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Institution familiale créatrice de liens de filiation, l’adoption concerne divers acteurs et pose également des enjeux de nature sociale, juridique et familiale. Les pratiques et les dispositions légales qui l’entourent évoluent au fil du temps et s’inscrivent dans un espace dynamique qui témoigne des changements vécus en regard de la parenté, de la famille et de l’enfant. Les usages de l’adoption témoignent également d’une certaine conception de l’enfant (Ricard, 2014), celui-ci étant, selon les contextes, sujet de droit, membre d’une unité ou d’un groupe familial, individu à protéger ou être social appartenant à une collectivité (Ouellette et Lavallée, 2017). Les différentes utilisations de l’adoption mettent en lumière les valeurs et les positions idéologiques d’une société vis-à-vis des questions de filiation et constituent également un révélateur du degré de flexibilité qu’une société autorise dans le tracé des affiliations familiales (Lavallée et Ouellette, 2020). Il n’est donc pas surprenant de constater que l’adoption, du fait de la multiplicité des enjeux qu’elle pose, constitue un objet d’étude qui se situe au carrefour de plusieurs disciplines telles que le droit, l’anthropologie, la sociologie, la psychologie et le travail social.

Le présent numéro se penche sur différentes dimensions relatives à l’adoption : il souhaite identifier l’évolution de certaines pratiques sociales et législatives en matière d’adoption, discuter des réalités familiales et identitaires associées à cette institution et comprendre comment elle s’est transformée. Dans le cadre de ce numéro thématique, l’adoption est abordée comme une institution de filiation, un mécanisme de protection de l’enfant, une appartenance productrice de liens affectifs inter et intrafamiliaux, mais aussi comme une avenue à un projet familial qui comporte ses propres défis.

Diminution du recours à l’adoption

Un changement majeur observé en regard de l’adoption concerne la diminution notable du nombre d’adoptions internationales au cours des 20 dernières années. En effet, ce type d’adoption connait un déclin important depuis le début des années 2000, et ce tant au Québec (MSSS, 2021) qu’ailleurs dans le monde (Selman, 2023). En priorisant le maintien de l’enfant dans sa famille, puis dans sa communauté d’origine, l’entrée en vigueur de la Convention de La Haye (HCCH, 1993) a contribué, par l’application de son principe de double subsidiarité par la majorité des pays, à la reconfiguration de l’adoption internationale (Piché et Vargas-Diaz, 2019 ; Piché, 2021). Ce virage est étroitement lié à la diminution des adoptions internationales, mais aussi au développement de solutions locales pour pallier le transfert massif d’enfants à l’étranger ayant eu cours dans la dernière moitié du siècle jusqu’au début des années 2000.

Quoique moins drastique que ce qui est observé au niveau international, le nombre d’adoptions réalisées en contexte de protection de la jeunesse tend lui aussi à diminuer depuis une quinzaine d’années au Québec[1]. Cette observation est également faite dans d’autres pays qui ont recours à l’adoption pour des enfants en situation de maltraitance et qui sont pris en charge par les services de protection de l’enfance, dont l’Espagne et la Grande-Bretagne (Palacios et al., 2019).

De façon générale, outre l’entrée en vigueur de la Convention de la Haye qui explique sans doute une part importante de la diminution du nombre d’adoptions internationales, le déclin plus général de l’adoption dans les pays occidentaux semble aussi être le résultat de la diminution des grossesses non désirées, de l’augmentation au recours à la procréation assistée comme moyen d’accéder à la parentalité (en cas de problèmes de fertilité physiologique ou sociale) et d’une plus grande tolérance sociale vis-à-vis des mères menant à terme une grossesse en étant seules et des enfants nés hors mariage (Pösö et Skivenes, 2021 ; Potter et Font, 2021).

