Résumés
Résumé
Cet article porte sur l’application de la Loi sur la protection de la jeunesse en milieux autochtones au Québec et plus particulièrement sur l’initiative de la nation atikamekw en cette matière. Il situe d’abord le régime général de protection de la jeunesse dans le contexte de son adoption à la fin des années 1970 et fait état des difficultés de son application en milieux autochtones au Québec. Il précise le contexte dans lequel est intervenue la prise en charge des services sociaux par les Atikamekw et leurs efforts pour créer, puis pour expérimenter, un régime particulier de protection de la jeunesse applicable à leurs membres. Ce régime particulier est à l’origine de l’inclusion de l’article 37.5, de droit nouveau, dans la loi, lequel permet désormais au gouvernement du Québec de conclure une entente avec une nation, une communauté ou d’autres groupes autochtones afin d’appliquer un régime particulier de protection de la jeunesse sur un territoire déterminé. Le Système d’intervention d’autorité atikamekw (SIAA) constitue le régime particulier qui s’applique aux Atikamekw issus des communautés de Manawan et de Wemotaci depuis un peu plus de 15 ans. Le SIAA évolue aux côtés du régime étatique. Il comporte ses propres acteurs et son propre fonctionnement, lesquels seront décrits. Les points de convergence et de divergence entre le régime général et le régime particulier de protection de la jeunesse seront exposés et l’article sera complété par le partage de quelques résultats découlant de l’application du SIAA.
Mots-clés :
- autochtone,
- protection,
- enfant,
- jeunesse,
- famille
Abstract
This article is concerned with the application of the Youth Protection Act in Aboriginal settings in Quebec and more specifically with the initiatives taken in this regard by the Atikamekw nation. It begins with a presentation of the general system of the Youth Protection Act in the context of its being adopted at the end of the 1970s and states the difficulties surrounding its application in Aboriginal areas in Quebec. It specifies the context in which social services were taken over by the Atikamekw and their efforts to create, and later to experiment with, a specific youth protection system applicable to their members. This specific system is at the origin of the inclusion of Article 37.5 in the Act, thereby allowing the Government of Quebec to conclude agreements with a nation, community or other aboriginal group in order to apply a specific youth protection system on a determined territory. The Atikamekw Authority Intervention System (SIAA) is the specific system that has applied to the Atikamekw of the Manawan and Wemotaci communities for a little over 15 years. SIAA exists alongside the State system. It has its own stakeholders and its own operations, which we will describe. Commonalities and differences between the general system and the specific youth protection system will be clarified and the article will be further supplemented by sharing some results ensuing from the application of SIAA.
Keywords:
- aboriginal,
- protection,
- child,
- youth,
- family
Corps de l’article
La nation atikamekw est composée de trois communautés situées dans autant de régions administratives du Québec. Elle compte 7 407[1] membres. Parmi ceux-ci, 2 810 sont inscrits sur la liste des Atikamekw d’Opitciwan (82 % de ceux-ci résident dans cette communauté) ; 1857 sont inscrits sur la liste de Wemotaci (77 % de ceux-ci y résident) ; 2740 sont inscrits sur la liste des Atikamekw de Manawan (85 % de ceux-ci y résident). Ces trois communautés sont situées dans des régions forestières éloignées des grands centres urbains. La très grande majorité des Atikamekw parlent l’atikamekw et le français constitue la langue seconde.
Les Atikamekw ont conçu un régime particulier de protection de la jeunesse, le Système d’intervention d’autorité atikamekw (SIAA). Afin de bien comprendre ses origines et de juger de sa pertinence, il est nécessaire de se pencher préalablement sur certains aspects du régime général de protection de la jeunesse constitué par la Loi sur la protection de la jeunesse (ci-après « la loi »). Le moment de son entrée en vigueur, les objectifs qu’elle poursuit, les acteurs de l’intervention étatique et le mécanisme d’application de la loi seront d’abord exposés.
Bien que la loi soit le reflet d’un consensus social sur la protection de l’enfance de la part de la société dominante, elle est aussi la source de difficultés et d’incompréhensions de la part des familles et des organismes autochtones. Cet aspect de l’application de la loi fera l’objet du début de la deuxième section. Il sera ensuite discuté de la prise en charge des services sociaux par les Atikamekw et de l’élaboration d’un outil de gouvernance : la politique sociale atikamekw. Celle-ci a conduit à la conception et à la mise en œuvre du SIAA. Nous verrons de quelle manière les difficultés d’application de la loi en milieux autochtones et les initiatives atikamekw ont été les éléments déclencheurs à l’introduction de l’article 37.5, de droit nouveau, à l’intérieur de la loi. Cet article permet aux communautés, nations et groupes autochtones de conclure une entente avec le gouvernement du Québec pour créer un régime particulier de protection de la jeunesse sur un territoire déterminé.
Même si, au moment d’écrire ces lignes, aucune entente en vertu de l’article 37.5 n’a été conclue entre le gouvernement du Québec et les Atikamekw, ces derniers appliquent tout de même leur propre régime de protection de la jeunesse[2] depuis maintenant 15 ans. Dans cet article, le contexte ayant conduit à l’élaboration, puis à l’application du Système d’intervention d’autorité atikamekw (SIAA), sera exposé. Il en sera de même de son fonctionnement, des valeurs sur lesquelles il repose et des acteurs qui contribuent à son application. Finalement, quelques statistiques colligées en regard de l’application du SIAA seront partagées.
Le régime général de protection de la jeunesse : la Loi sur la protection de la jeunesse[3]
La loi a été adoptée au Québec à une époque de grande mouvance, voire d’effervescence, qui s’est répercutée dans l’œuvre du législateur. Les interventions étatiques se sont multipliées dans tous les domaines, dont celui de la famille. Au cœur de l’intervention étatique dans ce dernier domaine, on retrouve l’enfant et ses parents. Ces derniers sont les premières personnes responsables d’assurer à l’enfant ce dont il a besoin pour grandir et se développer ; l’intervention du directeur de la protection de la jeunesse visera en quelque sorte à les réhabiliter dans leurs fonctions. La réforme apportée à la loi en 2006 fait en sorte que les parents disposent dorénavant d’une période maximale de temps pour recouvrer ou développer leurs habiletés parentales. Si l’enfant ne peut retourner auprès de ses parents à l’expiration des périodes maximales d’hébergement prévues par la loi, la situation sera amenée devant le tribunal qui rendra une ordonnance visant à assurer à l’enfant la continuité des soins ainsi que la stabilité de ses liens et de ses conditions de vie de façon permanente. Les répercussions qu’a eues l’application de la loi en milieux autochtones et les initiatives des Atikamekw ne peuvent être comprises qu’en regard de cette présentation préalable.
Le contexte entourant l’adoption de la Loi sur la protection de la jeunesse
Au Québec, c’est la Loi sur la protection de la jeunesse (L.P.J.) qui intervient lorsque la sécurité ou le développement d’un enfant est ou peut être considéré comme compromis (art. 2). Elle a été adoptée en 1977 et est entrée en vigueur en janvier 1979 à la suite de nombreux débats qui se sont échelonnés sur quelques années[4].
Les années 1970 et 1980 ont connu de multiples réformes législatives d’importance dans la foulée du développement de l’État-providence. Nous en nommerons quelques-unes liées à la famille et aux services sociaux. Le Code civil est modifié pour reconnaître à tous les enfants les mêmes droits, peu importe les circonstances de leur naissance (Loi modifiant le Code civil et concernant les enfants naturels, L.Q. 1970, c. 62 et Loi instituant un nouveau Code civil et portant réforme du droit de la famille, L.Q. 1980, c. 39). Les rapports entre les époux deviennent plus égalitaires (Loi concernant les régimes matrimoniaux, L.Q. 1969, c. 77)[5] et la responsabilité des enfants, qui relevait de la puissance paternelle, incombe désormais à l’institution collégiale de l’autorité parentale (Loi modifiant le Code civil, L.Q. 1977, c. 68. Castelli, M. et Goubau, D. 2005 : 303; Martin, Y. et Ulisse, Jacques A. 1985 : 5).
La Charte des droits et libertés de la personne (R.L.R.Q., c. C-12.)[6] est adoptée en 1975. Elle prévoit un éventail de droits fondamentaux à tout être humain, adultes et enfants, notamment le droit à la vie et à la sûreté de sa personne. En 1980, le livre deuxième du Code civil du Québec portant sur la famille entre en vigueur (Loi instituant un nouveau Code civil et portant réforme du droit de la famille, L.Q. 1980, c. 39.); c’est à ce moment que la notion du meilleur intérêt de l’enfant apparaît pour la première fois au Code civil (Ibid. Cette loi introduit l’article 30 du C.c. B.-C.). Le 1er décembre 1982, la Loi sur l’adoption (L.R.Q., c. A-7) est abrogée (L.Q. 1980, c. 39, art. 60) et l’essentiel des dispositions relatives à l’adoption sont intégrées au Code civil tandis que d’autres le sont à l’intérieur de la Loi sur la protection de la jeunesse (Loi assurant l’application de la réforme du droit de la famille, L.Q. 1982, c. 17) et aux règlements adoptés en vertu de cette loi. La loi met alors un terme aux placements privés d’enfants et fait du directeur de la protection de la jeunesse un intermédiaire incontournable dans la majorité des adoptions conclues au Québec[7].
La famille nucléaire au cœur de l’intervention étatique
La loi reconnaît que les parents sont les premières personnes responsables d’assurer à l’enfant le soin, l’entretien, l’éducation et la surveillance dont il a besoin (L.P.J., art. 2.2). Comme le mentionnaient les directeurs de la protection de la jeunesse à l’occasion du bilan annuel de 2012, « la protection des enfants, c’est d’abord et avant tout l’affaire des parents[8] ». En conséquence, l’intervention de l’État doit en tout premier lieu viser à habiliter ou à réhabiliter les parents dans l’exercice de leurs responsabilités parentales. La loi mentionne d’ailleurs expressément que « l’implication des parents doit toujours être favorisée dans la perspective de les amener et de les aider à exercer leurs responsabilités parentales» (ibid., art. 4, al. 2). En conséquence, les décisions prises dans le cadre de l’application de la loi doivent tendre à maintenir l’enfant dans son milieu familial (ibid., art. 4, al. 1). S’il s’avère que, compte tenu de l’intérêt de l’enfant, un tel maintien n’est pas possible, la décision doit tendre à lui assurer la continuité des soins et la stabilité des liens et des conditions de vie appropriées à ses besoins en faisant appel, autant que possible, aux personnes qui sont les plus significatives pour l’enfant, notamment ses grands-parents[9] et les autres membres de la famille élargie (ibid., art. 4, al. 2). Bien que ces personnes peuvent prendre soin de l’enfant, il demeure que l’État intervient d’abord et avant tout auprès de la famille nucléaire. Ce sont les personnes qui la composent qui ont d’ailleurs expressément été identifiées par la loi comme étant les « parties » (ibid., art. 81, al. 2)[10] à toute instance initiée en vertu de la loi et c’est avec elles que l’État entend intervenir. Compte tenu de l’importance que les Autochtones accordent à ce que la société occidentale désigne comme étant la famille immédiate et la famille élargie, il est permis d’anticiper certaines difficultés occasionnées par l’application de la loi en milieux autochtones.
