Résumés
Résumé
Cadre de la recherche : Cet article porte sur les différents niveaux de soutien parental dont bénéficient (ou ne bénéficient pas) les jeunes trans.
Objectifs : Le présent article vise à définir ce qu’est le soutien parental du point de vue des jeunes trans, et à montrer comment celui-ci affecte leur bien-être.
Méthodologie : L’article s’appuie sur une recherche qualitative pour laquelle des entrevues semi-dirigées ont été menées auprès de 54 jeunes trans âgé(e)s entre 15 et 25 ans et résidant au Québec. Le processus de collecte et d’analyse des données a suivi une démarche de théorisation ancrée et a été guidé par deux concepts sensibilisateurs : la reconnaissance (Honneth) et l’intersectionnalité (Crenshaw).
Résultats : Notre recherche permet de dégager trois niveaux de soutien : soutien fort, neutralité négative et non-soutien ou rejet. Ces formes de soutien parental peuvent être inconditionnelles ou conditionnelles à ce que la jeune personne se conforme à certaines normes données. Un soutien fort qui encourage l’expression de genre favorise le bien-être des jeunes et fortifie la relation avec leurs parents. Au contraire, le non-soutien ou rejet parental affecte le bien-être des jeunes, peut les exposer à des situations plus précaires ou les conduire à chercher d’autres formes de soutien. Par ailleurs, un soutien partiel ou la neutralité négative semblent aussi affecter négativement le bien-être et l’estime de soi le la jeune personne.
Conclusion : Notre article démontre que, pour favoriser le bien-être des jeunes, l’acceptation parentale doit s’accompagner de gestes concrets qui permettent et encouragent clairement l’expression de genre des jeunes trans. Il serait valable, selon nous, d’informer et d’accompagner les parents dans le processus d’acceptation de leur enfant.
Contribution : Cet article permet de pallier un manque de données qualitatives sur le soutien parental et ses effets sur les jeunes trans, depuis la perspective des jeunes personnes elles-mêmes. Notre étude permet d’établir avec plus de finesse comment le soutien parental ou son absence s’inscrivent dans des trajectoires de vie et affectent le bien-être des jeunes trans.
Mots-clés :
- approche qualitative,
- bien-être,
- construction identitaire,
- genre,
- expression de genre,
- identité de genre,
- résilience,
- dynamiques familiales,
- pratiques parentales,
- soutien parental,
- jeunes trans
Abstract
Research Framework : This article focuses on the different levels of parental support that trans youth may experience or not.
Objectives : This article aims to define, from the perspective of trans youth, what parental support is, and describe how it affects their well-being.
Methodology : The results are drawn from qualitative analyses of semi-structured interviews with 54 young trans people between the ages of 15 and 25, living in the province of Quebec (Canada). The data collection and analysis processes followed a grounded theory approach and were guided by two concepts: recognition (Honneth) and intersectionality (Crenshaw).
Results : Our research reveals three levels of parental support: strong support, negative neutrality, and non-support or rejection. These can be conditional or non-conditional. The strong support that encourages gender expression promotes the well-being of young people and strengthens relationships with their parents. On the contrary, non-support or parental rejection affects negatively the youth well-being, can expose them to dangerous situations, and/or lead them to seek other forms of support. In addition, partial support, or negative neutrality, can also affect their well-being and self-esteem negatively.
Conclusion : Our article demonstrates that, in order to promote the well-being of young people, parental acceptance must be strong, and accompanied by actions that allow and encourage the expression of the gender of trans youth. It would be important to educate and support parents in the process of accepting their child.
Contribution : This article addresses the lack of qualitative data on parental support and its effects on trans youth, from the perspective of the youth themselves. Our study allows us to establish with more nuance how parental support or non-support fits into life trajectories and affects the well-being of young trans people.
Keywords:
- qualitative method,
- wellbeing,
- identity development,
- gender,
- gender expression,
- gender identity,
- resiliency,
- family dynamics,
- parenting practices,
- parental support,
- trans youth
Corps de l’article
Introduction
La littérature scientifique récente fait état de plusieurs facteurs contribuant ou nuisant au bien-être des jeunes LGBT, une population incluant les jeunes trans. Ces recherches contribuent à une compréhension de plus en plus détaillée de leurs expériences, et identifient les aspects de leur vie qui influencent leur bien-être positivement ou négativement – lesquels, tout comme chez les jeunes personnes cis, sont nombreux. Parmi ces aspects, la présence ou l’absence de soutien parental influencent directement le bien-être.
Si les études démontrent qu’un soutien parental fort améliore notamment la santé psychologique des jeunes trans et diminue le risque de suicide, peu d’écrits présentent la perspective des jeunes elleux[1]-mêmes sur ce que constitue un soutien fort ou, au contraire, un soutien inadéquat. Le présent article examine en profondeur les expériences et attentes de soutien parental des jeunes trans, depuis leur perspective propre.
Pour ce faire, l’article s’appuie sur les données issues d’entrevues menées auprès de 54 jeunes trans et non binaires âgé(e)s de 15 à 25 ans et vivant au Québec. Aux fins de la recherche, un(e) jeune trans est une personne qui s’identifie à une identité de genre autre que celle assignée à la naissance. Une personne non binaire, pour sa part, s’identifie autrement qu’à son sexe assigné à la naissance, et cette identification transcende la catégorisation de genre binaire homme-femme.
Si la recherche avait pour but général d’identifier les facteurs d’oppression et de résistance qui facilitent ou nuisent à l’épanouissement de ces jeunes, le soutien parental et les différentes dynamiques vécues au sein des familles ont émergé comme des thèmes particulièrement notables dans les récits des jeunes. L’article vise donc d’une part à présenter leurs expériences familiales et les relations qu’iels entretiennent (ou n’entretiennent pas) avec leurs parents et leur famille, et d’autre part à observer les effets de cette relation sur leur vie et leur expérience en tant que jeunes trans. Nous concluons l’article en discutant de pistes d’intervention pour le travail auprès des jeunes trans et de leur famille.
Recension des écrits
Un survol des écrits démontre que les jeunes trans sont résilient(e)s, malgré les nombreuses violences et discriminations à leur égard (Pullen Sansfaçon et al., 2020 ; Reck, 2009 ; Singh, 2013). Cela étant dit, les jeunes trans continuent de faire partie d’une population particulièrement vulnérabilisée. Par exemple, selon une récente étude auprès de 1 519 jeunes trans au Canada, environ un tiers des répondant(e)s ont dit avoir sérieusement considéré le suicide au cours de la dernière année. La plupart des jeunes ont d’ailleurs décrit leur santé mentale comme faible (45 %) ou moyenne (40 %), et seulement 16 % l’ont décrite comme étant bonne ou excellente (Taylor et al., 2020). Notons que le jeune âge ainsi que le genre apparaissent comme des facteurs aggravants ces difficultés (Aparicio-García et al., 2018).
Or, les écrits mettent en lumière certains facteurs de protection comme étant particulièrement conséquents, dont le soutien parental (Travers et al., 2012 ; Olson et al., 2016 ; Pullen Sansfaçon et al., 2019 ; Taylor et al., 2020). En effet, le soutien des parents peut diminuer et compenser les conséquences associées aux expériences négatives vécues par les jeunes (Taliaferro et al., 2018 ; Simons et al., 2013), en limitant notamment la détresse psychologique et en soutenant le développement de la résilience chez l’enfant (Katz-Wise et al., 2018 ; Wilson et al., 2016). Le soutien parental aurait aussi une incidence sur la satisfaction de vie des personnes trans (Davey et al., 2014), ainsi qu’une influence positive sur l’estime de soi (Katz-Wise et al., 2018 ; Ryan, 2009). Un fort niveau de soutien parental est également associé à une meilleure santé mentale globale (Aparicio-García et al., 2018 ; Ryan et al., 2010 ; Olson et al., 2016 ; Wilson et al., 2016) et pourrait protéger les jeunes contre les risques accrus de vivre une dépression (Olson et al., 2016). Il permet en outre de réduire le risque de toxicomanie, de pensées suicidaires et de tentatives de suicide (Ryan, 2009 ; Wilson, 2016 ; Travers et al., 2012). Cette tendance est inversée chez les jeunes ayant un faible niveau d’acceptation (Ryan, 2009). Finalement, le rejet parental en lien avec l’identité sexuelle ou de genre (ou les deux) est la raison la plus citée par les jeunes pour expliquer leur situation d’itinérance (Choi et al., 2015 ; Oakley et Bletsas, 2018).
