Résumés
Résumé
Au Québec, la voie d’accès principale vers l’enseignement est la formation initiale de quatre ans, au cours de laquelle les étudiantes et étudiants bénéficient de quatre stages supervisés. Ces stages font partie intégrante du parcours vers le brevet et représentent des expériences déterminantes pouvant influencer la persévérance professionnelle. Pour les enseignantes et enseignants détenteurs d’un diplôme obtenu à l’étranger, l’octroi du brevet d’enseignement est conditionnel à la réussite de cinq cours et d’un stage probatoire effectué en situation d’emploi évalué par la direction d’école. Ayant une expérience dans leur pays d’origine, ces enseignantes et enseignants doivent par ailleurs s’adapter à de nouvelles façons d’enseigner, ainsi qu’à la culture d’accueil. Cela peut entraîner des questionnements et des doutes sur le plan de leur identité professionnelle. Il paraît donc nécessaire de s’intéresser aux défis qu’ils rencontrent afin de leur offrir un soutien adéquat. Cet article présente l’expérience d’une enseignante immigrante et d’un enseignant immigrant en stage probatoire au Québec. Leurs récits sont analysés à l’aide des concepts d’acculturation et d’identité professionnelle éclairant les postures de négociations identitaires des enseignantes et enseignants immigrants au Québec.
Mots-clés :
- enseignant immigrant,
- insertion professionnelle,
- stage probatoire,
- identité professionnelle,
- tensions identitaires,
- stratégies identitaires,
- stratégies d’acculturation
Abstract
In Quebec, the principal path to becoming a teacher is the four-year Bachelor of Education program, during which students gain experience through four supervised practicums. These practicums are an integral part of earning a teaching certificate and provide determining experiences that may influence professional perseverance. For teachers who obtain a diploma abroad, receiving a teaching certificate is conditional on successfully completing five courses and a supervised probationary period while employed as a teacher, in addition to an evaluation by the school administration. Having had experience in their home country, these teachers must also adapt to new ways of teaching and to the host culture. This can lead to questions and doubts about their professional identity. It therefore seems necessary to focus on the challenges they face in order to ensure adequate support. This article presents the experiences of two immigrant teachers on probation in Quebec. Their stories are analyzed based on the concepts of acculturation and professional identity, shedding light on the identity negotiation attitudes of immigrant teachers in Quebec.
Resumen
En Quebec, el camino principal a la enseñanza es la formación inicial de cuatro años durante la cual las y los estudiantes cuentan con cuatro prácticas supervisadas. Estas prácticas forman parte integrante del recorrido hacia el título de enseñanza y representan experiencias determinantes que pueden influir en la perseverancia profesional. Para las y los docentes que poseen un diploma del extranjero, la obtención de un título de enseñanza es condicional a la finalización exitosa de cinco cursos y de una pasantía de prueba realizada en empleo y evaluada por la dirección de la escuela. Además, como tienen experiencia en su país de origen, estas y estos docentes deben adaptarse a nuevas formas de enseñar así como a la cultura de acogida. Esto puede llevar a un planteamiento de preguntas y generar dudas en cuanto a su identidad profesional. Por lo tanto, parece preciso interesarse a los desafíos con los cuales se encuentran para ofrecerles un apoyo adecuado. Este artículo presenta la experiencia de una docente inmigrante y de un docente inmigrante en pasantía de prueba en Quebec. Se analizan sus relatos por medio de los conceptos de aculturación e identidad profesional aclarando las posturas de negociaciones identitarias de las y los docentes inmigrantes en Quebec.
Corps de l’article
INTRODUCTION
Les voies d’accès menant au brevet d’enseignement au Québec sont nombreuses (Ministère de l’Éducation, 2017a). Elles comprennent un test de certification pour la langue d’enseignement[1], des cours et plusieurs stages. Ces derniers constituent des expériences pratiques déterminantes pour la persévérance dans la profession (Monfette, 2018). Ces périodes d’apprentissage sur le terrain sont accompagnées par des formatrices et formateurs ayant, entre autres rôles, de « guider les stagiaires dans le développement des compétences professionnelles par l’observation rigoureuse, la rétroaction constructive et l’évaluation continue et fondée » (Portelance et al., 2008, p.13).