Réflexions sur les différents modèles d’adoption

La pluralité des modèles d’adoption, et plus largement de prise en charge et de circulation des enfants, pose la question de la place et du rôle qu’occupent les différents acteurs au sein de ces modèles, mais aussi celle des normes et des pratiques qui les encadrent. Quels sont les parallèles à dresser entre l’adoption plénière, l’adoption intrafamiliale, l’adoption ouverte, l’adoption sans rupture du lien de filiation et l’adoption simple? Comment peuvent cohabiter ces différents modèles et quels enjeux y sont associés? Différentes études issues de l’anthropologie et de la sociologie ont illustré, via les concepts de fosterage, de transfert, de confiage, de don et de circulation des enfants, la diversité des pratiques adoptives (Asselin, 2021 ; Bowie, 2004 ; Tanguy-Domingos, 2021). L’adoption peut être entrevue comme une façon de combler un désir d’enfant dans un contexte d’infertilité, comme c’est souvent le cas dans plusieurs sociétés occidentales. Toutefois, elle peut aussi prendre des formes plus flexibles dans d’autres contextes sociaux et culturels et revêtir diverses fonctions qui ne sont pas d’emblée liées au désir d’enfant et au projet parental. Par exemple, le transfert d’enfants d’une famille à une autre peut viser le rééquilibrage des inégalités de fertilité de couples apparentés, s’inscrire dans une recherche de meilleurs rendements éducatifs ou d’une ascension professionnelle de la progéniture dans la famille élargie (Lallemand, 2004). Dans les sociétés africaines ou océaniennes, les pratiques adoptives peuvent servir à assurer la succession ou la transmission des biens ou encore être considérées comme une façon d’exprimer ou de renforcer des liens d’amitié déjà existants (Fine, 2000).

La contribution de Louise Proctar dans le présent numéro s’inscrit dans cette perspective. À partir d’une étude menée auprès de deux sociétés du Pacifique, l’auteure détaille les pratiques d’adoptions intrafamiliales informelles et met en lumière la flexibilité ainsi que l’aspect construit associé à ce type de prise en charge de l’enfant. Contrairement au modèle d’adoption généralement privilégié en Occident où la reconnaissance juridique est essentielle à l’établissement de la filiation adoptive, dans les sociétés étudiées par l’auteure, c’est plutôt le processus d’apparentement au quotidien (à travers les actes, le temps et les discours) qui crée le lien de parenté et d’adoption.

L’adoption simple en France constitue elle aussi un modèle d’adoption alternatif dont certains paramètres s’inscrivent en opposition au modèle de l’adoption plénière qui domine dans plusieurs sociétés occidentales. L’adoption simple privilégie une logique additive (au lieu de substitutive) : elle crée un nouveau lien de filiation qui vient s’ajouter au lien de filiation d’origine et constitue une forme d’adoption surtout utilisée en contexte de beau-parentalité dans une visée de transmission du patrimoine (Mignot, 2015).

La contribution de Guillaume Kessler traite des usages et des pratiques entourant l’adoption simple en France, essentiellement utilisée par le conjoint d’un des parents pour consolider et faire reconnaître juridiquement un lien établi de longue date. L’auteur soulève la possibilité d’étendre l’utilisation de l’adoption simple à d’autres contextes familiaux et à des situations qui témoignent de l’évolution des enjeux familiaux et de la multiplicité des configurations familiales. Selon l’auteur, une utilisation plus optimale de l’adoption simple permettrait de favoriser une meilleure correspondance entre la situation juridique de l’enfant et la réalité pratique.

Cette contribution s’inscrit dans une réflexion plus large sur la reconnaissance de la pluriparenté et sur la remise en question d’un modèle d’adoption basé sur l’engendrement et sur le principe d’exclusivité. À ce jour, les législations occidentales demeurent très réticentes à sortir du cadre normatif et à reconnaître légalement plus de deux parents (Ouellette et Lavallée, 2015; Roy, 2018). Un décalage persiste entre les pratiques parentales contemporaines et le recours à des dispositions légales restrictives. L’adoption plénière revêt un caractère définitif et irréversible, ce qui répond aux besoins de certains enfants, tels que ceux qui ont été adoptés très jeunes, qui ont peu connu leurs parents d’origine et qui n’entretiennent aucun lien significatif avec eux. Cependant, ce type d’adoption ne répond pas à l’intérêt de tous les enfants adoptés, comme aux enfants plus âgés ou aux enfants qui ont conservé des liens avec leurs parents d’origine (Groupe de travail sur le régime québécois de l’adoption et Lavallée, 2007; Ouellette et Roy, 2010).

