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L’utilisation des écrans, devenue inévitable dans notre société, débute à un âge de plus en plus précoce. Avec l’évolution constante des technologies, les appareils mobiles, comme les tablettes et les téléphones portables, sont plus difficiles à encadrer par les parents. La médiation parentale correspond à toutes stratégies de surveillances, de mesures techniques et de discussions implantées de façon explicite et souvent intentionnelle afin de réduire les risques et la surutilisation des technologies numériques par l’enfant (Hefner et al., 2019). Les écrits scientifiques identifient deux catégories principales de médiation parentale regroupant différentes stratégies, soit la médiation active et la médiation restrictive (Clark, 2011 ; Valkenburg et al., 2013). Cependant, les études répertoriées nous renseignent peu sur les facteurs associés à l’utilisation de ces stratégies de médiations par le parent (Alkan et al., 2021 ; Smahelova et al., 2017 ; Sonck et al., 2013). Cette étude a pour but d’examiner certains facteurs propres aux parents et au contexte familial qui pourraient contribuer à l’utilisation de ces formes de médiations. Mieux comprendre ce phénomène pourrait permettre aux futurs parents d’accéder à une éducation numérique répondant à leurs besoins tout en réduisant les effets négatifs potentiels liés à une médiation parentale inadéquate.

L’utilisation des écrans par les enfants et les adolescents

Au Canada, les trois quarts des parents rapportent être préoccupés par le temps d’utilisation des médias sociaux de leurs enfants (Société canadienne de pédiatrie, groupe de travail sur la santé numérique, 2019). Selon l’étude canadienne d’HabiloMédia (2018), 32 % des parents auraient mentionné que leur enfant utiliserait la technologie numérique au moins trois heures par jour les fins de semaine, excluant le temps d’utilisation à des fins scolaires. Un enfant sur quatre utiliserait, pendant une semaine, cette technologie d’une à deux heures par jour (Brisson Boivin, 2018). Cette moyenne passerait à 7,5 heures par jour, à l’adolescence, principalement pour consulter des médias sociaux. L’étude menée par l’Institut national de santé publique du Québec révèle que 58 % des enfants âgés de 6 à 17 ans possèdent un téléphone intelligent (Gonzalez et Lasnier, 2022).

L’utilisation des technologies numériques, particulièrement l’Internet, peut entrainer des impacts positifs et négatifs (Livingstone et al., 2011). D’une part, les impacts positifs incluent les différentes formes d’utilisation pouvant générer des bénéfices dans la vie de l’enfant (Cabello-Hutt et al., 2018). Ces bénéfices commencent à être de plus en plus documentés, notamment l’acquisition de compétences numériques supérieures en consultant du contenu adapté à l’âge, un meilleur jugement critique des médias et une augmentation des comportements prosociaux grâce aux jeux vidéo collaboratifs (Huang et al., 2018 ; Wiederhold, 2021). D’autre part, les occupations numériques considérées à haut potentiel de risques pourraient engendrer des impacts négatifs pour l’enfant (Cabello-Hutt et al., 2018). Cette catégorie réunit, par exemple, l’échange de messages privés avec des inconnus, le développement d’une dépendance aux technologies par la surconsommation, des symptômes dépressifs, la cyberintimidation, la réception de matériel sexuel non désiré et les problèmes liés au sommeil (Badillo-Urquiola et al., 2019 ; Hisler et al., 2020).

Comment les parents peuvent-ils réduire ces risques tout en préservant les opportunités ? Cette question retient maintenant grandement l’attention des chercheurs. Selon les études menées jusqu’à présent, les comportements et attitudes des parents contribueraient significativement à l’utilisation des technologies par leur enfant (Alkan et al., 2021 ; Brauchli et al., 2024).

Les formes de médiation parentale

La « médiation active » réunit les stratégies de co-utilisation, de discussions ou d’un échange d’opinion avec son enfant. Le but est de mener l’enfant à développer sa pensée critique, d’augmenter l’utilisation de comportements sécuritaires et d’éviter de nourrir involontairement une curiosité pour le contenu inapproprié. Cela peut être fait en soulignant que quelque chose dans une émission de télévision semble invraisemblable ou par le biais d’un échange d’opinions sur un documentaire visionné en famille (Hefner et al., 2019 ; Valkenburg et al., 2013). Cette médiation peut être plus difficile lorsqu’il s’agit de comportements liés aux tablettes et téléphones portables à cause de la petite taille de l’écran et de leur utilisation autonome (Clark, 2011). Dans ce contexte, les parents pourraient s’engager dans des discussions portant, par exemple, sur l’échange de messages avec des amis et les conflits pouvant en découler. De plus, la médiation active inclut la co-utilisation faisant référence à l’utilisation de la technologie en famille, comme parcourir des photos ensemble sur Instagram. Dans certaines études, la co-utilisation a été conceptualisée en tant que une troisième forme de médiation parentale, notamment dans le cas de la télévision (Livingstone et al., 2011). En revanche, la co-utilisation est considérée comme une stratégie de médiation active lorsqu’il s’agit de l’utilisation des petits écrans et de l’Internet puisque, dans ces circonstances, il est rare de faire de la co-utilisation sans avoir une discussion (Alkan et al., 2021 ; Livingstone et Helsper, 2008).