Les étudiantes et étudiants en formation initiale bénéficient de quatre stages supervisés durant leur parcours universitaire. Les enseignantes et enseignants diplômés à l’étranger empruntent une voie différente et ne reçoivent pas le même encadrement. En effet, une mesure gouvernementale leur donne accès au brevet après la réussite au test de langue, à cinq cours de premier cycle et à un stage probatoire réalisé en situation d’emploi (Ministère de l’Éducation, 2017b). Ce stage nécessite un contrat de 600 à 900 heures. Il doit être effectué dans un établissement scolaire et comprendre deux évaluations par la direction, selon un référentiel de treize compétences professionnelles (Ministère de l’Éducation, 2020)[2]. Si cette mesure se veut facilitante, elle comporte pourtant des défis affectant l’insertion et l’identité professionnelles. En effet, même si ces candidates et candidats jouissent d’une expérience de la profession dans leur pays d’origine, ils doivent adapter leurs pratiques et s’approprier une culture différente dans un contexte évaluatif, et ce, dès leur entrée dans la profession (Niyubahwe et al., 2013). Afin d’expliquer les tensions identitaires de ces candidates et candidats, une recherche qualitative interprétative a été menée. Après avoir présenté la problématique relative aux enjeux d’acculturation vécus par les enseignantes et enseignants immigrants, les concepts d’identité professionnelle et d’acculturation sont présentés, suivis de la méthodologie, des résultats et de leur interprétation.
PROBLÉMATIQUE
Pour accéder à la profession enseignante au Québec, une autorisation du ministère de l’Éducation est nécessaire. Toutefois, les immigrantes et immigrants détenteurs d’un diplôme universitaire obtiennent une reconnaissance partielle de leurs qualifications (Chicha et Charest, 2012) et doivent retourner aux études pour accéder au brevet. Possédant une autorisation provisoire d’enseigner au Québec, nombre d’entre eux sont aussi en insertion professionnelle durant cette période de requalification.
Lamarre (2004) définit l’insertion professionnelle comme « un moment de la carrière où les novices explorent et s’adaptent à une nouvelle culture professionnelle tout en se trouvant engagés dans un processus intense marqué de transformations importantes sur les plans cognitif et affectif » (p. 21). Il s’agit d’une période exploratoire, mais les attentes à l’égard des enseignantes et enseignants débutants sont équivalentes à celles qu’on entretient envers ceux qui sont expérimentés. Face aux défis d’insertion professionnelle, 20 % des enseignantes et enseignants du Québec quittent la profession dans les cinq premières années, et 45 % y pensent sérieusement (Mukamurera et Balleux, 2013). Pour les immigrantes et immigrants, ces défis s’ajoutent à ceux de l’acculturation (Morrissette et al., 2014; Niyubahwe, 2014).
Les défis d’acculturation concernent l’intégration à la société d’accueil, mais aussi l’aspect professionnel. Parmi eux, l’accès à l’emploi, l’appropriation de la langue d’enseignement et les attitudes jugées discriminatoires sont souvent nommés (Duchesne, 2017; Niyubahwe, 2014; Prophète, 2022). Selon Duchesne (2017), cela affecte les valeurs, les croyances et les conceptions éducatives de ces professionnelles et professionnels. De plus, comme la requalification implique un retour en formation, plusieurs se découragent face à la conciliation difficile entre le travail, les études et les responsabilités familiales (Provencher et al., 2016). Il existe alors une contradiction entre le désir de reconnaissance professionnelle et la dévalorisation perçue en raison du statut d’immigrante ou d’immigrant (Laghzaoui, 2011; Provencher et al., 2016).
Les chercheuses et chercheurs s’intéressant à la question des enseignantes et enseignants immigrants indiquent que ces derniers sont considérés comme porteurs de richesse en raison de leur biculturalité (Niyubahwe et al., 2019). Toutefois, les défis d’acculturation peuvent affecter leur identité professionnelle. Nous connaissons peu leurs stratégies pour se redéfinir professionnellement et développer des sentiments de compétence et d’appartenance à la profession. Cet article permet de comprendre le processus de négociation des tensions identitaires se manifestant par la mobilisation de stratégies d’acculturation face aux défis rencontrés en insertion professionnelle. Les récits d’une enseignante et d’un enseignant immigrants en stage probatoire permettent d’accéder à leurs représentations et d’expliquer comment ils se redéfinissent professionnellement en milieu scolaire québécois.
