Corps de l’article

Contexte

Les équipes de liaison

Cinq équipes de liaison pédiatriques ont été reconnues officiellement en Belgique et agréées par l’Arrêté royal du 15 novembre 2010 avec des missions bien définies (Moniteur Belge, 2010). Une sixième équipe s'est rajoutée en 2022. Ces équipes interdisciplinaires ont pour objectif d’assurer la continuité et la coordination des soins entre l’hôpital et le domicile pour tout enfant atteint de pathologie lourde ou en fin de vie.

« La prise en charge d’un enfant bénéficiant de soins palliatifs pédiatriques (SPP) à domicile nécessite un travail de collaboration, de confiance mutuelle, d’adaptation et de créativité pour offrir à l’enfant et à son entourage la meilleure qualité de vie possible. Les équipes de liaison ont un rôle de communication entre les différents partenaires de soin, et de relais, un rôle de transmission des informations, d’accompagnement de l’enfant et de sa famille pendant la phase curative, palliative et/ou de deuil, ainsi qu’un rôle de soutien à l’équipe du domicile. » (Renard, 2021 : 24-28).

Les équipes de liaison pédiatrique instaurées par la législation belge sont composées d’infirmiers, d’un médecin et d’un psychologue. Elles dépendent règlementairement d’un hôpital universitaire. Elles sont spécialisées en soins palliatifs pédiatriques. Ces équipes pluridisciplinaires interviennent en seconde ligne, c’est-à-dire en soutien des membres des équipes de première ligne (les équipes de soins de proximité : médecin traitant, infirmiers à domicile, physiothérapeutes, etc.) et mettent leur expertise à leur disposition. Elles doivent être joignables en permanence 24 h/24 - 7 j/7 et leur intervention est gratuite (Fédération wallonne des Soins Palliatifs, 2018).

Les auteurs du présent article dépendent des Cliniques universitaires Saint-Luc à Bruxelles. L’équipe de liaison pédiatrique, dénommée « équipe Interface pédiatrique », est notamment composée de six infirmiers spécialisés en SPP. L’expertise pédiatrique de l’équipe de liaison concerne les niveaux tant clinique, psychoaffectif, social que spirituel de l’enfant et de son entourage. Avec les soignants à domicile, l’équipe évalue, anticipe, prend en charge les symptômes chez l’enfant et partage son savoir dans la gestion de la douleur. Elle assure également, le moment venu, un accompagnement au deuil pour le réseau proche de l’enfant. La figure 1 schématise les différents rôles qui incombent aux infirmiers de l’équipe de liaison.

Figure 1

Rôles de l’équipe de liaison pédiatrique

Rôles de l’équipe de liaison pédiatrique
Tiré de : De Terwangne (2018), adapté de Friedel, M. et al., 2e Conference International Children’s Palliative Care Network, 2016.

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La figure 2 nous permet de visualiser le réseau des professionnels de la santé autour de l’enfant gravement malade. Les flèches « Interface » (nom donné à l’équipe de liaison des Cliniques universitaires Saint-Luc) représentent l’équipe de liaison pédiatrique.

Figure 2

L’équipe de liaison pédiatrique Interface et la prise en charge multidisciplinaire de l’enfant gravement malade

L’équipe de liaison pédiatrique Interface et la prise en charge multidisciplinaire de l’enfant gravement malade
Tiré de : De Terwangne, 2014.

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Afin de préparer un retour à domicile de l’enfant et d’y associer dès le départ les acteurs de terrain, il est indispensable d’élargir aux intervenants de 1re ligne la confiance que l’enfant et sa famille mettaient dans les services de l’hôpital. Ce retour n’a lieu qu’à la condition que la famille y soit prête. L’objectif du médecin spécialiste hospitalier et de l’équipe de liaison est de garantir aux familles que la prise en charge perdure jusqu’au domicile et que la continuité des soins y est assurée.

Figure 3

Retour à domicile de l’enfant gravement malade

Retour à domicile de l’enfant gravement malade
Tiré de : De Terwangne (2018), dans Renard (2021), p. 31.

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L’enfant suivi par une équipe de liaison spécialisée en soins palliatifs pédiatriques est au centre de toutes les attentions. Depuis l’annonce d’un diagnostic grave, l’enfant et ses parents vivent une succession temporelle d’évènements lourds. Certains enfants seront accompagnés durant quelques semaines ou quelques mois, d’autres quelques années. Les parents et l’enfant cheminent vers un inconnu stressant, et pour avancer dans l’approche thérapeutique de ce dernier, une équipe pluridisciplinaire est nécessaire. Dès le départ de la prise en charge de l’enfant, Ernoult et Davous (2003 : 94) expliquent que « l’équipe médicale et soignante, les parents et l’enfant doivent être animés par une volonté réciproque de faire connaissance et de se faire confiance, dans le respect du rôle de chacun, en vue d’établir un partenariat, une alliance thérapeutique de qualité ». Cette alliance thérapeutique s’inscrira dans le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant.

L’intérêt supérieur de l’enfant

L’enfant gravement malade, comme tout mineur, est un être humain disposant de droits que les prestataires de soins, tout comme les parents, se doivent de respecter afin de lui permettre d’accéder à la meilleure qualité de vie possible. Depuis l’annonce de la maladie et au fur et à mesure de son évolution, les parents, en leur qualité de représentants légaux de l’enfant, sont amenés à prendre des décisions successives.

La Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) adoptée le 20 novembre 1989 par l’Assemblée Générale des Nations Unies (ONU, 1989) consacre la place de l’enfant dans la sphère juridique et reconnaît aux enfants des libertés individuelles (droit à la participation, liberté d’expression, liberté de pensée, de conscience et de religion, liberté d’association, droit à la vie privée, liberté d’aller et venir). L’enfant visé par la CIDE est « un sujet de droit qui, d’un côté, doit recevoir une protection spécifique à l’aune de sa fragilité, et, d’un autre côté, doit être encouragé à exercer, de façon progressive, son droit à l’autonomie et à l’autodétermination » (Mathieu et al., 2021 : 171). L’article 3.1 de la CIDE stipule que « dans toutes les décisions qui concernent les enfants […], l’intérêt de l’enfant doit être une considération primordiale » (ONU, 1989 :2).

L’intérêt de l’enfant est la pierre angulaire de la CIDE. Le Comité des droits de l’enfant, chargé de sa mise en pratique, rappelle qu’il n’existe aucune définition stricte de ce concept. Il souligne au contraire la souplesse et l’adaptabilité de cette notion. L’intérêt de l’enfant devrait être ajusté au cas par cas, en fonction des circonstances.

Hammarberg (2011 : 16) affirme que la Convention des Droits de l’Enfant ne fixe pas de normes précises quant à l’évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant, mais exige « l’obligation pour les décideurs de vérifier avant toute décision ayant des effets sur un enfant ou un groupe d’enfants, si la solution proposée est compatible avec l’intérêt supérieur de l’enfant ou des enfants ». La CIDE a érigé comme principe général le droit à la participation (art.12), qui recouvre le droit de l’enfant à être entendu dans toute décision qui le concerne et celui de voir son opinion prise en considération eu égard à son âge et à sa maturité.