La « médiation restrictive » réunit des stratégies incluant la mise en place de règles et de techniques de surveillance visant à restreindre le temps d’utilisation et exercer un effet de protection face aux risques (Cabello-Hutt et al., 2018 ; Hefner et al., 2019). Certains parents vont fixer des règles, par exemple des endroits et des limites de temps où l’utilisation est permise (Livingstone et Helsper, 2008). D’autres parents vont adopter des méthodes éducatives et technologiques telles que demander à l’enfant ce qu’il a fait après son utilisation ou implanter des contrôles parentaux (Hefner et al., 2019 ; Livingstone et Helsper, 2008). L’objectif de ces stratégies serait de modérer le temps d’écran et de réduire les risques. Ces règles pourraient être introduites par une explication claire, empathique et comprise par l’enfant (Valkenburg et al., 2013).

Efficacité de la médiation parentale

Bien que la plupart des parents tendent à passer d’une stratégie de médiation à l’autre, les objectifs demeurent les mêmes : réduire le risque, créer un effet de protection et un environnement d’apprentissage menant à une utilisation saine des technologies (Alkan et al., 2021). Les études répertoriées s’accordent sur le fait que l’efficacité de ces stratégies de médiation dépend de leur application par le parent (Rudnova et al., 2023). Lorsqu’une stratégie de médiation est mise en place avec l’intention de soutenir l’autonomie de l’enfant, en considérant ses émotions et ses opinions, elle devrait inspirer l’intériorisation de comportements sécuritaires auxquels l’enfant adhèrerait volontairement (Clark, 2011 ; Valkenburg et al., 2013). En revanche, utiliser des stratégies de médiation de manière contrôlante, trop autoritaire, sans appréciation pour la réalité de l’enfant, pourrait augmenter les comportements dangereux que les parents cherchent à éviter, particulièrement à l’adolescence (Hefner et al., 2019 ; Valkenburg et al., 2013). D’ailleurs, cette sévérité incomprise pourrait mener à des sentiments négatifs chez l’enfant, tels que la culpabilité et l’anxiété (Clark, 2011).

La plupart des études récentes suggèrent qu’une utilisation optimale des stratégies de médiation active serait plus efficace que l’application de stratégies de médiation restrictive (Hefner et al., 2019). La médiation active aurait des effets protecteurs sur l’agressivité, les comportements sexuels à risque, l’abus de substances ainsi qu’une diminution des risques et de l’utilisation excessive des écrans chez les adolescents (Collier et al., 2016 ; Hefner et al., 2019). En revanche, la médiation active perdrait grandement en efficacité lorsque l’enfant se sent incompris, jugé ou contrôlé par les stratégies employées (Hefner et al., 2019).

Les études ne s’entendent pas sur l’efficacité des stratégies de médiation restrictive. L’étude EU Kids Online (Duerager et Livingstone, 2012 ; Livingstone et al., 2011) suggère que l’application de restrictions par le parent mènerait à une utilisation de l’Internet moins excessive par l’enfant et à un effet protecteur sur les risques associés (par exemple, dépendance aux écrans). Bien que la médiation active produirait de meilleurs résultats, Valkenburg et ses collègues (2013) avancent que la médiation restrictive pourrait être efficace si elle soutient l’autonomie de l’enfant. Ces stratégies pourraient être appliquées via une explication claire, une négociation juste et empathique des règles introduites et par une intention de protection manifeste. Or, une restriction trop stricte ou punitive inciterait certains enfants à consommer secrètement le contenu interdit, entrainant des attitudes plus positives envers ce type de contenu et plus négatives envers les parents (Valkenburg et al., 2013). D’autres chercheurs avancent que la médiation restrictive pourrait réduire les risques, mais au détriment des opportunités (Cabello-Hutt et al., 2018), ce qui menerait à une hausse de symptômes d’anxiété et de dépression (Rudnova et al., 2023).

Les facteurs associés aux formes de médiation parentale

Des variations sont documentées dans l’utilisation de ces stratégies de médiation par les parents ; certains pourraient présenter une utilisation préférentielle envers une forme de médiation (Sonk et al., 2013). Bien que la recherche sur l’utilisation de la médiation parentale est de plus en plus foisonnante, nous en savons peu sur les facteurs pouvant expliquer ces variations dans l’utilisation de ces stratégies par les parents (Rudnova et al., 2023). Identifier les facteurs associés à ces formes de médiation permettrait de mieux diriger les ressources vers les parents susceptibles d’en bénéficier. Plusieurs facteurs pouvant potentiellement exercer une influence sur l’utilisation de ces stratégies ont été mis de l’avant dans les écrits scientifiques récents (Cabello-Hutt et al., 2018 ; Sonk et al., 2013). Dans cette étude, certains facteurs ont été sélectionnés : trois facteurs propres au parent, incluant le genre, le niveau de scolarité et l’utilisation des technologies numériques par le parent, de même que quatre facteurs liés au contexte familial, c’est-à-dire le stress parental, la taille de la fratrie, la part de responsabilité du parent dans les soins aux enfants ainsi que l’âge de l’enfant.

Facteurs propres au parent

Le recours à la médiation parentale pourrait varier en fonction du genre du parent. Les mères rapporteraient être plus préoccupées par les risques des médias sociaux sur leur enfant et appliqueraient plus de restrictions sur le contenu consommé (Sonck et al., 2013). Les pères feraient un usage plus fréquent des stratégies de co-utilisation, particulièrement lorsqu’il s’agit de jeux vidéos (Connell et al., 2015).