CADRE CONCEPTUEL
Le cadre repose sur les concepts d’identité professionnelle et d’acculturation. Au coeur des tensions vécues par les enseignantes et enseignants immigrants, ces cadres servent de repères pour l’analyse des résultats et la discussion.
Identité professionnelle en enseignement
Le concept d’identité professionnelle en enseignement puise sa source dans les travaux de Hugues (1958), Sainseaulieu (2003) et Dubar (2003), qui se sont intéressés à l’aspect sociologique du travail. Cette identité se construit en interaction avec les membres du milieu scolaire (Cattonar, 2001). Gohier et al. (2001) la définissent comme :
[…] la représentation que l’enseignant ou le futur enseignant élabore de lui-même comme enseignant. Elle se situe à l’intersection de la représentation qu’il a de lui comme personne et de celle qu’il a de son rapport aux enseignants et à la profession enseignante.
p.13
L’identité enseignante repose donc sur une dynamique interactive. Elle se transforme selon les caractéristiques individuelles et est influencée par les buts, les projets et les aspirations (Gohier et al., 2001). On soutient que la manière dont l’individu appréhende sa réalité détermine sa représentation de lui-même, et que les épreuves creusent un écart entre ce qu’il est et ce qu’il aspire à devenir (Camilleri et al., 1990).
Processus de négociation identitaire
Le modèle de Dubar (2015) illustre le processus de déstructuration et de restructuration de l’identité. L’auteur explique que des tensions, ou situations de crises, entraînent des ruptures entre l’identité pour soi et pour autrui (Figure 1)[3]. Les tensions intrasubjectives se situent sur l’axe temporel et biographique. Elles se produisent lors d’une négociation avec soi-même pouvant mener à un sentiment d’incongruence. Puis, lorsque l’écart est ressenti entre la représentation que l’individu a de lui-même et celle que lui renvoie son entourage, des tensions intersubjectives apparaissent, se situant sur l’axe spatial et relationnel.
Figure 1
Processus de négociations identitaires
Les tensions identitaires provoquent une dynamique conflictuelle entraînant des négociations visant à les soulager. Des stratégies sont mobilisées selon les besoins et les trajectoires individuelles. Pour les immigrantes ou immigrants, ces tensions surviennent dans un contexte d’acculturation (Berry, 2005; Camilleri, 1996).
Acculturation
L’acculturation relève à la fois de l’action de l’individu et de celle de la société d’accueil. Elle se manifeste par des efforts conjugués et réciproques (Legault et Fronteau, 2008). Pour Berry et Sam (2015), elle correspond aux changements culturels et psychologiques entre deux groupes et leurs membres, dans un processus d’accommodements mutuels. À cet effet, Berry (2005) suggère que les stratégies d’acculturation des personnes immigrantes tiennent compte de l’importance accordée au fait de participer à la société d’accueil ou de maintenir leur culture d’origine.
Stratégies d’acculturation
Les stratégies privilégiées pour surmonter les défis d’acculturation résultent d’une négociation entre le maintien des valeurs de la culture d’origine et la participation à la société d’accueil. Berry (2005) propose quatre stratégies basées sur les préférences des individus vivant l’acculturation (Tableau I).
Tableau I
Extrait de la typologie des stratégies individuelles d’acculturation
Les stratégies d’intégration visent la recherche d’accommodements pour maintenir la culture d’origine tout en participant à la société d’accueil. Par exemple, il pourrait s’agir de participer à une activité sociale permettant la rencontre des membres de deux cultures, dans une ambiance conviviale de partage. Ces stratégies sont les plus favorables à l’acculturation, accordant une importance équivalente aux deux cultures. L’individu partage ses référents culturels tout en accueillant les nouveaux pour harmoniser ses valeurs et contribuer à la société d’accueil.