Une revue de la littérature nous permet d’identifier plusieurs manières dont les parents manifestent leur soutien à leur jeune faisant partie de la diversité sexuelle ou de genre, comme le ou la laisser parler librement de son identité de genre ou de sa sexualité en contexte familial (Higa et al., 2014), ou comme le fait d’être attentifs aux difficultés rencontrées (Taliaferro et al., 2018). Olson et ses collègues (2016) démontrent également l’importance de permettre à l’enfant de réaliser une transition sociale, si tel est son souhait. La famille peut par ailleurs démontrer son soutien en facilitant la mise en contact entre l’enfant et les ressources des communautés LGBTQ (Wolowic et al., 2018) et en s’engageant dans la défense de ses droits (Higa et al., 2014). Selon Ehrensaft (2011), les liens d’amour tissés avec l’enfant ont un potentiel transformateur qui permet aux parents de dépasser leurs normes transphobes, pour soutenir et défendre leur enfant. Mais cela exige des parents qu’iels reconnaissent l’enfant comme un individu à part entière, qu’iels expriment leurs difficultés et qu’iels reçoivent elleux-mêmes du soutien, sans quoi ils risquent de garder des biais transphobes délétères pour l’enfant.
Les recherches récentes montrent que plusieurs jeunes ne bénéficient pas d’un soutien parental. Par exemple, Taylor et ses collègues (2020) indiquent que 50 % des jeunes trans canadien(ne)s ne croient pas que leur mère se soucient d’elleux, et ce chiffre monte à 64 % lorsqu’on les questionne à propos de leur père. Des données plus anciennes de l’Ontario indiquaient que seulement 34 % des jeunes trans bénéficiaient d’un soutien parental fort, alors que 42 % d’entre-elleux recevaient peu ou pas de soutien parental et que 25 % en recevaient partiellement (Travers et al., 2012, p. 2). De plus, il semblerait que les jeunes non binaires perçoivent un soutien moins palpable de la part de leurs familles et ami(e)s que les personnes trans binaires (Aparicio-García et al., 2018). Les jeunes qui ne bénéficient pas d’un bon niveau de soutien voient souvent leur identité niée (Ryan, 2009), sont blâmé(e)s pour les discriminations subies (ibid.), ou sont forcé(e)s à accepter le modèle de genre dominant et à cacher leur identité (Ryan, 2009 ; Higa et al., 2014), parfois par peur de perdre le soutien financier – conditionnel – de leurs parents (Higa et al., 2014).
La littérature permet donc de démontrer l’importance du soutien parental sur la santé mentale et physique des jeunes LGB et trans, qui constituent un groupe particulièrement vulnérabilisé. Le soutien parental demeure un aspect prégnant dans les approches trans affirmatives – et leurs applications –, qui visent à affirmer l’identité de genre de l’enfant. Selon cette perspective, l’enfant ne peut être affirmé complètement sans le soutien inconditionnel de ses parents (Grossman et al., 2005 ; 2006 ; Keo-Meier et Ehrensaft, 2018 ; Malpas et al., 2018 ; Ehrensaft, 2011 ; Pullen Sansfaçon, 2015 ; Pullen Sansfaçon et Bellot, 2016 ; Médico et Pullen Sansfaçon, 2017 ; Pyne, 2014). Si la littérature sur le soutien parental semble déjà assez complète, plusieurs de ces études portent sur les jeunes LGBTQ, et non spécifiquement sur les jeunes personnes trans. Les quelques études qualitatives qui discutent spécifiquement des jeunes personnes trans ne couvrent pas spécifiquement leurs expériences familiales, mais plutôt leurs expériences en milieu scolaire (Vallerand et al., 2019) et de santé (Vallerand et al, 2019 ; Richard et Alessandrin, 2019). En outre, un grand nombre d’articles sont des textes théoriques ou s’appuient sur des données quantitatives ou des observations cliniques (ou les deux), mais on trouve très peu d’études qualitatives explorant spécifiquement la question du soutien parental chez les jeunes trans, à partir de leur vécu et de leurs perspectives, depuis celle menée entre 2001 et 2003 (Grossman et al., 2005 ; 2006). En mobilisant des outils qualitatifs, notre projet empirique complété en 2019 vise à brosser un tableau à jour, plus nuancé et plus approfondi du soutien parental et de ses effets sur les jeunes trans.
Cadre conceptuel
Le projet qui sous-tend le présent article a été développé à partir d’un double ancrage méthodologique basé sur la recherche participative et sur la théorisation ancrée (Dey, 1999). Dans son ensemble, le projet a fait appel à deux concepts sensibilisateurs, soit la théorie de la reconnaissance et l’intersectionnalité. La théorie de la reconnaissance postule que l’épanouissement d’un individu passe par une reconnaissance qui s’établit à trois niveaux : la reconnaissance affective, qui s’exprime dans les relations intimes par la satisfaction réciproque des besoins, permet la confiance en soi ; la reconnaissance légale, qui se manifeste dans l’égalité en droit, permet le respect de soi ; enfin, la reconnaissance sociale, qui offre à l’individu une place et un rôle dans la société, permet l’estime de soi, (Honneth, 1995 ; 2001). Pyne (2016) et Pullen Sansfaçon et Bellot (2017) soulignent d’ailleurs la pertinence de l’éthique de la reconnaissance dans les approches trans affirmatives auprès des jeunes trans.
L’intersectionnalité, pour sa part, suggère que les expériences sont négociées à travers des identités diverses dans le contexte d’oppressions structurelles (Bilge, 2009 ; Collins, 2015 ; Crenshaw, 1989). Tourki et ses collègues (2018) proposent le cadre de l’intersectionnalité pour bien prendre en compte l’entrecroisement de l’expérience des jeunes trans et des différents systèmes d’oppression liés aux catégories socialement construites telles que la race, l’ethnicité, le genre et le handicap. Cette approche implique d’observer comment divers facteurs d’oppression interagissent et créent des expériences singulières, comme dans le cas des parcours migratoires (Tourki et al., 2018), du handicap (Baril et al., 2020), ou la lutte pour la reconnaissance sociale (Pullen Sansfaçon et al., 2020).
Ce double ancrage conceptuel a guidé l’équipe tant dans la conception des outils ayant servi à la collecte de données que dans l’échantillonnage et les analyses de données. Cela dit, présenter une analyse intersectionnelle des données dans un article scientifique peut parfois contribuer à stigmatiser les populations lorsque l’échantillon d’un certain groupe est trop petit ou que la finesse de l’analyse est restreinte par des contraintes d’espace (ce qui ne permet pas d’englober tous les facteurs d’oppression). Ainsi, si l’intersectionnalité fut centrale aux multiples procédures de recherche existantes, elle est effleurée plus brièvement dans le présent article.
Méthodologie
Développé en partenariat avec les principaux organismes communautaires desservant les jeunes trans dans la région de Montréal, le projet comprenait des entrevues qualitatives en profondeur avec 54 jeunes trans habitant la province de Québec, et suivait une méthodologie de théorisation ancrée, en deux vagues.