Par ailleurs, les liens entre la médiation parentale et le niveau de scolarité du parent ne font pas l’unanimité. Selon une étude menée par Cabello-Hutt et ses collègues (2018), la médiation active serait étroitement associée à un niveau élevé de scolarité alors que la médiation restrictive n’y serait pas associée. Certaines études suggèrent que les parents ayant un faible niveau d’éducation auraient une compréhension plus limitée de l’importance des technologies et des aptitudes numériques sur la réussite pédagogique, personnelle ou professionnelle de leur enfant (Modecki et al., 2022). Ceci pourrait conduire à la mise en place de limites plus strictes sur l’accès, en particulier si les effets bénéfiques des technologies numériques ne sont pas considérés. D’autres études indiquent qu’un faible niveau de scolarité serait lié à une utilisation plus fréquente de toutes formes de médiation numérique (Sonck et al., 2013) ou uniquement la médiation active (Clark, 2011). Ce lien s’expliquerait par le fait que les parents ne possédant pas des aptitudes numériques adéquates pourraient se tourner vers leurs enfants pour de l’assistance, ce qui apporterait davantage de co-utilisation. Tennakoon et ses collègues (2018) rappellent aussi que le niveau d’éducation serait lié à la médiation parentale, mais par l’influence d’autres facteurs (par exemple, le revenu, l’accès à des technologies). En somme, le lien entre le niveau de scolarité des parents et le recours à la médiation parentale gagnerait à être clarifié.

Enfin, l’utilisation problématique des technologies numériques par le parent pourrait être associée à son recours à certaines stratégies de médiation. Certains parents font une très grande utilisation souvent caractérisée par une fréquence élevée de consultation, un stress lorsqu’ils n’y ont pas accès et une incapacité à réduire sa consommation (Andreassen, 2015). Une telle utilisation problématique est surtout observée dans le cas des médias sociaux. D’une part, un parent qui manifeste une utilisation problématique des médias sociaux pourrait être plus préoccupé par l’utilisation des technologies numériques de son enfant afin de lui éviter le même sort (Katz et al., 2018. D’autre part, si ce parent ressent une agitation et une pression de consommer de plus en plus, cette augmentation du temps d’écran pourrait mener à de meilleures compétences numériques qui serait associée à un rôle plus actif dans la médiation parentale (Nikken et Opree, 2018). De plus, une utilisation problématique des technologies par le parent serait directement liée à l’utilisation problématique des technologies par l’enfant (Wong et al., 2020). Plusieurs études suggèrent que la distraction, l’interruption ou l’intrusion quotidienne provoquées par cette utilisation problématique auraient un effet sur certains comportements parentaux. Cette répercussion est désignée par le terme « technoférence parentale » (Bergeron-Gaudin, 2023). Selon plusieurs auteurs, cela nuirait à la reconnaissance des émotions et des signaux de détresse émotionnelle de son enfant, de même qu’à la réactivité et la disponibilité émotionnelle du parent (Bergeron-Gaudin, 2023 ; Brauchli et al., 2024). Ces résultats appuient l’importance d’examiner l’utilisation problématique des technologies du parent comme facteurs pouvant exercer une influence sur l’utilisation de la médiation parentale.

Déterminants familiaux

Le stress parental surviendrait lorsque les ressources parentales ne sont pas assez grandes pour subvenir aux besoins de l’enfant et pourraient mener à des perceptions négatives de la parentalité (Shin et al., 2021). Il pourrait occasionner, chez le parent, une utilisation plus fréquente de la discipline et de la contrainte, mais aussi une diminution de la disponibilité émotionnelle (Warren et Aloia, 2019). Dans une situation de stress parental, le parent en viendrait à laisser l’enfant utiliser davantage les écrans afin de diminuer les interactions avec lui (Brauchli et al., 2024). Le stress parental serait parfois associé à une négligence des besoins de son enfant en raison d’un manque de réactivité, d’engagement et de soutien affectif (Beyens et al., 2016). La médiation parentale nécessitant ces facteurs, il serait possible que le stress parental exerce une influence sur son utilisation (Beyens et al., 2016 ; Brauchli et al., 2024). Le stress parental pourrait alors mener à une médiation restrictive plus considérable, une médiation active moindre ou même l’absence de toutes formes de médiation (Warren et Aloia, 2019).

Les études disponibles ont répertorié des liens contradictoires entre la taille de la fratrie et la médiation. Certaines rapportaient une association négative entre le nombre d’enfants et la médiation restrictive, particulièrement pour la télévision (Van der Voort et al., 1992 ; 1998). Cependant, les études plus récentes indiquent qu’elle serait plus fréquente dans les grandes familles (Sonck et al., 2013). Dans les familles peu nombreuses, les parents seraient plus sensibles aux comportements de consommation de l’enfant et appliqueraient davantage de règles. Les parents encourageraient dans les grandes fratries la co-utilisation en famille afin d’occuper tous les enfants au même moment. En regard de ces résultats contradictoires, le lien entre la taille de la fratrie et la médiation devrait être examiné plus attentivement.

Les stratégies de médiation varieraient en fonction de l’âge de l’enfant (Livingstone et Helsper, 2008 ; Symons et al., 2017). Selon certaines études, les adolescents plus vieux seraient plus souvent confrontés aux risques alors que les enfants plus vieux seraient exposés davantage aux opportunités (Cabello-Hutt et al., 2018). D’autres études avancent que toutes les formes de médiation diminueraient avec l’âge de l’enfant (Sonck et al., 2013), surtout les stratégies de médiation restrictive, les jeunes enfants ayant besoin d’un encadrement plus strict. Cependant, il est possible qu’avoir un enfant plus vieux, qui a atteint l’adolescence, facilite la médiation active notamment par les discussions. Les répercussions négatives de la médiation parentale mal appliquée seraient plus élevées à l’adolescence, alors que les effets négatifs liés aux risques d’une utilisation problématique des écrans seraient plus importants chez les enfants de 12 ans et moins (Société canadienne de pédiatrie, groupe de travail sur la santé numérique, 2019). Le lien entre les deux formes de médiation parentale et l’âge de l’enfant gagnerait toutefois à être examiné plus attentivement.