La Charte de Trieste, également dénommée la « charte de l’enfant mourant » (Benini et al., 2017), consacre le droit des enfants à être informés sur leur maladie et à participer aux prises de décisions qu’elle implique. Cette charte ajoute le droit des enfants à accéder aux soins palliatifs. L’enfant a le droit « d’être écouté et informé convenablement sur sa maladie en tenant soigneusement compte de ses souhaits, de son âge et de son niveau d’entendement ; de participer, selon ses capacités, ses valeurs et ses souhaits, au choix des soins et des traitements liés à sa vie, à la maladie et à la mort ; d’avoir accès à des services de soins pédiatriques palliatifs qui respectent l’intérêt supérieur de l’enfant, et que l’on évite les manœuvres futiles, excessivement pénibles ou l’abandon thérapeutique » (Benini et al., 2017 : 14).

S’agissant de soins de santé à prodiguer à des patients mineurs d’âge, la loi du 22 août 2002 relative aux droits du patient (Art. 12.§1er) confirme, en Belgique, les règles de l’incapacité du mineur et de l’autorité parentale consacrées par le Code civil, mais pas de façon totalement indépendante du patient mineur capable de se forger une opinion.

Différents critères sont pris en considération pour cette évaluation : « l’âge (sans que ce critère constitue l’élément décisif), l’intelligence, la maturité, la personnalité, l’éducation, la situation familiale, le milieu social […] mais aussi la nature de l’intervention, du traitement ou de l’acte médical projeté, ainsi que l’expérience de la maladie déjà connue du patient » (Mathieu et al., 2021 : 224).

Même si l’importance de l’avis du mineur est reconnue dans les prises de décisions le concernant, les parents demeurent les principaux partenaires d’interaction avec les prestataires de soins palliatifs. On note que « la participation de l’enfant à la prise de décision est souvent secondaire. Cela est particulièrement vrai pour les soins de fin de vie ou pour les enfants ayant des capacités cognitives limitées » (Santoro et al., 2018 : 1). Si l’intérêt supérieur de l’enfant est la visée ultime des soins, un outil clinique concret permettant de le mettre en œuvre pourrait être le processus décisionnel partagé (PDP).

Repères théoriques existants dans le processus de décision partagée (PDP)

Une fois un climat de confiance créé autour de l’enfant, un dialogue peut s’établir et les parents peuvent prendre leurs décisions de manière éclairée en synergie avec leur enfant et l’équipe soignante. Tel est l’objectif visé par le processus de décision partagée (PDP).

Selon Jordan et al. (2020 : 672), le PDP se définit « quand le patient, la famille et l’équipe soignante s’associent pour prendre des décisions concernant la santé de l’enfant. Ce partenariat implique un échange d’informations médicales, mais également d’informations sur les préférences et les valeurs du patient pédiatrique et de sa famille. Ensemble, ils délibèrent afin de déterminer le meilleur plan d’action pour l’enfant ».

Cela nécessitera de fournir à l’enfant et sa famille « les données scientifiques de la plus haute qualité sur les avantages et les risques des différents traitements, l’expertise et le jugement clinique du médecin, et de prendre en compte les opinions et les croyances du patient et de sa famille ». Le PDP permet une approche individualisée, en dehors de tout protocole stéréotypé (Valdez-Martinez et al., 2014 : 2).

Friedel (2020) met en évidence toute la complexité des processus décisionnels partagés en soins palliatifs. Gérer des situations cliniques complexes peut être confrontant à la suite d’enjeux et de défis psychologiques, cliniques, éthiques, sociologiques et/ou économiques. Le vécu, la temporalité et les perspectives divergentes des personnes, ainsi que des objectifs différents peuvent impacter le processus. « Les membres de l’équipe soignante doivent pouvoir exercer leur partenariat et partager leurs connaissances de manière régulière, en communiquant systématiquement les informations tout au long du processus thérapeutique » (Légaré et al., 2011 : 555) tant entre eux qu’avec l’enfant et ses parents. La famille est en effet un partenaire incontournable.

Juárez-Villegas et al. (2021) confirment que les décisions doivent veiller à respecter l’intérêt supérieur de l’enfant en l’impliquant, avec ses parents, dans le processus décisionnel. En effet, « les parents sont responsables au point de vue légal et présumés agir dans le meilleur intérêt de l’enfant. Ils acquièrent des compétences particulières dans l’évaluation des symptômes et la gestion de ceux-ci » (Renard, 2021 : 14). Ce point de vue est partagé par Jordan et al. (2020 : 672) qui rapportent que « les parents ne sont pas des experts de la maladie, mais des experts de la façon dont elle affecte leur enfant ». Les auteurs proposent certaines questions auxquelles les parents peuvent facilement répondre : « à quand remonte sa dernière rechute et qu’est-ce qui l’a déclenchée ? Comment a-t-il été affecté par les effets secondaires des médicaments ? Son corps a-t-il réagi rapidement aux différents traitements ? Ces connaissances deviennent précieuses lorsqu’il s’agit de discuter de décisions importantes avec l’équipe médicale » (Jordan et al., 2020 : 672-674). Parallèlement à ces questions, une recherche de données plus contextuelles est nécessaire et de nature à optimaliser les soins.

En moyennant une confiance mutuelle, le médecin, l’enfant et ses parents pourront développer un PDP, c’est-à-dire délibérer ensemble quant au meilleur plan d’action à suivre pour soigner l’enfant. Cela implique un échange d’informations médicales, mais aussi une connaissance des attentes de la famille et de son questionnement culturel (Jordan et al., 2020).

Comme le précisent Hill et al. (2014 : 1), « les parents d’enfants gravement malades sont confrontés à une situation extrêmement difficile, et parfois écrasante sur le plan émotionnel : leur enfant peut mourir dans un avenir proche ou vivre avec une maladie chronique gravement débilitante, devenir médicalement fragile et nécessiter souvent un traitement médical intensif et des technologies pour rester stable ». Les parents, agissant dans l’intérêt supérieur de leur enfant, sont les principaux décideurs pour lui. En fonction de l’évolution de son état de santé et de leur propre état émotionnel, leurs objectifs peuvent varier puisque la prise de décision est toujours singulière.

Carroll et al. (2012) montrent sur la figure 4 les multiples influences pouvant agir sur la prise de décision des parents concernant leur enfant malade. Ces domaines d’influence sont pondérés de manière différente dans chaque famille et peuvent évoluer dans le temps.

Figure 4

Les influences sur la prise de décision identifiées par les parents d’enfants recevant des SPP

Les influences sur la prise de décision identifiées par les parents d’enfants recevant des SPP
Tiré de : Carroll et al. (2012)

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Pour l’équipe soignante, il est important de bien comprendre les différents enjeux pouvant se présenter lors de la mise en place d’un PDP.

Chénard (2015) a mis en évidence la complexité de la trajectoire décisionnelle que suivent les parents d’un enfant gravement malade, chacune avec sa spécificité. Les décisions s’enchaînent les unes aux autres et sont conditionnées par de nombreux facteurs. L’auteure propose une lecture écosystémique des facteurs susceptibles d’orienter les décisions des parents. Les systèmes d’influence qu’elle a identifiés peuvent se synthétiser comme suit :

L’ontosystème concerne les caractéristiques parentales, soit l’ensemble des croyances, des valeurs ou des besoins des parents. Ces valeurs peuvent amener les parents à porter un jugement sur la qualité de vie en général et sur leur façon de se représenter la médecine. L’état émotionnel des parents (par exemple, leur attitude face à la détérioration soudaine de la condition de l’enfant, l’espoir en sa guérison, etc.) peut influer sur leur décision.