En cohérence avec le principe d’intersectionnalité, des critères de diversification de l’échantillon ont été appliqués afin de recruter des jeunes d’une diversité d’identités de genre, d’origines ethniques et culturelles, et d’âges (entre 15 et 25 ans). La première vague a permis de rencontrer 24 jeunes personnes auto-identifiées comme trans non binaires. Par le biais d’une annonce partagée sur les réseaux sociaux et dans les organismes partenaires, les personnes intéressées étaient invitées à contacter un(e) membre de l’équipe de recherche. Les participant(e)s potentiel(le)s étaient alors invité(e)s à répondre à quelques questions sur leur genre, leur âge, leur région et autres caractéristiques jugées pertinentes. Les participant(e)s ont ensuite été rencontré(e)s par un(e) assistant(e) de recherche trans et leurs entrevues ont été transcrites, puis analysées par codage ouvert et axial. Les analyses de la première vague ont servi à élaborer une seconde grille d’entrevue permettant d’explorer davantage certains thèmes ayant émergé durant la première vague, notamment le soutien parental, mais aussi le handicap, la religion, la résistance. Pour la deuxième vague d’entrevues, 30 jeunes personnes trans additionnelles ont été recrutées selon les mêmes dispositifs que ceux utilisés à la première vague, mais en portant une attention particulière au recrutement de jeunes racisé(e)s, migrant(e)s ou autochtones. Les entrevues de la deuxième vague ont ensuite été transcrites, puis codées, suivant une logique de codage axial (à partir des catégories ayant émergé lors de la première vague) et sélectif, afin de faire ressortir les thèmes principaux des narratifs des jeunes. Notre équipe a porté une attention particulière à la question de l’intersectionnalité. Parmi les thèmes relevés, celui des relations familiales, qui fut amplement abordé dans les entrevues de la première et de la deuxième vague, a retenu notre attention pour cet article. Au sortir de la deuxième vague d’analyse, cette catégorie s’est déclinée en plusieurs sous-catégories : la réaction au coming out, l’acceptation, le soutien matériel en général, le soutien matériel dans la transition, le soutien affectif en général (relation parent-enfant, communication), et le soutien affectif lié à la transition (respect de l’expression de genre, défense des droits, etc.). En fonction du niveau de soutien dans ces catégories, nous avons dégagé trois profils de soutien parental : le soutien fort, le manque de soutien (ou rejet) et la neutralité négative. À l’aide de filtres, nous avons comparé ces types de soutien avec d’autres données comme le niveau de bien-être, les autres sources de soutien ou la présence de comportements autodestructeurs (mutilation, comportements suicidaires, troubles alimentaires, abus de substances psychotropes). Nous présentons ici les évidences cumulatives de la recherche selon les catégories finales de ce projet.
Les deux vagues de collecte de données nous ont permis de rencontrer 54 jeunes âgé(e)s de 15 à 25 ans, aux parcours et marqueurs de diversités variés. Parmi ces jeunes, 39 ont déclaré un handicap, 8 se sont auto-identifiés comme une femme ou une personne transféminine, 12 comme un homme ou une personne transmasculine, et 32 personnes comme non binaires ou fluides dans leur genre[2]. De plus, les participant(e)s ont décliné leur origine ethnique : notre échantillon inclue donc 37 personnes blanches (avec un parcours migratoire) et 17 personnes racisées, d'origines latines, métisses ou autochtones.
Le projet a reçu l’approbation éthique de l’Université où travaille la chercheuse principale, ainsi que celle des cochercheur(se)s. Les participant(e)s ont été principalement recruté(e)s par l’entremise des organismes partenaires, qui invitaient les personnes intéressées à contacter l’équipe de recherche directement. Les participant(e)s devaient donner leur consentement écrit pour prendre part à la recherche. Afin de limiter le plus possible les relations de pouvoir et d’assurer que les questions soient respectueuses de toutes les identités, les outils de recherche ont été élaborés avec le personnel des organismes partenaires, y compris de nombreuses personnes trans, et l’ensemble des contacts avec les participant(e)s, dont notamment les entrevues en profondeur, a été fait exclusivement par des assistant(e)s de recherche trans.
Résultats
Le soutien parental apparaît comme un facteur de protection vital chez les jeunes ayant participé à notre étude. Et le degré de soutien parental varie d’une personne à l’autre. Si des jeunes ont rapporté avoir un soutien parental fort, d’autres ont expliqué ne pas en recevoir du tout et même vivre du rejet. Par ailleurs, entre ces deux pôles, plusieurs jeunes nous ont parlé de soutien plutôt mitigé : le soutien est présent dans certaines dimensions de leur vie, mais pas dans d’autres. La prochaine section décrit les différents types de soutien parental et leurs effets tels que les ont vécus les jeunes trans ayant participé à l’étude.
Soutien parental fort
Les jeunes parlent de ce type de soutien en donnant comme exemple les réactions que les parents ont eues face à leur coming out et la manière dont iels se sentent accompagné(e)s dans leur parcours de transition, que ce soit sur le plan affectif (moral) ou sur le plan matériel (financier). Plusieurs comportements ont été rapportés par les jeunes comme étant des réactions positives au coming out et des marques de soutien dans leur identité de genre. Si la méthodologie ne permet pas d’établir de lien causal, nous avons au moins remarqué que ce type de soutien semble plus fréquemment vécu par les personnes transmasculines, puisque sur neuf jeunes bénéficiant d’un soutien fort dans leur transition, six personnes ont utilisé exclusivement les pronoms masculins, deux personnes les pronoms neutres et masculins en alternance, et une seule personne les pronoms féminins et neutres en alternance (et cette personne, bien que bénéficiant du soutien fort de sa mère, s’est fait rejeter par son père).
La réaction positive la plus mentionnée est l’acceptation de l’identité : les parents accueillent la nouvelle, continuent à manifester de l’amour et de la gentillesse à leur enfant, sans remettre en question son identité. Les jeunes perçoivent une réelle acceptation lorsque celle-ci s’accompagne d’actes qui valident leur identité, en utilisant par exemple des termes neutres, en respectant le prénom et les pronoms choisis. Les jeunes mentionnent aussi l’effort que font leurs parents pour s’informer et mieux les comprendre, que ce soit en faisant leurs propres recherches ou en leur posant des questions.
Le soutien affectif est important pour les jeunes. Louis explique qu’il a appris à ses parents à le soutenir moralement sans devenir trop intrusifs : « Pis maintenant qu’ils comprennent, c’est vraiment le fun. Parce que si j’ai envie d’en parler, ils vont être là pis ils vont me soutenir, mais si j’ai pas envie d’en parler, parce que c’est mes choses, ils comprennent aussi » (Louis, homme transgenre, 21 ans). De son côté, la mère d’Anto a démontré son soutien en l’aidant à intégrer la communauté trans, en l’accompagnant dans ses démarches administratives et en disant à ses collègues de respecter les pronoms de son enfant.
Enfin, certains jeunes ont rapporté que leurs parents les soutenaient financièrement durant leur transition, en payant par exemple pour des traitements hormonaux, des accessoires d’affirmation de genre ou bien un accompagnement psychologique :
Juste pour les « bloqueurs[3] », au début, à 90 dollars par mois, si j’avais pas eu de job, pis que mes parents me payent pas ça, j’aurais pas pu les avoir. […] La première sexologue que j’ai été voir, c’est quand même cher par semaine. Pis c’est eux qui payaient, pis les assurances de ma mère aussi. Fait que j’ai la chance d’avoir des parents qui ont de l’argent. (Olivier, homme trans, 17 ans)
Chez les jeunes qui bénéficient d’une acceptation de leur identité et d’un soutien parental fort dans leur transition (que ce soit un soutien financier, un soutien moral ou des efforts de respect de l’identité), on observe un niveau de bien-être autodéclaré[4] globalement plus élevé, entre 8/10 et 9/10. Concrètement, les jeunes ont expliqué que le soutien affectif (souvent offert par la mère) permet de se tourner vers quelqu’un dans les moments difficiles, d’avoir un(e) allié(e), « une épaule sur laquelle pleurer » (Anto, homme non binaire, 17 ans). Notons que ce que les jeunes désignent comme leur soutien parental n’est pas nécessairement celui offert par les deux parents comme le rapporte Emily (demigirl[5], 20 ans), qui décrit avoir un soutien fort de sa mère et de sa colocataire (qualifiée de « mini-maman »), mais aucun de la part de son père :
Quand je suis dans une zone dangereuse, négative, mais je fais juste aller les voir [ma mère et ma « mini-maman »] puis tout suite, je remonte la pente. Puis dans ma transition – elle [la colocataire] m’a connue avant la transition puis après –, elle a dit : « moi, ça me dérange pas, c’est juste ton bonheur que je veux puis je vais toute faire pour que tu souries ».