Enfin, il est proposé que la part de responsabilité dans les soins aux enfants soit associée à l’utilisation de la médiation parentale. La responsabilité dans les soins fait référence aux activités centrées sur l’enfant telles que le jeu, la lecture et les soins émotionnels ou physiques (Wray et al., 2021). Une plus grande part de responsabilité dans les soins de l’enfant se traduit par plus de temps passé avec lui. Ce temps parent-enfant pourrait créer plus d’occasions favorables à la médiation parentale (Wray et al., 2021). L’enfant est plus susceptible de former un lien d’attachement de qualité avec le parent qui prend soin de lui. Ce lien pourrait favoriser les discussions où l’enfant demande conseil, s’informe ou partage des choses importantes pour lui (Connell et al., 2015). Bien que les pères occupent une part grandissante dans les soins donnés aux enfants, la part assumée par les mères demeure généralement plus importante (Wray et al., 2021). Il est possible que les différences entre les genres des parents discutées plus haut s’expliquent en partie par cette inégalité dans les soins donnés aux enfants (Mathieu et Tremblay, 2022). Cette possibilité reste à vérifier.

La présente étude

Cette étude s’intéresse aux facteurs associés à deux formes de médiation parentale, active et restrictive, concernant l’utilisation de la tablette et du téléphone portable par les enfants. Des facteurs propres aux parents (genre, niveau de scolarité et utilisation problématique des médias sociaux) et au contexte familial (stress parental, taille de la fratrie, l’âge de l’enfant et la part de responsabilité dans les soins aux enfants) sont étudiés. Ces questions sont examinées auprès d’un échantillon de parents au début de la trentaine dont les enfants couvrent un grand étendu d’âge allant de la petite enfance à l’adolescence. Il est attendu que certains de ces facteurs contribuent de façon unique, c’est-à-dire en les considérant simultanément, à l’une ou l’autre des formes de médiation. Dans la mesure où les écrits scientifiques existants le permettent, certaines hypothèses concernant les facteurs à l’étude sont formulées pour chaque forme de médiation.

Pour la médiation active, il est attendu que :

(H1) Les femmes l’utilisent plus que les hommes ; le niveau de scolarité, l’utilisation problématique des médias sociaux, la taille de la fratrie et la part de responsabilité dans les soins aux enfants y soient positivement liés, que le stress parental et l’âge de l’enfant y soient négativement associés ;

Pour la médiation restrictive, il est attendu que :

(H2) Les femmes l’utilisent plus que les hommes ; que le niveau de scolarité, l’utilisation problématique des médias sociaux, stress parental et l’âge de l’enfant y soient négativement associés.

Méthode

Participants

Les parents qui participent à cette étude font l’objet d’un suivi longitudinal depuis plus de 20 ans. Ils ont été initialement recrutés (N = 390) en 2001 dans des classes de 6e année provenant de huit écoles primaires d’une commission scolaire de la grande région de Montréal (pour la procédure de recrutement, voir Poulin et Denault, 2012). Ils ont par la suite pris part à des évaluations ponctuelles au fil des ans. Les données utilisées dans la présente étude ont été recueillies en 2022 alors que la moyenne d’âge de ces participants était de 33,42 ans (É.T. = 0,51). Des 306 participants évalués en 2022, 175 ont rapporté avoir au moins un enfant (d’au moins un an) dont ils sont le parent biologique. Ceux qui ont indiqué que leur enfant biologique utilisait la tablette ou le téléphone portable en moyenne plus de 1 minute par jour (N = 112 ; 75 % femmes) constituent l’échantillon retenu pour les analyses. Parmi ces parents, 103 (92 %) sont d’origine caucasienne. La moitié d’entre eux reçoit un salaire annuel entre 40 000 $ et 79 999 $ et la moitié avait un diplôme d’études collégiales ou universitaires.

Procédures

Les participants ont reçu un appel téléphonique de sollicitation par des assistants de recherche formés. Suite à leur accord, un lien les dirigeant vers un questionnaire en ligne à compléter sur Lime Survey leur a été envoyé par courriel. Les participants devaient fournir leur consentement avant de débuter le questionnaire. Le questionnaire couvrait divers aspects de la vie personnelle et familiale des participants. La durée moyenne de complétion était d’une heure et une compensation de 100 $ était remise aux participants. Une fois le questionnaire complété, les données ont été exportées dans une base de données anonymisée et les noms des participants ont été remplacés par des numéros identificatoires. Les procédures ont été approuvées par le comité d’éthique de la recherche de l’Université du Québec à Montréal (certificat no 2022-4748).