Cette intervention auprès des enfants et de leurs parents met aussi à contribution différents experts issus des milieux cliniques et juridiques : les intervenants travaillant pour le directeur de la protection de la jeunesse, les avocats, les juges et, à l’occasion, des psychologues, pédiatres, pédopsychiatres et autres experts. L’intervention du directeur de la protection de la jeunesse est donc faite dans un « contexte sociopolitique qui renforce la position des spécialistes face aux parents » (Sheriff, 2000 : 93). Or, ces spécialistes analysent les situations et prennent des décisions en se fondant à la fois sur leurs référents personnels et sur ceux de la société dominante. Si l’État prévoit des normes de pratique et de gestion ainsi que des protocoles d’intervention afin d’objectiver les pratiques, il demeure que celles-ci sont articulées autour des normes qu’a forgées la société dominante sur la notion du bien-être de l’enfant. Bien que cela soit tout à fait légitime, il n’empêche que cela occasionne un certain nombre de difficultés et de malentendus auprès des populations qui se voient appliquer la loi alors qu’elles ne font pas partie de la société majoritaire, comme c’est le cas des immigrants et des réfugiés (ibid.), mais aussi des Autochtones.
La réforme apportée à la loi en 2006
La loi a connu au fil du temps plusieurs réformes dont la dernière en importance a été amorcée par le projet de loi 125, sanctionné en juin 2006 (Loi modifiant la loi sur la protection de la jeunesse et d’autres dispositions législatives, R.L.Q. 2006, c. 34). Parmi les modifications qui ont alors été apportées se retrouve la mise en place des périodes maximales d’hébergement de l’enfant au-delà desquelles une solution permanente devra être apportée à sa situation. Ces périodes sont de 12 mois lorsque l’enfant a moins de deux ans ; de 18 mois, lorsque l’enfant est âgé de deux à cinq ans et de 24 mois lorsque l’enfant est âgé de six ans et plus (L.P.J., art.53.0.1 et 91.1). Sauf si la situation de l’enfant se retrouve parmi l’une des exceptions mentionnées à l’article 91 de la loi, à l’expiration de ces périodes maximales d’hébergement et lorsque la sécurité ou le développement de l’enfant demeure compromis, il appartient au tribunal et à lui seul de rendre une ordonnance qui vise à assurer à l’enfant la continuité des soins ainsi que la stabilité des liens et des conditions de vie de façon permanente. Cependant, la Cour d’appel a tenu à préciser qu’il ne doit y avoir aucun automatisme et que le tribunal doit toujours examiner la situation particulière de chaque enfant (Protection de la jeunesse-10174, 2010 QCCA 1912). Quant à la notion de permanence, la Cour d’appel du Québec a indiqué qu’elle faisait appel aux notions de stabilité, de durabilité et de continuité, et qu’il revient au tribunal d’examiner au cas par cas tous ces objectifs. Ainsi, une ordonnance de permanence ne correspond pas invariablement à une ordonnance destinée à s’appliquer jusqu’à la majorité de l’enfant (Protection de la jeunesse-115308, 2011 QCCA 2147).
Mentionnons que l’établissement de ces périodes maximales d’hébergement a fait réagir les représentants des organismes autochtones qui ont témoigné à l’occasion de l’étude de ce projet de loi en commission parlementaire à l’hiver 2006 (Grammond et Guay, 2010 : 109-110)[11]. Compte tenu des problématiques souvent complexes que vivent les parents autochtones et du temps nécessaire pour les résoudre, ces organismes ont souligné leur crainte que ce projet de loi ait pour effet qu’un nombre important d’enfants autochtones soient confiés de façon permanente à des familles d’accueil ou à des adoptants non autochtones.
Le mécanisme d’application de la loi
La Loi sur la protection de la jeunesse intervient lorsqu’il existe un motif raisonnable de croire qu’un enfant se retrouve dans l’une des situations décrites aux articles 38 et 38.1 de la loi. Les motifs de compromission y sont donc énumérés de façon exhaustive et correspondent à ce que la société considère être des normes minimales à respecter dans la manière de prendre soin et d’éduquer un enfant. Ces motifs justifiant l’intervention de l’État dans la sphère familiale consistent en l’abandon, la négligence, l’abus sexuel, les mauvais traitements physiques, le risque que survienne l’une de ces trois dernières situations et les mauvais traitements psychologiques. La loi pourra également s’appliquer si l’enfant présente des « troubles de comportement sérieux » ; s’il ne fréquente pas l’école ou s’il s’en absente fréquemment alors qu’il est d’âge scolaire de même que s’il quitte son domicile ou sa résidence sans autorisation.
Pour faire intervenir la loi, une personne doit d’abord communiquer avec le directeur de la protection de la jeunesse pour lui rapporter une situation pour laquelle elle a un motif raisonnable de croire qu’un enfant se retrouve dans l’une des situations mentionnées précédemment. C’est ce qui est communément appelé le « signalement ». Il est à noter que si toute personne peut signaler une situation au directeur de la protection de la jeunesse (L.P.J. art. 39, al.3), il existe des situations où des gens en auront l’obligation (ibid., al. 1 et 2). C’est le cas de toute personne qui croit qu’un enfant est victime d’abus sexuel ou de mauvais traitement physique de même que de tout professionnel[12] qui prodigue des soins ou toute forme d’assistance à l’enfant et qui, dans l’exercice de ses fonctions, a un motif raisonnable de croire qu’un enfant se retrouve dans l’une ou l’autre des situations décrites aux articles 38 et 38.1 de la loi.
Lorsqu’il reçoit le signalement, le directeur de la protection de la jeunesse[13] doit d’abord décider de sa recevabilité (ibid., art. 45). Dans l’affirmative, il peut, avant même de procéder à l’évaluation de la situation lui permettant de décider si la sécurité ou le développement de l’enfant est compromis, prendre pendant une durée maximale de 48 heures des mesures visant à assurer la protection immédiate de l’enfant (ibid., art. 46). Parmi ces mesures apparaît le retrait de l’enfant du milieu de vie où il se trouve. Bien que l’enfant et ses parents doivent être consultés avant l’application des mesures de protection immédiate, le directeur dispose de l’autorité de les leur imposer. Ce n’est que si le directeur désire prolonger l’application des mesures au-delà des 48 heures permises que l’enfant âgé d’au moins 14 ans et ses parents peuvent s’y opposer. Dans un tel cas, la situation sera soumise au tribunal (ibid., art. 47) qui se prononcera sur la pertinence de prolonger les mesures pour une durée de cinq jours.
Suite à l’évaluation de la situation de l’enfant, le directeur décide si sa sécurité ou son développement est compromis (ibid., art. 49). Lorsqu’il est d’avis que la sécurité ou le développement de l’enfant est compromis, le directeur doit prendre la situation de l’enfant en charge et décider de son orientation. À cette fin, soit il propose aux parents et à l’enfant âgé d’au moins 14 ans l’application de mesures volontaires, soit il décide de saisir le tribunal (ibid., art. 51). Dans le premier cas, la durée des mesures volontaires ne peut excéder deux ans[14] et elles seront de plus courte durée si elles comportent l’hébergement de l’enfant à l’intérieur d’un centre de réadaptation ou d’une famille d’accueil[15]. Lorsque le directeur de la protection de la jeunesse choisit de saisir le tribunal de la situation de l’enfant, celui-ci pourra ordonner l’exécution de l’une ou plusieurs des mesures prévues à l’article 91 de la loi.
Pour l’ensemble de ce processus, c’est le directeur de la protection de la jeunesse et les membres de son personnel (ibid., art. 32) qu’il autorise à cette fin qui ont l’autorité pour intervenir auprès des parents et de l’enfant. Ces personnes relèvent de l’État et leurs interventions sont nécessairement guidées par des normes de conduite, à la fois personnelles et professionnelles, qui reflètent les valeurs et la culture de la société dominante.
Lorsqu’ils exercent leurs responsabilités, les employés du directeur de la protection de la jeunesse doivent certes permettre à l’enfant et à ses parents de faire entendre leurs points de vue et d’exprimer leurs préoccupations (ibid., art. 2.4(4)), mais ils n’ont aucune obligation d’impliquer les membres de la famille immédiate ou élargie de l’enfant, pas plus que des membres de sa communauté. Cela serait considéré comme étant complètement étranger à la manière de procéder des intervenants sociaux qui sont soumis à des règles relatives à la confidentialité des informations recueillies dans le cadre de l’application de la loi. En effet, celles-ci font en sorte que les renseignements recueillis au sujet d’un enfant et de ses parents et permettant de les identifier sont confidentiels et qu’ils ne peuvent, sauf exception, être divulgués sans leur permission (ibid., art. 11.2 et 72.5) ou l’autorisation du tribunal[16]. C’est donc vraisemblablement en raison de règles liées à la confidentialité que les interventions du directeur de la protection de la jeunesse sont concentrées sur l’enfant et ses parents.
Finalement, mentionnons que toutes les décisions prises en vertu de la loi, autant celles relevant du domaine clinique que juridique, doivent l’être dans l’intérêt de l’enfant et le respect de ses droits (ibid., art. 3). Si la référence aux droits de l’enfant paraît essentiellement concrète, il en va autrement de celle de l’intérêt de l’enfant. Cette notion constitue ce qu’il est convenu d’appeler une notion à contenu variable. Elle est susceptible de s’interpréter de différentes manières selon les caractéristiques personnelles de l’interprète, le lieu et l’époque à l’intérieur desquels il se trouve. Par exemple, ce qui est considéré comme étant dans l’intérêt de l’enfant aujourd’hui selon les normes généralement admises par la société québécoise ne l’est pas nécessairement par les membres d’autres communautés culturelles[17] se retrouvant sur le sol québécois, pas plus que ce qui est considéré aujourd’hui comme étant dans l’intérêt de l’enfant ne l’était il y a vingt ans ou ne le sera dans vingt ans.
L’application de la Loi sur la protection de la jeunesse en milieux autochtones
Bien que l’intervention étatique du directeur de la protection de la jeunesse constitue une « intrusion flagrante de l’État dans la vie privée des personnes[18] », cette intrusion se justifie par des valeurs sociétales liées à l’importance d’assurer la sécurité et le développement de l’enfant[19]. Cela n’a pas pour autant empêché les Autochtones de rencontrer certaines difficultés en raison de l’application de la loi. Cette question sera abordée dans le contexte plus large de la dispensation des services sociaux aux Autochtones. Car les services dispensés en vertu de la loi mettent à contribution des acteurs étatiques du réseau de la santé et des services sociaux, dont les directeurs de la protection de la jeunesse et les membres de leur personnel. Puisque la loi leur attribue de façon exclusive l’essentiel des responsabilités en matière de protection de l’enfance, cela implique que les Autochtones ne peuvent bénéficier d’une complète autonomie dans ce domaine à moins que la loi ne soit amendée[20]. C’est ce qui s’est produit le 21 juin 2001 lorsque l’article 37.5, de droit nouveau, a été introduit à l’intérieur de la loi suivant l’initiative du Conseil de la nation atikamekw.