Il importe de mentionner ici le rôle positif que peut jouer la famille substituée, ou choisie, comme source de soutien, et plus particulièrement lorsque le soutien parental biologique est défaillant. Nous y reviendrons.
Chez les jeunes ayant décrit un fort soutien parental, seul Arthur faisait exception à la règle, estimant son bien-être à 5/10. Ce jeune a expliqué en entrevue avoir été rejeté par ses ami(e)s après son coming out, et vivre beaucoup de dysphorie et d’anxiété, lesquelles l’ont conduit, selon son témoignage, à la dépression et à l’anorexie. Dans cette situation, d’autres facteurs – moins flagrants dans les autres récits – pourraient expliquer ce plus bas niveau de bien-être. Mais dans l’ensemble, les jeunes (y compris Arthur) ont dit avoir de la chance et trouver que l’acceptation parentale contribuait à leur bien-être, qu’elle réduisait le stress et les rendait heureux(ses) : « Moi, j’ai vraiment de la chance, mes parents l’acceptent vraiment beaucoup. » (Arthur, demiboy, 17 ans). Selon les participant(e)s, ce soutien parental leur permet notamment de vivre de manière plus authentique. De plus, les jeunes mentionnent parfois l’acceptation et le soutien comme des facteurs contribuant à une relation harmonieuse avec les parents.
Manque de soutien et rejet parental
Un tiers des jeunes rencontré(e)s disait manquer de soutien parental. Dans certaines familles, le soutien semble absent dans toutes les sphères, même en dehors des enjeux de genre. Les jeunes ne mentionnaient alors ni soutien financier ni soutien affectif de la part des parents. Notons que ces jeunes avaient en moyenne une auto-évaluation plus basse de leur bien-être, situé entre 3/10 et 7/10.
Le manque de soutien global peut en effet exposer les jeunes à des situations difficiles, voire dangereuses. Par exemple, Addison s’est fait exclure de chez lui par son père à la suite du décès de sa mère, notamment à cause de ses problèmes de santé mentale (schizophrénie). Cela l’a conduit à vivre dans la rue par périodes intermittentes et à devoir se féminiser pour avoir des relations sexuelles tarifées :
« Je mettais une perruque, je me maquillais, je me beurrais super épais, pis let’s go le personnage, pis OK, je fais genre, cent piasses : on peut manger cette semaine. […] C’est super trash. » (Addison, transmasculin – genderfluid – non binaire, 25 ans).
Le manque de soutien peut également s’illustrer en lien direct avec le coming out et l’affirmation du genre de l’enfant. Les participant(e)s ont raconté que leurs parents adoptaient alors une attitude négative à leur égard, pendant ou après le coming out, ou les deux, et n’acceptaient pas l’identité de genre. Certain(e)s jeunes ont dit avoir subi des violences ouvertes au sein de leur famille.
Certains jeunes expliquaient les comportements hostiles de leurs parents par le choc vécu, voire l’expérience de deuil, ce qui n’empêchait pas ces jeunes de se sentir invalidé(e)s dans leur identité. Parfois, les jeunes se sentaient discrédité(e)s dans leur démarche, car leurs parents allèguent qu’il ne s’agit que d’une phase, qu’iels se sont fait(e)s influencer, ou qu’iels pensent être trans parce qu’iels sont neuroatypiques ou vivent avec des troubles psychologiques : « Ça s’est passé que, y avaient peur que ce soit encore mes symptômes, pis y invalidaient beaucoup ma démarche à cause de mes problèmes de santé mentale, pis y pensaient que c’était une psychose. » (Addison)
Le non-respect de l’identité se manifeste également par des parents qui mégenrent ou utilisent le morinom[6] de leur enfant (ce qui est beaucoup revenu dans les entrevues, surtout en début de transition). Greer (transmasculin, 20 ans) a même raconté que sa mère avait une attitude déshumanisante à son égard, qu’elle feignait de l’ignorer ou s’adressait à lui comme à un objet :
À un moment, elle m’appelait « ça » [it]. Ou elle n’utilisait juste pas de pronom, et c’était très étrange quand je vivais avec elle. Elle parlait à haute voix dans la maison, et mon beau-père était même un peu confus, parce qu’elle ne s’adressait à personne. Pas de nom, pas de pronom, elle disait juste des choses, et si je l’entendais, je devais en déduire qu’elle me parlait à moi. (Notre traduction.)
Les jeunes peuvent en outre vivre très mal le manque de soutien affectif des parents face aux difficultés. Ainsi, lorsque Anto a confié à son père qu’iel ne voulait plus vivre, celui-ci s’est contenté de lui dire en riant de s’accrocher, car la vie allait devenir encore plus dure, avant de le laisser en pleurs dans la cuisine.
Au-delà du manque d’acceptation, certains parents vont même jusqu’à rejeter activement leur enfant. Notons que notre étude révèle que le manque de soutien ou le rejet sont plus fréquents envers les jeunes ayant une identité non binaire ou féminine. Au moment de l’entrevue, sur dix jeunes[7] n’ayant reçu aucun soutien (dont un(e) jeune n’ayant pas fait son coming out), seul un jeune se définissait comme transmasculin, quatre se reconnaissaient dans des identités plutôt féminines (femme, femme trans bispirituelle,[8]dyke) et utilisaient des pronoms féminins. Les autres ont tou(te)s exprimé des identités non binaires, avec usage de pronoms neutres ou en alternance.
Plusieurs jeunes se sont fait(e)s expulser du domicile familial ou renier par un parent ou les deux. Suite à son coming out en tant que lesbienne, Oli s’est faite violemment forcer de descendre de voiture par son père; ses parents ne lui ont plus parlé pendant six ans.