Les stratégies d’assimilation témoignent d’une forte valorisation des relations avec la société d’accueil, entraînant l’effacement partiel de la culture d’origine. Cette conception diffère de la notion populaire d’assimilation, définie comme un « processus par lequel une personne ou un groupe de personnes devient semblable à un autre groupe, généralement majoritaire, en adoptant les caractéristiques de ce groupe et en abandonnant celles qui lui sont propres » (Office québécois de la langue française, 2020). Ici, il ne s’agit pas d’abandonner sa culture d’origine, mais de se conformer à certains aspects de la culture d’accueil pour favoriser son acceptation. Par exemple, sur le plan professionnel, la personne immigrante pourrait imiter les manières de faire de ses collègues afin d’éviter d’attirer l’attention sur sa différence.
Les stratégies de séparation correspondent au retrait du processus d’acculturation. Il y a conservation de la culture d’origine et évitement volontaire des relations avec autrui. L’individu s’isole en refusant la culture d’accueil, au détriment de son intégration.
Les stratégies de marginalisation sont associées à un contexte pathologique entraînant la perte de l’identité culturelle et l’absence de contacts avec la société d’accueil. Elles surviennent lorsqu’une personne refuse de s’approprier les référents de la culture d’accueil et s’isole complètement, jusqu’à l’aliénation psychique et la confusion identitaire. Cela entraîne un effacement total des deux cultures. Ces stratégies sont incompatibles avec la profession et peuvent conduire à l’exclusion sociale (Berry, 2000, 2005).
Comme mentionné plus haut, l’acculturation relève d’accommodements mutuels et se réalise dans un contexte où chaque individu a la liberté de faire des choix quant à son degré de participation à la société d’accueil (Berry et Sam, 2015). Cela exclut la domination d’une culture sur une autre, encourageant la tolérance, l’acceptation et l’accommodation.
Les cadres de Dubar (2015), sur l’identité professionnelle, et de Berry (2005), sur l’acculturation, permettent d’éclairer notre analyse et de justifier les choix méthodologiques de cette recherche.
MÉTHODOLOGIE
Cette recherche qualitative interprétative (Fortin et Gagnon, 2016) adopte une posture compréhensive et constructiviste s’intéressant à la réalité construite par l’individu à partir de son expérience (Demazière et Dubar, 2004). Les témoignages recueillis sont traduits sous forme de récits, reconstruits conjointement par la chercheuse et la participante ou le participant (Legrand, 1993). Les deux récits ont été soumis à leur approbation et ajustés selon leurs commentaires, afin d’assurer la concordance avec l’expérience vécue.
Participants
Le recrutement a été effectué auprès des centres de services scolaires de la grande région de Montréal et à l’aide du Carrefour national de l’insertion professionnelle en enseignement[4]. Dix femmes et cinq hommes provenant de dix pays[5] ont participé à la collecte. De ce nombre, sept ont collaboré à la reconstruction des récits. Aux fins de cet article, nous avons choisi d’en présenter deux[6], par souci de concision. Ils ont été sélectionnés parce qu’ils font explicitement référence au stage probatoire. De plus, ils illustrent des postures antagonistes donnant un aperçu de la diversité des expériences, que nous ne pouvons malheureusement pas toutes présenter ici.
Il est utile de préciser que les enseignantes ou enseignants ayant quitté la profession ne font pas partie de notre échantillon. En effet, comme nous voulions étudier la construction identitaire en insertion professionnelle, les sujets devaient avoir vécu cette insertion. Cela n’excluait pas la possibilité que certains abandonnent éventuellement la profession, mais ne tenait pas compte de ceux qui l’avaient déjà quittée.
Collecte et analyse des données
La collecte a été effectuée en 2018, à l’aide d’un questionnaire en ligne et d’entretiens individuels semi-dirigés[7]. Le questionnaire a permis de collecter des données sociodémographiques et relatives à l’expérience professionnelle. Les entretiens individuels ont permis de discuter des conceptions éducatives, du parcours migratoire et de l’expérience d’insertion professionnelle au Québec. Les entretiens enregistrés, transcrits intégralement, et les données du questionnaire ont été traités par codage des unités de sens. Des catégories d’analyse ont été identifiées en amont de la collecte, en référence aux composantes de l’identité professionnelle (Dubar, 2015; Gohier et al., 2001). Ces catégories comprenaient le rapport à soi (par exemple, les aspirations, le sentiment de compétence, la congruence), le rapport à autrui (contiguïté, reconnaissance, identification aux autres), et le rapport à la profession (représentations de la profession dans le pays d’origine et au Québec, sentiment d’appartenance). De plus, des catégories relatives aux situations de tension en contexte d’acculturation (Legault et Fronteau, 2008) ont été identifiées, telles que le choc culturel, la communication culturelle et les conflits de valeurs.