Les difficultés rencontrées par l’application de la loi en milieux autochtones et son corollaire, le mouvement vers la prise en charge des services sociaux
Les documents officiels témoignant de l’insatisfaction des Autochtones[21] en regard de l’application de la loi sont plutôt rares dans les premières années suivant l’adoption de la loi, mais se multiplient à compter du milieu des années 1980. Cette insatisfaction exprimée par les Autochtones s’inscrit à l’intérieur d’un mouvement plus large visant une plus grande autonomie, notamment dans le secteur des services sociaux.
Au début des années 1980, les chefs des communautés cries ont dénoncé les difficultés auxquelles ils étaient confrontés en raison de l’application de la loi (Gouvernement du Québec, 2012 : 15), mais plus particulièrement en matière d’adoption. Aussi, des documents d’archives révèlent l’existence d’une consultation du Conseil attikamek-montagnais[22] qui aurait eu lieu en 1980 auprès de leurs populations au sujet de la prise en charge des services de santé et des services sociaux. Les résultats de cette consultation témoignent d’« une grande insatisfaction » de la population en regard des services dispensés[23] par les autorités étatiques et conséquemment, du désir des Autochtones de prendre en charge la dispensation de ces services.
Parmi les arguments au soutien de la position du Conseil attikamek-montagnais afin d’obtenir une plus grande autonomie dans la dispensation des services de santé et des services sociaux figurent le droit « de recevoir des services sociaux et de santé, en conformité avec leur culture et dans leur langue » et le droit d’exercer le contrôle sur ces services « en conformité avec leurs besoins et selon leurs priorités[24] ». Le Conseil mentionne aussi que les programmes sociaux des différents gouvernements « n’ont pas beaucoup amélioré […] la situation sociale et sanitaire des Indiens » et que l’approche des gouvernements leur « a toujours été étrangère et a engendré des programmes dont le contenu n’est pas adapté aux besoins réels de [leurs] communautés et dont le mode d’application ne correspond pas à [leurs] valeurs, [leurs] habitudes de vie et [leur] structure sociale » (Conseil Attikamek-montagnais, 1984 :2). Le Conseil mentionne également que sans ce contrôle sur la dispensation des services sociaux, il leur sera impossible d’assurer une continuité et une stabilité de leur culture pour les générations à venir (ibid : 3). Finalement, le Conseil mentionne que leur initiative s’appuie sur celle de la bande Spallumcheen de la Colombie-Britannique et sur celle de l’association des Indiens de la Saskatchewan (ibid : 5).
C’est dans la foulée de ces démarches entreprises au début des années 1980 que le Conseil de la nation atikamekw prend en charge, en mars 1984, les services sociaux dispensés aux Atikamekw, mettant ainsi fin à la dispensation complète de ces services par les acteurs étatiques. Dès lors, un certain nombre de services rendus aux Atikamekw en vertu de la Loi sur les services de santé et les services sociaux et de la Loi sur la protection de la jeunesse le seront par des intervenants atikamekw ou par des intervenants non atikamekw embauchés par les services sociaux atikamekw Onikam. Bien que cette prise en charge permette aux Atikamekw de dispenser certains services sociaux dans leur langue et dans le respect de leur culture, leurs valeurs, leurs coutumes et leurs traditions, cela n’élimine pas les difficultés qui surviennent dans le cadre d’une intervention d’autorité en vertu de la loi. En effet, puisque la loi prévoit que les décisions clés en matière de protection de la jeunesse sont exclusivement assumées par le directeur de la protection de la jeunesse et les membres de son personnel (L.P.J., art. 32), les employés des services sociaux atikamekw Onikam ne sont pas autorisés à agir dans ces domaines de compétence exclusive. Ceci rend les autorités étatiques inconfortables face aux projets d’autonomie des différentes nations autochtones du Québec (Association des centres de services sociaux du Québec, 1985 : 3-4).
En 1985, les centres de services sociaux du Québec (ibid.) s’expriment en faveur des revendications d’autonomie en matière de services sociaux présentées par les nations non conventionnées du Québec tout en reconnaissant que cette autonomie doit connaître certaines limites imposées par le cadre juridique de l’époque, notamment par l’article 32 de la loi.
Les interventions étatiques en vertu de la loi auprès des communautés autochtones paraissent manifestement mal adaptées à compter du dépôt du Rapport Jasmin en 1992 (Rapport du groupe de travail sur l’évaluation de la Loi sur la protection de la jeunesse, 1992). Les représentants autochtones consultés par le groupe de travail soulignent que le problème majeur relatif à l’application de la loi « découle de leur exclusion du centre décisionnel, ce qui entraîne chez eux un sentiment d’impuissance » (ibid. : 141). De plus, ils « considèrent que le directeur de la protection de la jeunesse appartient à une autorité étrangère qui intervient selon une logique qui leur est également étrangère » (ibid.). Les représentants autochtones estiment qu’ils connaissent leurs communautés et qu’ils sont « les mieux placés pour déterminer ce qui est adéquat ou non en matière de protection de la jeunesse et d’intervention auprès des jeunes contrevenants » (ibid.) et qu’en définitive, « plus ils prennent de responsabilités, moins ils ont de problèmes » (ibid.). Les représentants autochtones expriment leur volonté d’exercer les responsabilités du directeur de la protection de la jeunesse et précisent que cela participe d’une démarche de revendication de leur autonomie « de sorte que les communautés autochtones aient leur propre Loi sur la protection de la jeunesse » (ibid.).
Les auteurs du Rapport Jasmin ont recommandé qu’un groupe de travail constitué de représentants autochtones et de représentants des ministères de la Santé et des Services sociaux et de la Justice soit constitué afin de :
Circonscrire, par des moyens qu’il aura lui-même choisis, la problématique entourant la prestation de services sociaux et judiciaires dans les communautés autochtones et dans les communautés régies par des conventions ;
Faire les recommandations qu’il juge pertinentes et applicables, à court et à long terme (ibid. : 142).
Il a été donné suite à ces recommandations en 1995 alors que la Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador (CSSSPNQL) procédait à une vaste consultation auprès de ses membres quant à l’application de la loi en milieux autochtones. À l’occasion de ces consultations, les représentants atikamekw ont souligné que la notion du meilleur intérêt de l’enfant qui apparaît dans la loi « est subjective et en opposition avec l’héritage culturel des Premières Nations » (Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador, 1998 : 73). Ils suggèrent que l’identité culturelle figure parmi les critères dont le juge doit tenir compte et soulignent qu’il est problématique que des intervenants non autochtones prennent des décisions concernant des enfants atikamekw vivant dans les communautés atikamekw (ibid.). Ils dénoncent le fait que les acteurs du système judiciaire, notamment les juges et les procureurs, ne connaissent pas les conditions de vie des Atikamekw et qu’en conséquence, ils ne peuvent en tenir compte dans leurs décisions (ibid. : 92). Ils croient que la solution aux difficultés évoquées « serait de développer un système judiciaire atikamekw » pouvant au moins intervenir relativement à une partie des procédures qui les concernent (ibid.).
Finalement, les Atikamekw concluent que « seule une approche collective fondée sur la responsabilisation individuelle, familiale et communautaire [nous] permettra d’amener les changements sociaux profonds que la situation des communautés atikamekw requiert » (ibid. : 145). Ils doivent eux-mêmes déterminer les paramètres de leur pratique sociale et « être appuyés d’une politique, d’une législation et d’un appareil sociojudiciaire qui correspondent » à leurs valeurs et à leur propre projet de société (ibid. : 146).
Suite à une étude de la situation auprès des Premières Nations, le groupe de travail de la CSSSPNQL a procédé à cinq recommandations, dont la première est la suivante :
Que les gouvernements provincial et fédéral reconnaissent la juridiction et la compétence des Conseils des Premières Nations de gérer et de contrôler leurs services sociaux et de développer leur propre système d’aide et de protection de l’enfance et de la jeunesse. Ces services étant au centre du champ de compétence des gouvernements autochtones autonomes (ibid. : 140).
L’Association des centres jeunesse du Québec, organisme qui a succédé à l’Association des centres de santé et de services sociaux, a produit un document en 1995 qui vise notamment à faire progresser la réflexion sur les obstacles à l’application de la Loi sur les services de santé et les services sociaux et à celle de la Loi sur la protection de la jeunesse en milieux autochtones (Association des centres jeunesse du Québec, 1995 : 3). Parmi ces obstacles se trouvent des facteurs géographiques, sociologiques et culturels qui incluent la langue et la logique générale d’application des lois qui entre en contradiction avec la réalité sociologique des Autochtones et avec la façon dont ils vivent et perçoivent leurs rapports sociaux (ibid. : 8). Le système sociojudiciaire québécois fait appel à des instances qui sont étrangères aux milieux autochtones et cela peut, d’une part, complexifier les interventions auprès des enfants et des familles les plus vulnérables et, d’autre part, devenir un frein à la mobilisation des milieux autochtones pour s’approprier des services ou pour prendre en main leur développement (ibid. : 19).
Ce document de l’Association des centres jeunesse du Québec poursuit les réflexions entreprises en 1985 par l’organisme qui le précédait ; il repose sur la conviction que les nations et les communautés autochtones sont engagées dans une démarche irréversible qui les conduira à assumer l’ensemble des responsabilités en matière de services sociaux. Si les milieux autochtones reconnaissent les fondements et la légitimité des lois en cause, c’est sur le plan des modalités d’application de ces lois que les problèmes se posent. Il n’est donc pas question que les Autochtones soient soustraits à l’application de la loi, mais plutôt que la loi tienne compte de leurs réalités (ibid. : 22). Ce n’est pas la démarche d’autonomie qui est en jeu mais bien ses modalités et ses conditions de réussite (ibid. : 4) et les centres jeunesse du Québec manifestent leur « volonté très ferme de continuer à soutenir l’effort des communautés autochtones pour prendre en charge les services sociaux » (ibid. : 25).
À la même époque, le groupe de travail chargé de consulter les communautés autochtones relativement à l’administration de la justice relève le manque d’autonomie des services sociaux autochtones (Rapport et recommandations du Comité de consultation sur l’administration de la justice en milieu autochtone, 1995 : 74). Compte tenu des difficultés rencontrées par les travailleurs œuvrant dans les communautés autochtones, particulièrement dans les domaines relevant du directeur de la protection de la jeunesse, les auteurs du rapport sont d’avis qu’une décentralisation des services devrait être opérée afin de confier la gestion complète des services sociaux aux différentes nations autochtones du Québec (ibid. : 77). Ils recommandent également que la désignation des directeurs de la protection de la jeunesse se fasse en concertation avec les communautés autochtones (ibid. : 138), recommandation qui n’a connu aucune suite.
La politique sociale atikamekw
C’est en 1997 que le Conseil de la nation atikamekw a développé sa propre politique sociale (Conseil de la nation atikamekw, 1997), véritable outil de gouvernance, afin de prévoir des mesures pour améliorer les conditions de vie des Atikamekw et réaliser le mieux-être de sa population dans le respect des valeurs et des traditions atikamekw (ibid. : 1). Cette politique constitue un pas de plus vers une appropriation des services sociaux dispensés aux Atikamekw et cette appropriation s’inscrit à l’intérieur d’un processus plus large d’autonomie gouvernementale (ibid. : 2). Elle comporte une politique générale et trois politiques spécifiques : la politique enfance-jeunesse, la politique famille et la politique pour les aînés.
