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Ces dernières années ont vu la parution de plusieurs volumes portant sur la diaspora chinoise. En 2000, Paul J. Bolt traitait de la question dans China and Southeast Asia’s Ethnic Chinese : State And Diaspora In Contemporary Asia (Praeger), sous l’angle de l’impact économique des fonds renvoyés dans leur pays d’origine par les travailleurs à l’étranger. La même année, Jean-François Doulet et Marie-Anne Gervais-Lambony publiaient La Chine et les Chinois de la diaspora (Atlande), une discussion plus axée sur la géographie des populations, comme d’ailleurs l’ouvrage de Jean-Pierre Larivière, paru en 1999 (sous le même titre, par malheur) chez cned-sedes. Enfin, Constance Lever-Tracy publiait un autre ouvrage économique, The Chinese Dias-pora And Mainland China : An Emerging Economic Synergy (St Martin’s) en 1996. Il a donc fallu attendre l’ouvrage de P. Bourbeau pour avoir une discussion politique de l’impact sur une région autre que la Chine même ou sur le Sud-Est asiatique. Il nous laisse sur notre faim, et le titre aurait pu être plus spécifique.
Depuis l’effondrement de l’urss et l’effritement de la puissance économique japonaise, la République populaire de Chine semble être en voie de s’accaparer un avantage comparatif déterminant en Asie, dont les conséquences sont mal mesurées. Les deux acteurs dans le drame sont la diaspora chinoise et l’État chinois, et ils modulent considérablement le système des relations internationales. L’essai de P. Bourdeau tente d’éclaircir la nature des rapports qu’entretient la Chine avec la diaspora chinoise et d’en mesurer la portée. Philippe Bourbeau tente de cerner en quoi cette relation entre État et émigrants affecte les relations sino-russes depuis la chute de l’urss, quoique cette influence soit plus nette dans le cas du Sud-Est asiatique, particulièrement en Malaisie et en Indonésie. L’essai définit les enjeux stratégiques qui découlent de cette relation. Il se penche sur la viabilité du partenariat stratégique entre la Chine et la Russie depuis 1996. Il pose aussi les questions suivantes : Le partenariat stratégique transcende-t-il les relations entre la Chine et la diaspora chinoise ? Comment la Chine perçoit-elle la place de la Russie dans l’espace géostratégique de l’Asie septentrionale ? Cette place reste-t-elle compatible avec la présence de plusieurs milliers de chinois ayant émigré en Extrême-Orient russe
Les questions soulevées sont très intéressantes et ne sont pas traitées de façon systématique ailleurs. Tout voyageur étranger en République populaire de Chine ne peut pas faire autrement que de remarquer qu’aux frontières, on demande aux citoyens étrangers d’origine chinoise de faire la queue ailleurs qu’avec les autres citoyens étrangers. Le reste de leurs traitements aux mains des continentaux est à l’avenant. L’importance des questions sera donc croissante, tant dans le monde en général qu’au Canada, dont les immigrants d’origine asiatique composent la majorité de l’afflux, fait pourtant clair il y a déjà quinze ans...
L’essai se divise en trois chapitres. Le premier porte sur la situation actuelle de la diaspora chinoise. Ce premier chapitre discute de la terminologie et présente la diaspora chinoise en chiffres. Le second chapitre examine les relations entre la diaspora chinoise et la République populaire de Chine. Ce chapitre passe en revue le statu quo ; l’abandon officiel du jus sanguini, c’est-à-dire que la citoyenneté d’un enfant est déterminée par celle de ses parents, en faveur de la doctrine du jus soli, c’est-à-dire que la citoyenneté de l’enfant doit être déterminée par son lieu de naissance. Le troisième chapitre porte enfin sur le thème annoncé par le titre : la diaspora chinoise en Extrême-Orient russe. Bourdeau brode sur la position officielle de la République populaire de Chine avec trois scénarios possibles. Le premier scénario prévoirait la création d’une république d’Extrême-Orient, le second scénario, l’annexion des territoires de l’Extrême-Orient russe à la Chine et le troisième scénario, le contrôle économique et diplomatique chinois dans le Nord-Est asiatique. Aucun de ces trois scénarios, qui ensemble représentent la contribution la plus importante de l’essai, n’est particulièrement convaincant. Pour qui connaît mieux les politiques étrangères, le premier scénario est fort peu probable, étant donné l’ascendant nationaliste russe. Ce qui vaut pour l’Abkhazie vaudra sans doute pour l’Extrême-Orient. Le second scénario donnerait lieu à des escarmouches frontalières telles qu’en ont longuement connu les Russes et les Chinois dans leur histoire. Le troisième scénario est le plus convaincant, au moins du point de vue du contrôle économique. Du contrôle diplomatique, il n’est nulle part question.
L’essai est très court. La mise en scène occupe 86 des 133 pages du texte, ce qui donne l’impression d’un travail soit inachevé, soit tronqué. Nous aurions préféré voir les résultats dans leur entièreté. L’auteur aurait-il été mal conseillé ? Tel qu’il est, l’ouvrage a pour faille principale d’avoir proclamé trop vite ce qu’il n’avait pas encore réussi à faire. Il n’est pas le premier chercheur à faire preuve d’impatience.