Résumés
Résumé
L’article propose une analyse descriptive des pratiques professionnelles d’intervention et des programmes « centrés sur la famille » (N = 19) en contexte de négligence. On présente ensuite les caractéristiques des programmes efficaces ou prometteurs et l’illustration d’un modèle de thérapie familiale écosystémique développé au Québec. À la lumière des principaux constats qui ressortent de l’analyse, la discussion soulève certains enjeux et défis pour les chercheurs et les praticiens quant au développement des programmes pour les familles, leur implantation et l’évaluation de leurs effets.
Mots-clés :
- négligence,
- thérapie familiale écosystémique,
- programmes efficaces,
- développement,
- implantation et évaluation des programmes
Abstract
This paper presents a descriptive analysis of «family-centered» professional practices and programs for neglectful families. This is followed by a presentation of the characteristics of effective or promising programs, and by the illustration of an ecosystemic family therapy model developed in the Province of Quebec. Based on the main statements emerging from the analysis, the discussion raises some issues and challenges for the research workers and practitioners concerning the development of such programs for families, their implementation and the evaluation of their impact..
Keywords:
- ecosystemic family therapy,
- effective programs,
- development,
- implementation and evaluation
Corps de l’article
Introduction
Cet article propose une analyse descriptive des pratiques professionnelles et des programmes « centrés sur la famille » en contexte de négligence. Au Québec comme au Canada, la négligence, en particulier sur le plan éducatif et de la supervision, est la principale forme de maltraitance qui menace le développement des enfants plutôt que leur sécurité (Trocmé et al., 2005; Turcotte et al., 2007). La négligence est définie comme une difficulté plus ou moins importante de la famille à assumer ses tâches de protection et de socialisation des enfants (Bolger et al., 1997; Garbarino et Collins, 1999) dans un contexte où les ressources personnelles des parents et des enfants et celles de leur environnement sont faibles (Brousseau, 1999). Elle est aussi considérée comme une perturbation plus ou moins sévère de la relation parents-enfant et de la relation famille-environnement attribuable à des facteurs propres aux parents, à l’enfant, à la famille, à la communauté et à l’environnement socioéconomique (Lacharité et al., 2006).
La négligence s’accompagne de problèmes individuels chez les parents (dépression, toxicomanie, déficience intellectuelle), familiaux (fonctionnement familial, rôle parental, monoparentalité et violence conjugale) et socio-environnementaux (en particulier pauvreté et absence de soutien social) (Brousseau, 1999; Éthier et al., 2004; Léveillé et al., 2007). Ces difficultés ont des effets sur le développement et le fonctionnement des enfants (problèmes d’attachement, retards cognitifs, difficultés d’apprentissage, problèmes intériorisés ou extériorisés) (Léveillé et al., 2007). C’est donc un problème multifactoriel nécessitant des interventions multidimensionnelles et intersectorielles.
Malgré l’importance du problème et le développement des connaissances, les programmes pour les familles négligentes demeurent les moins développés et évalués, en comparaison de ceux s’attaquant aux autres formes de maltraitance. Mais qu’en est-il au juste des programmes et des interventions familiales? La première partie fait un survol des pratiques professionnelles sur le terrain, et la seconde partie, de loin la plus longue, est consacrée à l’analyse des programmes centrés sur la famille. La troisième partie met en relief les caractéristiques des programmes efficaces et présente un exemple prometteur de thérapie familiale écosystémique développé au Québec. En conclusion, la discussion porte sur les principaux constats et sur les enjeux et défis qui attendent les praticiens et les chercheurs sur le plan du développement des programmes, de leur implantation et de l’évaluation leurs effets.
1. Interventions en contexte de négligence et interventions familiales
1.1 Interventions traditionnelles ou usuelles
Les pratiques des intervenants sociaux auprès des familles ont été l’objet de peu d’études formelles et certaines n’étaient pas spécifiques de la négligence. À partir d’une étude qualitative réalisée auprès de praticiennes oeuvrant dans les services de bien-être à l’enfance, Callahan (1993) observait que les services se limitaient souvent aux services en contexte de protection; ceux-ci monopolisaient la plus grande partie des budgets du bien-être à l’enfance pour un travail d’évaluation plutôt que de traitement et d’aide. Elle observait aussi que l’intervention était majoritairement réalisée par des femmes auprès d’autres femmes et que la négligence était considérée comme un problème privé plutôt qu’une responsabilité sociale. Callahan (1993) et Swift (1995) suggéraient également que la négligence ne devrait pas être considérée comme un motif de protection, sauf dans les cas graves, et qu'on devrait davantage développer des services de soutien pour toutes les familles. Selon ces chercheures, la forte proportion de situations à risque parmi les cas retenus pour négligence soutenait leur hypothèse selon laquelle ces familles seraient mieux servies par des services volontaires offerts sur une base communautaire. Trocmé (1996b) a aussi noté un écart entre une compréhension multidimensionnelle et écosystémique de la négligence et le choix des stratégies de recherche et d’intervention principalement orientées vers les problèmes personnels des mères.