La politique sociale énonce cinq (5) principes directeurs devant conduire à assurer le mieux-être de la population, que nous formulons ainsi :
1.Renforcer la contribution de la famille élargie ;
2.Les aînés constituant une place essentielle au sein de la collectivité, il faut élargir leur contribution pour assurer la transmission des valeurs et de la culture atikamekw ;
3.L’épanouissement et la réalisation de la personne sont tributaires des valeurs propres à la culture atikamekw tels le respect, le partage, la collaboration et le sens de la communauté ;
4.Certaines normes de conduite sociale doivent être renforcées par les valeurs atikamekw. Ces normes doivent être partagées par la collectivité et revêtir un caractère plus humain, moins arbitraire et moins bureaucratique ;
5.La mise en place des services doit favoriser la créativité et proposer des solutions novatrices aux problèmes sociaux.
La famille élargie, les aînés et l’ensemble des membres des communautés atikamekw constituent donc les acteurs de cette approche visant le mieux-être. Les employés du secteur des services sociaux contribuent certes à cette approche, mais ils ne sont qu’un acteur parmi d’autres. De plus, en aucun temps ils ne sont considérés comme des experts, mais plutôt comme des personnes offrant une relation d’aide basée « sur la collaboration, la confiance et le partage du pouvoir » (Conseil de la nation atikamekw, 2015). Si des personnes doivent être reconnues comme des experts, ce sont les parents. Ils sont accompagnés des intervenants qui font preuve d’humilité et qui peuvent, dans ces circonstances, partager le rôle d’expert avec les parents (ibid.).
Selon ce que prévoit la politique sociale atikamekw, les services offerts à la population doivent favoriser le recours aux institutions atikamekw de telle sorte qu’il faille le moins possible recourir à l’intervention extérieure (ibid. : 4), ceci étant compris comme étant le recours aux institutions étatiques. Cela se justifie plus particulièrement par le désir qu’ont les Atikamekw de préserver leur héritage culturel et identitaire. Cet objectif général doit être lu conjointement avec les objectifs de la politique enfance-jeunesse qui visent notamment à assurer aux enfants et aux jeunes atikamekw « des conditions psychosociales favorisant leur développement » et un avenir « solidement enraciné dans les valeurs, la culture et l’identité atikamekw » (ibid. : 9).
Les services sociaux atikamekw Onikam sont responsables d’offrir des services courants aux enfants, aux jeunes et à leurs familles, et ce n’est que lorsque ces services ne parviennent pas à assurer la sécurité ou le développement de l’enfant ou du jeune qu’une intervention d’autorité sera nécessaire (Conseil de la nation atikamekw, 1999b : 6-7). Cette intervention d’autorité s’opère par la mise en œuvre du Système d’intervention d’autorité atikamekw (SIAA).
La mise en place du SIAA
Le SIAA a été conçu en 1998 et a notamment été présenté aux participants de la conférence intersectorielle sur le mieux-être tenue à Trois-Rivières en février 1998 (Conseil de la nation atikamekw, 1998). Il a fait l’objet de consultations au cours de l’année 1999 où 300 à 400 personnes ont été consultées au cours de différentes assemblées « de cuisine ». Le processus de consultation s’est achevé par une assemblée générale tenue à Shawinigan les 4 et 5 juin 1999. Par la suite, un règlement atikamekw a été écrit pour les situations où le développement de l’enfant est compromis et pour les situations de jeunes délinquants (Conseil de la nation atikamekw, 1999a). Afin d’aider à la mise en application du SIAA, un manuel de référence a été rédigé pour chacun de ces domaines. À noter que les règlements et manuels de référence sont périodiquement mis à jour et qu’ils ont donc évolué depuis leur création.
Officiellement, c’est le 1er mars 2000 que le SIAA a été appliqué en matière de protection de la jeunesse suivant une entente intervenue entre les directeurs de la protection de la jeunesse des régions concernées, leurs directeurs généraux et leurs vis-à-vis du côté de la partie atikamekw, soit le directeur de la protection sociale et le directeur général du Conseil de la nation atikamekw[25]. Dès le début de l’application du SIAA, une diminution du recours au processus judiciaire de l’ordre de 80 % a été observée, ce que la ministre responsable de l’application de la loi n’a pas manqué de souligner en précisant qu’un « tel résultat à l’échelle du Québec serait phénoménal, considéré vraiment comme extraordinaire[26] ». Le SIAA était déjà appliqué depuis un peu plus d’un an au moment où la loi a été amendée par l’adoption du projet de loi 166[27].
L’amendement apporté à la loi en 2001 : une conséquence de l’initiative des Atikamekw
C’est le 21 juin 2001 que la loi a été amendée pour y introduire le nouvel article 37.5, constituant à lui seul la section portant sur les communautés autochtones. L’article, d’une rédaction plutôt fastidieuse et complexe, se lit comme suit :
Afin de mieux adapter les modalités d’application de la présente loi aux réalités autochtones, le gouvernement est autorisé à conclure, conformément à la loi, avec une nation autochtone représentée par l’ensemble des conseils de bande des communautés qui la constituent, avec une communauté autochtone représentée par son conseil de bande ou par le conseil du village nordique, avec un regroupement de communautés ainsi représentées ou, en l’absence de tels conseils, avec tout autre regroupement autochtone, une entente établissant un régime particulier de protection de la jeunesse applicable à un enfant dont la sécurité ou le développement est ou peut être considéré comme compromis au sens de la présente loi.
Le régime établi par une telle entente doit être conforme aux principes généraux et aux droits des enfants prévus à la présente loi et est soumis aux dispositions de la section I du chapitre III de celle-ci. Notamment, les pouvoirs prévus à l’article 26 peuvent être exercés à l’égard du dossier pertinent au cas d’un enfant visé dans le cadre de l’application d’une telle entente.
L’entente prévoit les personnes à qui elle s’applique et définit le territoire sur lequel seront organisés et dispensés les services. Elle indique les personnes ou les instances à qui seront confiées pour l’exercice, en pleine autorité et en toute indépendance, de tout ou partie des responsabilités dévolues au directeur et peut prévoir des modalités d’exercice des responsabilités ainsi confiées, différentes de celles prévues par la présente loi. Elle contient des dispositions régissant la reprise en charge d’une situation en vertu du système de protection de la jeunesse prévu par la présente loi.
L’entente prévoit également des mesures visant à en évaluer l’application ainsi que les cas, conditions et circonstances dans lesquels ses dispositions cessent d’avoir effet.
Dans la mesure où elles sont conformes aux dispositions du présent article, les dispositions d’une entente prévalent sur toute disposition inconciliable de la présente loi et, en matière d’organisation ou de prestation de services, de la Loi sur les services de santé et les services sociaux (chapitre S-4.2) ou de la Loi sur les services de santé et les services sociaux pour les autochtones cris (chapitre S-5).
Toute entente conclue en vertu du présent article est déposée à l’Assemblée nationale dans les 15 jours de sa signature ou, si elle ne siège pas, dans les 15 jours de la reprise de ses travaux. Elle est en outre publiée à la Gazette officielle du Québec.
L’insertion de cet article à l’intérieur de la loi est la conséquence directe, d’une part, de l’expérimentation du projet-pilote constitué par le Système d’intervention d’autorité atikamekw et, d’autre part, des difficultés d’application de la loi en milieux autochtones. Parmi ces difficultés, mentionnons notamment le fait que les décisions prises en vertu de la loi ne tiennent pas compte de l’approche communautaire qui prévaut chez les Autochtones[28]. La volonté maintes fois exprimée par les Autochtones « d’adapter les services de protection de la jeunesse à leurs besoins propres[29] » jointe aux difficultés d’application de la loi en milieux autochtones ont donc conduit le législateur à proposer l’adoption de l’article 37.5.
Cet article permet au gouvernement du Québec de conclure une entente avec une communauté, une nation ou un groupe autochtones afin que la totalité ou une partie des responsabilités dévolues au directeur de la protection de la jeunesse puisse être exercée par des personnes ou des instances précisées à l’entente. Ainsi, les responsabilités qui appartiennent en exclusivité au directeur de la protection de la jeunesse en vertu de l’article 32 de la loi peuvent désormais être assumées par les personnes et instances désignées pour agir à cette fin en vertu de l’entente.
Bien que les Atikamekw et le gouvernement du Québec aient entrepris une première fois de négocier afin de parvenir à la conclusion d’une entente en 2002, la négociation a abruptement pris fin pour n’être reprise qu’en 2009. Les discussions se sont poursuivies par la suite et les parties se sont entendues sur le texte d’une entente en décembre 2013. Malgré ce fait, et même si des discussions sont encore en cours, l’entente n’a toujours pas été signée, en raison de motifs purement économiques. En effet, le Conseil de la nation atikamekw veut s’assurer de disposer des sommes d’argent nécessaires à la dispensation adéquate des services qu’il rendra lorsqu’il assumera toutes les responsabilités du directeur de la protection de la jeunesse. Il est à noter que les discussions menant à la conclusion d’une entente mettent à contribution la partie atikamekw et le gouvernement du Québec, mais celles entourant le financement des services interpellent également le ministère des Affaires autochtones et du Nord Canada.
Tant qu’aucune entente ne sera intervenue entre les Atikamekw et le gouvernement du Québec, le SIAA continuera d’être appliqué en vertu de l’entente signée au printemps 2000. Cela ne saurait cependant constituer une solution permanente puisque l’essentiel des responsabilités dévolues par la loi au directeur de la protection de la jeunesse ne peuvent, d’un strict point de vue juridique, être assumées que par celui-ci et par les membres de son personnel. Il est vrai que dans les faits, les directeurs de la protection de la jeunesse autorisent des employés des services sociaux atikamekw Onikam à exercer certaines de ces responsabilités. Mais ces autorisations données à la pièce demeurent tributaires de la bonne volonté des directeurs de la protection de la jeunesse et cela ne saurait satisfaire les Atikamekw encore bien longtemps.
Le Système d’intervention d’autorité atikamekw (SIAA) : un régime particulier de protection de la jeunesse
Le SIAA constitue, en vertu de l’article 37.5 de la loi, un régime particulier de protection de la jeunesse. Bien qu’il soit actuellement appliqué suivant le consentement des acteurs en présence et non suivant une entente intervenue selon l’article 37.5, il comporte de nombreux avantages et des résultats intéressants pour les Atikamekw. Dans la partie suivante, les principaux acteurs du SIAA seront décrits de même que le fonctionnement habituel du SIAA de telle sorte que l’on puisse faire certaines comparaisons entre le régime étatique décrit précédemment et le régime particulier de protection de la jeunesse. Finalement, quelques résultats découlant de l’application du SIAA seront partagés afin d’en exposer concrètement certains aspects et d’en mesurer l’efficacité.
Les acteurs du SIAA
C’est le directeur de la protection sociale qui est ultimement chargé d’assurer la sécurité et le développement des enfants et des jeunes atikamekw issus des communautés de Wemotaci et de Manawan qui résident dans l’une de ces communautés ou à l’intérieur de la ville de La Tuque. Cette personne est nommée suivant l’adoption d’une résolution présentée en ce sens par un membre du conseil d’administration du Conseil de la nation atikamekw.