L’adoption en contexte de protection de l’enfance

Dans certains pays, le recours à l’adoption est également utilisé par les services de protection de l’enfance comme avenue possible pour des enfants victimes de maltraitance. Cependant, les mesures, lois et pratiques relatives à ce type d’adoption varient considérablement d’un pays à l’autre (del Valle et Bravo, 2013). Par exemple, la Norvège, le Danemark, l’Allemagne, la France et la Belgique n’encouragent pas le recours à l’adoption pour les enfants suivis en protection de l’enfance. En revanche, d’autres pays, tels que les États-Unis, la Grande-Bretagne, l’Irlande, l’Australie et l’Espagne sont plus enclins à recourir à l’adoption pour certains enfants à haut risque d’abandon ou dont le retour dans le milieu familial d’origine ne peut être envisagé. Ces enfants sont rarement adoptés à la naissance et passent généralement quelques mois, voire quelques années dans des familles d’accueil avant d’être considérés adoptables (Ouellette et Goubau, 2009 ; Chateauneuf et Lessard, 2015 ; Nadeem et al., 2023). Il s’agit d’adoptions dans le cadre desquelles un enfant qui est pris en charge par l’État et dont la garde a été retirée aux parents, est placé auprès de futurs adoptants et ensuite adopté avec ou sans le consentement des parents d’origine (Pösö et Skivenes, 2021).

C’est dans ce contexte que s’inscrit la contribution de Karine Tremblay et Geneviève Pagé. Les auteures identifient les défis associés à l’adoption lorsque les enfants présentent des problématiques importantes sur les plans relationnel, comportemental ou émotif. Cette contribution se penche plus spécifiquement sur l’adoption d’enfants pris en en charge par des familles d’accueil à vocation adoptive en contexte québécois et met en lumière la détresse et l’impuissance que rencontrent certains parents devant l’ampleur des difficultés et des traumas que présentent les enfants qu’ils accueillent. Les constats apportés par les auteures mettent en évidence les difficultés que présentent certains enfants pris en charge par les services de protection de l’enfance. Smith (2014) évalue que 10 à 15 % des adoptions en protection de l’enfance présentent des défis significatifs pour les parents adoptifs. De plus, les expériences traumatiques pré-adoptives vécues par certains enfants (tel que la maltraitance physique, psychologique ou sexuelle) ont été identifiées par d’autres auteurs comme des causes de stress, de dépression et de traumas secondaires chez les adoptants (Guivarch et al., 2017; Skandrani et Harf, 2022).

Soutien et accompagnement au processus d’adoption

L’analyse du contexte d’intervention et de l’organisation des services en adoption permet de mieux saisir comment sont accompagnés et soutenus les parents d’origine, les parents adoptifs et les enfants (Waid et Alewine, 2018 ; Lee et al., 2020). Quels sont les enjeux cliniques et pratiques rencontrés par les professionnels ou les organisations appelés à répondre aux besoins des acteurs impliqués dans une trajectoire d’adoption? Quels sont les types de ressources, les formations ou les programmes d’intervention qui sont mis de l’avant pour leur venir en aide?