De son côté, Sheriff (1994) constatait l’absence d’évaluation systématique de la dimension familiale dans une étude sur les resignalements en protection de la jeunesse au Québec, alors que Simard (2000) observait que pour certains intervenants, soutenir la famille apparaissait aller à l’encontre des objectifs de protection de l’enfant, d’où des dilemmes éthiques potentiels. Par ailleurs, depuis quelques années, les centres jeunesse et les centres de santé et de services sociaux (CSSS) forment leurs praticiens à une approche centrée sur la famille. Toutefois, une analyse du Guide terrain pour le bien-être des enfants, qui soutient cette formation (Rycus et Hughes, 2005), révèle que l’intervention centrée sur le fonctionnement de la famille demeure largement axée sur les mères ou sur l’un ou l’autre des membres de la famille individuellement, comme le démontrent plus particulièrement les exemples de cas cités (Lebeau et al., 2005).
On doit enfin souligner la fragmentation des problèmes et des services offerts (enfants, adultes, femmes, hommes, protection de l’enfance, santé mentale, violence conjugale), ce qui a pour effet de mettre en veilleuse une approche familiale, holistique et écosystémique sur le plan de l’intervention (Brousseau, 2002). Des observations et des échanges informels avec les praticiens suggèrent que ces constats reflètent bien la réalité sur le terrain, les interventions étant également peu intensives. Ces analyses traduisent donc un écart entre le caractère multidimensionnel de la négligence et des pratiques d’intervention dont les cibles sont restreintes et fragmentées.
1.2 Pratiques d’intervention centrées sur la famille
Une étude des pratiques d’intervention auprès des familles en contexte de négligence a permis de confirmer en partie les observations précédentes et d’identifier trois modèles centrés sur la famille (Brousseau et Morel, 2006). Cette étude qualitative, réalisée au Québec auprès de 24 praticiens en service social oeuvrant en CSSS et en centre jeunesse, portait sur leur description du fonctionnement familial et sur la place accordée à la famille dans leur pratique. Leurs propos ont été l’objet d’une analyse de contenu et catégorisés avec une grille mixte (L’Écuyer, 1990). La grille comportait deux sous-thèmes : leur vision du fonctionnement familial (dimensions intrafamiliales et facteurs familiaux, individuels et environnementaux) et leur pratique auprès des familles (place du fonctionnement familial et contexte de l’intervention). Dans un premier temps, les praticiens décrivent une vision holistique et écosystémique du fonctionnement de la famille incluant plusieurs processus intrafamiliaux (communication, engagement affectif, rôles, etc.) ainsi que des facteurs individuels, familiaux ou environnementaux qui facilitent le fonctionnement de la famille ou y font obstacle selon qu’on est en présence de facteurs de risque ou de protection. Les praticiens affirment aussi majoritairement que la famille et son fonctionnement occupent une place importante dans leur pratique. Cependant, ils décrivent en réalité un continuum de trois modèles d’interventions centrées sur la famille qui traduisent chacun une vision de la famille, des postulats théoriques ainsi que des cibles et stratégies d’intervention différentes, afin de mettre fin à la situation de négligence dont un enfant est victime. Ces modèles sont influencés par les connaissances et expériences professionnelles des praticiens, le contexte organisationnel de travail (politiques, mission, etc.) et par leurs expériences et leurs valeurs personnelles.
Le premier modèle décrit est en réalité une intervention individuelle auprès d’un membre de la famille, le plus souvent la mère, en tant qu’adulte en difficulté. Il est centré sur la résolution de ses problèmes personnels et repose sur le postulat que leur atténuation va permettre au parent de mieux répondre aux besoins des enfants et de diminuer la négligence. Il s’appuie principalement sur les théories psychosociale et psychodynamique. Très proche du premier, le second modèle est une intervention individuelle auprès du parent, le plus souvent la mère, il est centré sur le rôle parental et s’appuie sur les théories de l’apprentissage et comportementale-cognitive. Il repose sur le postulat que l’amélioration des connaissances et des habiletés parentales va permettre aux parents de répondre aux besoins des enfants et diminuer ainsi la négligence. Enfin, le troisième modèle d’intervention familiale auprès de la famille comme système porte sur les interactions entre les membres de la famille et les sous-systèmes parental, conjugal et parent-enfant. Prenant appui sur une lecture familiale et écosystémique, il repose sur le postulat que l’amélioration du fonctionnement de la famille va lui permettre d’assumer ses fonctions, de répondre aux besoins des enfants et des adultes et de diminuer la négligence.
Dans les deux premiers modèles, la responsabilité du changement repose sur un seul membre de la famille. Les enfants et les pères (ou les conjoints des mères dans les situations de monoparentalité ou de recomposition familiale) sont les grands absents des interventions. Celles-ci sont surtout orientées vers la diminution des problèmes personnels des mères et l’amélioration de leurs habiletés parentales et ne s’attaquent aucunement à la pauvreté des familles et à leur isolement. Dans le troisième modèle, le changement repose sur l’engagement de tous les membres de la famille et leur environnement. Ces trois modèles illustrent le caractère diversifié du concept d’interventions centrées sur la famille, le troisième modèle répondant mieux au caractère multidimensionnel de la négligence sur le plan de l’intervention.
2. Programmes centrés sur la famille
Cette partie porte sur la nature des programmes d’intervention destinés aux familles en contexte de négligence et sur leurs effets[1]. En raison du petit nombre de programmes visant spécifiquement l’amélioration du fonctionnement familial, elle inclut plus largement des programmes qui s’adressent plus spécifiquement à un ou des membres de la famille, au sous-système parental ou parent-enfant ainsi qu’à la famille comme système et à l’amélioration de son fonctionnement. La première section rappelle la méthodologie retenue pour la recension des écrits. La deuxième présente les caractéristiques des programmes et la troisième fait le point sur leur évaluation lorsque celle-ci est disponible.
