la Russie a pris, de fait, la place de l’urss au sein du Conseil de sécurité (cs) avec tous les droits et privilèges de membre permanent sans respect de l’art. 4 relatif à la procédure d’admission. Ensuite, ce Conseil est devenu une machine de production de certaines résolutions non fondées (résolutions 1368 et 1373) qui prétendent donner un semblant de légitimité, après le 11 septembre, aux autorités américaines dans l’appréciation unilatérale de qualification des situations. Les prémices, d’ailleurs, de cette nouvelle vision de la gestion des crises internationales ont été constatées lors du conflit Yougoslave où l’on a assisté à une marginalisation de l’onu au profit de l’otan. Cette marginalisation a été adoptée et consacrée par le nouveau concept stratégique de l’alliance atlantique qui n’est rien d’autre qu’une conception élargie de la sécurité. Dans cet ordre d’idées, les auteurs évoquent, bien évidemment, la guerre contre l’Irak qui n’est là aussi que la confirmation du viol gratuit du droit international. Le cs devient une autorité qui avalise l’occupation américaine de l’Irak (la résolution 1483.) La grande majorité des Irakiens pensent que les Nations Unies, le Conseil de sécurité et les équipes d’inspections devraient être rendus responsables de la situation en Irak dans la mesure où ces organes ne se sont pas opposés frontalement aux États-Unis et à ses alliés.
Dans cette dynamique d’emprise sur les Nations Unies, les auteurs abordent un autre domaine qui devient de plus en plus inquiétant, à savoir l’entrée en scène des sociétés transnationales (stn) au sein des agences des Nations Unies. Cette présence des opérateurs économiques privés dans le système onusien tire son fondement des notions de gouvernance et de société civile qui prêchent l’idée que les gouvernements n’ont plus le monopole de la puissance légitime et qu’il existe d’autres instances notamment de nature privée, telles que les entreprises et les ong qui participent activement à la régulation économique et sociale. L’idée d’incorporer les acteurs sociaux sous la coupole de l’onu fut adoptée officiellement par le Secrétaire général avec le lancement du Global Compact, le 25 juillet 2000, au siège de l’Organisation à New York avec la participation de 44 stn importantes et quelques autres représentants de la société civile. Cela pose, à coup sûr selon les auteurs, la problématique de la confusion entre les intérêts des peuples et les intérêts privés d’une élite économique internationale. Cette vague de privatisation a concerné également l’unesco (accord conclu avec la compagnie Suez). Au sein de l’Organisation internationale du travail (oit), les attaques des stn portent sur les normes internationales du travail qui doivent se caractériser par la souplesse et la flexibilité dans le but de s’adapter aux exigences économiques et sociales (réduction du nombre de conventions, substitution des recommandations aux conventions…) Le même constat peut être établi au sein de l’Organisation mondiale de la santé (oms) qui est devenue le lieu de confrontation entre le droit à la santé et celui du profit. C’est en ce sens que le Mouvement populaire pour la santé (phm) a établi une Charte qui réaffirme que la santé est une donnée sociale, économique, politique et avant tout c’est un droit humain fondamental. Ce mouvement appelle à la ré-appropriation de l’oms par les peuples. Par-delà cette tendance à la privatisation des institutions internationales, l’onu se trouve sans aucun pouvoir envers la Banque mondiale, le Fonds monétaire international et l’Organisation mondiale du commerce. Ce triumvirat s’inscrit dans une dynamique mercantiliste et de rentabilité immédiate. L’aide aux pays candidats au processus de développement est plutôt une question secondaire.
La société internationale traverse une phase du capitalisme bien avancée. La marginalisation de l’onu dans le domaine économique n’est que la conséquence logique de cette évolution.
La troisième partie traite des principales réalisations de l’onu. Son bilan en matière de décolonisation a été décisif depuis la Deuxième Guerre mondiale. En 1994, le cs a mis un terme à l’accord de tutelle relatif au dernier territoire, à savoir les îles Palaos dans l’océan Pacifique qui ont accédé à leur indépendance. En revanche, la situation n’est pas réglée par rapport à la question du Sahara occidental.
Sur le plan du développement, la Conférence des Nations Unies pour le commerce et le développement (cnuced) a réalisé certaines oeuvres depuis sa création notamment le système généralisé de préférences, les accords sur les produits de base, la consécration d’un pourcentage des revenus des États développés à l’aide au développement… Cependant, les auteurs constatent que la cnuced, en dépit de son regard critique sur la mondialisation, s’est éloignée de ses principes révolutionnaires des années 1960 incarnés par la philosophie du Nouvel ordre économique international (noei).
L’autre domaine où l’onu a réalisé des avancées publiquement attestées est celui des droits de l’Homme. La Déclaration universelle des droits de l’Homme reste toujours d’actualité et révolutionnaire pour le 21e siècle puisque les libertés et les droits défendus, qu’ils soient politiques, économiques, sociaux ou culturels demeurent d’actualité.
Certainement, l’une des pièces maîtresses en la matière est la Commission des droits de l’Homme dont les auteurs déclinent, aussi, l’incompétence en raison de la présence en son sein de plusieurs pays qui violent ces droits.