Le directeur de la protection sociale dispose d’une équipe composée de trois représentants, d’une personne chargée de procéder aux révisions et d’un avocat. Les représentants du directeur de la protection sociale constituent en quelque sorte son prolongement dans les communautés atikamekw et à La Tuque. Nous verrons plus loin le rôle important qu’ils jouent dans l’application du SIAA. L’équipe du directeur de la protection sociale travaille en étroite collaboration avec l’équipe chargée de dispenser les services sociaux courants car les membres de celle-ci sont appelés à jouer à la fois le rôle de dispensateur de services courants et de dispensateur de services en autorité.
Outre l’enfant ou le jeune (Règlement SIAA-DC)[30] et ses parents, le SIAA met à contribution les membres de leurs familles et de leurs communautés. Les Atikamekw ont choisi de recourir à la création de conseils de famille, instances atikamekw inspirées de la pratique des Maoris[31] en matière de protection de la jeunesse. En effet, il a été démontré au cours des années 1970 et 1980 que les Maoris étaient surreprésentés dans les services en protection de l’enfance. De plus, les Maoris se disaient insatisfaits des mesures prises pour protéger leurs enfants, lesquelles entraînaient souvent une rupture entre l’enfant et sa famille. En 1985, le ministre du Bien-être social (social welfare) a mandaté un comité pour faire enquête et rendre compte du point de vue des Maoris relativement aux pratiques du ministère en matière de protection de l’enfance. Ce comité a conclu que les Maoris étaient victimes d’un racisme institutionnel et que des changements importants devaient se produire rapidement (Nouvelle-Zélande, 1988 :7). Le comité était aussi invité à proposer des amendements à la loi, ce qu’il a jugé nécessaire pour répondre aux besoins des Maoris. C’est ainsi que la Children, Young Persons and Their Families Act a été adoptée en 1989. Cette loi fait en sorte que tous les enfants en besoin de protection de l’État sont traités à l’aide du processus des conférences familiales (Family Group Conferences).
Chez les Atikamekw, un conseil de famille est constitué pour chacune des situations pour lesquelles le directeur de la protection sociale a décidé d’intervenir. Le conseil de famille est une « instance atikamekw constituée d’un groupe de personnes directement concernées par la situation d’un enfant ou d’un jeune» (Règlement SIAA-DC, art. 1). L’enfant ou le jeune, ses parents et le directeur de la protection sociale en font partie d’office. L’intervenant social, des personnes significatives de la famille ou de l’entourage de l’enfant ou du jeune, les personnes qui en assument la responsabilité (« parent de fait ») de même que les grands-parents sont invités à faire partie du conseil de famille et ces derniers devraient, autant que possible, en faire partie (ibid., art. 25). La constitution du conseil de famille est déterminée suivant un accord qui intervient entre le directeur de la protection sociale, le jeune âgé d’au moins 14 ans et ses parents (ibid., art. 26).
Le conseil de famille a comme premier objectif de décider des motifs justifiant l’intervention d’autorité (ibid., art. 78) ; le second objectif consiste à choisir les mesures à appliquer pour corriger la situation (ibid., art. 24) alors que le dernier objectif est de désigner les personnes et les ressources pour constituer le cercle d’aidants (ibid., art. 79). Ce dernier est une instance atikamekw qui a comme mission d’aider à l’application des mesures. Il est constitué de toute personne désireuse de s’impliquer auprès de l’enfant ou du jeune (ibid., art. 28).
Les décisions prises par le conseil de famille doivent être fondées sur le plus large consensus possible (ibid., art. 80). De plus, une décision ne sera pas valide si le jeune âgé d’au moins 14 ans, l’un de ses parents ou le directeur de la protection sociale manifestent leur désaccord (ibid., art. 81). Ce désaccord peut entraîner une seconde réunion du conseil de famille, la saisie du conseil de sages ou du tribunal (ibid., art. 82 et 84). Dans ce dernier cas, il s’agit du tribunal étatique soit la Chambre de la jeunesse de la Cour du Québec. Quant au conseil de sages, il est constitué dans chacune des communautés de cinq hommes et de cinq femmes, dont au moins un jeune ou un jeune adulte (ibid., art. 33). Ces personnes doivent être membres d’une des communautés atikamekw (Conseil de la nation atikamekw, 2008, art. 4). Le conseil de sages est une instance atikamekw (Règlement SIAA-DC, art. 32) qui agira en première instance s’il y a désaccord sur la constitution du conseil de famille ou s’il a été impossible de tenir cette réunion en temps utile (ibid., art. 27). Il agira en seconde instance lorsque le jeune âgé d’au moins 14 ans, son père ou sa mère est en désaccord sur les mesures à appliquer. Lorsque c’est le directeur de la protection sociale qui est en désaccord avec le choix des mesures, il lui appartient de décider de porter la situation à l’attention du conseil de sages ou du tribunal (ibid., art. 84).
Le fonctionnement du SIAA
Le régime particulier de protection de la jeunesse est enclenché par une demande d’amorce de l’intervention d’autorité. Puisque le SIAA consiste en une intervention de dernier recours, ce sont généralement les travailleurs des services sociaux courants qui interviennent déjà auprès d’une famille en difficulté qui procèdent à la demande formelle auprès du directeur de la protection sociale. Lorsqu’il reçoit la demande, ce dernier peut décider d’appliquer des mesures afin d’assurer la protection immédiate de l’enfant pour une période qui est actuellement de 48 heures mais qui passera à trois jours ouvrables après la signature de l’entente conclue avec le gouvernement du Québec en vertu de l’article 37.5 de la loi. À l’expiration de cette période, le directeur de la protection sociale doit obtenir l’autorisation du tribunal s’il veut prolonger l’application des mesures en l’absence du consentement des parents ou du jeune âgé d’au moins 14 ans. Dans le cas où le tribunal donne droit à la demande du directeur de la protection sociale, celui-ci profitera du délai supplémentaire qui lui est consenti, soit cinq jours, pour continuer d’intervenir auprès des parents afin de dénouer l’impasse et de poursuivre l’intervention à l’intérieur du SIAA. À l’expiration de ce délai, il arrive parfois que des parents ou le jeune âgé d’au moins 14 ans maintiennent leur opposition face à la mesure proposée par le directeur de la protection sociale. Ces situations demeurent cependant exceptionnelles de telle sorte qu’il faille, pour un nombre marginal de situations, présenter une requête au tribunal afin de déterminer des mesures provisoires à appliquer en attendant que le tribunal soit saisi du fond de la situation. Cette période est généralement de 30 jours et peut être renouvelée une seule fois par le tribunal. Pendant l’application des mesures provisoires, le représentant du directeur de la protection sociale continue de discuter avec l’enfant, le jeune et ses parents dans le but de traiter la situation suivant ce qui est prévu par le SIAA. Jusqu’à maintenant, toutes les situations qui ont été soumises à ce processus ont finalement été traitées suivant les prescriptions du SIAA. Ainsi, la journée prévue pour l’audition de la requête visant à assurer la protection de l’enfant à plus long terme, l’avocat des services sociaux atikamekw Onikam s’est toujours présenté au tribunal pour être autorisé à poursuivre le traitement de la situation sur une base volontaire plutôt que judiciaire et cette autorisation fut toujours accordée.
L’étape qui suit la demande afin d’amorcer l’intervention d’autorité consiste dans la réunion du conseil de famille. Celle-ci doit avoir lieu à l’intérieur d’un délai de 60 jours suivant la décision du directeur d’amorcer l’intervention d’autorité (ibid., art. 73).
L’étape de la constitution du conseil de famille et celle de la préparation des membres de ce Conseil sont cruciales ; elles constituent un moment névralgique de l’intervention. La responsabilité de préparer les membres du conseil de famille incombe au représentant du directeur de la protection sociale (Conseil de la nation atikamekw, 2013 : 80-81), celui-ci étant nécessairement un Atikamekw. En conséquence, les explications fournies ont lieu dans la langue atikamekw. Le clinicien doit d’abord s’assurer que les parents et le jeune en âge de comprendre reconnaissent les motifs à l’origine de l’intervention d’autorité. Les parents doivent être appelés à réfléchir sur leurs comportements et leurs impacts dans la vie de leur enfant ou jeune et être invités à se pencher sur les moyens à prendre pour corriger la situation. La situation doit également être expliquée aux autres membres du conseil de famille : ils doivent être amenés à réfléchir sur le rôle qu’ils peuvent jouer pour contribuer à mettre fin à la situation qui compromet la sécurité ou le développement de l’enfant ou du jeune. On comprend que ces personnes doivent avoir une influence positive sur les parents de telle sorte qu’ils pourront intervenir au cours de la réunion du conseil de famille pour favoriser la prise de conscience des parents. Le temps consacré à la préparation des membres du conseil de famille ne doit aucunement être restreint : il faut prendre le temps nécessaire. Cela peut aisément s’échelonner sur deux ou trois rencontres seulement pour préparer les parents.
Une fois les personnes bien préparées à participer au conseil de famille, elles sont invitées à se présenter au moment et au lieu convenus, et la réunion se déroule en atikamekw à moins que l’un des parents soit allochtone. Dans tous les autres cas, la réunion doit se dérouler en atikamekw, et ce, même si l’intervenant est allochtone ou s’il ne parle pas cette langue. C’est à lui de s’adapter au fait que la langue d’usage est l’atikamekw et non le contraire. Le représentant du directeur de la protection sociale s’assure, tout au cours de la rencontre, que l’intervenant saisit l’essentiel du déroulement de la réunion en lui traduisant ponctuellement les propos des parents et de l’enfant ou du jeune.
Idéalement, la réunion du conseil de famille doit se tenir en forêt, que ce soit sur un site communautaire ou familial. Lorsque cela n’est pas possible, la réunion a lieu à un autre endroit, mais dans la mesure du possible, il ne doit pas s’agir des locaux ou bureaux habituellement utilisés par les services sociaux. Le représentant du directeur de la protection sociale anime la rencontre et rédige le rapport faisant foi du compte-rendu de la réunion du conseil de famille.
La responsabilité d’animer la réunion du conseil de famille incombe au directeur de la protection sociale qui, dans les faits, délègue cette responsabilité au représentant. Une fois tous les participants accueillis, ils sont invités à se positionner en cercle. Un moment de recueillement ou de prière précède ensuite la courte présentation du contexte à l’origine de la réunion du conseil de famille. Le représentant du directeur de la protection sociale invite l’intervenant qui a procédé à la demande d’amorce à présenter ses constats et à expliquer ce qui fait en sorte que la sécurité ou le développement de l’enfant lui apparaît compromis. Les parents, puis les autres participants, sont ensuite invités à donner leur point de vue. Il s’ensuit un échange conduit par le représentant du directeur de la protection sociale. Dans la quasi-totalité des situations soumises à un conseil de famille, les parents reconnaissent les principaux faits sur lesquels repose la demande d’intervention faite au directeur de la protection sociale. Dans les très rares cas où il y a absence de reconnaissance, le directeur de la protection sociale réfère la situation au conseil de sages ou au tribunal. Cette décision est prise au cas par cas en fonction de l’urgence de la situation et des faits particuliers la constituant. Une fois que les membres du conseil de famille ont convenu d’une compréhension commune de la situation et de ses impacts sur l’enfant ou le jeune (Règlement SIAA-DC, art. 77), l’étape suivante consiste à décider des mesures à prendre pour assurer la sécurité de l’enfant. Tout est mis en œuvre pour que l’enfant ou le jeune demeure auprès de ses parents ou de ses parents de fait. Si cela n’est pas possible, l’enfant doit alors faire l’objet d’une mesure d’hébergement auprès de ses proches. Si personne de l’entourage de l’enfant n’est disponible pour l’accueillir, son hébergement auprès d’une famille d’accueil doit alors être considéré.