La contribution de Tremblay et Pagé met également en lumière les enjeux spécifiques que pose le processus d’adoption en termes de services et d’interventions. Pour certaines familles, l’expérience de l’adoption, qu’elle soit internationale ou locale, comporte son lot de défis. Plusieurs enfants adoptés ont des défis émotionnels, comportementaux, développementaux et de santés complexes qui peuvent se manifester à divers moments, même plusieurs années après l’adoption (Fisher, 2015; Lee et al., 2018 ; Skandrani et Harf, 2022). Alors que de nombreuses études ont démontré la présence de vulnérabilités plus importantes chez les enfants adoptés que les non-adoptés (Askeland et al., 2017 ; Jones et al., 2020), le manque de soutien et de services post-adoption peut mettre en péril la continuité et la stabilité du projet d’adoption et avoir des impacts négatifs sur le fonctionnement des familles. En ce sens, l’accessibilité à des services et à différentes formes de soutien post-adoption joue un rôle déterminant non seulement en regard du maintien des adoptions, mais également sur la qualité de la prise en charge des enfants et sur l’ensemble de la trajectoire des familles adoptives à plus long terme (Zosky et al., 2005 ; Merritt et Festinger, 2013 ; White, 2016).

Il semble également de plus en plus indiqué de considérer l’adoption non pas comme une finalité ou comme un événement ponctuel, mais plutôt comme un processus évolutif et dynamique qui s’échelonne tout au long de la vie (Grotevant et McDermott, 2014). Par conséquent, l’offre de services post-adoption devrait être prise en charge par des spécialistes formés aux enjeux de l’adoption et permettre aux familles adoptives d’obtenir une réponse à leurs besoins en temps opportun, incluant les adoptés devenus adultes (Sánchez-Sandoval et al., 2020).

Identité et droit d’accès des adoptés à leurs origines

La question des origines demeure centrale dans les études et les réflexions sur l’adoption (Martial et al., 2021). La levée du secret et le mouvement de transparence qui touchent le processus d’adoption se traduisent de différentes façons dans les pratiques et les législations. Dans certains contextes, cette tendance se manifeste par un recours à des modèles d’adoption plus ouverts. C’est le cas par exemple dans certaines situations où les parents d’origine ont donné leur consentement à l’adoption ou encore lorsque le processus d’adoption implique des acteurs qui se connaissent ou qui entretiennent des relations somme toutes positives. Le recours à une forme d’adoption plus ouverte peut aussi être attribuable au désir de l’enfant lui-même lorsque celui-ci est en âge de se prononcer. Dans tous les cas, l’établissement d’un climat consensuel favorise le recours à un modèle d’adoption plus ouvert (Neil, 2019).

Dans sa définition la plus générale, l’adoption ouverte implique un partage plus ou moins étendu d’informations entre la famille adoptive et la famille biologique (Brodzinsky et Goldberg, 2016 ; Chateauneuf et al., 2018 ; Neil, 2018). Ces modalités d’échange prennent différentes formes telles que des rencontres en face à face, des appels téléphoniques, des échanges de cartes, de photos, de lettres ou de courriels. Par ailleurs, l’ouverture en adoption ne se limite pas aux modalités de contacts en soi, mais concerne également la capacité des parents adoptifs à créer à l’intérieur de la famille un dialogue ouvert en regard des problématiques, des émotions et des questionnements associés à l’adoption (Wydra et al., 2012 ; Colaner, 2022). À ce titre, Brodzinsky (2005) distingue l’ouverture structurelle et l’ouverture communicationnelle. L’ouverture structurelle fait référence au type, à la fréquence, à la durée et à la gestion des contacts, donc davantage aux modalités de contacts. De son côté, l’ouverture communicationnelle est associée aux attitudes générales, aux croyances, aux attentes et aux émotions que les gens ont en lien avec l’adoption. Elle réfère au dialogue qui s’établit entre les parents adoptifs et l’enfant ainsi qu’à leur capacité d’aborder avec aisance les différents aspects liés à l’adoption. Les études menées sur ces sujets indiquent pour la plupart des impacts positifs et des effets bénéfiques à une plus grande ouverture et au maintien de différentes formes de contacts en contexte post-adoption (Smith et al., 2020 ; del Pozo de Bolger et al., 2021 ; MacDonald, 2023). Cependant, la tenue de contacts post-adoption pour des enfants ayant vécu des expériences pré-adoptives de maltraitance ou de négligence demeure plus controversée. Certaines études soutiennent que dans ces situations particulières, les contacts directs avec les parents d’origine peuvent s’avérer traumatisants pour l’enfant et nuire à son développement et à son bien-être (Howe et Steel, 2004 ; Loxterkamp, 2009 ; Faulkner et Madden, 2012).