La question du respect des droits de l’Homme ne peut être traitée sans, bien évidemment, passer par un encadrement juridique des stn. Cet encadrement demeure vain s’il n’associe pas les mouvements sociaux dont le rôle est de veiller au respect du droit international, de l’état de droit, de l’intérêt public, des objectifs de développement…
La thématique de la libération des peuples qui luttent pour l’indépendance et contre les régimes racistes fut abordée à travers le rappel du rôle joué par les Nations Unies dans le boycott contre l’Afrique du Sud de l’apartheid. Ce rôle manifeste actuellement ses limites à travers la question palestinienne. Les auteurs ont énuméré les résolutions des Nations Unies en la matière (181, 191, 238…) avec comme toile de fond la question de savoir, mais qui détient de manière valide, selon le droit international, le titre juridique de souveraineté sur le territoire de l’ancienne Palestine mandataire ? Les auteurs concluent que l’Organisation était active durant les années 1970. Mais elle s’est dessaisie du dossier et les États-Unis sont devenus les médiateurs depuis les accords d’Oslo.
La quatrième partie cherche à restituer le véritable pouvoir aux mouvements de lutte présents sur le terrain. Pour ce faire, il faudrait d’abord revaloriser le droit international qui, depuis 1990, a été dénaturé et instrumentalisé par les grandes puissances et ensuite réajuster la mission de l’onu dans sa fonction de servir les peuples.
Cette interaction « Peuple-onu » ne peut se réaliser que si la réforme porte sur les questions ayant trait au veto, à l’élargissement du cs, à l’équilibre institutionnel de l’onu, au renforcement de sa capacité d’action (se doter d’une force armée spécifique d’une centaine de milliers d’hommes comme le recommandent les experts en la matière), à l’efficacité et l’effectivité de la justice internationale. La création de la Cour pénale internationale est une étape importante mais, on le sait, ses compétences restent limitées et son pouvoir ne s’applique pas aux grandes puissances et à leurs alliés. Le Conseil de sécurité conserve la maîtrise de la procédure.
Autre domaine où l’action doit être mobilisée est celui relatif à la souveraineté alimentaire. Celle-ci, comme le précisent les auteurs, n’est pas contre le commerce : elle s’oppose simplement à la priorité donnée aux exportations. La primauté doit être donnée à la garantie de la sécurité alimentaire en favorisant la production locale. Les paysans du monde ont besoin d’une convention qui protège leurs droits (droit à la vie et à un niveau de vie digne, droit aux ressources agraires, droit aux semences et à l’agriculture, droit au financement des moyens de production agricole…) C’est en ce sens, que le combat doit être mené doublement au niveau local et global. L’accent est mis sur la place importante de la société civile dans le débat au sein des institutions internationales. Un premier travail est celui d’établir une collaboration entre les mouvements sociaux et l’onu pour construire le développement sur des bases autres que celles du marché. Le rôle des mouvements sociaux est plus que jamais incontournable en raison de la faiblesse de l’État et sa soumission au capital mondialisé. Ce sont ces mouvements qui doivent redéfinir le pouvoir nationalement et internationalement.
Les auteurs de l’ouvrage s’accordent à dire que la réforme des institutions internationales, notamment celle des Nations Unies, ne peut être viable que si elle établit une démocratie mondiale, un contrat social mondial fondé sur le respect et la garantie des droits tant civils et politiques, qu’économiques, sociaux et culturels. L’axe stratégique de cette démocratisation passe par le retour au Droit international en termes d’annulation de la dette, d’établissement d’une fiscalité internationale, de contrôle des firmes…
Au bilan, l’ouvrage se présente comme un réquisitoire qui dénonce les détournements de pouvoirs par les grandes puissances et critique les imperfections d’un système institutionnel voué complètement à la déchéance. Mais il est aussi un plaidoyer en faveur de la représentation des peuples au sein des institutions, quelles que soient leurs vocations nationale, régionale et internationale. Il s’agit, comme son sous-titre l’indique, de plusieurs regards militants sur toutes les institutions qui gravitent autour des Nations Unies. La richesse de l’ouvrage réside dans la variété des approches utilisées pour aborder une telle thématique. Cette variété est intimement liée à la diversité des intervenants (chercheurs, enseignants, journalistes, représentants de la société civile…) Bref, l’ouvrage s’adresse à un public large. On ne peut lui reprocher son style académique ou son cantonnement à un public ciblé. L’onu est devenue familière à tous les foyers, les stn sont constitutives de l’actualité quotidienne à cause ou grâce aux phénomènes d’alliance et de fusion, la question des droits humains et des conflits occupe une part non négligeable des préoccupations médiatiques. Cet ouvrage est donc un moyen de voir le monde de manière engagée. Le reproche qu’on pourrait lui faire est que les thématiques se chevauchent, se reprennent et se répètent. Cela est dû, à coup sûr, au nombre d’auteurs qui ont participé à l’élaboration de l’ouvrage et au découpage des parties : L’essentiel de l’ouvrage se trouve dans une deuxième partie hypertrophiée.