2.1 Méthode pour la recension et l’analyse
Les principales banques informatisées en service social et en maltraitance ont été consultées pour répertorier les articles et les rapports de recherche décrivant des interventions en négligence ou portant sur l’évaluation de leurs effets. Pour être inclus dans la recension, le programme devait être centré sur la famille et mentionner l’efficacité de l’intervention auprès de familles négligentes. On a examiné 9 synthèses (Berry et al., 2003; Corcoran, 2000; Daro, 1988; DePanfilis, 1999, 2006; Dore et Lee, 1999; Dufour et Chamberland, 2003; Gaudin, 1993a; Kumpfer et Alvarado, 1998) portant sur les caractéristiques des interventions efficaces ou identifiant certains programmes centrés sur la famille. Une recherche subséquente sur Internet a permis de repérer d’autres programmes et des sources complémentaires sur les programmes déjà identifiés. Enfin, un programme réalisé au Québec (Palacio-Quintin et al., 1995) a été inclus. La recension couvre la période 1987-2006.
Dix-neuf programmes centrés sur la famille ont été retenus pour un examen approfondi. Selon la classification de Rae-Grant (1994), seuls les programmes d’intervention réactifs (curatifs) pour les familles négligentes ou à risque ont été conservés. Ils ont été analysés à l’aide d’une grille contenant les indicateurs suivants : bases théoriques, objectifs, clientèle visée (famille, parent, enfant), type d’intervention (modalités, activités, durée et intensité), formation des intervenants, conditions d’implantation. Les évaluations disponibles (11 sur 19 programmes) ont été examinées selon les repères suivants : objectifs, population à l’étude, type de devis, mesures et instruments, résultats.
2.2 Caractéristiques des programmes centrés sur la famille
Les programmes répertoriés sont regroupés selon leur nature et leurs cibles : 1) interventions auprès des parents seulement, 2) interventions séparées auprès des parents et des enfants, 3) préservation familiale et 4) interventions familiales systémiques.
Interventions auprès des parents. Six programmes s’adressent seulement aux parents (Corcoran, 2000; Gaudin, 1993a; Lutzker et al., 1998; Rickard, 1998). Ces derniers sont la cible d’interventions individuelles ou en groupe qui visent surtout le développement de leurs habiletés parentales ou personnelles et sociales. Le programme TIME (cité par Gaudin, 1993a) mentionne la thérapie familiale parmi les interventions, mais la nature spécifique n’est pas précisée. L’intervention détaillée auprès des familles négligentes est disponible pour un seul programme, Learning about myself; il s’agit d’une intervention psychoéducative et de soutien en groupe (Rickard, 1998).
Interventions auprès des parents et des enfants. Cinq programmes s’adressent simultanément aux parents et aux enfants, mais de façon séparée les uns des autres (Bavolek, 2005; Dore et Lee, 1999; Gaudin, 1993a; Lutzker et al., 1989; Palacio-Quintin et al., 1995; Webster-Stratton, 2000). Ils sont surtout centrés sur le développement des habiletés parentales pour les parents et sur le développement des enfants (socialisation, stimulation); les interventions sont offertes en groupe ou sur une base individuelle. Dans deux cas, l’intervention spécifique auprès des familles négligentes est décrite de façon détaillée. Le Project 12-Ways (Lutzker et al., 1989) consiste en une intervention de groupe offerte séparément pour les parents et les enfants. Enfin, le Programme d’aide personnelle, familiale et communautaire (PAPFC) (Palacio-Quintin et al., 1995) est un programme multidimensionnel qui offre un soutien intensif aux parents et aux enfants. Il vise l’amélioration des habiletés parentales, personnelles et sociales des parents, le développement de l’enfant ainsi que celui du réseau social de la famille à travers des interventions individuelles auprès des parents, en groupe (séparément pour les parents et les enfants) ou encore par la présence d’une famille soutien (aide non professionnelle).
Préservation familiale. Trois programmes concernent la préservation familiale (family preservation) et s’adressent d’abord à des familles abusives (Corcoran, 2000; Gaudin, 1993a; Nelson et al., 1990). Ces programmes à court terme ont pour objectif de prévenir le placement de l’enfant par des interventions intensives. Le programme Homebuilders (Gaudin, 1993a) est le plus intensif, un même intervenant étant disponible pour 2 ou 3 familles seulement, et les deux autres sont des adaptations moins intensives de ce modèle. Les services offerts incluent le développement des habiletés parentales, des services directs aux enfants ainsi que des services concrets. Ils sont plus souvent offerts au domicile de la famille et nécessitent une disponibilité importante et étendue pour répondre rapidement en situation de crise.