Dans d’autres cas, la levée du secret se traduit par des démarches de recherche des origines entreprises par des adoptés devenus adultes. Ainsi, nous assistons à une préoccupation grandissante pour l’identité, le bien-être et le droit d’accès des adoptés à connaître leurs origines (Moyer et Juang, 2011 ; Barroso et Barbosa-Ducharne, 2019 ; Salvo-Agoglia et Marre, 2020). Les enjeux liés à la continuité des liens affectifs, identitaires, culturels et sociaux avec les origines font d’ailleurs l’objet d’une mobilisation grandissante au sein des associations de personnes adoptées (Gay, 2018). Dans plusieurs pays, une tendance à une plus grande ouverture et une meilleure reconnaissance du droit à connaître ses origines est observée (Jeannin et Roulez, 2019 ; Giroux et Brunet, 2021). Cette tendance se reflète dans l’adoption de diverses mesures ou réformes législatives visant à faciliter l’accès aux informations relatives aux origines et aux retrouvailles (Comité consultatif sur le droit de la famille et Roy, 2015). Par contre, la recherche de ses origines, tant en ce qui a trait à l’adoption internationale que nationale, présente sa part d’obstacles pour la personne adoptée : la qualité de la tenue des dossiers et de l’archivage varie considérablement d’une époque ou d’un pays à l’autre; des irrégularités dans les démarches d’adoption peuvent aussi être observées dans les registres; les acteurs peuvent être confrontés à des informations parfois contradictoires ou encore essuyer le refus d’une des parties à être contactée, ce qui peut être vécu comme une blessure supplémentaire. D’ailleurs, la conciliation entre les demandes des adoptés en regard de la connaissance de leurs origines et les conditions d’accès aux informations de leur dossier reste difficile encore aujourd’hui en raison des cadres légaux et des perceptions culturelles qui font perdurer les mesures de confidentialité dans plusieurs pays (Jeannin et Roulez, 2019). Lorsque des retrouvailles sont rendues possibles, le manque d’accès à un accompagnement psychosocial adapté peut aussi représenter un défi majeur, considérant que ces réunions peuvent être déstabilisantes pour les parties impliquées ou encore peu encadrées. Les contextes de dévoilement mettent en lumière les différents enjeux et points de tension éthiques rattachés au processus de recherche des origines et aux retrouvailles, tels que l’auto-détermination des individus, les impacts des révélations, le droit de savoir versus le droit à la confidentialité, etc. (Koh et Reamer, 2021).

Dans leur article, Irene Salvo-Agoglia et Soledad Gesteira abordent la question de la nomination en contexte d’adoption en Argentine et au Chili. Les auteures montrent comment les pratiques relatives au maintien, à la modification ou à la combinaison des noms et des prénoms s’inscrivent dans un processus de construction identitaire dynamique. Les auteures abordent ainsi l’acte de nommer et surtout de renommer comme une façon pour l’adopté d’affirmer son identité et de se positionner en regard de ses liens de parenté. Parallèlement, l’étude menée auprès d’adultes adoptés entre 1965 et 1996 met en lumière un contexte particulier sur le plan socio-historique et politique marqué entre autres par la dictature en Argentine et par des pratiques d’adoption irrégulières, voire illégales. Le phénomène des adoptions illicites concerne des adoptions qui ne visent pas le développement optimal et l’intérêt de l’enfant, mais qui privilégient plutôt une logique de dissimulation ou d’appropriation par les adultes (Denéchère et Macedo, 2023). Dans certains cas, ces adoptions sont tout à fait illégales alors que dans d’autres, elles sont réalisées par les voies légales, mais contournent les obligations éthiques qui lui sont généralement rattachées (Baglietto et al., 2016). Cependant, ce type d’adoption ne remplit pas son obligation primaire : protéger le droit des enfants à faire reconnaître leurs relations familiales, un droit qui fait partie intégrante du développement de l’individu (Baglietto et al., 2022). Cette réalité rappelle que l’adoption peut révéler un déséquilibre des pouvoirs et être utilisée comme un moyen de renforcer certaines politiques sociales et nationales et de contrôler les naissances (Swain, 2021).

