Corps de l’article

Dans les sociétés occidentales, l’allaitement maternel fait l’objet d’une promotion intensive de la part des autorités médicales et de santé publique (Bayard, 2014a). Pour favoriser le développement optimal du nourrisson, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande depuis les années 2000 l’allaitement au sein exclusif[1] jusqu’à six mois et sa poursuite, avec l’ajout d’aliments complémentaires appropriés, jusqu’à deux ans (OMS, 2001 ; OMS, 2018). En Amérique du Nord, les instances gouvernementales (Santé Canada, 2015 ; CDC, 2018), les associations médicales et professionnelles (Association canadienne de pédiatrie, 2017 ; American Academy of Pediatrics, 2012) et les organisations non gouvernementales vont dans le même sens en recommandant aux nouvelles mères d’allaiter exclusivement leur nouveau-né jusqu’à six mois.

De la même façon, les promoteurs de l’allaitement encouragent les femmes à nourrir leur enfant au sein dans les lieux publics. Même si cette pratique est adoptée par plusieurs d’entre elles dans les pays occidentaux, la vue d’une mère qui allaite dans les lieux publics, incluant Internet et les réseaux sociaux, suscitent encore des réticences et de l’inconfort chez certaines personnes. Sur Internet, l’étude de Grant (2016) a démontré que 82 % des commentaires rédigés en réaction à la publication d’un article abordant l’allaitement dans les lieux publics sur la plateforme du Mail Online (UK) étaient négatifs. Dans leurs commentaires, les utilisateurs et les utilisatrices reprochaient à ces femmes d’être d’indiscrètes, de vouloir attirer l’attention des hommes en se dénudant ou encore d’être des mères inadéquates (Grant, 2016). Sur les réseaux sociaux, la recherche de Boon et Pentney (2016) montre que pour certaines personnes les selfies d’allaitement (brelfies[2]) suscitent également des réactions négatives. Une mère qui, par exemple, ne se conforme pas aux normes de beauté (affichant un corps obèse) et de féminité (allaiter sans être discrète) ou qui allaite des jumeaux s’expose à l’opprobre social. Dans son analyse thématique des publications regroupées sous le mot-clic #brelfies sur Twitter, Beach (2017) note aussi que ces images provoquent du dégoût chez certain.e.s utilisateurs et utilisatrices qui associent l’allaitement à d’autres fonctions corporelles, comme la sexualité ou la défécation, devant être maintenues à l’abri des regards (privé).

Les résultats de ces recherches nous rappellent que dans les sociétés occidentales le sein féminin continue d’être appréhendé à travers le regard de l’homme hétérosexuel, soit comme un objet symbolisant la féminité, la sensualité et la sexualité. Dans ce contexte, l’apparition du sein allaitant dans l’espace public vient brouiller les codes établis, car celui-ci se révèle aussi comme pouvant materner et nourrir. Aussi, les réactions négatives suscitées par l’allaitement dans les lieux publics laissent entrevoir la persistance de la dichotomie maternité/sexualité départageant la mère pure et vertueuse de sa rivale, la femme tentatrice et attirante sexuellement (Hurst, 2012, p. 262). Conscientes de cela, un grand nombre de femmes adoptent, par pudeur ou par contrainte, des stratégies (couverture par-dessus l’épaule, achat de vêtements d’allaitement, utilisation des salles d’allaitement) pour « allaiter sans être vues » dans les lieux publics (Bayard, 2014b). Malgré la plus grande acceptabilité sociale de cette pratique, il demeure que l’occupation de l’espace public physique et virtuel continue d’être dictée par le genre et négociée entre différents acteurs en fonction notamment de leur positionnement social (Stearns, 1999 ; Campo, 2010 ; Groleau, Sigouin et D’souza, 2013 ; Boyer, 2012 ; Lane, 2014).

Récemment, la négociation de l’allaitement dans l’espace public s’observe par l’importance du phénomène encore peu étudié des mères qui publient des photographies d’allaitement sur les réseaux sociaux (Boon et Pentney, 2016 ; Locatelli, 2017 ; Beach, 2017). Même si le phénomène est relativement récent, on retrouve aujourd’hui sur Instagram des millions d’images d’allaitement sous les mots-clics (non mutuellement exclusifs) #breastfeeding (2,970M), #normalizebreastfeeding (758 540), #allaitement (90 951) et #worldbreastfeedingweek (139 099)[3]. En janvier 2017, par exemple, le réseau social Instagram comptait près de 30 000 images d’allaitement regroupées sous le mot-clic #brelfie comparativement à plus de 70 000 un an plus tard (17 janvier 2018). Il faut dire que jusqu’à tout dernièrement[4] les images d’allaitement publiées sur les réseaux sociaux contrevenaient aux conditions d’utilisation en matière de nudité de Facebook et d’Instagram. Ainsi, une photographie affichant le sein, le mamelon ou encore le corps dénudé des femmes allaitantes pouvait être signalée auprès de ces compagnies par d’autres utilisateurs et utilisatrices qu’ils soient « amis », « abonnés », ou autres. C’est dans ce contexte que certaines femmes ont vu leurs comptes suspendus et leurs photographies supprimées (The Guardian, 2008 ; Le Nouvel Observateur, 2013 ; Radio-Canada, 2014), ce à quoi elles et d’autres ont riposté en signant des pétitions ; en créant de nouvelles pages Facebook pour remplacer temporairement celles qui avaient été suspendues ; en rédigeant de billets de blogue ; en sollicitant les médias, en publiant massivement des brelfies sur les réseaux sociaux (The New York Times, 2011 ; The HuffPost, 2013). À long terme, leurs actions semblent avoir porté puisqu’aujourd’hui la publication de brelfies est une pratique encouragée par les Nations Unies (Reuters, 2016) et des plateformes comme Instagram ont modifié leurs conditions d’utilisation pour permettre le partage de photographies d’allaitement :

« Nous sommes conscients qu’il arrive parfois que des personnes veuillent partager des images de nudité à caractère artistique ou créatif, mais pour un bon nombre de raisons nous n’autorisons pas la nudité sur Instagram. Cela inclut les photos, les vidéos et les autres contenus numériques présentant des rapports sexuels, des organes génitaux ou des plans rapprochés de fesses entièrement exposées. Cela inclut également certaines photos de mamelons, mais les photos de cicatrices post-mastectomie et de femmes qui allaitent activement un enfant sont autorisées » (Instagram, 2018a).

Outre la revendication de leur droit d’occuper l’espace public et leur engagement dans le mouvement collectif visant à réduire la stigmatisation à l’égard de l’allaitement dans les lieux publics, les mères allaitantes utilisent aussi leurs brelfies pour témoigner de leurs expériences personnelles d’allaitement, pour créer un réseau de soutien ou pour démontrer que la fonction du sein est avant tout nourricière (Boon et Pentney, 2016 ; Locatelli, 2017 ; Beach, 2017). La publication de leurs images d’allaitement permet également à ces femmes de se présenter à leurs abonné.e.s comme des mères, qui plus est comme des mères qui allaitent, un geste qui n’est pas anodin dans un contexte où l’allaitement est promu comme le mode d’alimentation à privilégier.