Instruments de mesure

Médiation parentale

Les deux formes de médiation parentale ont été évaluées à l’aide de l’instrument conçu par Hefner et ses collègues (2019). L’instrument a été traduit de l’anglais conformément à une procédure par comité d’experts, tel que proposé par Vallerand (1989). Les parents qui avaient plus d’un enfant (84 sur 112) étaient invités à répondre en considérant leur enfant le plus vieux, et les autres parents devaient répondre en fonction de leur unique enfant. L’étendue de la taille de la fratrie était de 1 à 4 enfants avec une moyenne de 1,97 (É.T. = 0,75). Parmi les enfants visés par cette évaluation, 50 étaient des filles et 62 des garçons, et leur âge moyen était de 6,97 ans (É.T. = 3,89) avec une étendue allant de 1 à 16 ans. Les questions visaient l’utilisation de la tablette et du téléphone portable uniquement. Le temps d’utilisation moyen des enfants était de 83,94 minutes par jour (É.T. = 76,28). La médiation active était mesurée à l’aide de quatre items, par exemple « J’explique souvent des choses concernant le téléphone portable/tablette à mon enfant » et « Mon enfant et moi utilisons souvent le téléphone portable/tablette ensemble parce que c’est amusant et que nous partageons les mêmes intérêts ». La consistance interne de cette échelle est bonne (α = ,75). La médiation restrictive était mesurée à l’aide de sept items, par exemple « J’interdis souvent des activités spécifiques [p. ex. : application mobile, jeux, sites] sur le téléphone portable/tablette de mon enfant ». Les items mesurant les techniques de surveillance (par exemple « Je surveille souvent ce que mon enfant fait avec le téléphone portable/tablette, parfois même après son utilisation ») qui étaient analysés séparément par Hefner et ses collègues (2019) ont été intégrés à l’échelle de médiation restrictive selon les recommandations de ces auteurs. La consistance interne de cette échelle est bonne (α = ,81). Les participants devaient répondre à chacun des énoncés à l’aide d’une échelle de Likert de 1 [pas du tout en accord] à 5 [complètement en accord]. Pour chaque forme de médiation, un score a été créé en calculant la moyenne des items qui la composent. Un score élevé indique une fréquence d’utilisation élevée de cette forme de médiation.

Niveau de scolarité

Les participants ont répondu à la question « Quel est le plus haut certificat, diplôme ou grade que vous avez obtenu ? » Les choix de réponses étaient 1 = niveau inférieur à un diplôme d’études secondaires ou à son équivalent ; 2 = diplôme d’études secondaires ou certificat d’équivalence d’études secondaires ; 3 = certificat ou diplôme d’une école de métiers ; 4 = certificat ou diplôme d’un collège ou d’un cégep (DEC général) ; 5 = certificat ou diplôme d’un collège ou d’un cégep (DEC technique/professionnel) ; 6 = certificat ou diplôme universitaire au-dessous du niveau baccalauréat ; 7 = baccalauréat (B.A., B.SC) ; 8 = certificat, diplôme ou grade universitaire au-dessus du niveau baccalauréat (2e cycle) et 9 = certificat, diplôme ou grade universitaire au-dessus du niveau baccalauréat (3e cycle). Cette variable a été traitée de façon continue, où un score plus élevé indique un niveau de scolarité avancé.

Utilisation problématique des médias sociaux

L’utilisation problématique des médias sociaux a été mesurée par le Bergen Social Media Addiction Scale (Andreassen et al., 2012). Le questionnaire est constitué de six items basés sur les six critères de dépendance identifiés par Griffiths (2005). L’instrument a été traduit de l’anglais conformément à une procédure par un comité d’experts (Vallerand, 1989). Les participants devaient répondre aux énoncés (par exemple, « Dans la dernière année, à quelle fréquence avez-vous été agité ou anxieux si vous êtes dans l’impossibilité d’utiliser les médias sociaux ? ») à l’aide d’une échelle de Likert de 1 [très rarement] à 5 [très souvent]. La consistance interne de cette échelle est bonne (α = ,80). Le score de chaque participant représente la moyenne des six items. Un score élevé indique une utilisation plus problématique des médias sociaux.

Stress parental

Le stress parental a été mesuré en utilisant la version courte du Parental Stress Scale développée par Nærde et Hukkelberg (2020). Les participants ont répondu à sept items portant sur leur degré de stress associé à leur parentalité incluant « La principale source de stress dans ma vie est mon ou mes enfants ». Ils devaient rapporter leur réponse à l’aide d’une échelle de Likert de 1 [pas du tout d’accord] à 5 [tout à fait d’accord]. La consistance interne de cette échelle est bonne (α =,74). Le score a été obtenu en calculant la moyenne des items où un score élevé indique un niveau de stress parental élevé.

Part de responsabilité dans les soins

Les participants ont répondu à la question : « Quelle est votre part de responsabilité dans les soins de vos enfants ? » Cinq choix de réponse leur étaient proposés : 1 = aucune responsabilité, 2 = moins de la moitié de la responsabilité, 3 = la moitié de la responsabilité, 4 = plus de la moitié de la responsabilité, 5 = responsabilité entière et unique. Cette variable a été traitée en continu où un score bas indique un faible niveau de responsabilité dans les soins aux enfants.

Plan d’analyse

Deux modèles de régression linéaires hiérarchiques sont testés, c’est-à-dire un pour la médiation active et l’autre pour la médiation restrictive. Pour chacun des modèles, l’autre forme de médiation est entrée dans une première étape de façon à éliminer la variance commune partagée par les deux formes de médiation. Il est possible d’isoler la variance unique de chaque forme de médiation et de déterminer les liens distincts qu’elles entretiennent avec les variables indépendantes qui sont introduites dans une deuxième étape de la régression. Cette procédure était avisée étant donnée la corrélation importante entre les deux types de médiation (r =,52). Les variables indépendantes incluses dans le modèle étaient le genre du parent (Femme =1, Homme = 2), le niveau de scolarité, l’utilisation problématique des médias sociaux du parent, le stress parental, la taille de la fratrie, la part de responsabilité dans les soins aux enfants et l’âge de l’enfant. L’analyse est faite via le logiciel SPSS.