Consultation et thérapie familiales. La famille comme système est la cible d’intervention de cinq programmes. Multifamily Group Therapy (Meezan et O'Keefe, 1998a, 1998b) est un programme d’intervention de groupe auprès de familles maltraitantes ou qui sont à risque de le devenir et ne s’adresse pas spécifiquement aux familles négligentes. Cette intervention en groupe auprès de quelques familles à la fois s’est révélée plus efficace que la thérapie familiale appliquée auprès d’une seule famille à la fois, entre autres, en ce qui concerne l’amélioration du fonctionnement familial et du soutien social ainsi que la diminution du potentiel d’abus. Strengthening Families Program (Kumpfer et Tait, 2000) est un programme de groupe pour des familles dont les parents présentent un problème de toxicomanie. Une partie des rencontres de groupe s’adresse aux parents et aux enfants séparément dans un premier temps, puis aux familles dans un deuxième temps. Les auteurs du programme soulignent qu’il pourrait être utile pour les familles négligentes. Deux autres programmes, Functional Family Therapy (Sexton et Alexander, 2000) et Thérapie multisystémique (Brunk et al., 1987; Henggeler et al., 1998), ont été développés pour aider des familles dont les adolescents présentent des problèmes de comportement ou ont commis des délits. Selon leurs auteurs, ils pourraient être adaptés aux familles négligentes, mais on n’a répertorié aucune étude dans le premier cas. En ce qui concerne le programme Thérapie multisystémique, un article rapporte les résultats d’une évaluation réalisée auprès de familles abusives et négligentes, mais ne décrit pas comment il a été adapté à cette clientèle (Brunk et al., 1987).
Le dernier programme de ce groupe, Family Connections (DePanfilis et Dubowitz, 2005; DePanfilis et al., 1999), est un programme multidimensionnel spécifique pour les familles négligentes ou qui présentent un risque de développer des comportements négligents. Son but est d’aider ces familles à répondre aux besoins de base de leurs enfants et réduire ainsi la négligence. Il s’agit d’un programme communautaire qui s’adresse aux familles ayant des enfants de 5 à 11 ans et qui s’inspire de plusieurs sources théoriques : écologique, psychosociale, comportementale et cognitive, de résolution de problèmes, life model, de crise, systémique et appropriation (empowerment). L’évaluation de la situation, présentée à la fois comme un processus continu et comme un résultat, occupe une place importante dans le modèle; elle porte sur la situation familiale dans son ensemble, les besoins des enfants et des parents, les ressources disponibles et le réseau de soutien de la famille. Elle s’appuie sur différentes sources (parents, intervenant et autres) et fait appel à l’observation, à des tests, à des mesures d’autoévaluation remplies par les parents (fonctionnement familial, réseau de soutien, ressources) ainsi qu’à des grilles pour systématiser les observations des intervenants (négligence et facteurs de risque). L’évaluation est partagée avec les membres de la famille et sert d’appui pour la planification de l’intervention et l’identification des actions à poser pour résoudre les problèmes identifiés. L’évaluation s’amorce par des entrevues familiales, mais fait alterner des entrevues familiales et individuelles selon les besoins, tant pendant l’évaluation qu’à l’étape d’intervention proprement dite. L’intervention tient compte des différences culturelles, des étapes de développement des enfants et porte aussi sur les forces de la famille dans une perspective d’empowerment. Des interventions cognitives et comportementales centrées sur le système familial incluent l’aide concrète, le développement du réseau de soutien social et des actions pour remédier aux lacunes du développement des enfants. Le programme est clairement décrit et les stratégies d’évaluation et d’intervention sont précisées, mais les actions touchant directement le système familial sont cependant peu détaillées.
Cet examen des programmes a permis d’identifier des caractéristiques générales ou communes à plusieurs. Sur le plan théorique, ils s’appuient principalement sur les théories suivantes : comportementales et cognitives, apprentissage, systémique, appropriation (empowerment), résolution de problèmes, écologique et familiale systémique. En ce qui concerne leurs objectifs, la nature et le type d’intervention, certains programmes sont multidimensionnels et comportent plus d’une forme d’intervention. Celles-ci incluent le soutien intensif aux familles, l’entraînement aux habiletés parentales, familiales ou personnelles et sociales pour les parents et les enfants, l’amélioration de la relation d’attachement, l’aide concrète, le développement du réseau de soutien et la présence d’une famille soutien ou d’une aide non professionnelle. Ces interventions sont offertes sur une base individuelle, familiale ou en groupe (parents, enfants ou familles). Selon les cas, les services sont tantôt offerts à domicile, à l’agence, ou en alternance dans l’un et l’autre milieu.
En ce qui a trait à la clientèle, bien qu’ils soient présentés comme des programmes d’intervention pour les familles négligentes, seule la moitié d’entre eux est spécifiquement reliée à la négligence et s’adresse à des familles ayant des enfants de moins de 12 ans. Bien que l’information ne soit pas toujours disponible, les programmes s’adressent généralement à des familles dont les enfants sont toujours dans leur milieu familial. Quelques programmes visent autant les familles abusives que négligentes et d’autres ont été développés pour aider des familles dont un adolescent présente des problèmes de comportement ou a commis un délit; dans ce dernier cas, leurs auteurs mentionnent qu’ils pourraient être adaptés pour les familles négligentes. De plus, il faut souligner que certains programmes s’appuient sur la définition légale de la négligence en vigueur dans leur juridiction, alors que d’autres ont recours à une mesure standardisée pour l’inclusion des familles. La majorité des programmes sont de courte durée (de 12 à 15 semaines, incluant les programmes de préservation familiale intensifs), mais quelques-uns ont une durée qui varie de 10 à 24 mois.