Dans la foulée des précédentes, les célébrités sont elles aussi de plus en plus nombreuses à relayer leurs photographies d’allaitement sur les réseaux sociaux - des images auparavant circonscrites aux pages des magazines féminins[5] - décuplant par le fait même la visibilité de l’allaitement dans l’espace public. Si des recherches se sont penchées récemment sur le partage des photographies d’allaitement par des mères non célèbres sur les RS, aucune étude à notre connaissance n’a porté plus spécifiquement sur les célébrités. Pourtant, cette perspective nous paraît pertinente à étudier à bien des égards. D’une part, parce que les célébrités contemporaines sont des personnes qui, indépendamment de leurs succès professionnels, bénéficient d’une grande visibilité médiatique et d’une capacité d’attirer l’attention (Turner, 2014, p. 3). Deux caractéristiques qui confèrent aux célébrités une autorité et un grand pouvoir d’influence, dont elles peuvent tirer profit dans d’autres domaines que leurs champs d’activités (Driessens, 2013). Par exemple, le pouvoir d’influence d’une célébrité issue de l’industrie de la télévision ou du cinéma peut être capitalisé pour vendre des vêtements - Sarah Jessica Parker alias Carrie Bradshaw dans Sex and The City (Moir, 2015) –, des modes de vie - Gwyneth Paltrow et sa compagnie Goop (Caulfield, 2015) ou encore attirer l’attention sur des enjeux sociaux – Alyssa Milano et le mouvement #MeToo (Time, 2018). Marwick et boyd (2011) soulignent que pour maintenir leur popularité, les célébrités sont amenées à construire, en interaction avec leur audience, un personnage consommable en performant l’intimité, l’authenticité et l’accessibilité. Autrement dit, les célébrités doivent ainsi créer l’illusion que les images relayées sur les réseaux sociaux sont des moments inédits, spontanés et non censurés de leur vie privée et professionnelle. Il s’agit, dans le sens de Goffman (1973), d’une performance calculée visant à produire une impression déterminée auprès de leur audience. De notre point de vue, sans toutefois remettre en question l’agentivité des femmes célèbres étudiées, nous considérons les photographies d’allaitement des célébrités sur Instagram comme des mises en scène de leur intimité qui participent à la construction de leur personnage public. Une performance qui nécessite la performance de l’autre pour exister, c’est-à-dire « a fan deference and mutual recognition of unequal status » (p. 16).

D’autre part, les célébrités sont aussi amenées à incarner sur les réseaux sociaux des positions/modèles identitaires qui interpellent les admirateurs et les consommateurs dans leur subjectivité, c’est-à-dire « to certain psychic, cultural and economics needs, desires and aspirations » (Redmond, 2019, p. 4). En produisant et en relayant leurs images sur les réseaux sociaux, et en construisant leur personnage public, les célébrités contribuent aussi à la création, au maintien et à la transformation des normes et des représentations sociales relatifs à la maternité et au corps postnatal des femmes. Un processus auquel certaines participent déjà, volontairement ou involontairement, par l’entremise des médias et des magazines féminins (Douglas et Micheals, 2005 ; O’Brien Hallstein, 2011 ; Duvall, 2014). À la différence que les réseaux sociaux procurent à ces femmes davantage de contrôle sur la production et l’interprétation de leur mise en scène allant bien souvent de pair avec la production de leur marque. Redmond (2019) rappelle que les célébrités sont des représentations construites qui témoignent des sociétés dans lesquelles elles sont produites :

« Stars and celebrities are always representational constructs: their representations connected to, and dissected by, notions of possessive individualism, social class, gender, sexuality, race and ethnicity; and through commodity and consumer relationship » (p. 3).

Ainsi, de par leurs caractéristiques personnelles, leur positionnement social et leur capacité de devenir un objet de consommation, les célébrités deviennent des modèles qui incarnent de manière idéalisée des façons d’être, de vivre, de penser, d’aimer et, dans le cas qui nous intéresse, de materner, auprès de publics variés (Douglas et Micheals, 2004 ; Petersen, 2017), ce qui n’est pas sans conséquence pour certaines femmes qui consomment les représentations et les discours produits. En effet, plusieurs recherches ont démontré que le niveau d’intérêt de certaines femmes pour les célébrités peut avoir une influence négative sur leur satisfaction corporelle, leur façon d’expérimenter la maternité et d’appréhender leur corps durant et après la grossesse (Brown et Tiggemann, 2016 ; Chae, 2014 ; Malatzky, 2017 ; Williams, Christopher et Sinski, 2017).

À partir de la réalité singulière des mères célèbres, notre recherche avait donc pour objectif de mieux cerner le phénomène peu étudié qui consiste à publier des photographies d’allaitement sur le réseau social Instagram. Dans cet article, nous avons cherché à mieux comprendre : comment les célébrités mettent en scène la pratique de l’allaitement sur Instagram ? Quelles sont les différentes mises en scène proposées ? Quelles sont les idées véhiculées à travers ces mises en scène ? Pour répondre à ces questions, nous avons analysé le contenu de 50 publications (photographies, légendes et mots-clics) relayées sur le réseau social Instagram par 13 célébrités entre les mois de janvier 2014 et d'août 2016. Dans un premier temps, nous présentons l’approche méthodologique privilégiée dans le cadre de cette recherche. Ensuite, nous dévoilerons les résultats de notre analyse avant de revenir sur nos objectifs de recherches dans une brève conclusion.

Méthodologie

Développée en 2010, achetée par Facebook en 2012 (Instagram, 2012), l’application Instagram compte plus de 800 millions d’utilisateurs actifs tous les mois (Instagram, 2018b), dont un grand nombre de célébrités (Business Insider, 2017). En 2017, par exemple, les comptes les plus populaires sur Instagram appartenaient à des personnalités issues des mondes artistique et sportif — la chanteuse Selena Gomez (130 millions) et le joueur de soccer Cristiano Ronaldo (116 millions) arrivant en tête de liste de ce palmarès (Instagram, 2018b). Brièvement, Instagram permet à ses utilisateurs de partager des contenus visuels, en temps réel ou différé, comme des photographies, des vidéos et des « storys » (vidéos éphémères), personnalisés à l’aide de filtres, d’autocollants virtuels, d’émoticônes, de mots-clics et du système de géolocalisation. Les abonné.es de cette plateforme peuvent choisir de relayer leurs contenus en mode privé – à des personnes présélectionnées — ou public (Instagram, 2018a). En 2017, les 10 photographies les plus populaires ont été relayées par des célébrités à partir de leur compte public. Dans le contexte de notre recherche, il est intéressant de noter que la moitié de ces images publiées par les célébrités annoncent la grossesse[6] ou la naissance d’un enfant[7] (Instagram, 2018b). En résumé, la popularité des célébrités sur Instagram, la prédominance des photographies sur cette plateforme, le caractère public des comptes des célébrités et le peu d’études réalisées à partir de cette plateforme (Highfield et Leaver, 2015) justifient son utilisation pour étudier le phénomène des célébrités qui publient des photographies d’allaitement sur Instagram.