Le microsystème, ou plutôt la juxtaposition de plusieurs microsystèmes d’influence tels que les lieux et les personnes assidûment fréquentés par l’enfant (impact de la maisonnée et de tous ceux qui y habitent), la situation et l’état de l’enfant (son âge, son pronostic, son potentiel de développement, son inconfort, la gestion de sa douleur, sa capacité à être en lien, etc.), la fratrie et les répercussions sur elle de la maladie chronique, le microsystème du couple, celui des proches, le microsystème professionnel (composé des médecins et des intervenants impliqués auprès de l’enfant et des parents). Ces différents facteurs peuvent peser sur la décision médicale, mais aussi sur tout type de décisions annexes (le choix de crèche, la déscolarisation par peur des microbes, la gestion des problèmes alimentaires par sonde naso-gastrique ou par sonde de gastrostomie, etc.).

Le mésosystème correspond aux interactions entre les microsystèmes, permettant de soutenir la décision et la vie de famille. Il se distingue en trois catégories : le réseau de soutien informel (implication de membres de la famille, de proches, d’amis, etc.), le réseau semi-formel (organismes communautaires, philanthropiques, publics pouvant offrir une aide instrumentale ou financière, associations de parents, etc.) et le réseau formel (les médecins et les professionnels de l’hôpital, les centres d’accueil, les garderies et maisons de répit, l’école et le secteur privé avec offres de soin, etc.).

L’exosystème se réfère à l’incidence du contexte et des circonstances dans lesquelles s’insèrent les décisions (quantité et qualité des informations disponibles, état d’incertitude quant à la durée, le déroulement et l’issue de la maladie, impossibilité de prévoir tous les risques et de les anticiper, urgence quand l’enfant se dégrade et imposition parfois de décisions rapides, etc.)

Le macrosystème correspond au poids des normes sociales et constitue l’ensemble des valeurs, des croyances et des idéologies véhiculées dans la société ou dans une communauté donnée, qui peuvent aiguiller la trajectoire décisionnelle.

Le chronosystème fait référence à l’importance du temps et de l’expérience accumulée au cours des processus. Il traverse tous les systèmes. Des événements extérieurs à la maladie et vécus par la famille peuvent avoir une influence importante sur la décision (déménagement, deuil familial, séparation, naissance, etc.). Il en est de même de l’évolution médicale de l’enfant, à savoir les éventuels accrocs, répétitions ou imprévus intervenus dans le traitement médical et les ressentis qui en ont résulté. Le savoir médical des parents accumulé depuis l’annonce du diagnostic et la richesse du lien progressivement tissé avec l’équipe médicale permettent de renforcer le partage des expertises humaines et médicales et d’orienter la prise de décision (Chénard, 2015).

Figure 5

Regard écosystémique porté sur la trajectoire décisionnelle

Regard écosystémique porté sur la trajectoire décisionnelle
Tiré de : Chénard, 2015, p.187.

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Cette analyse écosystémique témoigne de la multiplicité des facteurs susceptibles d’agir sur la décision. Elle montre la complexité du chemin que prend la décision des parents et constitue un outil utile à la compréhension pour le personnel soignant.

Le PDP est donc une démarche singulière, adaptée à chaque famille, et dont l’objectif est de choisir, en synergie avec tous les intervenants, un plan d’action qui correspond optimalement à l’intérêt supérieur de l’enfant, dans le contexte de chaque situation particulière.

Objectifs 

L’objectif principal de cette étude est de mettre en évidence les enjeux de l’intérêt supérieur de l’enfant dans le PDP et en situation de soins palliatifs pédiatriques.

Les objectifs secondaires sont de confronter ces enjeux aux facteurs influençant la prise de décision (Chénard, 2015) et aux facteurs éthiques proposés par Beauchamp et al. (2013), ainsi que d’explorer comment des outils d’analyse permettraient de comprendre les positionnements respectifs et de faciliter la gestion de ces divergences (Hill et al., 2014) lorsque les objectifs poursuivis par les parents ne correspondent pas à ceux de l’équipe médicale.

Méthode

L’approche choisie est l’étude de cas (Crowe et al., 2011) parce qu’elle propose d’étudier en profondeur et sous plusieurs angles des questions complexes dans leur contexte réel. Selon Yin (2012), les études de cas peuvent être utilisées pour expliquer, décrire ou explorer des évènements surgis dans leur contexte réel. Cette méthode permet de détailler un cas clinique, d’afficher un aperçu de ses différents aspects et d’analyser une problématique née d’une confrontation personnelle à une situation professionnelle spécifique. Elle donne également l’occasion d’examiner les expériences des soignants et d’en tirer des leçons plus générales. Il s’agit ici d’une étude de cas intrinsèque, qui nous fournira matière à en savoir plus sur un phénomène unique (Duport, 2020). Notre approche sera interprétative afin d’obtenir une compréhension plus naturelle du problème et de ses significations sociales individuelles, tout en remettant en question nos propres hypothèses en développant une analyse réflexive.

Nous reconnaissons les limites de cette méthode : la taille restreinte de l’échantillon, la non-réplicabilité de l’étude, l’analyse interprétative unilatérale des soignants sans le point de vue de la famille, et le point de vue des observateurs impliqués dans les situations (l’équipe de liaison, médecins spécialistes, psychologues) sans analyste externe. En tout état de cause, cette approche méthodologique pourrait être le point de départ d’une analyse plus approfondie et sur laquelle l’équipe soignante pourrait asseoir sa réflexion.

Les deux cas retenus dans le cadre de cet article ont été choisis en raison de leur caractère spécifique commun, qui a représenté un réel enjeu pour notre équipe de liaison pédiatrique. Ces deux situations ont mis en évidence la difficulté de défendre l’intérêt supérieur de l’enfant au sein d’un processus de décision partagée. Elles ont questionné le travail d’accompagnement de l’équipe soignante et ont provoqué un sentiment d’insatisfaction de l’équipe. Tout porte à croire que les milieux familiaux ont également vécu l’expérience avec insatisfaction.

L’analyse de ces situations, avec l’outil clinique du PDP en lien avec l’analyse des facteurs influençant la prise de décision (Chénard, 2015), permettra de développer des pistes de compréhension des positionnements respectifs de l’enfant et ses parents. Les quatre principes éthiques identifiés par Beauchamp et al. (2013) et indispensables à la pratique médicale éclairciront la situation des prestataires de soins dans de telles situations :

  • le principe d’autonomie. Il suppose que le choix de la personne soit volontaire, que cette personne soit informée de manière adéquate, avec une analyse par le personnel soignant des différentes pistes d’action possibles et qu’on privilégie la transparence médicale.

  • les principes de bienfaisance (celui de bénéfice positif et celui d’utilité) et de non-malfaisance (ne pas infliger de tort intentionnellement). Ces deux principes amènent à considérer les balances bénéfices-risques et bénéfices-fardeau. La bienfaisance commande certaines actions, et la non-malfaisance en proscrit d’autres : il s’agit de deux points essentiels dans l’éthique clinique.

  • le principe de justice. Il préconise l’accès équitable à des soins de santé de qualité appropriée, ce qui implique une absence de discrimination.