Les méthodes d’accès et de recherche des origines se sont multipliées ces dernières années. Le mouvement d’ouverture dans les démarches formelles d’accès aux informations s’accompagne dorénavant de méthodes informelles autrefois inexistantes ou moins couramment utilisées, telles que les tests d’ADN (Casas, 2018 ; May et Grotevant, 2018) ainsi que le recours aux réseaux sociaux (Black et al., 2016 ; Skandrani et al., 2020 ; Thomson-Sweeny, 2021). Ainsi, les démarches d’accès aux origines peuvent combiner des canaux de recherche officiels et d’autres de nature plus officieuse utilisées à l’initiative de l’un ou de plusieurs membres de la famille. Ces contacts sans intermédiaire comportent certains avantages, mais peuvent aussi être déstabilisants et bousculer les acteurs concernés dans leur trajectoire de vie et leur identité. Considérant la présence grandissante de ces technologies génétiques et de communication numérique au sein de nos sociétés, il s’avère nécessaire d’appréhender comment ces outils sont utilisés par les acteurs de l’adoption pour identifier leur parenté biologique, leurs origines géographiques et leur héritage culturel, et de comprendre leurs retombées familiales, identitaires et émotionnelles (Siegel, 2012; Lord, 2018 ; Shier, 2021).

L’adoption et la procréation assistée

Le recours à la procréation assistée semble être la source de différents mouvements associés à l’adoption (Martial et al., 2021). D’un côté, il permet à des parents de privilégier la voie médicale pour accéder au projet parental et contribue sans doute à la diminution du nombre d’adoptions (Ramirez-Galvez, 2014 ; Potter et Font, 2021 ; Molina, 2022). Dans d’autres situations, le recours à la procréation assistée se déploie en parallèle de l’adoption et sert principalement à faire reconnaître légalement l’un des parents impliqués dans le projet parental qui demeure sans reconnaissance légale (Roy, 2007 ; Malmquist, 2015).

Dans leur article, Kévin Lavoie, Isabel Côté et Sophie Doucet discutent du processus menant à la parentalité chez les couples ayant recours à la grossesse pour autrui (GPA). Les auteurs montrent la complexité des enjeux juridiques, sociaux et familiaux qui se posent pour les acteurs impliqués dans ce type de projet parental. Ils mettent également en lumière comment l’adoption peut être utilisée comme une stratégie de reconnaissance parentale, elle-même révélatrice d’une certaine conception de la parenté, de la maternité et de la filiation. L’adoption en contexte de GPA et de procréation assistée montre aussi comment la législation et l’encadrement légal des pratiques peuvent s’avérer déterminants dans la définition juridique des liens de parenté.

Ainsi, l’adoption et la procréation assistée créent des zones de croisement dans lesquelles s’articulent des considérations juridiques, médicales et familiales. Les cas de figure liés à cet usage de l’adoption dans un but de reconnaissance parentale concernent des couples hétérosexuels ou homosexuels ayant recours à une troisième partie pour concrétiser leur projet parental et évoluant dans un contexte législatif qui ne reconnait pas l’un des parents d’intention.