Enfin, la démarche d’échantillonnage étant restrictive[8], celle-ci n’a permis d’obtenir qu’une vue partielle de la variété des parcours. À cet égard, les propos sont nuancés afin de tenir compte des contextes dans lesquels les deux personnes participantes ont évolué.
RÉSULTATS
Les récits sont suivis d’une brève analyse des négociations identitaires qui sera approfondie dans la discussion.
Récit de Jules
Au Cameroun, Jules (prénom fictif) enseignait la physique au secondaire. Arrivé au Québec en 2012, il s’est inscrit à un certificat en enseignement postsecondaire pour augmenter ses chances d’accéder à l’emploi. En 2014, il a obtenu l’autorisation provisoire d’enseigner, mais ne trouvait pas de travail en sciences. Il a réalisé un certificat en éducation préscolaire et enseignement primaire afin de se qualifier pour ce champ. Ces formations ont enrichi son expérience et entraîné une modification de ses conceptions face à l’évaluation continue et la progression des apprentissages.
Jules a obtenu son premier contrat en 2015, au primaire. Il s’est désisté après quelques semaines, jugeant la composition de la classe difficile et le climat scolaire peu accueillant :
Je suis allé à l’école pour me présenter et on m’a dit de revenir le lundi matin. On ne m’a rien dit d’autre. […] la direction m’a demandé comment je me sentais. J’ai dit que je préférais arrêter. À cause du climat de l’école, je ne me sentais pas à l’aise.
En 2016, il a obtenu un contrat dans une école alternative. Estimant que le temps à consacrer en dehors des heures de classe était trop élevé, et mal à l’aise avec la présence constante des parents, par qui il avait l’impression d’être jugé, il est retourné au secteur régulier l’année suivante. Il considère toutefois cette expérience comme enrichissante et mentionne qu’il a eu l’occasion d’intégrer à sa pratique les valeurs de la pédagogie alternative : « J’ai grandi dans un système où j’avais l’impression que l’école définissait ce qu’on allait être. Mais j’avais en moi ces valeurs alternatives. Aujourd’hui, je les défends parce que mon regard a beaucoup changé. »
En 2017, Jules a obtenu un contrat en 2e année. Là aussi, il trouvait le groupe difficile. Il a hésité à demander de l’aide, se jugeant seul responsable de répondre aux besoins des élèves. La direction a constaté des difficultés en gestion de classe et lui a proposé le soutien de l’orthopédagogue, qu’il a accepté. Les rétroactions étaient négatives, selon Jules. On lui reprochait de ne pas tenir sa classe, et cela l’amenait à se remettre en question : « Elle [l’orthopédagogue] me disait : “Tu n’es pas assez ferme, tu es trop gentil avec l’enfant. Ta posture, l’organisation de ta classe, ça ne va pas. ” Elle m’a donné une feuille sur la gestion de classe. » Face à la rétroaction, son sentiment de compétence a été ébranlé. Par ailleurs, il jugeait les conseils inadéquats, ceux-ci se limitant à des concepts théoriques issus d’ouvrages pédagogiques. Puis, il a choisi de ne plus demander d’aide, préférant se débrouiller seul. À la fin de l’année, une évaluation négative a allongé son stage probatoire et la direction lui a conseillé de chercher un contrat ailleurs. Il a choisi une école qu’il estimait plus accueillante face à l’altérité. De son propre aveu, cela visait à préserver une image positive de lui-même, comptant sur sa formation et sa résilience pour poursuivre son projet.
Présentation des négociations identitaires de Jules
Jules était conscient du décalage entre les orientations des systèmes scolaires québécois et camerounais. Depuis son arrivée, il dit avoir changé son regard sur la pédagogie et accueilli positivement le fait d’ajuster ses pratiques. La Figure 2 montre les tensions identitaires de Jules et les stratégies d’acculturation qu’il a mobilisées.