Il est à noter que ces principes sont des guides pour aider à la discussion par rapport aux différentes alternatives de soin possibles. Ils s’adaptent à chaque enfant et à chaque contexte, et permettent par la discussion, la communication et le partage des informations d’assurer une prise en charge optimale de l’enfant. Associer ces principes d’éthique clinique au PDP est donc très complémentaire.

Nous nous sommes basés sur la situation donnée, l’expérience vécue par les professionnels, les rapports de suivi des enfants visés dans les deux cas cliniques retenus, les rapports médicaux et les réunions multidisciplinaires hospitalières autour de 4 médecins spécialistes, de 2 psychologues et de l’équipe de 6 infirmiers de liaison. L’analyse a pu être approfondie en partageant nos interprétations individuelles pour trouver des pistes d’action collective, en considérant l’impact de ses situations sur notre ressenti et le cadre de notre travail. Nous avons respecté la confidentialité concernant les données des enfants en transformant leur nom et en neutralisant la description de leur contexte socio médical.

Situations cliniques

Situation 1 : description

Salim est âgé de 7 ans et vit à 75 km de Bruxelles. Il a des parents qui semblent unis et une grande sœur adolescente. Les grands-parents, oncles et tantes habitent dans un rayon proche de 5 km de la maison. La famille apparaît comme très solidaire et appartient à une communauté culturellement homogène.

La maman est une mère au foyer et le père, un travailleur autonome , peut organiser son travail de son domicile. Ils sont très présents autour de Salim chez qui a été diagnostiquée une leucémie rare à l’âge de 4 ans. Le pronostic est réservé.

Après traitement, Salim a connu plusieurs récidives. Au bout de plusieurs années, on détecte une majoration de la blastose intramédullaire. A ce moment, les médecins décident de présenter l’équipe de liaison pédiatrique à la famille.

Salim a été suivi aux Cliniques universitaires Saint-Luc à Bruxelles, et en parallèle, par l’équipe médicale d’un hôpital proche de chez lui afin d’éviter aux parents des navettes fatigantes. L’équipe médicale de Saint-Luc responsable de Salim a toujours été très claire avec les parents, demandeurs de transparence. Lorsque confrontés à la réalité, les parents ont développé des attitudes d’agressivité vis-à-vis de cette équipe soignante. Ils n’ont plus voulu venir à Bruxelles, vantant l’humanisme de l’autre hôpital et les mettant en opposition. Ce processus perdura jusqu’à ce que les médecins de cet autre hôpital ne partagent plus la même vision que les parents. Comme le dit Oppenheim (2010 : 2), « comment accepter l’idée que le traitement est un échec et que la mort est presque certaine alors qu’on est encore en pleine forme ! »

La communication fut cadenassée par les parents. Salim souffrait d’une hépatosplénomégalie majeure avec une formule sanguine qui se détériorait de jour en jour. Ses plaquettes sanguines et son hémoglobine atteignaient des seuils critiques. Il était indispensable pour l’équipe de liaison d’évaluer la situation et le confort de Salim. Il était toutefois impossible de parler à l’enfant sans qu’un parent réponde à sa place : « mais non, il n’a pas mal ! N’est-ce pas Salim, tu n’as pas mal ! ».

Les médecins spécialistes de Bruxelles comme ceux de l’hôpital de proximité vinrent au domicile et prirent le temps nécessaire pour faire le point avec les parents, réexpliquer le bilan de la situation et redéfinir le plan d’action. Cela fut en vain : les parents refusaient toute intervention médicale autre que celle qu’ils jugeaient conforme à leur vision de l’intérêt de l’enfant.

Ils n’autorisèrent finalement plus l’accès de l’équipe au domicile que pour effectuer des soins techniques de base : prise de sang et à la suite des résultats, administration de plaquettes. À défaut, l’équipe n’avait plus accès au domicile. Tout accompagnement palliatif était refusé.

À un moment donné, les plaquettes sanguines n’eurent plus de justification médicale. Les œdèmes se généralisaient, Salim était inconfortable. La gestion de la douleur resta sous le contrôle du père. La confiance avec l’équipe de liaison ne tenait qu’à un fil. Le père continuait de réclamer des plaquettes et des transfusions de globules rouges malgré l’inutilité médicale et la lourdeur du traitement pour l’enfant. En dépit des explications sur la non-nécessité, voire sur la dangerosité des dérivés sanguins, les parents menaçaient de se rendre aux Urgences de l’hôpital de proximité avec Salim, dont le service serait légalement obligé de le soigner.

Ces attitudes parentales étaient perçues par l’équipe de soins comme un chantage des parents pour imposer leurs points de vue et leurs propres croyances par rapport au savoir scientifique et à l’expérience de l’équipe soignante.

Le père, dans la détresse qui était la sienne, s’était attribué les compétences de médecin. À ses yeux, son avis était le seul bon et il en usait pour exiger des actes médicaux inappropriés. Dans ce type de situation, où se trouvait l’intérêt supérieur de Salim dans cette situation ?

Il faut rappeler que le but des SPP est d’aider à maintenir la meilleure qualité de vie à l’enfant, qui est placé au centre de la prise en charge. La question qui se posait ici était de savoir comment agir dans l’intérêt supérieur de cet enfant et comment protéger sa qualité de vie ? L’équipe de liaison n’était plus capable de prendre des décisions partagées parce que les rôles n’étaient plus respectés, les parents étant sortis du cadre de leurs compétences. Pour être de bons parents, selon leurs valeurs, ils devaient tout faire pour sauver leur enfant, c’est-à-dire le maintenir en vie à tout prix. Quant à Salim, il était à la fois dans une relation de protection à l’égard de ses parents et de sujétion par rapport à eux.

Salim amena finalement ses parents à le suivre : très affaibli, avec une détresse respiratoire progressive, il demanda à aller à l’hôpital pour recevoir du MEOPA, gaz aux propriétés anxiolytiques et analgésiques qui ne peut pas être administré à domicile. À l’arrivée de Salim et de ses parents aux Urgences, une pédiatre de garde qui ne les connaissait pas les prit en charge et appela l’équipe de liaison pour la seconder. Les besoins en oxygène de Salim étaient au maximum à son arrivée. Il fut confortablement installé dans une chambre. À l’aide de beaucoup de patience et de temps, la pédiatre expliqua aux parents que Salim était épuisé et qu’il avait surtout besoin d’avoir ses parents près de lui pour l’aider à vivre ces derniers moments.

Les parents firent venir les deux grands-pères et au bout de 45 minutes de discussion entre eux, la décision fut prise d’accepter d’administrer des antidouleurs par intraveineuse. Salim est décédé paisiblement à l’hôpital 12 h plus tard.

Situation 2 : description

Quentin est un adolescent de 13 ans, selon toutes apparences, bien entouré par ses parents qui est leur enfant unique. Suivi par l’équipe de liaison depuis 11 ans, il souffre d’une leucodystrophie métachromatique et a une scoliose très sévère avec ostéoporose dans un état grabataire. Il continue à manger avec beaucoup d’efforts, mais les parents sont très réticents à la mise en place d’une sonde naso-gastrique. Quentin est oxygèno-dépendant par moment, a une tendance à faire des escarres, et ne pèse que 12 kg.

Quentin est suivi par la neuropédiatre des Cliniques universitaires Saint-Luc, par un médecin traitant et une équipe de soignants de proximité très présente et soutenante (2 physiothérapeutes et 2 éducateurs).