Huit programmes comportent des indications sur la nature et la durée de la formation. La durée varie de 2 à 6 jours et inclut généralement une supervision après la formation, mais les contenus sont peu détaillés. Les conditions de mise en place des programmes sont rarement mentionnées et concernent surtout la charge de cas (3 familles dans un programme de préservation familiale à 10 ou 12 familles). La supervision pendant le projet ainsi que la présence d’une équipe de travail et d’un coordonnateur sont identifiées dans trois cas. Enfin, la description détaillée de l’intervention a été répertoriée pour quatre programmes seulement.
Comme les pratiques professionnelles sur le terrain, les programmes centrés sur la famille renvoient aussi à un éventail d’interventions diversifiées. Seul un petit nombre d’entre eux s’adresse au système familial lui-même comme cible d’intervention pour améliorer la réponse aux besoins des enfants et réduire la négligence, bien que de tels programmes soient jugés particulièrement efficaces (Daro, 1988; Daro et McCurdy, 1994), comme nous le verrons dans la troisième partie.
2.3 Évaluation des programmes centrés sur la famille
Les évaluations des programmes portent surtout sur leurs effets, à une exception près où on rapporte des renseignements sur l’implantation. On dispose de résultats pour 11 des 19 programmes, dont 6 seulement portent sur une population de familles négligentes. Les objectifs des évaluations sont variés : diminution de la négligence ou du potentiel d’abus, diminution ou évitement du placement, améliorations chez les parents (stress, dépression et habiletés parentales), les enfants ou encore dans le réseau social.
La population des études varie aussi : dans certains cas, l’échantillon comprend seulement des familles négligentes, mais plusieurs études ne font pas de distinction entre les familles négligentes et les familles abusives quant aux résultats. Dans d’autres cas, les effets des interventions ont été évalués auprès de familles dont les enfants présentaient des problèmes de comportement. L’âge des enfants visés varie de 0 à 17 ans. Les échantillons vont de 10 à 80 familles, mais certaines recherches rapportent le nombre de parents et d’enfants touchés par le programme plutôt que le nombre de familles. Seules quelques études s’appuient sur un devis expérimental avec des groupes expérimental et de contrôle et des mesures avant et après. La plupart des devis sont semi-expérimentaux avec un groupe de comparaison (les services usuels des établissements) et des mesures avant et après. Une étude comporte des mesures après seulement et quelques autres comprennent aussi des mesures après 6 ou 12 mois. Les mesures des effets proviennent en général d’une ou deux sources, parents et intervenants.
Les évaluations des programmes spécifiques de la négligence concernent trois programmes d’intervention auprès des parents seulement (Gaudin, 1993a; Rickard, 1998), un programme qui s’adresse aux parents et aux enfants (Palacio-Quintin et al., 1995; Éthier et al., 2000) et deux où les interventions sont centrées sur la famille (DePanfilis et Dubowitz, 2005; Meezan et O'Keefe, 1998a, 1998b). Les chercheurs rapportent, entre autres, des améliorations du bien-être des enfants (diminution des comportements extériorisés ou intériorisés, plus de sécurité au foyer) et de celui des parents (diminution de la dépression, réduction du stress, meilleure résolution des problèmes) ainsi que des améliorations des habiletés ou des connaissances parentales, du réseau social et du fonctionnement de la famille.
Enfin, il importe aussi de tenir compte des limites méthodologiques des recherches, soit la définition différente de la négligence d’une étude à l’autre, la description parfois limitée des interventions, la petite taille des échantillons, les devis non expérimentaux et l’absence de mesures d’implantation dans certains cas. Malgré leur portée limitée, les résultats obtenus permettent de conclure, à l’instar de Dufour et Chamberland (2003, 2004), que certains programmes en négligence sont prometteurs. Il est donc pertinent de poursuivre, et même d’accélérer, les expérimentations et leurs évaluations compte tenu de la prévalence de la négligence.
3. Interventions efficaces auprès des familles et programmes prometteurs
L’analyse des pratiques professionnelles et des programmes centrés sur la famille a aussi permis de dégager les caractéristiques des programmes efficaces ou prometteurs. Cette partie est complétée par la présentation d’un exemple d’intervention familiale écosystémique.
3.1 Caractéristiques des interventions efficaces
Les caractéristiques des programmes efficaces reposent sur les résultats des 11 programmes pour lesquels on dispose d’une évaluation, sur les recommandations des chercheurs basées sur des projets exploratoires et sur les connaissances théoriques et empiriques à propos de la problématique de la négligence. Pour plusieurs chercheurs, les interventions et les programmes doivent refléter les connaissances sur la négligence et son caractère multidimensionnel et tenir compte de la nature des problèmes des adultes et des enfants, du type de négligence et de son caractère chronique ou circonstanciel, ainsi que de l’âge des enfants, de la culture de la famille et de son contexte socioéconomique et environnemental (Barth, 1989; Wahler et Dumas, 1987; Gaudin, 1993b).