Résultats

Statistiques descriptives

Les statistiques descriptives ainsi que les corrélations bivariées entre les variables à l’étude sont présentées au tableau 1. Les femmes et les hommes ont été comparés sur chacune des variables à l’aide de tests t et les d de Cohen issus de ces analyses sont rapportés dans ce même tableau. L’examen de ce tableau révèle que la médiation active et la médiation restrictive sont positivement corrélées. La médiation active est corrélée avec toutes les variables à l’étude à l’exception du niveau de scolarité et du stress parental. Étonnamment, la médiation restrictive n’est corrélée avec aucune variable à l’étude. Enfin, les femmes utilisent davantage la médiation active que les hommes.

Tableau 1

Statistiques Descriptives et Matrice de Corrélations Bivariées

Statistiques Descriptives et Matrice de Corrélations Bivariées

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Régressions linéaires hiérarchiques

Les résultats de l’analyse de régression hiérarchique pour la médiation active sont rapportés au tableau 2. Une fois entrée dans le premier bloc, la médiation restrictive partage une portion significative de la variance de la médiation active (R2 = 0,27 ; p < 0,001). L’ajout des variables indépendantes augmente significativement la variance expliquée (ΔR2 = 0,22 ; p < 0,001 ; F [8, 103] = 12,28 ; p < 0,001). Comme anticipé, l’utilisation problématique des médias sociaux, le stress parental, la taille de la fratrie et la part de responsabilité dans les soins aux enfants contribuent significativement à cette variance. À l’exception du stress parental, tous ces prédicteurs sont liés positivement à la médiation active. Le genre du parent, le niveau de scolarité et l’âge de l’enfant n’étaient pas des prédicteurs significatifs dans ce modèle.

Tableau 2

Analyse régression linéaire hiérarchique pour la médiation active

Analyse régression linéaire hiérarchique pour la médiation active

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Les résultats de l’analyse de régression pour la médiation restrictive sont présentés au tableau 3. Dans le premier bloc, la médiation active partage une portion significative de la variance avec la médiation restrictive. L’ajout des variables indépendantes n’augmente pas significativement la variance expliquée (ΔR2 = 0,09 ; p = 0,11.).

Tableau 3

Analyse régression linéaire hiérarchique pour la médiation restrictive

Analyse régression linéaire hiérarchique pour la médiation restrictive

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Discussion

La théorie de la médiation parentale suggère l’existence de différentes stratégies déployées par les parents afin de réduire les risques liés à l’usage de la technologie numérique (Clark, 2011 ; Hefner et al., 2019 ; Valkenburg et al., 2013). La médiation active et la médiation restrictive sont définies par l’application de méthodes spécifiques pour minimiser ces risques tout en évitant le plus possible les conséquences indésirées d’une médiation parentale inadéquate (Livingstone et Helsper, 2008 ; Modecki et al., 2022). Cependant, les déterminants liés au recours à ces formes de médiation par les parents sont peu connus. Les analyses montrent un lien fort entre les deux formes de médiation. Cela suggère que les parents utilisent les stratégies de médiation actives et restrictives de manière alternative. Les scores moyens très similaires pour chacune de ces deux formes de médiation appuient cette possibilité. Les résultats de la présente étude révèlent que l’utilisation de la médiation active semble liée à des facteurs associés au contexte familial et à la disponibilité émotionnelle du parent alors que l’utilisation de la médiation restrictive n’est liée à aucun des facteurs pris en compte. Les liens observés pour la médiation active seront d’abord discutés, puis des explications seront proposées pour rendre compte de l’absence de lien avec la médiation restrictive.

La médiation active est associée à plusieurs facteurs

Les résultats révèlent que plus les parents rapportaient une utilisation problématique des médias sociaux, plus ils utilisaient les stratégies de médiation active. Ces résultats reflètent ceux des études précédentes ; ces parents pourraient être plus susceptibles de discuter et d’échanger des opinions sur ce qu’ils consomment et d’utiliser les stratégies de co-utilisation avec leur enfant (Nikken et Opree, 2018). Les parents qui font une utilisation problématique des médias sociaux pourraient avoir une appréciation plus importante des opportunités et considérer davantage les goûts et l’opinion de leur enfant (Katz et al., 2018. De plus, certaines études avancent que cette dépendance pourrait mener le parent à augmenter sa fréquence d’utilisation des technologies (Nikken et Opree, 2018). Cela provoquerait une perception plus positive des opportunités engendrées par l’utilisation des technologies et ainsi l’application de stratégies de médiation active afin de créer des occasions favorables à la création de ces impacts positifs (Katz et al., 2018).

Nos résultats indiquent également que les parents qui rapportaient un niveau élevé de stress parental utilisaient moins les stratégies de médiation active. Il est possible que ce résultat reflète le manque de réactivité physique et émotionnelle de la part du parent (Warren et Aloia, 2019 ; Brauchli et al., 2024). D’ailleurs, le stress parental pourrait porter le parent à s’isoler du reste de la famille et à interagir peu avec l’enfant, ce qui expliquerait une réduction des discussions et échanges d’opinions au sein de la cellule familiale (Warren et Aloia, 2019). Ce manque d’accessibilité physique et émotionnelle pourrait réduire la préoccupation des risques que posent les technologies numériques (Beyens et al., 2016).

Les résultats révèlent que plus il y a d’enfants dans la famille, plus le parent emploie des stratégies de médiation active avec leur enfant le plus vieux. Les discussions familiales relatives au contenu numérique de même que la co-utilisation seraient facilitées dans une fratrie plus nombreuse. Selon Sonck et ses collègues (2013), une grande fratrie nécessite davantage de stratégies de médiation parentale afin de veiller à la sécurité de tous concernant les technologies numériques. Cela pourrait encourager les échanges sur l’utilisation numérique, particulièrement avec l’enfant le plus âgé, plutôt que l’imposition de plusieurs règles qui demandent d’être adaptés à chaque membre de la fratrie.