À plusieurs reprises, Quentin a donné des grosses frayeurs à ses parents lors de crises majeures. Ces derniers sont conscients de la fragilité de leur fils et savent qu’il relève désormais des soins palliatifs pédiatriques. À un moment donné, la santé de Quentin s’est dégradée, avec beaucoup de signes de fatigue et d’hypo-oxygénation. Il avait besoin de 4 litres d’oxygène par minute et ne mangeait plus. Les parents ont demandé à l’infirmier de liaison de venir placer une perfusion en voie sous-cutanée pour l’hydrater. Cependant, après consultation avec la neuropédiatre, il est proposé que Quentin vienne plutôt en hospitalisation pour le mettre sous perfusion périphérique. La neuropédiatre ne veut pas lui placer une perfusion pour réhydratation à domicile, mais une sonde naso-gastrique.

Les parents refusent la sonde naso-gastrique et se tournent dès lors vers le médecin traitant. Ils lui expliquent qu’ils ne veulent pas aller à l’hôpital et lui demandent de placer une perfusion par voie sous-cutanée. Le médecin traitant accepte de trouver une équipe d’infirmiers de proximité qui pourrait venir placer cette perfusion périphérique à domicile.

Le physiothérapeute de proximité prévient l’équipe de liaison du choix des parents et de l’arrangement avec le médecin traitant. Comment réagir ? Quel est l’intérêt supérieur de l’enfant ? Qu’en est-il de l’alliance thérapeutique entre l’enfant, les parents et les soignants ?

Afin de remettre Quentin au centre des attentions, la neuropédiatre est venue avec l’infirmier de l’équipe de liaison au domicile. Ils ont pris le temps d’entendre les parents, d’évaluer l’état de Quentin et d’expliquer pourquoi une sonde naso-gastrique était plus appropriée qu’une perfusion. Il a fallu 2 h 30 de discussion pour reparler de Quentin, des soins palliatifs, de son confort et de la valorisation des parents dans le rôle qu’ils remplissent à merveille.

Analyse

Dans la situation 1, les parents ne se situaient plus dans une approche palliative. Ils ne se fiaient plus qu’à eux-mêmes. Le climat de confiance était rompu, malgré les tentatives des soignants pour essayer de la rétablir. Comment faire entendre la voix de Salim ? Comment préserver le lien enfant-parent afin de continuer la prise en charge de Salim jusqu’à son décès, sans jugement à l’égard des parents ?

En utilisant le modèle conceptuel de Chénard (2015), on peut retracer la trajectoire décisionnelle suivie par les parents, identifier l’importance de la durée relative de la période durant laquelle Salim était un enfant « presque normal » à leurs yeux, et l’impact de cette influence sur leur doute quant à la nécessité d’une prise en charge palliative. D’autres influences internes aux microsystèmes (cellule familiale et influence des proches entre autres) et les différents enjeux (mésosystème) entre la famille et le corps médical (partagé entre deux hôpitaux différents) ont probablement joué un rôle important dans la rupture de confiance.

La question de l’intérêt supérieur de l’enfant semble vécue très différemment par la famille et les soignants : les professionnels considèrent l’intérêt supérieur de l’enfant pendant sa vie actuelle et pensent à son confort et au soulagement de la douleur, à une limitation des agressions de soins. À la perspective que son enfant va mourir, la famille peut chercher à donner tous les moyens pour qu’il vive et à terme lui donner une « bonne mort », soit une existence ultérieure dans un paradis religieux. Le travail de l’équipe ne peut faire l’impasse sur les données contextuelles spécifiques des croyances religieuses de l’enfant et de sa famille. Dès lors, la mission des soignants sera de communiquer autour de l’intérêt supérieur de l’enfant auprès de la famille, de la communauté dans laquelle ils vivent et des responsables religieux la conseillant. La présence active des deux grands-pères a servi de ressource permettant au système familial de trouver une synthèse avec le système médical. Ainsi, le système familial a autogénéré la solution face à ce que le système médical interprétait comme un blocage.

Chénard (2015 : 273) explique aussi que « la confiance que le professionnel voue au jugement et aux observations des parents dans l’orientation des soins paraît déterminante de la qualité de leur relation. Inversement, la propension du médecin ou des membres de l’équipe de soins à douter des capacités du parent ou de ses observations génère méfiance et confrontation ». Dans le cas de Salim, on peut poser l’hypothèse que les parents ont ressenti la relative incompréhension des soignants par rapport à leurs options médicales.

Linney et al. (2019 : 413) mettent en avant combien un conflit peut être néfaste, stressant et énergivore émotionnellement pour toutes les personnes concernées. Ils citent Forbat et al. (2015) qui différentient trois niveaux de conflit :

  • Conflit léger, impliquant une mauvaise gestion des relations avec la famille.

  • Conflit modéré, dans lequel se produit une détérioration de la confiance.

  • Conflit sévère, avec dégradation de la relation de travail.

Le triangle Salim-parents-soignants se situait entre le niveau 2 et le niveau 3. Une guidance extérieure (telle une médiation) aurait pu aider à comprendre les blocages et à rétablir ce lien enfant-parents-soignants. Dans le cadre de la prise de décision en éthique, Guay (2014) passe en revue différents modèles mettant en scène un ou plusieurs niveaux décisionnels, à savoir médecin, patient (micro), clinique, établissement (méso) et gouvernement (macro). Dans ce relevé, Doucet (2013) propose, pour résoudre des conflits nés de visions différentes (en dehors de l’ordre légal), « l’approche de l’esprit médiateur », un PDP guidé par un tiers impartial sans pouvoir décisionnel. Légaré et al. (2011) proposent quant à eux, un modèle dans lequel ils introduisent le rôle de « coach décisionnel », personne de référence pour soutenir le patient et ses parents dans leur participation à la prise de décision. Un deuxième rôle est attribué à l’interlocuteur médical privilégié, c’est-à-dire la personne au sein de l’équipe soignante qui identifie le problème de santé et la décision qui doit être prise (Légaré et al., 2011). Les parents n’étant pas demandeurs de telles interventions, le personnel soignant s’est retrouvé limiter dans les actions qu’il proposait d’offrir, ce qui a engendré un sentiment de frustration, voire de culpabilité de ne pas pouvoir travailler correctement.

Les principes de bienfaisance et de non-malfaisance (Beauchamp et al., 2013), renvoyant à la double obligation du médecin de chercher à maximiser le bénéfice potentiel et à limiter autant que possible le dommage pouvant résulter d’une intervention médicale, sont ici en déséquilibre. L’utilisation de dérivés sanguins au-delà du raisonnable touche au principe de justice. Le corps médical et l’équipe soignante n’étaient pas dans les conditions pour agir éthiquement en toute sérénité.

La prise en charge de Salim a révélé à l’équipe de liaison combien les parents pouvaient évoluer dans le temps. Elle montra également combien les microsystèmes peuvent être sollicités comme ressources pour aider les parents : le père a été justifié par les deux grands-pères à suivre les recommandations hospitalières sans être dénié dans sa fonction de père. Légaré et al. (2011) proposent d’étendre le concept de la famille pour y inclure d’autres personnes du réseau proche. Dans la présente prise en charge, cela aurait pu concerner les deux grands-pères, mais les intégrer plus tôt aurait-il pu permettre de mieux débloquer la situation ? Auraient-ils d’ailleurs accepté d’être sollicités en dehors d’un moment ultime ? La réponse n’est pas certaine.