À partir du réseau social Instagram, nous avons réalisé une collecte de données des photographies d’allaitement des célébrités qui couvre la période allant du mois de janvier 2014 au mois d’août 2016. Pour composer notre échantillon, nous avons effectué un premier repérage par l’entremise du moteur de recherche Google à l’aide des combinaisons de mots-clés suivantes en anglais et en français : breastfeeding/celebrity (allaitement/célébrité), breastfeeding/actress et breastfeeding/model et breastfeeding/singer (allaitement/actrice et allaitement/mannequin et allaitement/chanteuse). Cette technique a été retenue pour faciliter l’identification des célébrités. Pour chaque combinaison de mots-clés (8), les 20 premières entrées (comprenant des articles de presse, de magazines, de blogues, de tabloïds et des reportages télévisuels) ont été lues (au total 160 entrées) pour dresser une liste de 91 célébrités ayant publié une photographie d’allaitement ou ayant affirmé avoir allaité leur enfant. De ce nombre, les noms de 78 célébrités ont été retirés de notre échantillon pour les raisons suivantes : 1) elles ne possédaient pas de compte Instagram, 2) la photographie d’allaitement publiée sur Instagram précédait ou succédait la période étudiée (janvier 2014 à août 2016), 3) au moment de la collecte, aucune photographie d’allaitement n’avait été publiée sur leur compte Instagram, ce qui n’exclut pas la circulation d’une photographie d’allaitement sur d’autres plateformes comme Facebook. À cette étape, mis à part le critère de « célébrité » (voir la définition à la première page de cet article), aucun autre critère d’exclusion, comme les caractéristiques sociodémographiques (âge, sexe, revenus, lieu de naissance, statut matrimonial, sexualité) ou le niveau de popularité d’une célébrité (qui peut, entre autres, se mesurer par le nombre d’abonné.es sur Instagram), n’a été utilisé. Autrement dit, chaque femme célèbre ayant publié une photographie d’allaitement sur son compte public Instagram, durant la période étudiée, a été incluse dans notre échantillon.

Profil des célébrités

Dans le cadre de cette recherche, nous avons donc été en mesure de constituer un échantillon composé de 50 photographies d’allaitement, publiées entre les mois de janvier 2014 et août 2016, sur les comptes publics et vérifiés de 13 célébrités. Pour établir le profil sociodémographique des célébrités, nous avons croisé les données disponibles sur leurs pages professionnelles et dans les magazines féminins. Au moment de la collecte, les treize femmes célèbres de notre échantillon étaient âgées de 28 et 46 ans ; étaient majoritairement mariées (10) ; formaient un couple hétérosexuel (13) ; avaient donné naissance à au moins un enfant (selon les informations compilées, aucun enfant n’avait été adopté). Nées aux États-Unis (6), mais aussi en Inde (1), au Canada (1), en Russie (1), en Italie (1), en Australie (1), en République tchèque (1) et aux Pays-Bas (1), ces célébrités occupaient les professions de mannequin (5), d’actrice (5), d’animatrice de télévision (1) et d’auteure-compositrice-interprète (2). Sur leur profil Instagram, l’ensemble des célébrités de notre échantillon s’exprimait en anglais. Huit d’entre elles étaient aussi à la tête d’une compagnie de production, d’une marque de vêtements et de bijoux ou d’une Fondation. En août 2016, elles possédaient un compte Instagram public, vérifié et avec un nombre d’abonné.es allant entre 208k et 10,5 millions d’abonnés.

Types de photographies

Deux types de photographies d’allaitement composent notre échantillon. Le premier type est un selfie d’allaitement (« brelfie ») pris par la célébrité elle-même à l’aide d’un appareil mobile. Le deuxième type de photographie est capté par une autre personne, soit un membre de l’entourage ou un photographe professionnel pour le compte d’un magazine féminin. Dans notre échantillon, trois célébrités ont publié uniquement des « brelfies » (type 1), deux célébrités ont uniquement relayé des portraits pris par une autre personne (type 2) et enfin, huit d’entre elles ont fait circuler les deux types de portraits d’allaitement sur leur compte Instagram. Dans son ensemble, on compte un plus grand nombre de photographies d’allaitement prises par une autre personne (32 images) que de « brelfies » (18 images). Le nombre de photographies d’allaitement partagées par les célébrités, entre janvier 2014 et août 2016, varie entre 1 et 12 clichés. Il est intéressant de noter que quatre des célébrités ont relayé une seule photographie d’allaitement sur leur compte Instagram durant cette même période. Aussi, les célébrités publient généralement des photographies d’allaitement sur lesquelles apparaît le même enfant, celui dont la naissance est récente, à l’exception de deux qui ont aussi publié des images à rebours de leur aîné. Il est difficile de déterminer avec exactitude l’âge des enfants présents sur les photographies, car les célébrités ne publient pas nécessairement leurs clichés en temps réel. En effet, on remarque, à cause de l’âge de l’enfant, que certaines photographies sont publiées avec quelques jours ou semaines de décalage. Néanmoins, en croisant les informations disponibles sur leurs comptes Instagram (exemple : photographie indiquant la naissance de leur enfant), avec celles qui circulent dans les médias, nous pouvons dire que les photographies d’allaitement des célébrités mettent en scène des enfants âgés entre 24 heures et près de deux ans. Nonobstant cela, la majorité de ces mères (10) publient des images de leur enfant allaité de moins de 6 mois. Dans le même ordre d’idée, il n’est pas possible d’établir la durée de l’allaitement des célébrités à partir de leurs images publiées sur Instagram, sauf pour trois d’entre-elles qui ont relayé des images sur lesquelles l’âge de l’enfant varie. Le début et la fin de l’allaitement ne sont pas des événements marqués dans le temps par ces femmes. L’allaitement semble plutôt s’inscrire dans leur trajectoire personnelle au même titre que leur mariage, leur grossesse et la naissance de leurs enfants, moments qui sont également immortalisés et dont les photographies circulent aussi sur leurs comptes Instagram.

Éthique et critères d’analyse de notre échantillon

Dans le cadre de notre recherche, nous avons privilégié une analyse qualitative des photographies d’allaitement des célébrités qui prend en compte l’ensemble des éléments d’une publication, soit l’image, la légende et les mots-clics. Comme le soulèvent Leastadius (2017) et Highfield et Leaver (2015), cette façon de procéder permet de mieux contextualiser le sens d’une publication sur Instagram. Préalablement à l’analyse, chaque photographie d’allaitement repérée en août 2016 a fait l’objet d’une capture d’écran et a été enregistrée. Au moment de commencer la rédaction de l’article, soit en août 2017, nous avons vérifié à nouveau si les photographies d’allaitement, les légendes et les mots-clics avaient été modifiés depuis leur saisie. Un an après la collecte, aucune publication n’avait été modifiée ou supprimée. Notre prudence dépasse largement celle suggérée par Laestadius (2017): « A one-month window between real-time-data collection and analysis should provide sufficient time for users to reflect on their posted content » (p. 583). De plus, au moment de la rédaction de l’article, aucune des célébrités n’avait modifié les paramètres de confidentialité de son compte. Ainsi, les publications analysées, incluant les images, ont donc été extraites des comptes publics des célébrités. Comme ces données sont accessibles à un large public sur Instagram, Internet et dans les médias, nous n’avons pas pris de précautions particulières quant à la protection de la vie privée de ces personnes (Gouvernement du Canada, 2014). Pour élaborer notre grille d’analyse des images, nous nous sommes inspirées des critères utilisés par Caron (2005) dans son analyse de la presse féminine pour adolescentes et par Rose (2016) dans son chapitre de livre sur l’analyse sémiotique. Dans notre analyse de l’image, nous avons pris en compte le type de photographie publiée (« brelfie » ou autre), le contexte de la photographie (décor ; nombre, genre et occupation des figurants ; type d’action) et la manière dont l’acte d’allaiter est présenté (présentation et disposition du corps ; âge de l’enfant ; regards de la mère et de l’enfant ; vêtements ; espace occupé par la mère et l’enfant sur la photographie). Ensuite, nous avons comparé les images entre elles pour former des catégories. Dans un deuxième temps, nous avons effectué une analyse textuelle de la légende pour mieux contextualiser l’image d’allaitement. Dans le même sens, nous avons également pris en compte les mots-clics (hashtags) puisqu’ils permettent à l’utilisatrice d’Instagram de préciser le sens et le contexte de sa publication (Bonilla et Rosa, 2015).