En référence à Dubar (2015), les tensions intersubjectives proviennent des contacts avec autrui, alors que les tensions intersubjectives sont reliées à l’image qu’une personne entretient envers elle-même. Nous les mettons ici en relation avec le modèle de Berry (2005), sur les stratégies identitaires des immigrants.
Figure 2
Négociations identitaires de Jules sur le plan professionnel
Des tensions intrasubjectives sont apparues chez Jules, en raison du décalage entre la formation reçue au Cameroun et les exigences de la profession au Québec. Remettant en question ses conceptions éducatives, il a mobilisé des stratégies d’assimilation visant à s’approprier les pratiques québécoises, telles que le retour en formation, la lecture d’ouvrages pédagogiques et l’adhésion aux valeurs alternatives. Cependant, malgré ses nouvelles connaissances, il existait une contradiction entre l’image positive qu’il disait avoir de lui-même et le manque de reconnaissance reflété par autrui au sujet de sa place dans la profession. Son image professionnelle était dévalorisée par la direction et l’orthopédagogue, ce qui était incohérent avec son bagage. Les tensions intersubjectives ainsi provoquées ont entraîné le besoin d’affirmer sa légitimité en cherchant un environnement plus accueillant lui reflétant une image positive de lui-même.
Évitant de demander de l’aide, et se retirant du milieu qui, selon lui, était à la source de ces tensions, Jules a adopté une posture visant à préserver son équilibre identitaire. Ces stratégies illustrent une séparation partielle, puisque Jules n’a pas quitté la profession, mais a plutôt tenté sa chance ailleurs. Même si son expérience lui a donné l’occasion d’ajuster ses pratiques, son sentiment de compétence demeure ébranlé par une image négative au sujet de sa gestion de classe. À la fin de l’année scolaire, il est devenu père pour la deuxième fois. Il a mentionné qu’il profiterait de son congé parental pour réfléchir à son choix d’école pour l’année suivante.
Récit d’Agatha
Agatha (nom fictif) enseignait le français au secondaire, en Albanie. En 2012, elle a émigré pour fuir des conditions de vie difficiles. Avec ses deux enfants, elle a tout laissé derrière. À son arrivée au Québec, la paix et la sécurité ressenties dans les rues de la ville lui ont donné le courage de persévérer, même si une angoisse persistait quant à sa sécurité.
Elle a fréquenté différents organismes communautaires qui l’ont aidée à sortir de son isolement. Cependant, gênée d’accepter de l’aide financière, elle voulait montrer à ses enfants sa force et sa résilience : « C’était la première fois que je vivais grâce au gouvernement et ça me faisait vraiment sentir faible et puis nulle, et zéro. Je n’arrivais pas à voir mes enfants en face parce que je me sentais coupable. »
Agatha a dû soumettre quatre fois son dossier à l’évaluation comparative, avant d’obtenir une réponse favorable. Elle a douté que son projet se réalise : « Cela n’avait pas de sens pour moi. Mon diplôme en enseignement était une des raisons pourquoi l’office d’immigration m’avait acceptée et maintenant, rendue ici, il ne valait rien. »
Elle a fait une entrée graduelle dans le milieu scolaire, comme surveillante de dîner, puis comme éducatrice. Elle se demandait comment intervenir auprès des élèves québécois et ressentait un fort sentiment d’incompétence : « Je me débrouillais très bien avec les enfants en Albanie, mais ici, je me sentais incompétente, comme si je ne valais rien, comme si je ne savais rien. » Elle a été rassurée de réaliser que les enfants québécois et albanais avaient des intérêts et des comportements semblables. Pourtant, elle craignait de subir de la discrimination face à son apparence physique (traits durs et sévères propres aux femmes albanaises, selon ses dires) et son accent. Une discussion avec sa directrice lui a permis de réaliser que ses craintes étaient injustifiées. Elle a ensuite suivi quelques formations (cours de français, de gestion de classe et d’évaluation) pour se préparer à intégrer l’enseignement.