L’approche palliative n’est pas acquise une fois pour toutes : des contradictions avec les façons de penser la maladie et les traitements peuvent apparaître entre les parents et les soignants. Avoir un enfant très gravement malade fragilise les parents, qui généralement passent par les cinq étapes du deuil identifiées par Elisabeth Kübler-Ross (1969), soit le déni, la colère, le marchandage, la dépression et l’acceptation. Ces étapes ne sont pas linéaires, pouvant se chevaucher ou se prolonger selon les situations. Les parents peuvent faire des « allers-retours » entre ces différentes étapes, et passer de l’une à l’autre avec un temps qui leur est personnel et de façon non synchronisée. Malgré les années de suivi de l’enfant, le cas de Salim met en évidence combien les parents peuvent choisir inconsciemment de revenir aux étapes du déni protecteur ou du marchandage pour traverser cette épreuve.

De plus, cette prise en charge met en exergue l’importance de la réflexion éthique et la nécessité de développer la pratique réflexive au sujet de la situation de Salim : elle renvoie aux propres représentations de chaque intervenant médical à ses propres limites. Elle montre combien Salim était lucide par rapport à ses parents, qu’il a protégés jusqu’au bout. L’équipe de liaison s’est sentie impuissante face à cette situation et n’avait pu anticiper que le déblocage surviendrait par le biais de personnes-ressources internes au système familial. Proposer de suivre des ateliers de formation en communication interculturelle pourrait notamment être utile pour le personnel soignant.

Jordan et al. (2020) identifient comme indispensable la relation de confiance enfant-parents-soignants, qui accorde de prendre de manière conjointe les décisions optimales concernant la santé de l’enfant (PDP). Établir cette relation de confiance nécessite du temps et le contexte hospitalier ne l’octroie pas souvent. Le temps écoulé entre deux consultations et les influences extérieures des microsystèmes peuvent déformer la compréhension de la pertinence des décisions à prendre. Bénéficier d’un médecin référent unique au sein de l’équipe de liaison aurait eu un impact positif dans cette prise en charge. Ce médecin serait mandaté pour se rendre à domicile afin d’assurer la continuité du suivi et éviter que les parents ne sortent du cadre de leurs compétences.

Dans la situation 2, il s’avère que la prise en charge de cet enfant s’est étendue sur plusieurs années. Les parents étaient assez autonomes et une réunion pluridisciplinaire avec les différents intervenants entourant Quentin ne s’était plus tenue depuis des années. Le pôle coordinateur de cette prise en charge s’était déplacé de l’équipe de liaison vers les parents, tandis que le lien entre l’équipe de liaison et le médecin traitant n’a plus été nourri.

Plusieurs facteurs ont entraîné cette situation. La confiance dans l’observation et l’évaluation maternelle, confirmée pendant des années, a augmenté son autonomie et son autodétermination. À cet égard, Hinds et al. (2009) affirment que les parents décident en fonction de ce qu’ils croient être le critère du bon parent : « [u]n bon parent serait donc celui qui prend une décision éclairée et désintéressée, qui croit à la promotion des droits et des intérêts de son enfant et par surcroît fait la promotion de la santé. Le bon parent serait aussi celui qui consent à tout mettre en œuvre pour aider son enfant » (Nelson et al., 2012, cité dans Chénard, 2015, p. 293). En se référant aux systèmes d’influence modélisés par Chénard (2015), l’influence du temps (le chronosystème) et toute l’expérience acquise depuis des années ont renforcé le savoir médical des parents et leur ont donné confiance en leur jugement. Ainsi, en toute confiance dans leur connaissance médicale, ils ont décidé de ce qui était le meilleur pour leur enfant, c’est-à-dire une perfusion pour le réhydrater. Différents microsystèmes ont également influencé cette prise de décision et conforté les parents dans leur choix, à savoir les intervenants quotidiens proches des parents, qui voient l’enfant, qui soutiennent les parents et qui échangent avec eux leur expérience vécue auprès d’autres patients. De notre analyse, un autre élément est ressorti, soit le refus des parents d’aller à l’hôpital (exosystème). Le refus semble être motivé par leurs peurs et leur difficulté d’évaluer toutes les conséquences d’une hospitalisation (incertitude quant à la durée d’hospitalisation, son déroulement, son issue, ses contraintes sur l’organisation domestique ou professionnelle, etc.). Les parents sont ainsi confortés dans le désir de rester à domicile. Quoi qu’il en soit, une interaction d’influences multiples aura vraisemblablement poussé ces parents à prendre cette décision. Toutefois, n’étant pas une décision partagée, les parents avaient coupé la communication avec l’hôpital, se tournant vers le médecin traitant dans l’attente d’une réponse positive à leur demande.

Mettre une sonde naso-gastrique à son enfant peut être ressenti par les parents comme le franchissement d’une étape que l’on redoutait : ne plus savoir donner à manger à son enfant. Cela peut entraîner des craintes et faire apparaître le sentiment refoulé que la maladie continue à évoluer et qu’elle mène à son rythme vers la mort. Il est indispensable de communiquer avec les parents et de prendre le temps d’expliquer, d’écouter et de compatir. « Les cliniciens savent que la gestion des attentes peut être un défi et que la PDP peut devenir très difficile à gérer » (Valdez-Martinez et al., 2014 : 2). Les parents doivent effectivement être reconnus comme les soignants et impliqués comme partenaires majeurs dans tous les soins et décisions. Remettre les limites et redéfinir les compétences de chacun est indispensable pour une PDP adéquate.

Si on reprend les principes éthiques de Douchamp et al. (2013), ces quatre principes peuvent nous aider dans l’analyse de cette situation : le principe d’autonomie suppose que la personne soit bien informée, et que le soignant prenne du temps pour partager l’information et la reformuler si nécessaire. Les principes de bienfaisance et de non-malveillance invitent à considérer les balances bénéfices-risques et bénéfices-fardeaux. Une perfusion à domicile chez un enfant qui ne parle pas peut entraîner des risques ; le principe de justice peut également être interpellé par rapport à la qualité et le coût des soins de santé. Le médecin spécialiste ayant pris le temps de venir à domicile, la communication en présentiel a été le meilleur outil pour rétablir la confiance et pour reformuler la demande des parents. La présence du médecin et de l’équipe de liaison a mis en valeur la cohérence de la prise en charge et a légitimé la place de chacun. Le temps pris fut nécessaire pour respecter le rythme des parents, ce qui n’est pas toujours possible : la charge de travail des médecins est lourde et leur disponibilité est souvent rare. Bénéficier d’un médecin coordinateur intégré dans l’équipe de liaison aurait permis d’organiser des visites plus fréquemment et de rencontrer la famille et son médecin traitant.

Discussion

Dans un PDP, les analyses démontrent l’importance de créer un climat de confiance entre chaque intervenant, de le maintenir et de le restaurer si nécessaire en vue d’assurer une prise en charge continue et de qualité de l’enfant. Dans la mesure de ses capacités de compréhension, de sa maturité et de son intérêt, l’enfant sera invité à participer aux décisions le concernant : « l’enfant doit être considéré comme responsable, doit se sentir l’auteur de ses actions, capable de prédire leurs conséquences et de construire du sens de la réalité » (Audet, 2017 : 26). Il est question ici de la notion d’agentivité qui est souvent adultocentrique, excluant les enfants de la catégorie des acteurs sociaux ayant la faculté d’autonomie, de compétences ou d’autodétermination. Au contraire, il est indispensable de croire dans « les capacités des enfants pour ce qu’elles sont dans leur manifestation présente et leur potentialité » (Audet, 2017 : 26). Chaque intervenant de la triade (parent-enfant-soignant) est important dans un PDP.