Les limites de notre corpus

Notre travail de recherche s’effectue sur un échantillon de petite taille non représentatif de la population des célébrités qui allaitent leur nourrisson sur les RS. Il aurait été possible d’augmenter la taille du corpus en allongeant la période couverte et en utilisant les photographies d’allaitement publiées par les célébrités sur d’autres plateformes comme Facebook et Twitter. Néanmoins, un corpus de petite taille permet de mieux circonscrire un phénomène en émergence en favorisant une analyse approfondie des publications (image, légende, mots-clics) des célébrités (Leastadius, 2017). L’homogénéité de notre échantillon est également une limite de notre recherche. Nous n’avons pas repéré les images d’allaitement d’aucune femme célèbre racisée ou lesbienne, par exemple, sur Instagram. Aussi, même si certaines des célébrités de notre échantillon initial (91 célébrités) s’exprimaient en français, aucune célébrité n’avait publié une photographie d’allaitement sur son compte Instagram au moment de la collecte de données.

Dans les pages qui suivent, nous présenterons maintenant les contextes dans lesquels s’effectuent l’allaitement des célébrités, le sens que ces femmes accordent à cette pratique et les différentes dispositions du corps allaitant dans leurs photographies.

Résultats

Une histoire en famille

Deux des treize mères célèbres de notre échantillon, soit une mannequin (4 photographies) et une actrice (1 photographie) de télévision, ont publié des mises en scène situant l’allaitement dans un cadre familial. Les images (5) regroupées sous ce thème ont été captées par un photographe professionnel pour le compte d’un magazine féminin (4) ou par un tiers dont l’identité n’est pas révélée (1). Aucun « brelfie » n’a été publié dans cette catégorie.

Dans cette catégorie, deux types de mises en scène d’allaitement ont été publiés. Le premier type (5/5 images) présente l’allaitement au sein de deux familles nucléaires, c’est-à-dire un couple hétérosexuel, marié, entouré des deux enfants issus de leur union. Sur les photographies publiées par les deux célébrités, les quatre figurant.es (père, mère, enfants) sont disposé.es de manière semblable. Les parents sont assis côte à côte, leurs enfants assis aux creux de leurs bras : l’enfant allaité (un garçon et une fille âgé.es entre 4 jours et 5 mois) dans ceux de sa mère et l’aîné de la fratrie (deux garçons âgés de 2 et 4 ans) dans ceux de son père. Même si la scène d’allaitement est destinée à être consommée par un large public (via Instagram entre autres), elle semble se dérouler en l’absence du spectateur. Aucun des figurant.es ne regarde l’objectif de la caméra : la mère regarde l’aîné de ses enfants ou son conjoint ; le père regarde sa conjointe, l’enfant dans ses bras ou le vide ; l’aîné de la fratrie regarde son père ou le vide. Aucune personne ne regarde l’enfant qui tète le sein de sa mère. Bien plus que l’allaitement, c’est la famille qui est mise de l’avant dans ces images.

Outre les similarités dans la composition de ces images, le contexte de la prise de photographie d’allaitement est cependant dissemblable selon les célébrités. En 2015, l’actrice Jaime King a publié sur Instagram une photographie d’allaitement prise par un tiers dans le décor d’une chambre d’hôpital pour annoncer la naissance de son enfant : « We are SO happy to welcome to the world our new baby boy ! Born Thursday, July 16th ! Xx » (jaime_king, Instagram, 20 juillet 2015). Du point de vue du spectateur, le caractère non professionnel de l’image (légèrement brouillée, filtrée et entourée d’un cadre violet), l’habillement des figurant.es (lui en jeans/t-shirt et elle en robe de chambre) et le lieu de la prise de l’image (hôpital) créer un sentiment de proximité avec les sujets. Comme cette mise en scène est commune, la personne qui regarde peut facilement s’identifier aux nouveaux parents. Qui plus est , le spectateur a l’impression d’être le témoin privilégié d’un moment intime, soit la première rencontre de l’entourage avec le nouveau-né et les nouveaux parents dans le lieu de naissance. Les mises en scène proposées par Doutzen Kroes contrastent avec la précédente. Sur son compte Instagram, le mannequin international a plutôt choisi de publier des photographies (4) prises par un photographe professionnel pour le compte du magazine Vogue néerlandais. Dans ces mises en scène, les figurant.es sont assis dans un grand lit blanc. La mère et la fille portent des vêtements blancs, alors que le père et le garçon sont torses nus (peaux foncées), le reste de leur corps camouflé sous une couette de lit blanche. Ces mises en scène sont construites de manière à mettre l’accent sur la binarité des genres (féminin/masculin ; blanc/noir). Même si l’action semble se dérouler dans un lieu intime, soit le lit conjugal des parents, les qualités techniques de l’image (exemples : la lumière, le cadrage, la richesse de la couleur) et la mise en beauté des corps (exemples : coiffure, peau brillante) contribuent à produire une image magnifiée de la famille et de l’allaitement. Ces images, destinées à être « consommées » par les femmes qui achètent le magazine, renforcent deux idéaux, celui de la famille complice et heureuse, et celui d’un allaitement qui se déroule aisément et avec le soutien du conjoint.

Nonobstant ces deux cas, on remarque que le père de l’enfant est le grand absent des photographies d’allaitement partagées par les célébrités sur Instagram, ce qui vient renforcer la centralité du lien mère-enfant généralement mis de l’avant dans la promotion de l’allaitement. La présence ou non du père sur les photographies d’allaitement des mères non célèbres relayées sur les réseaux sociaux n’est pas non plus un sujet abordé dans la rare littérature sur le sujet (Boon et Pentney, 2016 ; Locatelli, 2017 ; Beach, 2017). Toutefois, même si le père est absent des images d’allaitement, on le voit tout de même apparaître en compagnie de sa conjointe et de ses enfants sur d’autres images rendues publiques sur le compte Instagram des célébrités étudiées. Dans certains cas, c’est la bague portée à l’annulaire gauche du mannequin qui confirme la présence du conjoint et informe le spectateur que l’allaitement s’effectue dans le contexte d’une relation conjugale. On note cette même mise en scène sur 16 photographies (4 célébrités) de notre échantillon : la bague apparaît comme le marqueur visible du statut conjugal et de la prospérité du couple (diamant).