En 2016, Agatha se sentait prête et la directrice l’a aidée à préparer l’entrevue d’embauche. Elle a obtenu un contrat en classe d’accueil au primaire, ce qui faisait office de stage probatoire. Elle a tissé des liens avec ses collègues, ce qui a influencé positivement son intégration et contribué à sa réussite. Grâce aux échanges fréquents et à la rétroaction, elle a pu ajuster ses pratiques et combler l’écart ressenti avec sa formation en Albanie.
Sa trajectoire a été longue, mais Agatha considère que cela a été utile. Elle a pu occuper divers emplois en éducation, s’informer au sujet du système scolaire et ajuster ses interventions. Son recul temporaire de l’enseignement lui a permis de construire un réseau de ressources sur les plans social, culturel et professionnel. Sa foi religieuse, sa confiance en la vie et son humour lui ont permis de persévérer et de créer des liens. Elle est maintenant confiante et se perçoit comme une enseignante dévouée à l’éducation et au bien-être des enfants. Sa nouvelle stabilité financière lui a permis d’acheter une maison, ce qui a augmenté son sentiment de contribuer à la société d’accueil.
Présentation des négociations identitaires d’Agatha
En Albanie, Agatha évoluait dans un contexte instable sur le plan personnel, mais son identité d’enseignante était affirmée. À son arrivée au Québec, sa situation financière précaire et sa méconnaissance de la culture d’accueil ont suscité la peur et l’insécurité. Les épreuves l’ont amenée à se dévaloriser et à douter de ses compétences.
En référence aux modèles de Dubar (2015) et de Berry (2005), la Figure 3 montre les tensions identitaires d’Agatha et les stratégies d’acculturation mobilisées.
Figure 3
Négociations identitaires d’Agatha sur le plan professionnel
Sur le plan intrasubjectif, un écart s’est creusé entre l’assurance dégagée autrefois sur le plan professionnel et l’insécurité ressentie au Québec. Paralysée par une image négative d’elle-même, Agatha a remis en question son projet d’enseigner. Graduellement, elle a mobilisé des stratégies d’assimilation pour s’adapter à sa nouvelle culture avant d’envisager une carrière dans l’enseignement.
Sur le plan intersubjectif, les refus de reconnaissance de sa formation et la crainte de subir de la discrimination ont provoqué des tensions intersubjectives contribuant à son image de soi fragilisée. Ces tensions étaient amplifiées par son rapport aux élèves québécois, envers lesquels elle se sentait démunie. Doutant de son jugement professionnel, et persuadée que sa valeur était moindre que celle de ses collègues, elle ne pensait pas mériter leur reconnaissance. Elle a choisi de prendre un recul afin et de s’engager en formation avant d’entamer son stage probatoire avec confiance.
Peu à peu, elle a mobilisé des stratégies d’intégration. L’ouverture à la rétroaction et les échanges interculturels ont contribué à sa reconstruction identitaire. Elle a réalisé que ses caractéristiques personnelles présentaient des atouts pour sa pratique. Grâce à son humour et à l’établissement d’un lien de confiance avec ses élèves, elle a retrouvé son assurance.
Le récit d’Agatha illustre une posture d’apprenante marquée par la dévalorisation de soi par soi. On y constate le besoin d’entrer en relation pour se redéfinir professionnellement. Ses stratégies visent d’abord l’assimilation, choisissant d’assumer des fonctions paraissant moins exigeantes pour commencer. Ainsi, en travaillant d’abord comme surveillante de dîner, elle s’est approprié les valeurs et attentes du système scolaire québécois, et y a adhéré. Puis, au contact des pairs, elle a accueilli le soutien, ce qui lui a permis de s’ajuster aux attentes de la profession et de combler l’écart ressenti au sujet de sa formation.
DISCUSSION
Nous proposons ici une interprétation des deux récits permettant de comprendre les processus de négociations identitaires de Jules et d’Agatha. Nous justifions d’abord la prédominance des stratégies d’assimilation dans leurs parcours. Puis, nous discutons des deux thèmes se dégageant des récits : le sentiment de compétence et les interactions.