On reconnait aujourd’hui combien les valeurs humaines du corps médical sont déterminantes dans l’élaboration d’un climat de confiance. En effet, ces valeurs humaines (identifiées comme l’écoute, la communication vraie, la compassion, l’empathie, la sensibilité, l’intérêt individuel porté à l’enfant et à sa famille, le respect mutuel, etc.) sont des atouts indispensables pour parvenir à créer ce climat de confiance (Chénard, 2015 : 272-273).

Lorsque l’enfant arrive dans la phase finale de sa vie, Ernoult et Davous (2003 : 2) expliquent que son intérêt « doit toujours être et rester au centre du trio parents-enfant-soignants spécifiques à la pédiatrie ». Ils ajoutent que « pour sortir de cette difficile épreuve qu’est la fin de vie de l’enfant avec une bonne image d’eux-mêmes et fiers d’avoir rempli leur rôle, les parents et l’équipe médicale et soignante ont tout particulièrement besoin : de rester centrés sur l’enfant afin qu’il puisse demeurer vivant jusqu’au bout, (c’est-à-dire avoir la meilleure qualité de vie), de soulager la douleur et les inconforts, de rester acteurs, chacun dans son champ de compétence, dans le respect du rôle de chacun ».

Ainsi, le partenariat parents-soignants assume ses responsabilités dans l’intérêt supérieur de l’enfant. Lorsque la relation de confiance est bien établie, il est fréquent que les parents demandent des éclaircissements sur les traitements proposés et sur ceux qui existent dans d’autres institutions, voire dans d’autres pays. Ils cherchent leurs informations sur les réseaux sociaux. Le psychiatre Oppenheim (2010 : 1) explique que « les progrès médicaux suscitent chez les patients et leurs proches des attentes parfois excessives et inadéquates. Ils acceptent de moins en moins les limites du savoir médical actuel et l’incapacité des médecins à les guérir quand ils sont atteints d’une maladie qui est au-delà des possibilités thérapeutiques actuelles ». En effet, « certains parents sont confrontés à des situations où les objectifs initiaux, comme la guérison de la maladie, sont devenus excessivement improbables » (Hill et al., 2014 : 1). Leurs objectifs initiaux ne sont plus réalistes et ils sont confrontés à l’obligation d’adapter leurs décisions antérieures. Ces nouveaux processus décisionnels seront, comme les précédents, basés sur une variété de considérations et d’influences (Chénard, 2015).

Pour aider les parents à prendre la décision la plus conforme à l’intérêt supérieur de l’enfant, le personnel soignant doit se poser la question du sens à donner à son approche thérapeutique en lien avec le sens qu’y donnent les parents et l’enfant de leur côté (De Broca, 2016). Il est indispensable de comprendre le système référentiel tant des parents que des soignants, ces deux systèmes étant aussi des facteurs d’influence (Chénard, 2015). Pour Conod et al. (2014), il est demandé de trouver le juste équilibre entre espoir réaliste et acceptation du diagnostic. Le sentiment d’avoir tout fait pour son enfant et de ne rien avoir à se reprocher par la suite est un argument souvent cité sur le terrain.

L’étude comparative de Tomlinson et al. (2011) montre que les professionnels de la santé mettent l’accent majoritairement sur la qualité de vie de l’enfant, et ensuite sur le souci de prolonger son espérance de vie. Quant aux parents, Hill et al. (2014 : 2) expliquent que certains « persisteront dans la poursuite de leur objectif même s’ils sont conscients que la réalisation de ces objectifs n’est plus considérée comme réaliste par les membres de l’équipe clinique ». Ces auteurs ajoutent qu’« il existe peu d’objectifs aussi importants et centraux pour l’image de soi d’un parent que de vouloir que son enfant soit en bonne santé » (Hill et al. : 3). De même, « les parents croient souvent soit qu’un enfant dont le pronostic est mauvais se rétablira, soit que, quelle que soit la probabilité de guérison, les parents ont le devoir de rester positifs et de chercher toute possibilité de guérison » (Hill et al. : 4). Les situations médicales complexes sont par nature évolutives :

« Certains parents peuvent se désengager de leurs objectifs initiaux concernant les soins médicaux de l’enfant, et se réengager dans un ensemble de nouveaux objectifs qu’ils considèrent maintenant comme plus réalisables, plus appropriés ou plus souhaitables, tels que la gestion de l’état de l’enfant avec le moins de douleur ou de souffrance liée au traitement, la limitation de l’exposition à des interventions invasives ou extrêmes, et le maintien de la qualité de vie de l’enfant ».

Ce processus de mutation dans les prises de décision est appelé regoaling (Hill et al., 2014 : 2). Par ailleurs, Chénard (2015 : 250 - 259) identifie trois finalités différentes à la décision des parents selon leurs croyances, leurs valeurs et leur expérience.

  • Une première finalité orientée vers la survie de l’enfant : « l’espoir d’une quelconque guérison ou d’une possible amélioration de la condition médicale de l’enfant entretient l’idée qu’il faut tout mettre en œuvre pour protéger la vie » (251). « Le recours à la technologie apparaît comme un devoir moral. Les parents sont animés par le désir de tenter l’impossible, de donner une chance à l’enfant » (253).

  • Une seconde finalité centrée sur « la qualité de vie, avec un positionnement quant à l’acharnement thérapeutique, une représentation majeure pour la qualité de vie de l’enfant et un intérêt pour un équilibre entre qualité de vie de l’enfant et qualité de vie de toute la famille » (254).

  • Une troisième finalité dont la perspective évolue de la survie vers la qualité de vie : « le souci pour la qualité de vie, lorsqu’il s’introduit de façon progressive, se traduit souvent par une plus grande tolérance au risque. Progressivement, les parents se soucient plus de sa qualité de vie que de sa seule survie biologique. Ils acceptent les risques dans le but d’accroître les moments de plaisir et de permettre à l’enfant de vivre de nouvelles expériences » (256-257).

L’analyse montre que la finalité de la décision suit un processus évolutif non linéaire. Les parents peuvent faire des « allers-retours » entre les objectifs initiaux et de nouveaux objectifs. Hill et al. (2014 : 7) ajoutent qu’« être pleins d’espoir n’est pas synonyme d’irréalisme ou de déni. Les parents d’enfants gravement malades disent continuer à garder espoir tout en comprenant le pronostic médical sombre de leur enfant ».

Dans le monde actuel, beaucoup d’informations médicales sont disponibles sur Internet. Elles ne sont plus le monopole des médecins, mais les trouvailles sur le Web ne sont toutefois pas toujours exactes. L’enfant capable de discernement et/ou ses parents veulent souvent tout comprendre de la maladie qui les touche. Ils peuvent avoir tendance à vouloir vérifier, dès leur retour à domicile, les informations médicales, ce qui est légitime, puisque tant les parents de l’enfant gravement malade que le personnel soignant veulent choisir la meilleure stratégie pour lui. Cependant, certaines situations sont complexes et une analyse trop simpliste pourrait mettre l’intérêt supérieur de l’enfant en danger.