Une expérience gratifiante et positive

Durant la période étudiée, un grand nombre de célébrités (9) ont utilisé leurs photographies d’allaitement sur Instagram pour témoigner de leurs expériences d’allaitement et leur plaisir d’être mère. Dans notre échantillon, cette catégorie regroupe 27 photographies, soit 10 brelfies, 16 photographies prises par un tiers et 1 montage comprenant les deux types d’images.

Plusieurs mères célèbres de notre échantillon accompagnent leurs photographies d’allaitement d’un texte qualifiant le geste d’allaiter de « puissant », de « cadeau » offert à l’enfant ou comme une « forme d’engagement ». La mannequin Karolina Kurkova exprime ceci:

« Taking a moment today to give thanks for the gift of breastfeeding [émoticône mains en prière] Nature had things figured out long before we did and I believe there is no better source of nutrition for our babies thant mother’s milk, when are able to breastfeed » (karolinakurkova, Instagram, 29 janvier 2016).

Certaines célébrités se disent aussi fières et reconnaissantes d’allaiter leur enfant. Elles sont aussi nombreuses à utiliser leurs photographies d’allaitement pour partager avec leur audience leur amour envers l’enfant en utilisant des termes comme « heart swell », « love », « beyond blessed ». Comme l’actrice Alyssa Milano, quelques-unes sont vocables au sujet de leur plaisir d’allaiter :

« Almost 16 months of breastfeeding Elizabella. It’s been one of the greatest joys in my life to breastfeed my babies. #normalizebreastfeeding » (milano_alyssa, Instagram, 29 décembre 2015). 

De manière générale, on ne note aucun sentiment négatif ou ambivalent par rapport à cette pratique. Sur leurs images, les célébrités de notre échantillon se mettent en scène dans la position de la Madone. Elles sont généralement détendues, moqueuses et souriantes regardant directement l’objectif ou l’enfant au sein (voir la section « Le corps des célébrités » pour une description détaillée du positionnement des corps). Les célébrités qui publient leurs photographies sur Instagram se présentent comme des mères aimantes, attentionnées et présentes. Sur une des images, le mannequin Doutzen Kroes allaite sa fille de 8 mois, tout en embrassant son fils aîné sur la bouche. Dans la légende, elle dit : « Best moment of the day [émoticône cœur rose] » (doutzen, Instagram, 17 avril 2015).

On remarque que certaines célébrités (3) de notre échantillon exposent dans la légende de leurs images d’allaitement les raisons qui ont motivé leur choix en matière d’alimentation en insistant sur les bienfaits du lait maternel et l’importance de l’allaitement dans le développement du lien d’attachement mère-enfant. La mannequin Nicole Trunfio et la chanteuse Alanis Morissette écrivent ceci :

« […] For those women who are lucky enough to breastfeed, what you are doing for your child is priceless. Breastmilk is a liquid gold, every time my baby has a scratch I put some of my breastmilk on it. I believe this helps the healing process and prevents infection. […] There is nothing better than the bond my child and I share during these moments. Knowing I can provide all the nutrition he needs to develop and grow, makes me happy mother. I am proud to be a mother, and a women. I am proud to be able to breastfeed my child, the benefits are profound » (nictrunfio, Instagram, 28 juin 2015).

« #worldbreastfeedingweek [2 émoticones coeur] oxytocin connected-with-life bliss #connection #attachement #johnbowlby drsuejohnson.com #edwardtronick #skinonskin #illbeyourkeeperforlifeasyourguardian » (alanis, Instagram, 2 août 2016)

De manière générale, les images d’allaitement proposées par les célébrités de notre échantillon témoignent d’un allaitement maîtrisé, sans difficulté apparente. Les textes qui accompagnent ces images vont aussi la plupart du temps en ce sens. Cependant, trois (3) des célébrités mentionnent avoir surmonté des défis associés à l’allaitement.

« #repost @nickhollidayco [émoticônes: deux cœurs roses + bébé] I had to capture this moment because today was the first time I was successful at feeding lil Bowie laying down [émoticône: bras + flûte de fêtes] #normalizebreastfeeding #motherhoodrising » (tessholiday, Instagram, 28 juin 2016)

« […] It’s not an easy process, but I encourage you to not give up! It was challenging for me at the start, but I am loving every step of this journey. I celebrate the women who have made this beautiful commitment! [émoticônes trois cœurs] I would love to see your #breastfeedingselfie, post or tag a friend who is breastfeeding xoxo, KK #14weeksandcounting #kkhealthyliving #kkstyle #kkbabby2 #grateful » (karolinakurkova, Instagram, 29 janvier 2016).

Dans tous les cas, il ne semble pas que ces obstacles aient mené à la cessation de l’allaitement, car ces femmes mettent plutôt l’accent sur leur fierté d’avoir persévéré.

Qu’elles justifient ou non leur préférence pour l’allaitement, les images publiées sur Instagram présentent des mères responsables qui favorisent le développement optimal de leur enfant en offrant ce que les autorités médicales de santé considèrent comme le meilleur aliment pour la santé du nourrisson, soit le lait maternel (Santé Canada, 2015). Deux (2) des célébrités soulignent qu’elles ne jugent pas celles qui nourrissent autrement leurs enfants. Sur ce sujet, l’actrice Jaime King dit:

« #JamesKnight is now 8 months old! These are the moments a mother lives for. Breastfeeding should not be taboo – and bottle feeding should not be judged – it’s ALL fun for the whole family:) » (jaime_king, Instagram, 8 juin 2014).

Contrairement à Jaime King, on remarque que les célébrités demeurent discrètes sur le type (exclusif ou mixte) et la durée de leur allaitement. À partir des photographies publiées, il est impossible de savoir, par exemple, si elles ont allaité exclusivement durant les 6 premiers mois qui suivent la naissance de l’enfant, ce que recommandent les autorités médicales de santé (OMS). La durée totale de leur allaitement n’est pas une information rendue publique. D’ailleurs, quatre (4) mères célèbres de notre échantillon ont publié une seule image d’allaitement sans aborder le sujet de l’allaitement dans la légende. Seule l’image témoigne de leur préférence en matière d’alimentation du nourrisson. Néanmoins, l’analyse photographique nous a permis de constater que l’allaitement de certaines (3) mères s’inscrit dans la durée. Par exemple, l’actrice Alyssa Milano a partagé des photographies de son allaitement sur une période de deux ans. Au fil de ses publications, on voit sa fille Elizabella grandir (de la naissance à l’âge de 23 mois).

Il faut ajouter que 38/50 des images (75 %) de notre échantillon présentent des enfants âgés de moins de 6 mois. Comme nous l’avons dit précédemment, un grand nombre de femmes sont réticentes à allaiter leur enfant dans l’espace public à cause principalement de la sexualisation des seins.