Les programmes efficaces s’appuient sur les théories écologique, systémique, comportementale et cognitive ainsi que familiale systémique. Ils intègrent des approches multiples, concrètes et comportementales, ils sont centrés sur la famille et ils incluent des activités de groupe et la consultation individuelle intensive. Ils visent aussi à renforcer le réseau social, ont recours à des paraprofessionnels et à des bénévoles et comportent des activités pour aider les enfants à surmonter leurs déficits de développement (Berry et al., 2003; Daro, 1988; DePanfilis, 1999; Dore et Alexander, 1996; Gaudin, 1993a,; 1993b). Ils incluent des services de santé mentale, de toxicomanie ou relatifs aux problèmes judiciaires des adultes (Berry et al., 2003; Daro, 1988; DePanfilis, 1999; Dore et Alexander, 1996; Gaudin, 1993a). Enfin, la collaboration intersectorielle entre ceux qui soutiennent les adultes et les familles et ceux qui protègent les enfants doit-elle être favorisée (Dufour et al., 2003; Chamberland et Trocmé, 2007).
Selon Daro (1988), la consultation familiale s’est montrée particulièrement efficace auprès des familles négligentes. Les interventions doivent cibler le système familial et non pas uniquement le parent; l’implication de tous les membres de la famille dans le traitement augmente les chances d’amélioration de chacun. Toujours selon cette auteure, en s’attaquant aux problèmes dans un contexte familial, les croyances et les valeurs nocives qui ont permis la maltraitance sont remises en question et des modèles de discipline, de manifestation d’affection et de respect peuvent être appris et mis en pratique. Les stratégies d’intervention qui offrent des services à tous les membres de la famille et qui considèrent l'ensemble des besoins de l’unité familiale, de même que les besoins individuels de chaque membre, tendent davantage vers la stabilité familiale que les stratégies qui ne tiennent pas compte de ces éléments. Par ailleurs, une approche globale et écosystémique permet de relativiser la responsabilité des parents et de tenir compte des conditions économiques des familles (Palacio-Quintin et al., 1995).
Il est également pertinent de prendre en considération les différentes formes de structure familiale, étant donné la surreprésentation des familles monoparentales et recomposées, et de déployer des efforts afin d’inclure les pères ou les figures paternelles dans le traitement, qu’ils soient ou non impliqués dans la maltraitance (Corcoran, 2000; Lacharité et Lachance, 1998).
Puisque la négligence résulte d’une interaction complexe entre les facteurs de risque et les facteurs de protection, DePanfilis (1999) ajoute que les interventions offertes aux familles doivent considérer conjointement leurs forces et leurs faiblesses. En plus d'une alliance thérapeutique, ces interventions devraient permettre d'établir un partenariat avec la famille et permettre à ses membres de s'approprier tout changement en misant sur leurs forces. Les intervenants devraient accepter et respecter les différences entre les familles et adapter les modèles de service de façon à répondre aux besoins spécifiques de chacune selon leur situation et leur culture.
Enfin, puisque le progrès peut être lent, les programmes devraient être flexibles, de longue durée (de 18 à 24 mois) et comporter des évaluations et réévaluations régulières qui permettent de reconnaître les progrès réalisés et les changements qui restent à apporter (Daro, 1988; DePanfilis, 1999; Gaudin, 1993b; Palacio-Quintin et al., 1995).
3.2 « Projet famille » : un modèle de thérapie familiale écosystémique prometteur
Le « Projet famille »(Brousseau et al., 2009, 2011) s’appuie sur l’état des connaissances et des programmes en contexte de négligence. C’est un projet de recherche-action dont le développement, l’expérimentation et l’évaluation résultent d’une collaboration étroite entre des chercheuses et des travailleuses sociales (N = 4) et entre un centre jeunesse et un CSSS, deux établissements de services sociaux concernés par le problème de la négligence au Québec, afin de développer une approche et un langage communs. Le devis d’évaluation comportait des indicateurs de l’implantation du modèle auprès des familles (N = 13) et des mesures de leur évolution avant et après l’intervention dans le cadre d’un devis non expérimental. Leur croisement a permis de comprendre les changements différenciés observés, malgré le petit nombre de sujets, ce qui est une des forces du projet.
Le « Projet famille » a été conçu pour explorer la pertinence de la thérapie familiale écosystémique centrée sur l’analyse et la modification du fonctionnement des familles afin de réduire la négligence envers les enfants, qu’il s’agisse de négligence avérée en protection de la jeunesse ou de situations à risque, dans le cas de familles recevant des services sur une base volontaire. Il s’adresse à la famille comme système; il a pour objectif d’aller au-delà de la négligence et d’adopter une approche holistique et multidimensionnelle d’évaluation et d’intervention portant sur les difficultés des parents et des enfants, le fonctionnement familial, le réseau social de la famille et ses conditions matérielles. Le modèle met l’accent sur plusieurs caractéristiques des interventions efficaces : 1) la famille en tant que système et son fonctionnement comme cible d’intervention; 2) la participation active de tous ses membres, mères, enfants et figures paternelles; 3) une évaluation approfondie, partagée avec la famille et 4) les forces et les ressources personnelles des enfants, des parents et de la famille, ceci en vue de leur empowerment pour mieux répondre aux besoins des enfants et des adultes. Le modèle donne la parole aux mères, aux pères (ou aux autres figures parentales) et aux enfants. La dynamique du système familial est mise à contribution pour réaliser le changement dont la responsabilité repose sur l’ensemble des membres, en s’adaptant aux différents types de structure familiale et au contexte socioculturel des familles.