Nos analyses montrent qu’une part importante de la responsabilité dans les soins aux enfants est associée positivement à la médiation active. Comme pour le stress parental, il est possible que la disponibilité physique et émotionnelle du parent soit liée à l’utilisation de ces stratégies. Tel que suggéré par certaines études, s’occuper davantage de son enfant offrirait au parent une plus grande proximité et, par le fait même, plus d’occasions favorables aux discussions sur les préférences de l’enfant ainsi que les risques d’une utilisation insouciante (Connell et al., 2015 ; Wray et al., 2021). De plus, prendre soin de son enfant semble être parfois accompagné de discussions relatives aux contenus consommés et par la co-utilisation numérique. Dans ce cas, la médiation active pourrait être en elle-même une forme de soins envers l’enfant (Wray et al., 2021). Les comparaisons selon le genre du parent ont montré que, tel qu’attendu, les mères feraient plus de médiation active que les pères. Cependant, dans le modèle de régression, seul l’effet de la part de responsabilités dans les soins demeurait significatif une fois ajouté. Il semblerait que ce ne soit pas tant le fait d’être une femme qui accroît l’utilisation de la médiation active, mais plutôt que la femme est souvent responsable d’une plus grande part des soins aux enfants et passerait donc davantage de temps avec eux (Mathieu et Tremblay, 2022 ; Wray et al., 2021).

L’absence de liens significatifs avec le niveau de scolarité et l’âge de l’enfant sont à première vue surprenants. Ces résultats pourraient être expliqués par les effets indirects de facteurs qui ne sont pas examinés. Premièrement, Livingstone et Helsper (2008 ont souligné l’importance qu’aurait l’effet indirect de l’éducation sur les caractéristiques socio-économiques de l’environnement et ainsi sur l’accessibilité aux technologies, nécessaires à la médiation active. Deuxièmement, Condeza et ses collègues (2019) ont noté que les jeunes parents auraient de meilleures compétences numériques et que l’effet de ces compétences devrait être pris en compte dans l’utilisation des stratégies de médiation parentale. Les participants ayant tous 33 ans, leurs compétences numériques supérieures devraient être considérées dans l’interprétation des résultats. Dans le même sens, Livingstone et Helpser (2008) rappelaient que l’âge de l’enfant serait un facteur crucial dans l’application des stratégies de médiation parentale. Cependant, nous n’avons pas été en mesure de reproduire ces résultats. Encore une fois, l’âge des parents pourrait avoir exercé une influence. Cette possibilité devrait être examinée de plus près en mesurant cette fois-ci les compétences numériques parentales.

Un point commun qui se dégage de chacun des facteurs associés à la médiation active est la disponibilité physique et émotionnelle du parent (Bergeron-Gaudin, 2023 ; Sonck et al., 2013 ; Warren et Aloia, 2019). Il semble qu’un parent disponible physiquement pour écouter, rassurer et accompagner émotionnellement son enfant soit plus porté à appliquer des stratégies de médiation active (Connell et al., 2015). Il est possible qu’un parent apte à s’investir émotionnellement soit plus sensible et réactif aux comportements de son enfant, au modèle qu’il lui transmet et aux risques liés à la consommation de technologies numériques (Brauchli et al., 2024). Un manque de disponibilité émotionnelle pourrait rendre le parent moins sensible aux besoins et à l’encadrement de son enfant et ainsi aux stratégies de médiation active.

La médiation restrictive n’est liée à aucun facteur à l’étude

Contrairement à nos hypothèses, l’utilisation de la médiation restrictive n’est associée à aucun des facteurs examinés dans cette étude. Cette absence de lien est constatée dans l’examen des corrélations bivariées et dans la régression linéaire hiérarchique. À première vue, cela paraît étonnant puisque la médiation restrictive (M = 3,47) semble aussi fréquemment utilisée que la médiation active (M = 3,29) et qu’elles sont significativement corrélées entre elles. De plus, cette corrélation a été rapportée dans d’autres études et suggère que plusieurs parents font usage des deux formes de médiations (Hefner et al., 2019). Comme pour la médiation active, les différences de genre, le niveau de scolarité ainsi que l’âge de l’enfant ne sont pas liés à l’utilisation de la médiation restrictive. Cabello-Hutt et ses collègues (2018) avaient observé une absence de lien entre le niveau d’éducation et la médiation restrictive. Enfin, l’absence de lien avec la part de responsabilité dans les soins suggère qu’un parent ayant davantage de temps en compagnie de son enfant ne l’utiliserait pas pour implanter les règles (Wray et al., 2021).

Il est possible que la médiation restrictive soit associée à des facteurs personnels et familiaux qui n’ont pas été examinés dans cette étude. Par exemple, la perception du risque est un thème qui ressort des écrits portant sur la médiation parentale. Le fait de percevoir plus de risques résultant d’une mauvaise utilisation des technologies numériques par l’enfant pourrait entraîner la mise en place de règles strictes de la part du parent (White et al., 2015). Selon les écrits scientifiques, la perception du risque et des dangers quant à l’utilisation des technologies numériques serait associée à l’utilisation de médiation par le parent (Sonck et al., 2013).