S’engager en faveur de l’allaitement

Plus de la moitié des célébrités (7) de notre échantillon s’affichent publiquement en faveur de la « normalisation de l’allaitement ». Cette prise de position s’observe entre autres par l’ajout de hashtags comme #NormalizeBreastfeeding, #WorldBreasfeedingWeek ou son acronyme #WBW à leurs publications. Sur les réseaux sociaux, le terme #NormalizeBreastfeeding est utilisé pour promouvoir le caractère physiologique (« les mères produisent du lait ») de l’allaitement et ses bienfaits (« le lait maternel c’est bon pour la santé), mais aussi pour revendiquer une plus grande acceptabilité sociale de cette pratique dans les lieux publics. Dans le contexte de notre recherche, les motivations réelles des célébrités sont difficilement identifiables. Cependant, leurs publications (photographies et légendes) nous laissent entrevoir que leurs motivations sont multiples :

« This should be normal! [émoticone mains en prière] #normalizebreastfeeding #womenunite » (nictrunfio, Instagram, 24 juin 2015).

« #WBW2016 #breastfeeding #WBWGoals #SDGs World Breastfeeding Week 2016 is August 1-7, celebrating links between breastfeeding and the Sustainable Development Goals » (milano_alyssa, Instagram, 1 er août 2016).

Grâce à l’ajout de ces mots-clics, les images publiques des célébrités viennent s’amalgamer au flot d’images d’allaitement relayé sur Instagram par les mères non célèbres, les lactivistes (militantes de l’allaitement) et les professionnels de la santé (Locatelli, 2017 ; Beach, 2017 ; Boon et Pentney, 2016), tout en accroissant la visibilité de l’allaitement sur les réseaux sociaux grâce à leurs nombres importants d’abonné.es et au fait que leurs images Instagram circulent abondamment puisqu’elles sont reprises par d’autres médias (exemples : émission télévisuelle, journaux en ligne, etc.).

Malgré leur popularité, les mères célèbres ne sont toutefois pas à l’abri des commentaires négatifs en regard de leur allaitement sur Instagram. En octobre 2015, la chanteuse Jessie James Decker a relayé un brelfie avec son nouveau-né âgé de 5 semaines. Sur cette image, l’enfant est couché contre sa mère, sa petite main cachant le contact bouche et le mamelon. La mère, quant à elle, regarde le spectateur. La légende dit : « Loving being a mommy and feeding my sweet boy [émoticône cœur] » (jessiejamesdecker, Instagram, 8 octobre 2015). Le même jour, la mère publiera une deuxième photographie. Cette fois, la main de l’enfant ne figure plus dans l’image. Au lieu du profil du nouveau-né, on voit son visage et la prise du sein dans sa bouche. La mère, dans la même position, affirme cette fois :

« Here’s a closer look to those accusing me of « posing » this. Here’s the shot I took before but thought was maybe too visual. Now I don’t care. Enjoy #normalizebreastfeeding » (jessiejamesdecker, Instagram, 8 octobre 2015).

Dans notre échantillon, les mères célèbres répondent rarement à leurs détracteurs même si les commentaires négatifs s’accumulent sous leurs photographies d’allaitement.

La femme pieuvre

Les images des célébrités sur Instagram placent aussi l’allaitement dans un cadre professionnel. C’est le cas de cinq (5) des 13 célébrités de notre échantillon (deux mannequins, une actrice, une chanteuse et une animatrice de télévision) qui ont relayé au total 17 images prises par un tiers (conjoint (1), photographe professionnel (7) et une personne non identifiée (9) durant la période étudiée.

Promouvoir ses activités professionnelles

Les images diffusées sur Instagram montrent des femmes qui allaitent sur un plateau de télévision, dans une salle de maquillage, sur la page couverture d’un magazine féminin, dans les coulisses d’un défilé de mode ou dans une voiture lors d’une tournée de concerts. En plus de la dyade mère-enfant, certaines de ces images (8) présentent la mère allaitante entourée de figurants en arrière-plan (3) ou s’affairant à leur mise en beauté (5) – coiffeur et maquilleur. Ces dernières photographies ne sont pas sans rappeler l’iconique photographie publiée par le mannequin Gisele sur Instagram en décembre 2013[8], ce que souligne d’ailleurs le mannequin Tess Holliday dans sa légende :

« @nickholliday captured this photo of me getting ready yesterday to shoot the next instalment of my #mblmxtess @penningtons collection, and it reminded me of @gisele’s iconic photo breastfeeding on set [émoticone main + vernis à ongles] Working moms comme in all shapes, sizes, colours & creeds! #normalizebreastfeeding #workingmom #whorunstheworld » (tessholliday, Instagram, 12 juillet 2016).

Même si Instagram permet à ces femmes de partager des moments de leur quotidien au travail, on remarque que toutes les photographies regroupées dans cette catégorie revêtent également un caractère promotionnel. On observe, en effet, que les célébrités se servent aussi de leurs images d’allaitement pour vendre des produits, faire la promotion de marques ou encore attirer l’attention sur un événement comme la publication d’un magazine, une apparition télévisuelle ou le lancement d’une collection de vêtements. La citation précédente illustre bien cela. Dans la légende de sa publication Instagram, le mannequin Tess Holliday réfère, par exemple, à sa collection de vêtements vendus chez Penningtons (« my #mblmxtess @penningtons collection »), alors que dans les extraits suivants une animatrice renvoie quant à elle à son émission de télévision (#topchefmemories – Top Chef), une mannequin à la parution en kiosque d’un magazine (@elleaus – Elle Australie) et une chanteuse à la marque de vêtements portée sur l’image relayée (@marissawebb – Marque Marissa Webb).

« A shout out to working Moms everywhere!! #TBT #topchefmemories #littlehands #nursing » (padmalakshmi, Instagram, 10 mars 2016)

« Wow [émoticones cœur x 5] Thank you to ELLE @elleaus for such a beautiful cover with my little bundle of joy! My two worlds collide in #juneissue on stands Monday! […] » (nictrunfio, Instagram, 20 mai 2015).

« First day back at work! Shooting for @marieclairemag with @linhhair and @collierstrong and wearing my @marissawebb! #blessed » (milano_alyssa, Instagram, 7 novembre 2014).

En plus de leur caractère publicitaire, ces images permettent, comme le souligne Alyssa Milano, de signaler la reprise ou le maintien de leurs activités professionnelles quelques jours, semaines et mois après l’accouchement, tout en maintenant l’intérêt de leur abonné.es Instagram pour leur personne et leur marque. Il semble que dans une industrie culturelle qui reproduit des « filles en série » (Delvaux, 2013), des modèles dupliqués et interchangeables de femmes, les mères célèbres ne peuvent s’arrêter trop longtemps, même si elles sont privilégiées. Toutefois, comme nous l’avons vu précédemment, l’attention que suscitent certaines images d’allaitement peut s’avérer une arme à double tranchant dans l’élaboration d’une image de marque et dans sa monétisation. C’est pour cette raison que certaines célébrités comme Sarah Jessica Parker, l’actrice qui incarne l’héroïne Carry Bradshaw dans la série Sex and The City, développent sa marque sans mettre de l’avant son identité maternelle. Selon Moir (2015): « her celebrity and monetary value as a brand identity are dependent upon the continued relevancy of Bradshaw in popular culture. Her maternal identity is not recognized by symbolic economy with the commercial value conferred to other celebrity brands » (p. 61). Dans ce contexte, il est possible de penser qu’une image d’allaitement, peu importe ce qu’elle suscite comme réactions, sert dans la fabrication de la marque des célébrités.