L’évaluation et l’intervention s’appuient sur le Guide d’évaluation du fonctionnement familial : un modèle écosystémique, un aide-mémoire pour soutenir l’évaluation des facteurs personnels, familiaux et environnementaux associés à la négligence et au fonctionnement de la famille qui peuvent agir comme facteurs de risque ou de protection (Brousseau et al., 2004). Le modèle est une adaptation écosystémique du modèle McMaster du fonctionnement familial, un système intégré qui comprend un cadre théorique, des outils d’évaluation, une grille d’évaluation semi-structurée (L’Échelle de cotation clinique) et un modèle d’intervention articulé (Miller et al., 2000; Ryan et al., 2005). L’évaluation de la négligence est réalisée avec L’Index de négligence de Trocmé (1996a), traduit par Brousseau (1999).
Malgré les limites liées au petit nombre de familles et au contexte d’apprentissage et d’expérimentation du modèle par les travailleuses sociales, l’étude a permis d’observer une amélioration du fonctionnement familial et une diminution de la négligence chez les familles (N = 5) où le modèle a été appliqué complètement, les objectifs ayant été atteints et les dossiers fermés après une durée moyenne d’intervention de 11 mois (de 8 à 14 mois). Ces résultats peuvent être considérés comme prometteurs. Dans ces situations, les principes de base du modèle ont été appliqués à un haut degré et une majorité des entrevues ont été réalisées auprès de tous les membres de la famille. Dans les situations où on n’a pas observé de changements (N = 5), l’intervention était toujours en cours à la fin du projet de recherche, ou encore des familles s’étaient retirées du projet avant la fin de l’intervention (N = 3).
Ce projet a permis de conclure à la pertinence et à la faisabilité de l’application d’un modèle de thérapie familiale en contexte de négligence qui, « sans être une panacée, devrait s’insérer dans le coffre à outils des intervenants afin de répondre aux besoins différenciés des familles » (Brousseau et al., 2009, 106). En outre, le projet a confirmé 1) l’utilité de recourir à des mesures standardisées pour aider à structurer le jugement clinique des intervenantes et partager l’évaluation avec la famille; 2) la pertinence de la collaboration entre recherche et pratique pour développer un modèle sur des bases théoriques solides, clairement défini et qui soit évaluable; 3) le besoin de mettre en place des conditions organisationnelles facilitatrices dans les milieux d’intervention et 4) le besoin d’une formation approfondie et d’une supervision de l’application du modèle.
Discussion et conclusion
À la lumière des principaux constats qui ressortent de l’analyse, la discussion soulève quelques enjeux et défis pour les chercheurs et les praticiens qui interpellent aussi les gestionnaires.
Un éventail d’interventions familiales diversifiées. L’analyse des pratiques sur le terrain et la recension des programmes a permis de mieux documenter les interventions familiales en contexte de négligence. Ce portrait d’ensemble, nécessairement général et basé à la fois sur les connaissances sur la problématique et sur l’analyse des pratiques professionnelles et des programmes, a mis en lumière une diversité d’interventions. Elles sont majoritairement orientées vers un membre de la famille, la mère surtout, et font peu de place à la famille comme système, mais on retrouve aussi des thérapies familiales en passant par des interventions auprès des parents et des enfants séparément. Les termes pratique familiale, intervention familiale, programme centré sur la famille, approche familiale, consultation familiale ou encore thérapie familiale systémique renvoient à des concepts différents qui ne sont loin d’être interchangeables, mais les concepts auxquels ils renvoient ne sont pas toujours clairement précisés. Ce premier constat conduit à retenir le concept de « pratique ou programme centré sur la famille » pour bien refléter la diversité de modèles, de cibles et de postulats théoriques.
Interventions centrées sur la famille : approche ou thérapie? Notre analyse suggère aussi une distinction entre approche familiale et intervention ou thérapie familiale. Adopter une approche familiale, c’est tenir compte des dimensions familiales dans l’évaluation d’un problème individuel ou collectif et dans le choix des objectifs d’intervention, tout en travaillant souvent avec un seul membre de la famille. Au contraire, intervenir auprès de la famille, c’est considérer la famille et ses sous-systèmes comme cibles directes de l’intervention ou de la thérapie en vue de favoriser un changement ou une adaptation du système familial. En retour, ces changements auront des impacts sur les membres de la famille et les processus dysfonctionnels qui maintiennent le problème, soit la situation de négligence dans le cas présent.
Écart entre la compréhension et l’action. L’analyse des interventions en négligence montre aussi que l'efficacité des interventions repose sur la considération des divers besoins de la famille et du caractère multidimensionnel de la négligence; on doit aussi tenir compte des facteurs de risque ainsi que des facteurs de protection et des forces des familles, dont la participation active doit être favorisée en vue de leur empowerment. Or plusieurs interventions et programmes traduisent un écart entre la compréhension écosystémique de la négligence et des actions encore largement orientées vers des cibles plus limitées, comme nous l’avons vu. Sur la base de nos travaux, nous suggérons qu’un modèle écosystémique de thérapie familiale comme celui expérimenté dans le « Projet famille » (Brousseau et al., 2009, 2011) favorise un changement de perspective et une action holistique et multidimensionnelle en plaçant la famille au centre de l’analyse et de l’intervention. Ce modèle holistique pourrait favoriser un rapprochement entre les praticiens des réseaux qui protègent les enfants et ceux qui soutiennent leurs parents dans leurs difficultés d’adultes. Il pourrait ainsi ouvrir à la collaboration interorganisationnelle et intersectorielle reconnue comme nécessaire (Chamberland et Trocmé, 2007) en prenant en compte les besoins des enfants, des parents et de la famille dans son environnement.