L’analyse des deux situations permet de mettre en évidence des pistes de réflexion et d’amélioration pour les prises en charge futures des équipes de liaison. La vision des soins palliatifs pédiatriques par les parents, et par chacun d’eux individuellement peut évoluer à la fois suivant les données objectives de l’enfant, mais aussi suivant des mécanismes psychiques à considérer. Les perceptions et représentations au sujet des soins palliatifs pédiatriques sont variables selon les perspectives et le vécu des parents, ainsi que des professionnels.

Dans le champ de l’anthropologie de la santé, Rosselet (2013 : 203) vient questionner les manières d’être, de penser et d’agir des soignants. Il attire l’attention sur l’importance à accorder aux différences interculturelles. Chaque migrant (de la 1re, 2e ou 3e génération), « même intégré dans la société occidentale qui est la nôtre, est porteur néanmoins des visions de sa culture d’origine. Parler de cultures, c’est donc parler de traduction, pour pouvoir entendre un schéma de pensée qui a pour première caractéristique de donner sens à ce qui arrive, de mettre des mots sur un événement – en l’occurrence une maladie grave et un parcours dans les soins ». Nous sommes en résonnance les uns avec les autres. Pour les soignants, cela signifie de rechercher sans jugement la juste attitude face à l’expression culturelle et religieuse des patients et des familles, et à celle des soignants eux-mêmes. La pratique réflexive des soignants permet d’améliorer leur pratique professionnelle (Cara et al., 2008). Cette approche valorise l’expérience des infirmiers, tout en leur donnant l’occasion de modifier positivement leurs attitudes à l’égard des patients et d’ajuster leurs connaissances aux besoins de cette population hautement fragile et vulnérable (Dubé, 2012).

Le processus de prédeuil (les cinq étapes de Kübler-Ross, 1969) n’est pas figé, bien au contraire. En effet, un parent peut donner à penser que la situation de son enfant est bien acceptée, et puis revenir, lors de l’apparition de symptômes inquiétants, à un stade de déni protecteur ou de marchandage. Cela peut entraîner des blocages chez les parents et demande au personnel soignant de pouvoir détecter à temps ces décrochages.

La définition des champs de compétences de chacun (parents-enfant-soignants) doit être élaborée ensemble pour autoriser le PDP. Il est indispensable de construire un climat de confiance, dans lequel chacun trouve sa juste place, est entendu et est respecté afin d’établir un plan de soins adapté à la situation de l’enfant. Il serait intéressant de se familiariser avec des outils (modèle de Chénard, 2015 par exemple) afin d’optimaliser la compréhension de l’enfant et de sa famille, et d’approfondir le travail de PDP.

Des formations devraient être proposées au personnel soignant. Le Conseil de l’Europe l’encourage notamment : « au-delà des questions de fin de vie, l’apprentissage de la construction individuelle de la réflexion et de la délibération collective est nécessaire pour que chaque professionnel de santé puisse affronter les réalités de plus en plus fréquentes des situations complexes soulevant de nombreuses questions éthiques rencontrées dans la pratique clinique. Qu’il s’agisse de formation initiale ou de formation continue, l’accent devrait être mis sur l’importance de l’apprentissage d’une telle pratique collective » (Conseil de l’Europe, 2014 : 30). La communication constitue un outil indispensable pour assurer une coordination adéquate et une collaboration efficace. Proposer de développer une communication interculturelle avec un apprentissage et une identification des ressources identitaires pourrait être d’une grande aide pour une équipe de liaison et pour tout soignant travaillant en relation avec des populations de cultures différentes.

Dans certaines circonstances, des conflits peuvent surgir entre professionnels de la santé et la famille. Cette dernière n’est d’ailleurs pas nécessairement épargnée par des divergences majeures de point de vue. Il est alors indispensable de reconnaître le conflit dès son apparition afin d’éviter qu’il ne dégénère et ne produise stress, frustration et incompréhension. Linney et al. (2019) insistent sur l’importance de proposer des attentes réalistes, d’introduire précocement les équipes de soins palliatifs, de prendre en considération le stress des familles, de soutenir le personnel soignant impliqué dans le conflit, de développer les compétences pour identifier un conflit et d’envisager l’aide d’un avis externe (comité d’éthique, service de médiation, etc.).

Enfin, les auteurs attirent l’attention sur la nécessité d’assigner un coordinateur au sein des équipes de liaison pour assurer la continuité de l’information. Il peut s’agir d’un médecin ou d’un infirmier coordinateur. Toutefois, il est permis d’imaginer qu’une plus grande légitimité sera octroyée par les familles des jeunes patients, voire par les autres intervenants du monde médical (notamment le médecin traitant) à un médecin occupant cette fonction de coordinateur. Certains systèmes culturels attribuent parfois davantage de légitimité à un intervenant dont le positionnement dans l’organigramme médical est jugé plus élevé. Ce coordinateur renforcerait le lien avec les médecins traitants et jouirait d’une disponibilité plus grande pour rencontrer les familles à domicile.

Face à une équipe de liaison mise en difficulté par l’attitude de parents, n’y a-t-il pas également lieu de préconiser en son sein une mise en commun des expériences professionnelles (une intervision en interne, entre pairs), voire l’intervention d’une personne externe et disposant d’une plus grande légitimité pour remettre en question son éthique de travail (une supervision ou même, en cas de conflit communicationnel plus aigu, une forme de médiation) ?

Conclusion

Tout en visant l’intérêt supérieur de l’enfant, l’enjeu relevé dans le présent article est d’allier, dans le cadre conceptuel du PDP, la compréhension des nombreux facteurs influençant la prise de décision (Chénard, 2015) et les quatre principes d’éthique clinique proposés par Beauchamp et al. (2013). Sur la base de leur approche théorique respective, nous avons présenté deux cas cliniques dans lesquels les objectifs des parents et ceux des prestataires de soins divergeaient. La méthode retenue d’étude de cas a certes des limites importantes, mais elle est à notre sens un premier pas vers une analyse plus approfondie. Dans les deux circonstances, le personnel soignant s’est trouvé dans une situation générant un sentiment d’inconfort. Une prise de recul et une analyse pluridisciplinaire ont permis d’identifier des points d’amélioration et de proposer des pistes pour assurer de meilleures prises en charge dans le futur. Cette prise de recul implique de la part du personnel soignant une prise en considération critique des croyances et attentes tant du milieu parental que des siennes propres. Pour y parvenir, l’organisation d’intervisions, de supervisions ou de médiations devrait être développer dans les milieux hospitaliers, ainsi que la poursuite de recherches et de formations dans les domaines de la prise de décision partagée et de la communication notamment interculturelle.

Comme le relèvent De Broca (2016 : 361) et Friedrichsdorf et al. (2018), « les soins palliatifs sont donc toujours des soins “palliactifs”, le soignant étant toujours d’une extrême attention et d’une grande qualité thérapeutique, dans une dynamique perpétuelle de remise en question de sa propre maîtrise ». Cependant, ne pourrait-on pas, plutôt que de soins « palliactifs », focalisés sur des interventions actives dans le domaine palliatif, parler de soins « polyactifs », faisant valoir la diversité des actions à mener dans les interventions palliatives ? Cette notion illustrerait davantage la nécessité pour le personnel soignant d’exercer sa vigilance dans tous les angles d’approche d’une situation médico-familiale.

L’intérêt supérieur de l’enfant aurait tout à y gagner.