Conciliation allaitement-travail : une avenue possible

Enfin, les images d’allaitement dans un contexte professionnel contribuent à ancrer l’idée dans notre imaginaire collectif qu’il est possible, voire même facile, de concilier allaitement et emploi. Pour ces célébrités, la preuve est dans l’image puisque l’allaitement n’apparaît pas comme un obstacle à la poursuite de leurs activités professionnelles.

« Nursing Bowie [émoticône éclair] at the #torridmodel event this weekend. So grateful I can take my little guy to work with me [émoticônes mains qui applaudissent et deux coeurs] #worldbreastfeedingweek #normalizebreastfeeding » (tessholliday, Instagram, 9 août 2016).

« family on tour;) europe 2012 #worldbreasfeedingweek #isupportyou @msjamielynne #everlovedthischakraglasses @jaygordonmdfaap » (alanis, Instagram, 3 août 2014).

Or, pour la majorité des femmes, concilier allaitement et travail dans les premières semaines suivant la naissance de l’enfant est loin d’être évident. Pour celles qui décident d’extraire leur lait sur les lieux de travail les défis sont nombreux comme le rapporte Jung (2015) : incapacité d’avoir accès à un espace propre ; manque de temps durant la journée ; comportements et commentaires négatifs de la part des collègues, etc.). De plus, les célébrités passent sous silence les conditions qui permettent cette conciliation travail-allaitement : contexte, horaire et fréquence de travail ; le personnel embauché pour prendre soin de leurs enfants (soutien) ; les ressources financières disponibles. À part ceux et celles qui participent à leur mise en beauté, le personnel qui assure les soins à l’enfant, par exemple, durant les périodes de travail n’apparaît pas sur Instagram. Leur travail est invisible. Ceci est peu surprenant dans la mesure où, de manière générale, le personnel de soutien, comme les « nannies », est absent des images partagées par les célébrités sur Instagram (The New York Times, 2017).

Le corps des célébrités

Nous terminerons la présentation de ces résultats en nous intéressant à la façon dont les corps des célébrités sont présentés sur les photographies d’allaitement des célébrités sur Instagram. Or, dans la présente section, nous allons limiter notre présentation à la disposition des corps dans les selfies d’allaitement (18) – les autres images ayant été discutées dans les sections précédentes – et dans les images qui associent allaitement et sexualité (8).

Brelfies : le corps tronqué

Dans un premier temps, nous avons observé que deux types de brelfies ont été publiés par les célébrités. Une première série de brelfies propose une vue de l’allaitement à partir du point de vue de la mère. Seule une partie du corps de la mère est visible, la femme s’expose de la mi-cuisse au menton, son visage est hors du cadre. C’est l’enfant qui est au centre de l’image. Ces photographies proposent une vue de l’intérieur de la relation d’intimité partagée entre la mère et l’enfant. Ici, l’appareil mobile qui a capté l’image a été placé de manière à créer un plan rapproché de l’enfant, créant une impression de proximité avec le spectateur. « #FromWhereIStand », dira l’actrice Alyssa Milano pour décrire l’une de ses publications.

Une deuxième série de brelfies, captée cette fois-ci à « distance de bras », élargit la perspective sur l’allaitement. Contrairement aux images précédentes, on y voit le visage et une partie du corps de la mère : de la taille au sommet de sa tête. L’enfant allaité est visible quoiqu’en proportion moins importante que dans la première série d’images. Ici, la mère célèbre regarde la caméra, et donc celui et celle qui consomment son image, avec confiance, arborant un sourire léger ou une moue ironique. Légèrement maquillées et coiffées (cheveux relevés), les mères célèbres semblent vouloir projeter une image décontractée et quotidienne de l’allaitement. Le cadrage et l’angle de la photographie (du haut vers le bas) laissent peu entrevoir le décor, contrairement, par exemple, aux images prises un contexte familial ou professionnel.

Sur les selfies d’allaitement, le corps des mères célèbres est savamment découvert. Généralement, le galbe et parfois même une bonne partie du sein sont apparents, mais le mamelon demeure caché par l’enfant au sein (à l’exception d’une image). Lorsque l’enfant apparaît de profil, la main de l’enfant vient cacher le contact bouche-sein, comme nous l’avons mentionné précédemment avec l’image de la chanteuse Jessie James Decker. Sur ces images, les célébrités de notre échantillon n’utilisent pas de couverture d’allaitement pour cacher leurs corps ou encore de vêtements conçus spécifiquement pour l’allaitement. Dans les faits, une seule célébrité exclut totalement son enfant de l’image en utilisant le cadrage, mais son galbe de sein bien visible. C’est la posture de la mère et la légende qui nous informe de son allaitement : « The PERKS of breastfeeding » (blakelively, Instagram, 16 juillet 2015).

Le corps exposé des célébrités

Néanmoins, même si la plupart des brelfies d’allaitement publiés par les célébrités sur Instagram présentent un corps discret, partiellement dénudé, il demeure que certains portraits (8) de notre échantillon (photographies prises par un tiers) mettent plutôt de l’avant une femme qui nourrit son enfant tout en affichant un corps désirable dans le contexte des sociétés occidentales. Ces célébrités (3) incarnent ce que certaines auteures appellent la « Yummy Mummy », soit » a sexualized pregnant body that gains minimal weight, fashionably dressed, and bounces back to pre-baby form quickly » (Tiindenberg et Baym, 2017). Ces images présentent le corps des femmes de la tête à la taille ou la mi-cuisse. La mannequin Nicole Trunfio a publié plusieurs portraits de ce type (6), dont 1 image (publié à 5 reprises) captée par un photographe professionnel pour le compte du magazine Elle Australie. Sur cette image, son épaule et son sein sont dénudés, sa bouche est entrouverte, ses cheveux libres tombent sur ses épaules, son visage est sobrement maquillé et sa bague de fiançailles est bien visible. Elle allaite, debout, son enfant (nu). Sur une autre photo, la même mannequin Natalia Vodianova (appelée « Supernova ») est langoureusement couchée dans un lit, poupon au sein, son corps en grande partie dénudé. Cette image publiée sur Instagram est destinée à son conjoint (@antoinearnault) - et parallèlement à ses 1,5 million d’abonnés. Elle dit: « Happy birthday baby from Paolo, Maxim and I. Love you @antoinearnault S)))) » (natasupernova, Instagram, 4 juin 2014). Ces portraits viennent brouiller les frontières entre la maternité et la sexualité, une dualité volontairement ignorée dans le discours de promotion de l’allaitement qui insiste plutôt sur la démarcation entre les fonctions nourricière et sexuelle des seins (Bayard, 2014b). Même si l’on ne retrouve pas ces images en grand nombre dans notre échantillon, il reste qu’elles circulent abondamment sur les réseaux sociaux et dans les médias, d’où la pertinence d’y accorder une plus grande attention.