Des défis pour le développement des programmes et la recherche. Parmi les programmes prometteurs qui possèdent de nombreuses caractéristiques des programmes efficaces, plusieurs ne sont pas suffisamment détaillés. Même lorsque leurs objectifs, moyens, étapes et activités sont décrits clairement, le volet concernant la dynamique ou le fonctionnement familial est peu développé sur le plan de l’évaluation et de l’intervention. Or face à la diversité des interventions et des programmes recensés, il est essentiel que les praticiens et les chercheurs s’associent pour décrire clairement leurs modèles et programmes; c’est une condition essentielle pour soutenir la formation, l’implantation et l’évaluation. De plus, les évaluations devraient inclure les caractéristiques des familles touchées et la nature de leurs problèmes (incluant la nature et la sévérité de la négligence et des autres formes de maltraitance concomitantes), des indicateurs d’implantation et des mesures d’effets. C’est à ces conditions qu’il sera possible d’apprécier les effets différenciés en fonction de l’application du programme ou du modèle et de la diversité des formes familiales, particulièrement lorsque l’évaluation repose sur un devis non ou semi-expérimental. En d’autres termes : « Il faut arriver à savoir ce qui fonctionne ou non, auprès de qui et dans quel contexte » (Dufour et Chamberland, 2003, 40).
Aucun modèle ne peut actuellement prétendre actuellement à sa supériorité sur un autre même si certains apparaissent plus prometteurs, aussi est-il pertinent de poursuivre le développement et l’évaluation de différents modèles et programmes centrés sur la famille, qu’il s’agisse de thérapie familiale écosystémique ou d’autres programmes multidimensionnels. Il faudra aussi répliquer à plus large échelle et avec des devis plus robustes les évaluations de programmes prometteurs. Des études comparatives adoptant une compréhension commune de la négligence pourraient favoriser le développement des connaissances sur les effets différenciés de ces modèles et programmes, à travers la collaboration entre des équipes de recherche ou la poursuite de méta-analyses. Nous pensons entre autres au Programme d’aide personnelle, familiale et communautaire (PAPFC2), une mise à jour substantielle du programme de Palacio-Quintin et al. (1995) (Lacharité et al., 2005), au programme AIDES (Action intersectorielle pour le développement des enfants et leur sécurité) (Chamberland et al., 2010) ou Faire la courte échelle (Lacharité et al., 2007; Pinard, 2005), des programmes de services intégrés misant sur la collaboration intersectorielle. Ces programmes qui sont actuellement l’objet d’une expérimentation possèdent des caractéristiques communes : une lecture écosystémique de la négligence, des interventions soutenues par des mesures d’évaluation standardisées ou semi-structurées, une collaboration entre la recherche et la pratique ainsi que des indicateurs d’implantation et d’effets pour leur évaluation. Ils possèdent des caractéristiques des programmes efficaces : ils sont multidimensionnels, misent sur les forces, favorisent l’implication de plus d’un membre de la famille et leur empowerment et incluent des services intégrés et le partenariat interétablissements. Leurs résultats viendront sans doute enrichir la compréhension des effets des interventions sur les familles.
Des défis pour la pratique. L’expérimentation du « Projet famille » et des formations subséquentes à ce modèle ont mis en lumière des défis pour la pratique. Passer d’une intervention individuelle à une intervention auprès du système familial et d’une pratique centrée sur les déficits à une pratique axée sur les forces de la famille et de son environnement représente jusqu’à un certain point un changement de paradigme. Ceci doit être soutenu par une formation approfondie sur le plan théorique et pratique et par une supervision et un suivi d’implantation afin de s’assurer que les praticiens s’approprient un nouveau modèle ou programme et qu’il est réellement appliqué auprès des familles avant d’en évaluer les effets.
Ces défis interpellent les chercheurs, les formateurs et les praticiens en première ligne; ils doivent aussi interpeler les gestionnaires des établissements dont la collaboration est essentielle à l’expérimentation de modèles d’intervention et de programmes efficaces, à leur implantation et au soutien du personnel impliqué à travers la formation et la supervision essentielles à leur implantation.
En conclusion, la recension des programmes d’intervention centrés sur la famille en contexte de négligence a permis de dresser un portrait d’ensemble concernant les programmes et interventions en contexte de négligence. Malgré les limites identifiées précédemment, nos conclusions rejoignent les observations d’autres chercheurs au Canada, au Royaume-Uni et aux États-Unis (DePanfilis, 2006; Dufour et al., 2003; Tanner et Turney, 2006) concernant plus généralement les interventions en protection de l’enfance. Ce sont des interventions dont l’efficacité reste à démontrer et dont les évaluations doivent être améliorées, par le recours à des recherches empiriques et des études réplicatives. Elles doivent aussi être systématisées et la collaboration entre les acteurs sociaux ainsi qu’entre les chercheurs, les intervenants et les décideurs doit être encouragée à cet effet (Dufour et al., 2003).
Parties annexes
Note
-
[1]
Elle est largement inspirée du second chapitre du rapport de recherche de Brousseau et al., 2009.
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