Il arrive parfois que les parents cherchent à faire changer leur enfant d’avis ou le(la) forcent à se conformer au genre assigné à la naissance. La mère de Greer était ainsi farouchement opposée à la volonté de son enfant d’effectuer une transition. Elle essayait de le convaincre de ne pas « transitionner », en lui envoyant des liens vers des blogues TERF[9] et en lui bloquant l’accès à l’argent que lui versait sa grand-mère, lequel aurait pu servir à sa transition. Les parents d’Annabelle ont pour leur part essayé de la forcer à être un homme et lui ont demandé de cacher son identité. Des jeunes ont rapporté avoir subi des violences psychologiques ou physiques directement en lien avec leur genre. Par exemple, Dakota (24 ans, femme trans bispirituelle) a livré un témoignage illustrant tant la violence subie directement par son père, que la violence indirecte sous-jacente aux mesures prises pour nier son identité de genre :
J’ai été giflée pendant deux semaines [par mon père qui m’a kidnappée], il m’a battue tout le temps et j’ai été torturée pendant 19 ans à cause de l’Église […]. Je devais juste apprendre à vivre avec. […] Je parle de choses comme la thérapie de conversion.[10]
De plus, beaucoup de jeunes ont fait mention de conflits familiaux et d’un manque de soutien parental, comme autant de facteurs nuisant à leur bien-être. Parmi les dix jeunes qui ont dit avoir manqué de soutien dans leur transition, la moitié ont déclaré un niveau de bien-être inférieur ou égal à 5/10. On constate que plusieurs jeunes ne bénéficiant d’aucun soutien ont rapporté avoir eu des idées ou des comportements suicidaires, des pratiques d’automutilation ou des troubles alimentaires, ou avoir abusé de substances psychotropes. Annabelle (« female », 23 ans) a même fait un lien direct entre ses relations familiales et ses pensées suicidaires : « [à cause de mes relations parentales,] c’est plus dur pour moi d’être heureuse. […] Ça me provoque des idées suicidaires. » Le manque de soutien parental après le coming out peut provoquer un sentiment d’isolement pour un(e) jeune qui sent qu’iel n’a plus vers qui se tourner, comme en témoigne Dakota, qui avait jusque-là pour habitude de passer du temps en famille : « Mais après avoir fait mon coming out, c’était impossible [de passer du temps avec ma famille], alors j’ai dû m’isoler. En gros, je n’avais pas d’amis dans cette région, donc j’ai juste littéralement… mes seules amies étaient ma sœur et les drogues. »
Les jeunes n’ayant pas de soutien parental peuvent vivre des tensions ou des conflits avec leurs parents, et ne pas toujours se sentir en sécurité à la maison. Cela les mène souvent à un éloignement ou un détachement de leurs parents, qui peut les conduire à vivre des situations ardues, notamment lorsqu’il faut quitter le domicile familial. Oli est parti(e) de chez sa mère après une dispute où celle-ci l’a encore mis(e) dehors. N’ayant pas trouvé de logement, Oli s’est retrouvé(e) dans une relation toxique puis à la rue, ce qui l’a conduit(e) à faire d’autres mauvaises rencontres et à devenir dépendant(e) de l’héroïne :
Là, j’ai commencé… en fait, j’ai rencontré quelqu’un qui m’a injecté [de l’héroïne], pis je savais même pas c’était quoi. Moi, je pensais… je voulais me suicider à ce moment-là. Ça faisait longtemps que je m’étais dit : « Le jour où je vais vouloir mourir, je vais m’injecter de l’héroïne pour overdose là-dessus, pour l’avoir essayé au moins une fois. » (Oli, agender – genderqueer – non binaire, 22 ans)
D’autres sphères de la vie des jeunes peuvent être affectées par le manque de soutien familial, comme la capacité à travailler ou les relations sociales, notamment quand les parents mégenrent ou nient l’identité de leur enfant devant les ami(e)s.
Face au manque de soutien, les jeunes mettent parfois en place des stratégies adaptatives pour gérer la situation. Gabriel et Emily ont ainsi abandonné l’idée que leur père les accepte un jour. Résigné(e)s, iels évitent de penser à la relation et se changent les idées : « J’essaie juste de pas trop y penser, de faire le minimum qui me lie à eux, et le reste je suis comme… plus en indépendance. » (Gabriel, non binaire, 19 ans). Greer, qui fait preuve d’une résilience très surprenante (bien-être estimé à 9/10 malgré une relation très conflictuelle avec sa mère) privilégie aussi cette stratégie : « Mais je suis très bon pour ignorer ça, donc ça n’affecte plus autant mon humeur qu’avant. »
Autrement, le manque de soutien parental peut conduire les jeunes à rechercher de la reconnaissance et du soutien auprès d’autres personnes, comme les professeur(e)s ou d’autres membres de la famille, qui peuvent devenir de précieuses sources de soutien. Comme pour les jeunes ayant un soutien inadéquat, les jeunes sans soutien parental se tournent parfois vers leur famille choisie. Le rôle de la fratrie et de la famille choisie semblait particulièrement décisif chez les jeunes latins ou autochtones quoique, avec notre échantillon, nous n’ayons pu tirer aucune conclusion :
[Mon frère], c’est la personne que j’aime le plus au monde. Je pourrais mourir pour lui, pour te dire à quel point je l’aime […] je dirais pas ce que j’aurais fait sans lui […]. Même que ma mère était, genre : « Prends-le, le capoté », genre, si on veut. Lui, était là pour me dire que je n’étais pas seule. (Juliana, femme, 25 ans)
Ma sœur est vraiment la meilleure. Je l’aime, et sans elle je serais probablement morte. (Dakota, femme, 24 ans)
On voit donc que les jeunes, pour pallier le manque de soutien, doivent souvent se distancier de leurs parents : en partant de la maison, en évitant d’y penser ou en se tournant vers d’autres ressources. Ces stratégies exposent parfois les jeunes à une plus grande prise de risque (surcharge de travail ou consommation pour « oublier », conditions de vie précaires, etc.). Le manque de soutien parental peut donc avoir un effet lourdement négatif sur le bien-être des jeunes trans, à court terme mais aussi à plus long terme, en fonction des stratégies mises en place pour gérer la situation.
Neutralité négative
Certain(e)s jeunes ne vivent pas que des réactions ouvertement négatives de leurs parents, mais encore des formes plus subtiles et moins explicites de désaffirmation. Certains parents soutiennent effectivement leur enfant sur certains plans, mais sans vraiment soutenir leur identité. Nous avons choisi d’employer ici le terme « neutralité négative », une expression proposée par une jeune participante lors de la première vague d’entrevues :
[…] j’aurais tendance à dire que c’est peut-être à mon tort, mais que ce n’est pas « si pire que ça », entre guillemets, dans la mesure où j’suis pas… j’suis pas menacée de mort, […] de me faire sortir de la maison si je continue dans ce genre de chose-là. Puis en soi, c’est pas positif non plus, fait que je maintiens l’idée que y a une certaine neutralité négative […]. S’ils ne sont pas ouvertement opposés à mon identité, s’ils ne me nient pas de manière absolue, il y a pas de support factuel ou même perçu de ma part.[…] (Valérie, femme trans, 19 ans)
Ces expériences d’acceptation ou de soutien partiels sont souvent vécues de manière plutôt négative par les jeunes, qui cultivent alors des sentiments ambivalents à l’égard des parents : « Donc, j’dirais que depuis que j’ai 14 ans, j’suis un peu distante. Je les apprécie en tant que personnes et j’apprécie le support qu’ils veulent me donner, mais je me sens quand même profondément incomprise » (Sophie, femme trans non binaire, 24 ans).
La neutralité négative peut prendre des formes très diverses et se manifester tant dans l’expérience de coming out que par la suite, lorsque les jeunes vivent ouvertement leur identité de genre aux yeux de leurs parents. Certains parents affichent effectivement une réaction neutre (ni positive ni négative), voire une indifférence, au coming out. Cela peut donner l’impression qu’ils n’accordent que peu d’importance à cette révélation, alors que c’est généralement un moment crucial pour leur enfant : « Ma mère s’en foutait un peu, elle était juste plus comme “OK ouais, fais tes propres affaires” […]. Elle ne faisait rien de comme mauvais, mais elle ne faisait pas vraiment quoi que ce soit de bon non plus » (Marlie, personne trans, 15 ans). Certaines formes de soutien neutre se poursuivent d’ailleurs au-delà du coming out.