Lorsque le conseil de famille parvient à s’entendre sur les mesures à appliquer, le jeune âgé d’au moins 14 ans et ses parents sont appelés à signer un « contrat d’engagement » qui rend compte des motifs justifiant l’intervention d’autorité, des mesures visant à corriger la situation et du délai imparti pour ce faire. Cette étape est comparable à celle de la prise de mesures volontaires par le directeur de la protection de la jeunesse. Finalement, les membres du conseil de famille sont appelés à désigner des personnes pouvant constituer le cercle d’aidants. Mentionnons que la durée moyenne des réunions du conseil de famille est d’environ trois heures.
Le cercle d’aidants est constitué après la réunion du conseil de famille. Il devra se réunir une première fois à l’intérieur d’un délai de 15 jours suivant la réunion du conseil de famille (Conseil de la nation atikamekw, 2014 : 17). Les membres du cercle d’aidants procèdent selon les engagements personnels qu’ils ont pris pour aider à l’application des mesures. Le cercle d’aidants doit se réunir aussi souvent que nécessaire et au moins un mois avant la date prévue de la fin des mesures afin de dresser un bilan de l’évolution de la situation (ibid. : 18).
Chaque situation qui a donné lieu à une intervention d’autorité doit faire l’objet d’une révision périodique, le délai étant déterminé en fonction de l’âge de l’enfant ou du jeune. Ainsi, la révision a lieu tous les trois mois[32] lorsque l’enfant est âgé de douze mois ou moins ; pour les enfants âgés de un an à cinq ans, la révision aura lieu tous les six mois alors qu’elle aura lieu une fois par année pour tous les autres enfants et jeunes (Règlement SIAA-DC, art. 99). Mentionnons que la situation peut être révisée en tout temps si les faits le justifient (ibid., art. 101).
L’enfant qui est en âge de comprendre, ses parents, le réviseur et un intervenant social prennent part à la révision de la situation. Cependant, lorsque la décision qui donne lieu à la révision a été prise par le conseil de sages, au moins trois membres de ce conseil doivent être invités à participer à la révision. Autant que possible, ces personnes sont choisies parmi celles qui se sont prononcées sur la situation (ibid., art. 104). Lorsque, suite à la révision de la situation, il s’avère que la sécurité ou le développement de l’enfant ou du jeune n’est plus compromis, le directeur met fin à l’intervention d’autorité (ibid., art. 106). Au cas contraire, l’application des mesures se poursuit jusqu’à la prochaine révision.
Quelques points de convergence et de divergence entre le régime général et le régime particulier de protection de la jeunesse
Bien qu’elles soient rédigées de manière différente par les deux régimes de protection de la jeunesse, les situations qui donnent ouverture à leur application sont les mêmes[33]. Cela est d’ailleurs expressément prévu à l’article 37.5 de la loi. Par contre, alors que le SIAA prévoit que toute personne est responsable de communiquer au directeur de la protection sociale une situation où elle a des motifs raisonnables de croire qu’un enfant ou un jeune se retrouve dans une situation pouvant justifier l’intervention d’autorité (ibid., art. 56-57), la loi crée cette obligation pour certaines personnes seulement ou pour des situations particulières (L.P.J., art. 39). Le choix opéré par les Atikamekw repose sur l’adage « qu’il faut toute une communauté pour élever un enfant ». Si tous les membres de la communauté doivent s’impliquer pour prendre soin d’un enfant et le guider vers l’âge adulte, il va de soi que tous ont la responsabilité de porter une situation problématique à l’attention du directeur de la protection sociale.
Les distinctions majeures entre les régimes de protection de la jeunesse se trouvent dans les modalités prévues pour déterminer si la sécurité ou le développement de l’enfant est compromis ; dans les modalités prévues pour corriger la situation ; dans les personnes qui ont un rôle à y jouer ; dans la langue de communication. En effet, le SIAA fait d’abord et avant tout appel aux membres de la famille et aux autres personnes de la communauté pouvant être significatives pour l’enfant ou ses parents. Les personnes impliquées dépassent largement les membres de la famille nucléaire. Des instances constituées sur mesure pour traiter la situation d’un enfant comme le conseil de famille et le cercle d’aidants sont utilisées pour aider les parents à prendre conscience de leurs difficultés et les soutenir dans l’application des mesures visant à corriger la situation. Dans le cours de l’application du SIAA, ce n’est pas l’intervenant qui se présente seul devant les parents pour leur dire quels comportements ils devraient corriger ni la manière de faire. L’intervenant se joint plutôt aux proches de l’enfant et de ses parents afin de leur faire prendre conscience de la situation et de ses conséquences pour l’enfant ou le jeune. Le représentant du directeur de la protection sociale travaille dans le même sens tout en veillant à ce que les mesures qui seront prises assureront la sécurité et le développement de l’enfant. Les décisions sont prises de façon collégiale et elles ne relèvent aucunement d’un expert. D’ailleurs, le fait que le régime général de protection de la jeunesse fasse appel à des tiers indépendants et étrangers à la situation paraît incongru aux Atikamekw.
La relation qui s’établit entre l’intervenant social, l’enfant et ses parents en vertu de la loi est fondée sur la relation expert-client où l’intervenant qui agit au nom du directeur de la protection de la jeunesse peut exiger des parents qu’ils modifient leurs comportements. Il en va autrement du SIAA où l’intervenant, le clinicien et le réviseur agissent plutôt à titre de collaborateurs qui s’investissent, notamment auprès des parents, pour les aider à adopter de meilleurs comportements. Le SIAA repose sur le principe que les Atikamekw sont compétents pour résoudre les difficultés qu’ils vivent en matière de protection de la jeunesse et que les membres des familles en difficulté, les instances communautaires et les aînés sont les mieux placés pour trouver une solution durable aux problèmes liés à la protection de l’enfance et de la jeunesse.
La langue de communication utilisée au cours du SIAA est généralement l’atikamekw. À tout le moins, la réunion du conseil de famille et celle du conseil de sages se déroulent en atikamekw. Puisque c’est environ 96 % des Atikamekw qui s’expriment en tout premier lieu dans leur langue, il va de soi que l’atikamekw est privilégié. Puisqu’il est admis qu’il est beaucoup plus facile de communiquer ses émotions et ses idées dans sa langue maternelle, on comprend que l’utilisation du français puisse conduire à des malentendus. Or, les interventions du directeur de la protection de la jeunesse sont entièrement faites en français. Les problèmes de communication causés par l’usage de cette langue joints aux différences culturelles que connaissent la société dominante et les Atikamekw constituent des difficultés qui s’ajoutent à celles déjà présentes dans le traitement des situations en matière de protection de la jeunesse.
À l’intérieur de chacun des régimes, des mesures visant à assurer la protection immédiate de l’enfant ou du jeune, ou sa protection de façon provisoire, peuvent être prises. La révision des situations est également prévue à l’intérieur de chacun des régimes, que ce soit de façon périodique ou non.
Il importe de souligner que les Atikamekw ont choisi de ne pas appliquer intégralement les dispositions de la loi apparues en 2007 quant aux périodes maximales d’hébergement de l’enfant (ibid., art. 53.0.1 et 91.1). Ils ont plutôt confectionné des outils cliniques leur permettant de décider, au cas par cas, des mesures à appliquer à long terme, voire de façon permanente. Ainsi, les Atikamekw ont élaboré un cadre de référence (Conseil de la nation atikamekw, 2009) qui vise à préciser le cadre d’intervention lorsque des mesures à long terme doivent être prises pour la situation d’un enfant ou du jeune. Ce cadre de référence a pour objectif d’« apporter à chaque enfant, compte tenu de son âge, de son niveau de développement, de sa maturité et de l’ensemble de ses caractéristiques particulières, la solution qui lui convienne au moment opportun » (ibid. : 5). Ainsi, sans préciser de balises précises quant à l’âge de l’enfant et à la durée d’application des mesures, il est prévu que « plus l’enfant est jeune lorsqu’une intervention d’autorité est amorcée, plus vite une solution permanente devra être apportée à sa situation » (ibid. : 6). Bien qu’une limite temporelle accompagne chaque plan d’intervention, celle-ci est déterminée en fonction de chaque situation et non en fonction de balises fixes déterminées selon l’âge de l’enfant.
Le SIAA a été conçu par et pour les Atikamekw, dans le respect de leurs valeurs, leur culture, leur langue et leurs traditions. Comme il le sera démontré au cours de la section suivante, ilpallie certaines difficultés rencontrées par l’application de la loi dans leurs communautés et maintes fois soulevées par les Autochtones au cours des années passées, comme le nombre élevé d’enfants autochtones confiés à des milieux substituts allochtones.
Quelques résultats découlant de l’application du SIAA
Les effets tangibles les plus remarquables résultant de l’application du SIAA sont certainement le nombre peu élevé de situations soumises au tribunal par les services sociaux atikamekw Onikam ou par le directeur de la protection de la jeunesse[34] ainsi que la proportion élevée d’enfants et de jeunes maintenus en milieu atikamekw. Du 1er avril 2013 au 31 mars 2014, le directeur de la protection sociale a reçu 100 demandes pour amorcer l’intervention d’autorité. Trente-neuf dossiers ont été fermés suite à l’évaluation de la situation et six dossiers ont été fermés après avoir été transférés aux centres jeunesse. En conséquence, le directeur de la protection sociale a traité 55 nouvelles situations au cours de cette période. Pour celle s’échelonnant du 1er avril 2014 au 31 mars 2015, le directeur de la protection sociale a eu à traiter 67 nouvelles situations (voir le tableau 1). Au cours des années 2013-2014, 6 situations sur 100 ont été transférées aux centres jeunesse (6 %) alors qu’en 2014-2015, cette proportion est de 13 sur 147 (8,8 %). En soustrayant le nombre de cas fermés après évaluation pour l’année 2013-2014, il demeure 61 situations ayant nécessité une intervention d’autorité. Parmi celles-ci, 6 ont été transférées aux centres jeunesse, ce qui représente un taux de 9,8 %. Pour l’année 2014-2015, 13 situations sur 80 ont été transférées aux centres jeunesse, soit 16 % des situations.
À l’occasion de l’étude du projet de loi 166[35] en commission parlementaire le 7 juin 2001, la ministre responsable de l’application de la Loi sur la protection de la jeunesse avait annoncé que suite au début de l’application du SIAA, une diminution du recours au processus judiciaire de l’ordre de 80 % avait été observée. Sans pouvoir indiquer le nombre précis de situations qui font l’objet d’une mesure judiciaire, force est d’admettre que cette tendance a été maintenue. En effet, ce ne sont pas toutes les situations traitées par les centres jeunesse, soit 6 en 2013-2014 et 13 en 2014-2015, qui ont donné lieu à un traitement judiciaire et peu de mesures judiciaires ont été nécessaires dans le cadre de l’application du SIAA.