Puisque la médiation restrictive est souvent considérée comme plus sévère, certains parents pourraient s’en servir en réponse à des circonstances précises. Par exemple, l’apparition de conduites à risques ou d’une problématique chez l’enfant, comme des difficultés à l’école liées au manque de sommeil, pourrait amener le parent à implanter des règles plus strictes ou des mesures techniques qu’il n’aurait pas exploitées autrement. La médiation restrictive pourrait être une réaction en réponse à des problèmes pouvant découler de l’utilisation des écrans tandis que la médiation active serait davantage déployée de façon proactive par les parents avec des visées préventives. La médiation restrictive serait alors un deuxième recours lorsque l’application de la médiation active n’a pas été efficace.

Limites, forces et recherches futures

Cette étude présente certaines limites. Premièrement, notre stratégie de recrutement (soit le suivi longitudinal d’un échantillon) a mené à un nombre assez limité de participants satisfaisant nos critères de sélection (être le parent biologique d’au moins un enfant qui fait un usage quotidien de la tablette/téléphone portable) dans le but de remplir le questionnaire de médiation parentale en 2022. En revanche, ce devis nous a permis d’inclure différentes configurations familiales (âge de l’enfant et taille de la fratrie variée). Deuxièmement, notre échantillon de petite taille et est très homogène sur le plan sociodémographique ; les parents sont en majorité caucasiens de la classe moyenne. Certains facteurs qui déterminent le statut socioéconomique du parent (par exemple, l’ethnicité, le revenu familial et la monoparentalité), et qui sont souvent identifiés comme facteurs pouvant être associés aux stratégies de médiation parentale (Huang et al., 2018), n’ont pu être examinés dans cette étude. Troisièmement, la présente étude est basée sur un devis corrélationnel avec une seule prise de mesure et aucun lien de causalité entre les phénomènes sous examen ne peut être inféré. Quatrièmement, la mesure de médiation parentale ciblait l’enfant le plus vieux alors que la part de responsabilité dans les soins concernait l’ensemble de la fratrie. De plus, la mesure de responsabilité dans les soins n’incluait qu’un seul item. Finalement, outre l’utilisation problématique des médias sociaux par le parent, d’autres types d’utilisation des écrans mobiles devraient être considérés, notamment l’utilisation des jeux vidéo et le visionnement d’émissions ou de films.

Ces limites sont toutefois compensées par certaines forces. Il s’agit de l’une des premières études à examiner simultanément la contribution unique de plusieurs caractéristiques personnelles aux parents et propres au contexte familial. De plus, en éliminant la variance commune avec l’autre forme de médiation dans chacune des régressions, il a été possible d’isoler les liens spécifiques à la médiation active. Enfin, les études antérieures ont majoritairement porté sur la médiation parentale relative à l’utilisation de l’internet, des médias sociaux, de la télévision et des jeux vidéo. Cette étude est l’une des rares à s’être concentrée sur des appareils technologiques spécifiques (la tablette et le téléphone portable) ce qui a permis l’inclusion de plusieurs types d’utilisation (internet, jeux vidéo, médias sociaux, visionnement d’émission, etc.).

La présente étude s’intéressait aux facteurs personnels au parent et liés au contexte familial. Afin d’obtenir un portrait plus complet de l’ensemble des facteurs associés à l’utilisation des deux formes de médiation parentale, il sera essentiel de mener d’autres études complémentaires dans lesquelles les caractéristiques des enfants seront examinées. Des études précédentes pointent vers le type d’utilisation et le temps d’écran par l’enfant dans l’étude de la médiation parentale. Il sera important de considérer l’effet réactif des parents vis-à-vis le type de contenu consommé par l’enfant. Apprécier l’impact du tempérament de l’enfant dans la perception du risque du parent et son influence sur les choix des stratégies de médiation serait également suggéré.

Dans le même ordre d’idée, la médiation restrictive devrait être étudiée en tant que réaction à une situation précise ou suite à une médiation active inefficace. Les règles strictes demeurant parfois nécessaires, il est recommandé d’examiner les facteurs qui influencent leurs applications auprès de l’enfant dans l’intention de favoriser l’intériorisation de comportements sécuritaires auxquels il souhaite adhérer volontairement. De plus, la disponibilité physique et surtout émotionnelle du parent semble jouer un rôle considérable dans l’utilisation de stratégies de médiation active. Si la cause de cette indisponibilité émotionnelle échappe au contrôle du parent, les effets bénéfiques de la médiation active pourraient lui être inaccessibles. Le recours à un devis de recherche dans lequel la famille deviendrait véritablement l’unité d’analyse en incluant des évaluations des stratégies de médiation des deux parents tout en prenant en compte les caractéristiques importantes des enfants serait à privilégier. Des prises de mesure répétées auprès des mêmes familles permettraient en outre de mieux cerner les dynamiques liant ces phénomènes et de préciser le caractère réactif ou non de la médiation restrictive.

Conclusion

L’utilisation problématique des médias sociaux par les parents, le stress parental, la taille de la fratrie ainsi que la part de responsabilité dans les soins aux enfants sont associés de façon unique et indépendante à la médiation active. Ces résultats suggèrent que la disponibilité émotionnelle du parent influence son utilisation des stratégies de médiation active. La corrélation entre les deux formes de médiation montre que plusieurs parents exploitent généralement les deux. L’absence de liens significatifs pour la médiation restrictive nous amène à recommander l’examen de son application en réaction à une situation à risque dans les études futures et de porter une plus grande attention aux caractéristiques de l’enfant. Mieux comprendre les facteurs et les contextes qui influencent les comportements de médiation parentale en regard à l’utilisation des téléphones portables/tablettes par leurs enfants permettrait d’offrir un plus large éventail de stratégies informées et adaptées à la situation singulière chaque famille. Ainsi, les parents pourraient favoriser l’intériorisation de comportements sécuritaires de la part de l’enfant, sans entrainer d’effets néfastes indésirés.