Il y a des parents qui soutiennent leur enfant financièrement mais n’acceptent pas sa transition et lui offrent donc peu ou pas de soutien dans ce domaine. Par exemple, Ambre explique que sa mère lui apporte un certain soutien, sans toutefois respecter son expression de genre :
[...] malgré le fait qu’on a eu cette conversation, elle m’appelle encore par mon nom que j’utilise pas, puis elle m’appelle « il », son « fils » et tout, comme si absolument de rien n’était. Et on se voit quand même de temps en temps; elle est gentille, c’est ça qui est un peu comme […]. Mais en même temps, je suis… j’ai un très, très faible revenu donc, des fois, j’allais manger avec elle et tout, et elle me supporte d’une façon. (Ambre, trans non binaire, 21 ans)
Des jeunes ont souligné que le soutien financier s’accompagnait parfois de remarques transphobes ou d’un refus de soutenir spécifiquement la transition. D’autres jeunes ont rapporté que leurs parents disaient accepter leur transition, sans pour autant agir en ce sens ou leur apporter du soutien affectif, ce qui a été perçu comme un manque de compréhension :
Ce qui m’a un peu déçue, c’est de réaliser à quel point ils ne comprenaient pas. Ils sont comme : « J’accepte ton identité de genre », mais comme, « Pourquoi il faut que tu t’habilles de cette façon-là? » Comme ils acceptent mon identité de genre, mais ils ne voient pas pourquoi je dois changer l’usage des pronoms. (Sophie, femme trans non binaire, 24 ans)
Sophie a même ajouté que ses parents semblaient freiner volontairement sa transition :
J’étais prête à commencer en été, j’avais les rendez-vous avec le docteur mais là, en ce moment-là, mon père était comme : « Non, non, non. On prend une pause pis on va faire le processus de gelage [sic] de sperme », pis c’était un processus qui était plutôt pénible.
Le discours parental d’acceptation, lorsqu’il ne s’accompagne pas de gestes concrets et démonstratifs d’un soutien réel au quotidien, peut donc être perçu négativement par les jeunes.
L’évaluation du bien-être des jeunes bénéficiant d’un soutien neutre est très variable (entre 3/10 et 8/10). À certains aspects, la neutralité négative peut contribuer au bien-être des jeunes. Ash explique être soutenu(e) sur les plans scolaire et financier, et avoir la chance de ne pas devoir se soucier de l’argent ou du logement. Mais parfois, le soutien financier peut être vécu négativement par les jeunes, surtout lorsque les parents n’acceptent pas leur enfant : « C’est genre stressant pour moi, parce que je déteste dépendre d’eux, je n’aime pas dépendre d’eux » (Javier, trans, 22 ans).
De la même manière, la neutralité négative peut avoir un effet néfaste sur le bien-être et l’estime de soi.
[Ma mère] disait qu’elle me soutenait, mais après elle disait aussi comme : « Oh, qu’est-ce que j’ai fait de mal ? » Elle disait qu’elle me soutenait, mais ce n’était pas vraiment le cas. […] Et après, [mes grands-parents], ils sont juste pareils, comme ça. Ils vont dire qu’ils sont aimants et après, la manière dont ils agissent n’est pas aimante. Et ça me rendait vraiment confus(e)… et ça m’entraînait dans des relations abusives, et juste des relations qui étaient négatives pour moi. […] Ça revient à ce que je disais avant, comme, quand ils altèrent mon estime de moi, je ne peux littéralement pas survivre. » (August, prizmatic[11], 23 ans)
Plusieurs jeunes disent souffrir de l’attitude de leurs parents, notamment parce qu’il s’agit de personnes qu’iels aiment et qui sont censées constituer un environnement sécuritaire, comme en témoigne Olivier :
Ben, c’est sûr que ça me fait de la peine parce que j’aime mon père pis j’aime ma belle-mère, mais […] quand ils parlent de moi au féminin, tout le temps, ça me fait souffrir, parce que je trouve ça plate comme de vivre ici pis que ce soit l’endroit où je me fais mégenrer. (Olivier, homme trans, 17 ans)
Dans certains cas, les jeunes choisissent de confronter leurs parents pour affirmer leur identité lorsque celle-ci n’est pas respectée :
« Avec mes parents, on est comme proches, là, mais c’est sûr qu’à moment donné je vais péter plus de coches après eux » (Colin, homme, 18 ans).
Mais pour éviter le conflit et par peur de briser une relation qui leur tient à cœur, les jeunes doivent parfois faire des compromis, laissant par exemple leurs parents utiliser les mauvais pronoms ou prénoms, ce qui les freine dans leur affirmation de genre. Plusieurs jeunes choisissent par ailleurs de gérer l’ambivalence de la relation en évitant le sujet de leur identité trans ou en faisant des choses en secret, par exemple en cachant des accessoires genrés ou en omettant de parler de traitements hormonaux débutés.
Certain(e)s jeunes se distancient de leurs parents à cause du manque d’acceptation, et veulent parfois éviter les sorties avec leurs parents par peur de se faire publiquement mégenrer, ou souhaitent déménager pour éviter le malaise que génère l’attitude parentale. Ces jeunes vont parfois chercher du soutien ailleurs, auprès d’autres membres de la famille, d’autres adultes ou, dans bien des cas, auprès de leur famille choisie :
Quand je pense à l’âge, je pense au fait d’avoir accès à des aîné(e)s qui peuvent guider dans le respect et l’intégrité. Donc, ça a été très important et je ne savais pas que ça me manquait tant que je ne l’avais pas vécu. […] C’est compliqué parce que les aîné(e)s ont aussi leurs propres traumas et des trucs qu’iels ont traversés, donc on essaye de comprendre, comme le font les humains. (Rire.) Mais ça, comme, les gens ont besoin de relations avec des personnes plus âgées qui peuvent vraiment les soutenir. (August, prizmatic, 23 ans)
C’est sûr que si j’avais pas eu ça, je serais pas là. Je serais… juste pas ici parce que ma famille choisie c’est comme… quand je les ai, quand j’ai des problèmes de santé mentale ou des choses comme ça […], c’est pas ma famille biologique que je vais voir, t’sais. (Addison, transmasculin genderfluid non binaire, 25 ans)
Les parents manquent parfois des moments charnières de la vie des jeunes, tandis que d’autres sources de soutien prennent le relais : « J’ai fait mon coming out, pis l’amie à ma mère, c’est elle qui est venue me faire couper les cheveux. Parce que ma mère, elle a se sentait pas prête. Mais est venue avec moi le faire même si ma mère voulait pas. Fait que, ça a pas mal aidé » (Colin, homme, 18 ans).
En somme, le fait d’avoir des parents aidants dans certains domaines et pas dans d’autres crée un sentiment d’ambivalence chez les jeunes. En comparant leur situation personnelle à celle d’autres jeunes trans plus mal loti(e)s, plusieurs participant(e)s ont dit ressentir de la gratitude, sans pour autant exprimer une réelle satisfaction. Le soutien parental ne peut donc pas se limiter à un discours d’acceptation, il doit être suivi par des gestes concrets qui répondent aux besoins de leur enfant, sans quoi celui(lle)-ci ressent de l’incompréhension, un manque de soutien et, dans certains cas, une pression de devoir se conformer aux attentes de ses parents plutôt qu’une liberté d’exprimer ses besoins réels.
Un soutien non linéaire
Trois formes de soutien parental se dégagent ainsi des données (soutien fort, non-soutien, neutralité négative). Notre étude démontre cependant que le soutien parental peut évoluer avec le temps, qu’il est parfois inégal au sein d’une même famille et qu’il est multidimensionnel (des jeunes ont dit avoir reçu du soutien sur le plan financier, mais pas sur le plan affectif, par exemple). Plusieurs jeunes ont ainsi rapporté que leurs parents avaient initialement manifesté des réserves, de l’incompréhension, de la tristesse ou des inquiétudes, avant de véritablement les soutenir. La mère de Louis a ainsi eu une réaction négative pendant deux mois, durant lesquels elle refusait de parler à son enfant : « Mais, après ça, comme elle est venue, pis elle s’est excusée, pis elle m’a dit : “Ben, je me suis plus éduquée sur le sujet, pis – t’sais, ce que t’as besoin, on va le faire ensemble, peu importe ce que c’est.” » Si, selon la perspective des participant(e)s, le temps semble aider leurs parents à accepter leur identité de genre, il faut parfois un déclencheur pour que cela se produise (voir son enfant pleurer, avoir peur que l’enfant retombe en dépression, etc.).