Le principal motif à l’origine de l’intervention d’autorité du directeur de la protection sociale est le même que celui du directeur de la protection de la jeunesse à l’échelle de la province, soit la négligence. Pour ce qui est de l’âge des enfants au moment de l’amorce de l’intervention d’autorité pour 2013-2014, 46 % ont 8 ans ou moins, 21 % sont âgés de 9 à 11 ans et 34 % ont 12 ans et plus. Cette répartition des âges est semblable d’une année à l’autre. Au Québec, 70 % des enfants signalés au directeur de la protection de la jeunesse pour la même période ont 12 ans ou moins (Association des centres jeunesse du Québec, 2014 : 20), ce qui est comparable aux résultats obtenus chez les Atikamekw.
Pour les nouvelles situations de l’année 2013-2014 (voir le tableau2), les enfants et jeunes ont été maintenus ou retournés dans leur milieu familial dans 57 % des cas alors qu’ils ont été confiés à un membre de leur famille immédiate ou élargie dans 8 % des cas. Les hébergements en famille d’accueil constituent 29 % des mesures qui ont été prises dans les 55 nouvelles situations pour la même période et, fait particulier à remarquer, tous ces milieux d’accueil étaient atikamekw. Finalement, 6% des mesures appliquées dans les nouveaux dossiers consistent en l’hébergement d’un jeune dans un foyer de groupe atikamekw, le Foyer Mamo. En conséquence, tous les enfants et les jeunes atikamekw dont la situation a été prise en charge par le directeur de la protection sociale en 2013-2014 ont été maintenus en milieu atikamekw. C’est manifestement sur ce plan que le SIAA affiche les résultats les plus intéressants. Pour l’année 2014-2015, 85 % des mesures appliquées dans les nouveaux dossiers pris en charge par le directeur de la protection sociale ont contribué à maintenir les enfants et les jeunes auprès des leurs.
Parmi les nouvelles situations traitées en 2013-2014, 29 ont donné lieu à des conseils de famille et 11 à des conseils de sages. Les autres situations étaient en attente d’un conseil de famille ou d’un conseil de sages au 31 mars 2014. En 2013-2014, les conseils de famille ont été constitués de cinq à huit personnes dans 79 % des cas alors qu’ils ont été de neuf personnes et plus dans les autres cas. Pour l’année 2014-2015, il y a eu 49 conseils de famille et 13 conseils de sages. Les conseils de famille ont été constitués de cinq à huit personnes dans 65,5 % des cas ; la proportion est de 26,5 % pour les conseils de famille constitués de neuf personnes et plus et de 8 % pour les conseils de famille constitués de moins de cinq personnes.
Le 31 mars 2014, le directeur de la protection sociale appliquait 124 mesures dans l’ensemble de ses dossiers actifs, ces mesures étant décrites à l’intérieur du tableau 3. Trente-quatre pour cent des enfants et jeunes qui ont fait l’objet d’une mesure ont été maintenus ou retournés dans leur milieu familial et près de 6 % ont été confiés à des membres de leur famille immédiate ou élargie ; 54 % des enfants et jeunes ont été confiés à des familles d’accueil parmi lesquelles 67 % sont atikamekw. Au bout du compte, l’enfant ou le jeune est demeuré dans un environnement atikamekw dans 82 % des cas (soit 102/124). Cette proportion est de 76 % (soit 84/111) au 31 mars 2015. Il est étonnant que la proportion d’enfants et de jeunes atikamekw confiés à des membres de leur famille immédiate ou élargie soit inférieure à celle des enfants québécois faisant l’objet d’une mesure semblable au 31 mars 2014. Par contre, cette proportion est comparable pour les enfants et jeunes atikamekw et pour les enfants québécois au 31 mars 2015. Encore une fois, c’est lorsqu’on tient compte du taux des mesures qui ont permis que l’enfant ou le jeune demeure auprès des siens que le SIAA affiche ses résultats les plus significatifs. Il demeure que des études plus approfondies pourraient être utiles à l’évaluation de l’efficacité du SIAA.
Conclusion
Le SIAA constitue un régime novateur de protection de la jeunesse, né des difficultés d’application de la loi en milieux autochtones et plus particulièrement chez les Atikamekw. Il est expérimenté depuis maintenant une quinzaine d’années et il est le seul en son genre au Québec. Au moment d’écrire ces lignes, seuls les Atikamekw et les Mohawk de Kahnawake négocient une entente avec le gouvernement du Québec en vertu de l’article 37.5 de la loi. Cette entente tarde cependant à être signée, ce qui devient source de frustrations pour les Atikamekw qui font œuvre de patience.
Le SIAA repose essentiellement sur des personnes et des instances atikamekw, dont le conseil de famille et le conseil de sages. L’étape du conseil de famille constitue le cœur de l’intervention du directeur de la protection sociale et elle doit se dérouler dans la langue atikamekw. Cela est fondamental. Les intervenants allochtones qui sont appelés à participer au conseil de famille doivent nécessairement composer avec cette réalité. Aussi, ils doivent comprendre que leur rôle n’est pas le même que dans le régime général de protection de la jeunesse qui fait en quelque sorte de l’intervenant un expert. Malgré le nom français désignant le régime particulier de protection de la jeunesse, le Système d’intervention d’autorité atikamekw, celui-ci use davantage de collaboration que d’autorité.
Bien que les Atikamekw reconnaissent qu’il est parfois nécessaire de traiter avec des professionnels de divers domaines pour évaluer certaines situations complexes ou pour y trouver des solutions, ils estiment être mieux placés qu’eux pour intervenir dans la majorité des situations. Cette façon de concevoir l’intervention auprès des familles en difficulté contraste avec celle du régime étatique, qui est davantage établie suivant la dyade expert-client.
La nette diminution du recours à l’intervention judiciaire et la forte proportion d’enfants et jeunes maintenus en milieu atikamekw témoignent de l’efficacité du SIAA. C’est dire qu’il est possible d’assurer la sécurité et le développement des enfants et des jeunes atikamekw en ayant recours à une intervention culturellement adaptée fondée sur la participation et la collaboration des proches, et en misant sur les forces des parents plutôt qu’en se concentrant sur leurs lacunes.
Comme le soulignait la ministre responsable de l’application de la loi en 2001, l’expérience atikamekw peut bénéficier non seulement aux communautés autochtones, mais aussi à l’ensemble des Québécois. La prise en charge des jeunes par les communautés et la déjudiciarisation des situations, « c’est ce qu’on rêve tous de faire[36] », disait la ministre. Ainsi, l’expérience atikamekw peut être « une expérience-pilote pour tout le Québec» (ibid.).
Bien que cela n’ait jamais été officiellement affirmé, il est permis de croire que c’est en raison de l’expérimentation des conseils de famille chez les Atikamekw que certains centres jeunesse du Québec ont par la suite développé des instances semblables, tels les « conseils de personnes significatives ». Même si le SIAA ne revêt pas le statut d’entente conclue en vertu de l’article 37.5 de la loi, il demeure que le modèle atikamekw d’intervention en matière de protection de la jeunesse est là pour rester et qu’il n’est plus possible de revenir en arrière pour se soumettre à l’application intégrale de la loi.
Parties annexes
Notes
-
[1]
Ces données reflètent la réalité dans les communautés atikamekw en date du mois de février 2015. Voir le site d’Affaires autochtones et du Nord Canada : http://fnp-ppn.aadnc.gc.ca/fnp/Main/Search/TCMain.aspx?TC_NUMBER=1064&lang=fra.
-
[2]
Le SIAA a d’abord été appliqué aux trois communautés atikamekw. Le 1er novembre 2002, la communauté d’Opitciwan a pris en charge l’entière responsabilité des services sociaux dispensés à l’intérieur de cette communauté. Depuis, les Atikamekw d’Opitciwan appliquent leur propre régime de protection de la jeunesse, le service de protection sociale des Atikamekw d’Opitciwan (SPSAO), qui tire sa source du SIAA. Les communautés de Manawan et de Wemotaci ont poursuivi avec le SIAA.
-
[3]
L.Q. 1977, c. 20 (R.L.R.Q. c. P-34.1).
-
[4]
D’autres lois destinées à la protection de l’enfance ont été appliquées antérieurement à la Loi sur la protection de la jeunesse mais celle-ci marque une nouvelle génération de lois en ce domaine.
-
[5]
Le régime légal de la communauté de biens est remplacé par celui de la société d’acquêts.
-
[6]
La Charte fut adoptée le 27 juin 1975 et est entrée en vigueur le 28 juin 1976.
-
[7]
Le directeur de la protection de la jeunesse n’est pas impliqué dans les adoptions intrafamiliales d’enfants qui ont lieu suivant le « consentement spécial à l’adoption » donné par les parents en faveur d’une personne mentionnée à l’article 555 C.c.Q.
-
[8]
Bilan des directeurs de la protection de la jeunesse/directeurs provinciaux 2012, p. 6, disponible en ligne : www.cjsaglac.ca/donnees/fichiers/1/bilandpj_2012_vf.pdf.
-
[9]
La référence explicite aux grands-parents n’est survenue qu’à l’occasion de l’étude détaillée du projet de loi 125 : Loi modifiant la Loi sur la protection de la jeunesse et d’autres dispositions législatives, présentée le 20 octobre 2005 et sanctionnée le 15 juin 2006 (R.L.Q. 2006, c. 34).
-
[10]
L’article prévoit que « l’enfant, ses parents et le directeur sont des parties ».
-
[11]
Les mémoires déposés à la commission des affaires sociales par les organismes autochtones lors de l’étude du projet de loi 125 sont disponibles en ligne sur le site de l’Assemblée nationale du Québec : http://assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/commissions/CAS/mandats/Mandat-2991/memoires-deposes.html.
-
[12]
La même obligation incombe à tout employé d’un établissement, à tout enseignant, à toute personne œuvrant dans un milieu de garde et à tout policier, qui, dans l’exercice de ses fonctions, a un motif raisonnable de croire que l’enfant se retrouve dans l’une des situations décrites par la loi.
-
[13]
Un directeur de la protection de la jeunesse est nommé pour chacune des régions administratives du Québec.
-
[14]
La durée de l’entente ne doit pas excéder un an, mais le directeur peut conclure une ou plusieurs ententes successives dont la durée totale ne peut excéder deux ans (art. 53 L.P.J.).
-
[15]
Art. 53.0.1 L.P.J. Les durées maximales sont de 12 mois lorsque l’enfant a moins de deux ans ; de 18 mois si l’enfant est âgé de deux à cinq ans et de 24 mois si l’enfant est âgé de six ans et plus.
-
[16]
Voir les cas mentionnés aux articles 11.2.1, 36, al. 3 et 72.5, al. 2 et 3 L.P.J.
-
[17]
Sur la question du relativisme culturel dans la notion de « bien de l’enfant », voir : Sheriff, 2000.
-
[18]
Bien que cet arrêt ait été rendu dans le cadre d’un litige impliquant la loi sur la protection de l’enfance du Nouveau-Brunswick, les principes qui en découlent sont transposables au Québec.Nouveau-Brunswick (Ministre de la Santé et des Services communautaires) c. G. (J.) [1999] 3 R.C.S. 46. Des arrêts de la Cour du Québec rendus en matière de protection de la jeunesse font état de l’intrusion de l’État dans le domaine privé par l’application de la LPJ, voir à titre d’exemples : Adoption-1134, [2011] R.J.Q. 1079 (C.Q.) ; Protection de la jeunesse-091556, 2009 QCCQ 7257 ; X (Dans la situation de), 2006 QCCQ 9513.