L’enfant comme marqueur de la maternité

Que ce soit les brelfies ou les photographies prises par une tierce personne, ces images ont en commun de présenter des corps postnatals exempts de toutes traces apparentes de grossesse (ventres arrondis, vergetures, cicatrices de césarienne). À vrai dire, c’est la présence de l’enfant qui agit comme le marqueur de leur maternité récente. Une forme de camouflage du corps de la mère s’effectue principalement grâce au cadrage, à l’angle de la photographie et à la position de l’enfant sur les images. Il faut dire que le corps postnatal des célébrités est hautement scruté dans les magazines féminins, dans la press people (Roth, Homer et Fenwick, 2012 ; Gow et coll., 2012). Après l’accouchement, la capacité de ces femmes de « reprendre leur taille », c’est-à-dire de perdre rapidement le poids cumulé durant la grossesse (« bouncing back ») intéresse plus particulièrement (Roth, Homer et Fenwick, 2012), ce qu’O’Brien Hallstein (2011) nomme le « quickly slender, even bikini-ready, body » (p. 113). Les stratégies utilisées par ces femmes pour atteindre ce résultat attirent également l’attention, et ce, indépendamment des impacts de ces méthodes sur leurs états de santé physique et psychologique (Gow et coll., 2012). Pour les célébrités, avoir un corps postnatal mince, soigné et musclé est devenue une exigence reliée à leur métier d’actrice, de chanteuse, d’animatrice et de mannequin. Par ailleurs, les célébrités qui ne se conforment pas à cet impératif sont généralement critiquées : leur corps est perçu comme indiscipliné et ,elles, comme manquant de volonté, et se « laissant aller » (O’Brien Hallstein, 2011). Dans notre échantillon, une femme « contrevient » en partie aux normes de beauté en vigueur dans l’industrie de la mode. Si la mannequin taille plus, Tess Holliday affiche un corps allaitant obèse et dénudé (ce qui est plutôt rare selon notre connaissance), il n’en demeure pas moins que, comme les autres mannequins, elle présente une apparence soignée (cheveux coiffés, maquillés, vêtements de marque). Par ailleurs, sur les photographies d’allaitement relayées par cette célébrité, comme sur les autres images disponibles sur son compte Instagram, elle affiche clairement son engagement pour la diversité corporelle et la multiplication des modèles de beauté (en écho au mouvement qu’elle a créé @effyourbeautystandards).

Conclusion

Les photographies d’allaitement des célébrités sont de plus en plus nombreuses sur Instagram. Reprises par les médias, elles circulent aussi sur différentes plateformes, accroissant par le fait même la visibilité de l’allaitement à un vaste public. Venant s’ajouter aux milliers d’images publiées par les mères non célèbres sur Instagram, les images de femmes célèbres de notre échantillon revêtent cependant certaines particularités.

Notre recherche a démontré que les photographies d’allaitement relayées par les célébrités sur le réseau social Instagram servent des intérêts multiples. D’une part, elles permettent aux femmes célèbres d’inscrire la maternité dans leur trajectoire personnelle et professionnelle, tout en contrôlant une partie des informations qui circulent sur elles dans les médias. D’autre part, la publication d’images d’allaitement participe à la construction de leur marque, tout en maintenant l’intérêt de leurs abonnées pour celle-ci. Par ailleurs, à notre surprise, ces images d’allaitement sont également utilisées à des fins publicitaires. Il est donc possible de penser que l’attention suscitée par ces images sert la marque des célébrités puisqu’elles continuent de les produire et les publier sur Instagram. Dans un autre ordre d’idée, nous avons remarqué que les photographies des célébrités participent au discours social autour de l’allaitement maternel. Certaines d’entre elles utilisent ces images pour promouvoir l’allaitement et afficher leur positionnement en faveur d’une plus grande acceptabilité sociale de l’allaitement dans l’espace public. L’ajout de mots-clics et de commentaires à leurs publications témoigne de cela. Enfin, à cause de leur popularité et de leur influence dans la construction de valeurs et de modes de vie autour des pratiques maternelles, ces célébrités sont souvent perçues comme des modèles à suivre. Cependant, nous avons montré, en concordance avec les résultats d’autres recherches (Duvall, 2014 ; O’Brien Hallstein, 2011), qu’elles projettent des modèles idéalisés pour la plupart des femmes en regard de l’allaitement, de la conciliation travail-famille et du corps postnatal. Des modèles de mères performantes qui allaitent leurs enfants sans difficulté apparente, qui concilient travail et famille aisément et qui présentent une apparence physique soignée et un corps exempt de toutes traces de maternité. En dépit de la volonté des célébrités de se présenter comme des « mères comme les autres », elles performent une maternité qui nécessite des ressources financières pour maintenir leur mode de vie et le travail du corps (entraîneur, personnel de soutien, etc.) et donc accessible à des femmes privilégiées économiquement et socialement. Une réalité qui ne peut être généralisée à l’ensemble des femmes allaitantes, ce qui contribue à accroître les sentiments de culpabilité et d’insécurité chez certaines (Douglas et Micheals, 2004).

Malgré cela, il nous est apparu que certaines des images partagées sur Instagram semblent témoigner de leurs expériences personnelles d’allaitement — du moins une mise en scène de sa quotidienneté —, au même titre que les images partagées par les mères non célèbres sur la même plateforme. Cependant, selon notre connaissance, aucune étude ne s’est intéressée à la comparaison des images d’allaitement de ces deux groupes. Il s’agit donc, selon nous, d’une piste de recherche à suivre pour comprendre les multiples facettes du phénomène qui consiste à exposer sa maternité sur les RS et sa contribution à la production et la reproduction des normes sociales relatives à l’allaitement et au corps des femmes durant la période postnatale. Comme le suggère Boon et Pentney (2016), ce type d’étude mériterait d’être abordé dans une perspective intersectionnelle qui prend en considération les catégories historiquement et socialement construites de genre, de sexualité, de race et de classe. D’autant plus que les recherches qui portent, par exemple, sur l’allaitement des femmes racisées ou lesbiennes sont encore peu nombreuses (Rippey et Bayard, 2017 ; Rippey et Falconi, 2016). Dans un autre ordre d’idées, l’enjeu de la protection de la vie privée des enfants, soulevé notamment dans l’article de Locatelli (2017), n’a pas été pris en considération dans notre recherche. Cependant, nous pensons qu’il s’agit d’un thème émergent qui mériterait une plus grande attention des chercheurs, car les célébrités publient régulièrement des images de leurs enfants sur les RS et vont même, dans certains cas, jusqu’à créer des comptes Instagram en leur nom. Les photographies des enfants relayées sur ces comptes sont aussi reprises par les médias et sur les comptes d’autres abonné.es de la plateforme. C’est dans ce contexte que nous pensons qu’il serait pertinent d’étudier les enjeux éthiques autour de ce microphénomène. Enfin, une analyse des commentaires déposés par les utilisateurs et les utilisatrices d’Instagram sous les photographies d’allaitement des célébrités serait pertinente pour mieux comprendre les préjugés qui subsistent au sujet de la visibilité de l’allaitement dans l’espace public.