Parfois, les décalages dans le soutien peuvent avoir des conséquences néfastes à long terme. Emily, par exemple, a eu beaucoup de comportements suicidaires, d’automutilation, d’anorexie. Bien qu’elle dise aujourd’hui aller beaucoup mieux et être plus en contrôle, Emily fait encore de l’anorexie et a encore des flashbacks de son père, ce qui l’empêche d’atteindre un bien-être maximal.
[D]ans ma tête, je suis pas bien encore. J’ai des flashbacks ou j’ai… ça brasse. C’est par rapport à la violence que j’ai eue dans mon enfance par mon père. Vraiment, au niveau psychologique, il m’a détruite, en fait […]. Puis je me suis reconstruite, puis avec ma transition c’est ça qui m’a comme donné des piliers principaux. (Emily, demigirl, 20 ans)
Il est assez fréquent dans nos entrevues que les participant(e)s aient observé une amélioration du soutien parental. Mais dans certains cas, plus rares, des jeunes ont rapporté au contraire une dégradation de l’attitude parentale. Ce fut le cas de Greer, qui, après avoir reçu un bon soutien au départ, a observé un renversement lorsque sa mère a fait des recherches sur Internet :
Elle, en gros elle regarde les mauvaises choses que les hormones peuvent faire aux gens. […] Des blogues horribles de TERF. […] Si c’était un graphique, ça serait comme moi qui fais mon coming out, c’est allé haut, puis après, c’est allé bas – très, très bas, très vite. Et après, bien, ça a juste dégringolé depuis, comme de pire en pire. Ça n’est pas remonté. C’est juste parce qu’elle a lu des choses, et qu’elle a eu peur. Je pense que c’est un gros truc de peur. À propos des personnes trans, j’imagine.
On voit donc que l’attitude parentale peut être amenée à évoluer selon le cheminement des parents et les informations qui leur sont accessibles.
Discussion
Les données de notre recherche réaffirment que le soutien parental fort a une influence positive marquante sur le bien-être des jeunes. La recherche offre des données qualitatives qui ajoutent aux études précédentes ayant démontré que le soutien parental est essentiel au bien-être des jeunes (Travers et al., 2012) et constitue un important facteur de protection (Higa et al., 2014 ; Wilson et al., 2016 ; Katz-Wise et al., 2018 ; Ryan et al., 2010 ; Olson et al., 2016 ; Taliaferro et al., 2018 ; Simons et al., 2013 ; McConnell et al., 2016 ; Taylor et al., 2020). Notre recherche vient clarifier les aspects multidimensionnel, non linéaire et temporel de ce soutien, dans le sens où le soutien fort, mitigé ou absent n’est pas toujours stable ou permanent, et les jeunes vivent des changements, parfois positifs, parfois négatifs, face aux attitudes et comportements de soutien de leurs parents.
Nos données permettent de dégager deux formes principales de soutien : le soutien affectif (moral) et le soutien matériel (financier). En cohérence avec les conclusions de Simons et al. (2013), nos données ont montré que le soutien parental passe par un lien de confiance, d’aide et de conseil qui s’établit entre parents et enfants. Le soutien financier des parents est salvateur quand vient le temps de payer pour les diverses modalités médicales et légales de la transition (hormonothérapie, changement de nom, suivi psychologique, etc.), ce qui fait écho aux travaux de Wolowic et al. (2018), qui mentionnent que les parents peuvent créer un lien par le biais de ressources pécuniaires. Nos données montrent en effet que certains parents peuvent diriger leur enfant vers des services en sexologie ou vers des groupes de soutien LGBTQ, ce qui peut améliorer le bien-être de l’enfant et sa relation avec le parent.
Nous avons vu également que le soutien offert par les parents peut s’étendre ou pas à la sphère de l’identité de genre. Dans les cas où les parents soutiennent leur enfant sans soutenir son expression de genre, on parlera de « soutien conditionnel » puisqu’il n’est présent que sous certaines conditions (nous y reviendrons plus tard). Quand, au contraire, les parents offrent leur soutien même dans la transition de leur enfant, on peut parler d’un soutien « affirmateur » puisqu’il permet à l’enfant d’affirmer son identité. Nos données montrent que le soutien affirmateur passe par une reconnaissance de l’identité de l’enfant, ce qui va dans le sens des travaux d’Honneth, qui démontre que la reconnaissance est indispensable à la réalisation de soi (1995 ; 2001). Cela passe notamment par l’acceptation inconditionnelle de l’enfant.
Si notre méthodologie ne permet pas d’émettre un lien de cause à effet entre un soutien parental fort et le sentiment de sécurité chez l’enfant (Wolowic et al., 2018), le renforcement de son estime de soi (Ryan, 2009), ou la réduction de ses comportements à risques et de ses problèmes de santé mentale (Simons et al., 2013 ; Taliaferro et al., 2018 ; McConnell et al., 2016 ; Wilson et al., 2016), nos données démontrent que le fait de pouvoir vivre pleinement dans son genre augmente l’estime de soi. Le niveau déclaré de bien-être est également plus élevé chez les jeunes ayant reçu un fort soutien parental – et selon qui l’environnement acceptant et soutenant a contribué à ce bien-être –, ce qui va dans le sens de la recherche de Ryan (2009) soulignant l’influence majeure du soutien parental sur le bien-être des jeunes LGBTQ.
Nos données font aussi ressortir l’idée que le soutien parental permet de cultiver des relations de confiance, de proximité et d’amour entre parents et enfants (Ehrensaft, 2011). Mais cette acceptation doit, selon la perspective des jeunes rencontré(e)s, s’accompagner de gestes concrets et démonstratifs du soutien parental de leur expression de genre. Car c’est bien souvent le fait de pouvoir vivre une identité authentique, et ce, dans l’ensemble des sphères de sa vie, qui permet à l’enfant de se sentir bien. Plusieurs jeunes ont aussi souligné l’importance pour elleux de savoir leurs parents bien informés sur leur réalité propre, afin de mieux les comprendre et de leur apporter un soutien adéquat. L’éducation aux réalités et enjeux trans est un des piliers du processus d’acceptation (Pullen Sansfaçon et al., 2019). Keo-Meyer et Ehrensaft (2018) encouragent d’ailleurs les intervenant(e)s à adopter une attitude trans affirmative – c’est-à-dire une attitude qui permet aux jeunes d’explorer diverses perspectives sur le monde et d’être validé(e)s dans leur genre – et à examiner l’attitude parentale à l’égard des choix de leur enfant, tout en offrant une occasion de déconstruire les stéréotypes (Ehrensaft, 2011 ; Grossman et al, 2005).
Ce que révèle en outre notre étude, c’est qu’il y a des limites à ce que le soutien parental peut apporter. Comme le révèlent les travaux d’Olson et al. (2016) et ceux de Katz-Wise et al. (2018), les jeunes trans constituent une communauté vulnérabilisée, plus exposée au stress que le reste de la population (notamment à cause de la dysphorie, des contacts fréquents avec le milieu médical et des expériences de violence et de transphobie vécues sur le plan social). Ainsi, plusieurs facteurs externes à l’environnement familial peuvent éroder le sentiment de bien-être chez les jeunes, dont la relation qu’entretiennent (ou pas) entre eux les parents.