-
[19]
Protection de la jeunesse-1270, 2012, 2012 QCCQ 1971, p. 4.
-
[20]
Mémoire de l’association des centres de services sociaux du Québec, 1985 : 2. À cette époque, les directeurs de la protection de la jeunesse relevaient des centres de services sociaux. Au début des années 1990, ceux-ci ont été remplacés par les centres de protection de l’enfance et de la jeunesse.
-
[21]
Mentionnons que par la signature de la Convention de la Baie James et du Nord québécois en 1975, Les Cris et les Inuits ont pu créer des structures organisationnelles qui leur sont propres dans les domaines de la santé et des services sociaux. En 1978, les Naskapis de Kawawachikamach se sont joints aux Cris et aux Inuits par la signature de la Convention du Nord-Est québécois. Lorsque nous référons aux difficultés rencontrées par les Autochtones, il s’agit généralement des Autochtones non concernés par ces conventions.
-
[22]
La nation atikamekw et la nation « montagnaise » (aujourd’hui « innue ») ont uni leurs forces et ont constitué une seule et même entité jusqu’en 1982, date à laquelle le Conseil de la nation atikamekw a été créé.
-
[23]
Cela apparaît du document ayant été déposé au directeur général du ministère des Affaires indiennes et du Nord, « Prise en charge communautaire des services sociaux chez les Attikameks », 1984 : 2.
-
[24]
« Pour une position sur les ententes avec les services sociaux », 1984 : 7. Ce document est conservé au centre de documentation du Conseil de la nation atikamekw sous la cote # 227.
-
[25]
« Entente intérimaire relative à la mise en œuvre du Système d’intervention d’autorité atikamekw et au partage des responsabilités en matière de services sociaux », ci-après appelée « l’entente ». Bien que les signatures aient été apposées à l’entente au cours des mois d’avril et de mai 2000, elle s’est appliquée à compter du 1er mars 2000 suivant l’entente verbale à cet effet.
-
[26]
Travaux de la Commission permanente des affaires sociales, Cahier n°18, 7 juin 2001.
-
[27]
Projet de loi no 166, Loi modifiant la Loi sur la protection de la jeunesse, présenté le 1er décembre 2000 et sanctionné par l’Assemblée nationale du Québec le 21 juin 2001, R.L.Q. 2001, c. 33.
-
[28]
Cela apparaît des propos tenus par la Ministre responsable de l’application de la loi lors de l’étude détaillée du projet de loi en commission parlementaire, le 7 juin 2001.
-
[29]
Travaux de la Commission permanente des affaires sociales, 2001.
-
[30]
En vertu du Règlement relatif au SIAA dans les situations d’enfants et de jeunes dont la sécurité ou le développement est ou peut être considéré comme compromis (ci-après « Règlement SIAA-DC »), un enfant est une personne âgée de moins de 12 ans alors qu’un jeune est une personne âgée de 12 ans et plus, mais de moins de 18 ans.
-
[31]
Les Maoris utilisent les « Family Group Conferencing », que l’on peut traduire par les conférences de groupe familial ou les conférences familiales, depuis les années 1980. En Colombie-Britannique, une institution similaire est appelée « groupe consultatif familial pour les jeunes ». Le même concept est utilisé en Ontario et en Alberta. Au Québec, les Atikamekw ont été les premiers à recourir au Conseil de famille dans les situations de protection de la jeunesse. D’autres l’ont fait par la suite dans différentes régions du Québec comme en Outaouais, en Abitibi et en Mauricie.
-
[32]
Le régime général de protection de la jeunesse prévoit que la situation de ces enfants doit être révisée après six mois. Voir le Règlement sur la révision de la situation d’un enfant.
-
[33]
Les situations pour lesquelles le directeur de la protection de la jeunesse peut intervenir sont prévues aux articles 38 et 38.1 de la loi. Celles pour lesquelles le directeur de la protection sociale peut intervenir sont mentionnées aux articles 39 à 53 du Règlement SIAA-DC.
-
[34]
Le SIAA est appliqué à l’intérieur de deux districts judiciaires et de deux régions sociosanitaires différentes. La pratique des directeurs de la protection de la jeunesse n’est pas uniforme dans les deux régions concernées par l’application de la loi et du SIAA; les services sociaux atikamekw Onikam sont autorisés à judiciariser, au nom du DPJ, certains dossiers dans l’une de ces régions. Pour ce qui est de l’autre région, c’est toujours le directeur de la protection de la jeunesse qui procède lui-même devant le tribunal.
-
[35]
Voir la note 27.
-
[36]
Travaux de la Commission des affaires sociales, 7 juin 2001.
Bibliographie
- Adoption-1134, [2011] R.J.Q. 1079 (C.Q.).
- Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador et Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador, 2005. Mémoire sur le Projet de loi 125 : Loi modifiant la loi sur la protection de la jeunesse et d’autres dispositions législatives. Déposé à l’Assemblée nationale du Québec par Mme Margaret F. Delisle le 20 octobre 2005. Document disponible sur le site de l’Assemblée nationale du Québec.
- Assemblée nationale du Québec, travaux de la Commission permanente des affaires sociales, Cahier n°18, 7 juin 2001.
- Association des centres de services sociaux du Québec. 1985. « Les nations autochtones et les services sociaux : vers une véritable autonomie ».
- Association des centres jeunesse du Québec. 1995. « Les services sociaux aux jeunes autochtones en difficulté et à leurs familles : une nécessaire appropriation ».
- Association des centres jeunesse du Québec, 2012. «Bilan des directeurs de la protection de la jeunesse/directeurs provinciaux 2012». www.cjsaglac.ca/donnees/fichiers/1/bilandpj_2012_vf.pdf.
- Association des centres jeunesse du Québec, 2014. «Bilan des directeurs de la protection de la jeunesse/directeurs provinciaux 2014».
- Castelli, M. et Goubau, D. 2005. Québec, Presses de l’Université Laval, «Le droit de la famille au Québec».
- Charte des droits et libertés de la personne, R.L.R.Q., c. C-12.
- Code civil du Québec, L. Q. 1991 c. 64.
- Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador. 1998. Wendake, «Dire les choses comme elles sont», Consultation sur le contenu de l’application de laLoi sur la protection de la jeunesse et de la Loi sur les jeunes contrevenantsdans les Premières Nations .
- Conseil attikamek-montagnais, 1984. Prise en charge communautaire des services sociaux chez les Attikameks.
- Conseil de la nation atikamekw. 1984a. Prise en charge communautaire des services sociaux chez les Attikameks.
- Conseil de la nation atikamekw. 1984b. Pour une position sur les ententes avec les services sociaux.
- Conseil de la nation atikamekw. 1997. Politique sociale atikamekw.
- Conseil de la nation atikamekw. 1998. Rapport de la conférence intersectorielle sur le mieux-être, « La responsabilité de tous et chacun », Trois-Rivières.
- Conseil de la nation atikamekw. 1999a. Règlement relatif au système d’intervention d’autorité dans les situations d’enfants et de jeunes dont le développement est compromis et dans les situations de jeunes délinquants.
- Conseil de la nation atikamekw. 1999b, Manuel de référence sur le système d’intervention d’autorité atikamekw, partie 5 : le processus d’intervention dans les situations où le développement d’un enfant ou d’un jeune est compromis.
- Conseil de la nation atikamekw. 2008. Code de conduite des Conseils de Sages.
- Conseil de la nation atikamekw. 2009. Cadre de référence – Stabilité des enfants.
- Conseil de la nation atikamekw . 2012. Règlement relatif au SIAA dans les situations d’enfants et de jeunes dont la sécurité ou le développement est ou peut être considéré comme compromis.
- Conseil de la nation atikamekw . 2013. Système d’intervention d’autorité atikamekw dans les situations d’enfants et de jeunes dont la sécurité ou le développement est ou peut être considéré comme compromis, Manuel de référence.
- Conseil de la nation atikamekw. 2014. Système d’intervention d’autorité atikamekw dans les situations d’enfants et de jeunes dont la sécurité ou le développement est ou peut être considéré comme compromis, « Guide pratique ».
- Conseil de la nation atikamekw. 2015. Approche atikamekw : philosophie d’intervention dans le cadre des services rendus par Atikamekw Onikam.
- « Entente intérimaire relative à la mise en œuvre du système d’intervention d’autorité atikamekw et au partage des responsabilités en matière de services sociaux », 2000.
- Gouvernement du Québec, Ministère de la santé et des services sociaux et ministère de la justice. 1992. Rapport du groupe de travail sur l’évaluation de la Loi sur la protection de la jeunesse, « La protection de la jeunesse : plus qu’une loi », présidé par le juge Michel Jasmin.
- Gouvernement du Québec. 1995. Rapport et recommandations du Comité de consultation sur l’administration de la justice en milieu autochtone, «Lajustice pour et par les Autochtones».
- Gouvernement du Québec. 2012. Rapport du groupe de travail sur l’adoption coutumière en milieu autochtone. www.justice.gouv.qc.ca/français/ministere/dossiers/adoption/rapp_adop_autoch_juin2012.pdf
- Institut national d’excellence en santé et en services sociaux, 2015. « Bilan des directeurs de la protection de la jeunesse/directeurs provinciaux 2015 ».
- Loi assurant l’application de la réforme du droit de la famille, L.Q. 1982, c. 17
- Loi concernant les régimes matrimoniaux, L.Q. 1969, c. 77
- Loi instituant un nouveau code civil et portant réforme du droit de la famille, L.Q. 1980, c. 39
- Loi modifiant le Code civil, L.Q. 1977, c. 68
- Loi modifiant la Loi sur la protection de la jeunesse et d’autres dispositions législatives, R.L.Q. 2006, c. 34
- Loi modifiant le code civil et concernant les enfants naturels, L.Q. 1970, c. 62.
- Loi sur l’adoption, L.R.Q., c. A-7
- Loi sur la protection de la jeunesse, R.L.R.Q. c. P-34.1.
- Martin, Y. et Ulisse, Jacques A. 1985. L'autorité parentale: un droit ou un devoir -- pour qui!, Cowansville, Les Éditions Yvon Blais.
- Nouveau-Brunswick (Ministre de la Santé et des Services communautaires) c. G.(J.) [1999] 3 R.C.S. 46.
- Nouvelle-Zélande, 1988, «The Report of the Ministerial Advisory Committee on a Maori Perspective for the Department of Social Welfare : Puao-te-Ata-tu».
- Projet de loi 166, Loi modifiant la Loi sur la protection de la jeunesse, présenté le 1er décembre 2000 et sanctionnée le 21 juin 2001 (R.L.Q. 2001, c. 33).
- Protection de la jeunesse-1270, 2012 QCCQ 1971.
- Protection de la jeunesse-10174, 2010 QCCA 1912.
- Protection de la jeunesse-091556, 2009 QCCQ 7257
- Protection de la jeunesse -115308, 2011 QCCA 2147.
- Règlement sur la révision de la situation d’un enfant, RLRQ, c. P-34.1, r 8.
- Sheriff, T., 2000. « La production d’enfants et la notion de bien de l’enfant », Anthropologie et Sociétés, vol. 24, no 2, p. 91-110.
- X (Dans la situation de), 2006 QCCQ 9513.