Conclusion

L’adoption revêt différents usages qui ont évolué historiquement et géographiquement. Elle se déploie dans différents contextes familiaux, juridiques et sociétaux. Malgré l’observation d’une diminution du nombre d’adoptions, tant au niveau national qu’international, les enjeux qu’elle pose continuent d’être d’actualité et suivent les dynamiques familiales et l’évolution des liens familiaux. L’usage de l’adoption en parallèle de la procréation assistée, le recours aux tests génétiques pour connaître ses origines, l’utilisation des médias sociaux dans la recherche d’apparentés, et plus globalement, les plaidoyers en faveur d’une plus grande flexibilité en regard des rôles et des statuts parentaux sont des phénomènes qui participent à la transformation de l’institution de l’adoption et des pratiques qui la caractérisent.

Dans ses fondements, l’adoption continue d’être appréhendée comme une institution de filiation qui s’appuie sur la recherche du meilleur intérêt de l’enfant et de son bien-être (Lavallée, 2005). Au-delà du consensus en regard de ses principes directeurs, l’adoption met aussi en évidence le difficile équilibre entre les droits, les objectifs et les préoccupations des enfants, des parents d’origine et des adoptants. Les défis éthiques qui en émergent sont multiples. Par exemple, en adoption internationale, le transfert d’enfants des pays défavorisés vers les pays « riches » a déjà fait l’objet de plusieurs critiques et constitue un motif sous-jacent à la mise en place de la Convention de La Haye (Rotabi et Gibbons, 2012 ; Piché, 2021). Cette convention internationale vise à protéger les enfants et leurs familles contre le trafic d’enfants et les risques d’adoptions illicites et permet aux enfants délaissés ou abandonnés d’évoluer dans leur pays d’origine, en protégeant autant que possible leurs liens familiaux et leur identité culturelle. Cependant, il est tout de même permis de s’interroger sur la part d’enfants qui demeurent en milieu institutionnel, qui ne seront jamais adoptés ou réinsérés dans leur famille, ni ne pourront bénéficier d’un environnement affectif familial stable (Piché, 2021).

À plus petite échelle, le recours à l’adoption dans les systèmes de protection de l’enfance est aussi l’objet de remises en question et de réflexions éthiques. Bien que plusieurs études fassent état de la stabilité et de la permanence des projets d’adoption pour les enfants victimes de maltraitance ou de négligence pris en charge par les services de protection de l’enfance (Vinnerljung et Hjern, 2011 ; Rolock et White, 2016 ; Lindner et Hanlon, 2024), des questions sont tout de même soulevées : doit-on privilégier un projet d’adoption même sans le consentement des parents? Le recours à l’adoption dans un tel contexte témoigne-t-il d’un manque de soutien et de services auprès des parents d’origine? Les interventions auprès des familles vulnérables sont-elles mises en place assez tôt pour mieux prévenir les ruptures familiales? Dans le même ordre d’idées, le refus de reconnaitre des formes alternatives à l’adoption plénière limite-t-il les possibilités de répondre aux besoins de certains de ces enfants?

La diminution du nombre d’adoptions nationales et internationales demeure en elle-même questionnable : répond-elle véritablement à l’intérêt de l’enfant? Dans plusieurs contextes, l’adoption demeure sous-utilisée par rapport à d’autres modalités d’accueil, de placement ou de prise en charge des enfants. Malgré les défis qu’il pose, le recours à l’adoption demeure une institution créatrice de liens filiatifs et familiaux qui génère des bénéfices non négligeables pour les enfants et les familles. Il est somme toute surprenant que dans certains cas on lui préfère des types de placement qui n’offrent pas à l’enfant le même niveau de stabilité légale et affective.

Il sera certainement intéressant de suivre l’évolution et les usages de l’adoption au cours des prochaines décennies. Les différents exemples rapportés et discutés dans les contributions du présent numéro illustrent la persistance d’enjeux qui pourront certainement faire l’objet d’études et de réflexions plus approfondies dans le futur. Le présent numéro se veut une contribution à ces réflexions actuelles et à venir.