Le soutien parental, lorsqu’il est incomplet, peut aussi ne pas suffire à assurer le bien-être de l’enfant (dans le cas de la neutralité négative, notamment). Un soutien « conditionnel » qui n’accueille pas l’enfant dans sa pleine expression peut même s’avérer délétère pour lui ou elle. Higa et ses collègues (2014) font état de ce genre de situation où les parents demandent à leur enfant LGBTQ, entre autres choses, de se conformer à des normes cissexistes[12] ou hétérosexistes, ce qui lui rend difficile de vivre sa sexualité de manière authentique. Notre étude montre à quel point cette attitude affecte aussi le bien-être la population spécifiquement trans. Nous avons vu que certains parents feignent d’ignorer l’identité préconisée par leur enfant, utilisant les pronoms et le nom assignés à la naissance. Les travaux d’Ehrensaft (2011) expliquent les mécanismes psychologiques conduisant les parents à adopter une attitude d’affirmation (mécanismes « transformateurs ») ou de désapprobation de leur enfant (mécanismes « transphobes »), et même certaines attitudes qui démontrent des contradictions entre les actions des parents et les normes qu'iels ont intériorisées (mécanismes « transporteurs »). Nous pensons qu’il est fondamental d’observer l’attitude des parents dans d’autres sphères de la vie de l’enfant, car un parent « transphobe » selon Ehrensaft peut par ailleurs soutenir son enfant sur d’autres plans, ce qui a un effet différent d’un parent « transphobe » qui rejetterait complètement son enfant. Dans le premier cas, la pression conformiste peut être plus forte, car l’enfant se sent alors redevable ou ambivalent(e) à l’égard de ses parents.
Nos données suggèrent que la désapprobation parentale est plus prononcée envers les personnes transféminines et les enfants non binaires (les hommes trans semblent en effet mieux acceptés de leurs parents). Cela fait écho au concept de transmisogynie élaboré par Serano (2007). Selon elle, les femmes trans subissent à la fois du cissexisme, du fait qu’elles confrontent la binarité des genres, et à la fois du sexisme, car elles menacent la suprématie supposée de la masculinité. Grossman et ses collègues (2005) avaient par ailleurs observé une plus forte victimisation et une plus grande difficulté à s’habiller dans le genre authentique chez les jeunes trans assigné(e)s hommes à la naissance, pour qui les normes de genre sont plus rigides. Les personnes non binaires semblent de plus vivre d’autres difficultés particulières (Clark et al., 2018), par rapport auxquelles il serait intéressant d’explorer le point de vue des parents pour mieux comprendre ce phénomène. D’ici là, nous avancerons que plus l’enfant confronte le cadre normatif binaire de genre, plus les parents ont du mal à l’accepter.
À l’image de ce qu’ont démontré des travaux précédents (Ryan, 2009 ; McConnell et al., 2016), les parcours de plusieurs jeunes de notre échantillon révèlent que les conflits familiaux et le manque de soutien peuvent sévèrement limiter les options de survie qui s’offrent à elleux, et les rendre plus susceptibles de se retrouver en situation d’itinérance. De plus, les jeunes recevant peu de soutien cherchent généralement à se distancer de leurs parents – physiquement comme émotionnellement.
Une autre piste décisive consistera à approfondir notre analyse de la manière dont d’autres formes de soutien social peuvent procurer un sentiment d’accompagnement et de reconnaissance aux jeunes trans. En outre, une exploration plus détaillée des facteurs intersectionnels nous permettra de mieux comprendre les conditions historiques, politiques et matérielles qui sous-tendent leurs expériences, et de voir comment le soutien social est offert auprès des jeunes trans. Cela dit, la diversité de notre échantillon nous permet déjà d’identifier certains indicateurs dans la donnée, comme la différence entre les genres et les formes de soutien reçues. De plus, la question de la classe sociale au regard de l’accès aux ressources financières pourrait se poser, surtout lorsqu’il s’agit de soutien financier à la transition, et d’accès au logement. En effet, certaines familles et communautés à faible revenu peinent déjà à combler, avant toute considération spécifique à la transition de leur enfant, leurs besoins essentiels.
Conclusion
Nous avons démontré que l’idée même du soutien parental gagnerait à être davantage nuancée par rapport à ce que nous avons trouvé dans les écrits existants. Par exemple, la notion de soutien parental est tantôt temporaire, tandis que le soutien faible se matérialise tantôt dans une sphère de la vie d’un(e) jeune, mais pas dans l’autre. Et si nos données réitèrent l’importance du soutien parental pour assurer le bien-être, la sécurité et le développement de l’estime de soi des jeunes trans, elles illustrent en outre les différentes dimensions possibles du soutien. En recourant à une méthodologie qualitative, il nous a été possible d’envisager différentes manières dont se manifeste le soutien, tout en nuançant les expériences de non-soutien, qu’il soit conditionnel ou totalement absent.
Sur cette base, les professionnel(le)s et organismes qui travaillent auprès des jeunes trans et non binaires devraient focaliser leurs interventions sur les parents et, plus globalement, les familles. En effet, si le bien-être n’est pas garanti pour un(e) jeune bénéficiant d’un soutien fort de ses parents, il est nécessairement facilité. Le soutien et l’acceptation parentale font partie de processus de longue haleine toutefois essentiels, comme le démontre notre recherche, à l’épanouissement des jeunes trans. L’acceptation inconditionnelle de l’enfant, et ce, le plus tôt possible dans sa vie, permet sans doute de lui éviter des passages difficiles (problèmes de santé mentale, situation sociale précaire) qui, à leur tour, affecteraient son bien-être à long terme. Nos données prouvent que le soutien parental ne peut se limiter à un simple discours d’acceptation : celui-ci doit s’assortir de gestes concrets de soutien à l’enfant dans son expression de genre. Un parent soutenant est donc un parent qui accompagne son enfant en répondant à ses besoins (notamment en lui permettant d’effectuer une transition si tel est son souhait).
Parties annexes
Notes
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[1]
Le pronom neutre « elleux» remplace les pronoms « elles» et « eux» ; « iel(s) » remplace les pronoms « il(s) » et « elle(s) ». Nous emploierons ici ces pronoms afin de rendre la langue aussi neutre que possible en termes de genre et de sexe. Cet usage se veut une façon d’assurer le respect de l’identité de genre des jeunes ayant participé au projet de recherche, surtout qu’une importante partie du groupe sondé s’est identifiée de manière non binaire.
-
[2]
Comme le décrivent les citations présentées dans la section « résultats », les jeunes ont été invité(e)s à employer leurs propres mots pour se décrire. Les catégories de genre présentées ici ne représentent donc pas fidèlement la diversité des genres des personnes participantes, mais sert simplement à indiquer les catégories plus larges des identités des participant(e)s.
-
[3]
Le terme « bloqueurs » désigne un traitement médical visant à retarder la puberté.
-
[4]
Lors de la première et de la deuxième vague d’entrevues, nous avons demandé aux jeunes de nous décrire leur bien-être dans leurs propres mots, et de situer leur niveau de bien-être actuel sur une échelle de 1 à 10, 1 étant très faible et 10 étant excellent.
-
[5]
Terme utilisé par certaines personnes qui ne s’identifient pas complétement avec une identité féminine
-
[6]
Le morinom est le prénom assigné à la naissance et devenu moribond quand la personne décide de ne plus l’utiliser, en choisissant un autre prénom.
-
[7]
Interviewé(e)s dans le cadre de la deuxième vague.
-
[8]
Bispirituel est un terme qui va au-delà des catégorisations binaires d’orientation sexuelle ou de genre
-
[9]
TERF= Trans Exclusionary Radical Feminist (Féministes radicales qui excluent les trans). C’est un courant féministe matérialiste radical qui exclue les personnes trans de ses actions.
-
[10]
Une thérapie de conversion fait référence à un traitement qui vise à changer l’orientation sexuelle ou l’identité de genre d’une personne. Elles sont illégales dans plusieurs Provinces et États
-
[11]
Cette personne s’autodéfinie par ce terme qu’elle explique par une multiplicité de genre. Il n’y a pas de définition formelle de ce terme.
-
[12]
Se rapporte aux normes favorisant les identités cisgenres.
Bibliographie
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