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La période qui a suivi le démantèlement de l’Union soviétique a vu de nombreux changements sociologiques en Russie. Dans ce pays et dans le monde, cela a suscité de nombreuses discussions sur le devenir politique, économique, sociologique et international de la Russie et de son peuple. Un aspect moins connu en Occident de ces discussions est la question identitaire du peuple russe qui par contre, en Russie, a suscité de nombreux débats toujours en cours aujourd’hui (l’un des plus connus à l’étranger est le débat sur le changement de la toponymie soviétique pour une nouvelle toponymie, soit celle de l’époque pré-révolutionnaire ou adaptée au contexte actuel). Comme le souligne James Billington, pour la première fois de son histoire, la Russie est devenue une nation plutôt qu’un empire et doit donc se redéfinir en conséquence. L’originalité de cet ouvrage réside dans la présentation de ces débats sur l’identité, non seulement dans le milieu intellectuel et académique russe mais à travers les différentes couches de la société.
L’auteur trace la recherche d’une identité russe à travers une démarche sociohistorique débutant au xixe siècle. Il affirme porter plus d’attention que les autres chercheurs américains à la dimension religieuse de la culture russe et à l’importance historique de la passion morale. De plus, l’auteur s’appuie sur des sources primaires et secondaires rédigées en anglais, en français et surtout en langue russe. Du point de vue méthodologique, pour agrémenter cette étude sociohistorique et à contenu littéraire, l’auteur ajoute des références à des sondages réalisés en Russie. L’un des objectifs importants de l’auteur pour cet ouvrage est de présenter le débat de la quête d’identité chez les Russes.
Billington, par cet ouvrage, cherche à appuyer trois hypothèses soit d’abord, que les nombreuses possibilités d’identités futures pour la Russie incluent des alternatives qui pourraient s’avérer beaucoup mieux ou bien pire que ce qui est généralement proclamé ; deuxièmement, l’auteur affirme que la balance des possibilités penche du côté d’une alternative plus positive que ce qui est généralement considéré comme possible à condition qu’il n’y ait pas de guerre internationale majeure ou de soulèvement interne ; et troisièmement, l’auteur affirme qu’une identité russe vécue de façon positive est possible seulement si les Russes arrivent à synthétiser de façon harmonieuse les institutions politiques et économiques occidentales avec la récupération des dimensions morales et religieuses de leur culture propre.
Les deux premiers chapitres sont donc une présentation historico-culturelle de la quête d’une identité russe au xixe siècle et au xxe siècle. D’abord, le xixe siècle fut marqué par l’ouverture vers la pensée occidentale représentée par l’engouement pour la pensée et la méthode dialectique de Hegel. À la même époque, naît aussi la confrontation entre les slavophiles et les occidentalistes. L’auteur décrit les similitudes et les différences entre ces deux tendances et résume la signification de chacun d’eux en affirmant que les slavophiles croient que l’identité et la destinée de la Russie reposent dans la foi et la famille ainsi que dans les valeurs spirituelles et les institutions communautaires de la Russie rurale. En ce qui a trait aux occidentalistes, ils mettent l’accent sur le désir et le développement inévitable des libertés individuelles, de l’imputabilité du gouvernement et une plus grande ouverture à la communauté internationale où la Russie est de plus en plus partie prenante.
Si le xixe siècle a été pour la Russie la découverte de l’identité, le xxe siècle sera celui de la recherche de sa légitimité. Durant cette période, trois nouvelles approches naîtront et se perpétueront durant la période soviétique et après celle-ci. D’abord, on retrouve la vision culturelle et religieuse qui veut transcender et éviter la politique à la fin de la période tsariste ; puis, la vision sociologique et antireligieuse qui ne jure que par l’action politique et qui deviendra l’idéologie officielle du pouvoir soviétique ; et finalement, la vision ethnico géographique d’une nation russe non impériale dans la période post-soviétique luttant pour retrouver la spiritualité de la première vision et le pouvoir politique et la dextérité de la seconde.
Le chapitre trois porte sur le contexte post-soviétique qui a permis le foisonnement des idées quant à la quête d’une identité propre. L’auteur affirme que le point de départ de cette quête a été pour les Russes de retourner aux sources anciennes. Trois aspects importants de l’héritage russe sont présentés à l’appui de cette quête: le chef sanctifié, le renouveau spirituel et la balance de la culture.
Les quatrième et cinquième chapitres portent sur les grandes tendances actuelles quant aux débats sur l’identité chez le peuple russe, soit l’alternative autoritaire représentée par l’eurasianisme et l’alternative démocratique. D’abord, l’auteur explique les origines de l’eurasianisme, né après la Première Guerre mondiale, en Bulgarie chez les émigrés russes. Cette idéologie s’opposait au communisme mais mettait de l’espoir dans le modèle soviétique. L’argumentation principale de cette idéologie est que la Russie est une civilisation bicontinentale requérant un pouvoir fort pour se protéger tant de l’Europe que de l’Asie tout en récoltant les bénéfices d’une telle situation géographique. En ce sens, l’élément central de l’eurasianisme est une conception géographique de l’identité. Cette idéologie a refait surface dans la période post-soviétique, selon l’auteur, en réponse à la russophobie perçue par les Russes chez les Occidentaux, à la déception de la perte de l’empire sans oublier la globalisation économique et l’extension de l’otan. De plus, selon Billington, ce nouvel eurasianisme est plus politique que philosophique que l’eurasianisme de l’après Première Guerre mondiale. Il serait plutôt ancré dans l’ethnicité que dans la religion. En guise de conclusion en ce qui a trait à la renaissance de cette idéologie dans la période post-soviétique, l’auteur demeure optimiste. En effet, il affirme que l’eurasianisme est trop abstrait et comporte de trop nombreuses contradictions pour subir l’analyse académique ou le support populaire.
La deuxième grande tendance dans la quête de l’identité chez les Russes est l’alternative démocratique. Dans ce chapitre, l’auteur élabore sur les obstacles mais aussi sur les possibilités d’un développement démocratique en Russie. D’abord, parmi les obstacles identifiés, l’auteur souligne que le plus grand danger à la démocratie ne provient pas d’un risque de renversement de gouvernement par un dictateur ou une faction autoritaire, mais plutôt de la population elle-même ou d’un gouvernement démocratique. Billington identifie aussi le manque de responsabilité individuelle provenant tant de la tradition de l’Église orthodoxe que du parti communiste. Outre ces obstacles et ces risques au développement de la démocratie, l’auteur présente les forces positives sous-jacentes au développement de la démocratie comme par exemple la montée en force des régions et le rôle des femmes dans le soutien aux processus démocratiques.
La connaissance de l’auteur pour son sujet de recherche est impressionnante. Il prend le temps d’insérer les termes russes exacts des concepts pour ensuite les expliquer à son lecteur, ce qui permet une compréhension unique de la culture russe. De plus, l’auteur est dénué de ces préjugés (qu’il dénonce dans son ouvrage d’ailleurs) souvent véhiculés dans la littérature occidentale traitant de la culture ou du peuple russe. Cet ouvrage s’adresse principalement à un public académique, mais il est aussi accessible à un public ayant une bonne connaissance de la culture russe et manifestant un intérêt soutenu pour la politique, la culture et l’histoire de la Russie.