Prédominance des stratégies d’assimilation
Les stratégies d’assimilation visent l’immersion dans la culture d’accueil et un effacement partiel de la culture d’origine. Ces stratégies sont fortement représentées dans les deux récits, ce qui est cohérent avec les propos de Niyubahwe (2014). En effet, le fait d’occuper un emploi, de suivre des cours et de participer à des activités sociales donne un accès à la culture d’accueil et est favorable à l’insertion. Cela est aussi cohérent avec les propos de Duchesne (2017), qui remarque une présence importante des stratégies d’assimilation chez des enseignantes et enseignants immigrants en contexte franco-ontarien. Ces stratégies sont souvent choisies dans le but d’accéder à un emploi et de le conserver. Cela rejoint aussi les écrits de Manço (2006) soutenant que l’assimilation reflète un désir de se conformer au groupe dominant pour accéder à ses privilèges, comme la reconnaissance, déterminante dans le développement de l’identité professionnelle.
La présence plus faible des stratégies d’intégration dans les deux récits est probablement attribuable à la situation précaire de Jules et d’Agatha. Sans stabilité professionnelle, il paraissait difficile de déployer des stratégies permettant de tirer profit de leur participation aux deux cultures. Pourtant, en enseignement, la culture est au centre de l’acte professionnel. Les enseignantes et enseignants devraient pouvoir tisser des liens entre leur culture première et celle des élèves pour contribuer à l’enrichissement de la culture scolaire (Ministère de l’Éducation, 2020). Si l’apport des enseignantes et enseignants immigrants est reconnu (Niyubahwe et al., 2019), on pourrait s’attendre à ce qu’ils utilisent davantage leur bagage culturel à cette fin. Pourtant, les échanges interculturels sont peu présents parmi les stratégies recensées.
Or, on parle de stratégies d’intégration uniquement lorsqu’il y a contribution mutuelle des membres des cultures d’origine et d’accueil (Berry, 2005). Berry et Sam (2015) soulignent d’ailleurs l’importance de tenir compte des attitudes des membres de la société d’accueil et des politiques d’immigration pour brosser un portrait juste de l’acculturation dans une société. Pour cette recherche, notre regard s’est dirigé vers l’aspect individuel de l’acculturation, et nous n’avons pas colligé d’information concernant les initiatives du milieu d’accueil. Il semble toutefois essentiel d’en tenir compte dans une recherche future.
Finalement, la prédominance des stratégies d’assimilation peut être la conséquence d’une image de soi dévalorisée. Cela trouve une résonance dans les écrits scientifiques soutenant que la recherche de cohérence entre l’identité pour soi et pour autrui entraîne souvent l’assimilation à la culture d’accueil (Berry, 2005; Camilleri et al., 1996; Temple et Denoux, 2008). Ainsi, l’incohérence ressentie par Agatha peut provenir d’un jugement sur elle-même (intrasubjectif), alors que pour Jules, elle semble provenir du jugement des autres (intersubjectif). Dans les deux cas, ces tensions ont un effet sur le sentiment de compétence.
Négociations identitaires et sentiment de compétence
Le sentiment de compétence concerne d’abord la dimension intrasubjective de l’identité (Dubar, 2015). À l’instar de Mukamurera et al. (2013), notre analyse permet de constater que l’instabilité professionnelle en début de carrière influence la perception de sa compétence à enseigner. Chez Agatha, on constate une dévalorisation de l’image de soi avant-même l’entrée dans la profession au Québec. Face au défi de la langue, aux approches pédagogiques méconnues ou à l’incompréhension de la culture scolaire, elle ne se perçoit plus comme une enseignante, ce qui l’amène à s’approprier cette culture en assumant des tâches moins complexes, pour commencer. Pour Jules, un besoin d’ajustement ressenti face à la différenciation et à l’évaluation l’amène à se former et à modifier ses conceptions éducatives. Les défis ne semblent pas liés au manque d’expérience acquise dans le pays d’origine, mais plutôt à l’inadéquation perçue entre la formation initiale et le contexte scolaire québécois. Ainsi, ce qui devrait constituer une base solide contribuant au sentiment de compétence se traduit par le doute et la dévalorisation.
La diminution du sentiment de compétence apparaît aussi dans la dimension intersubjective de l’identité. Face aux propos de la direction au sujet de sa gestion de classe, Jules ne se sent pas reconnu et se demande s’il peut arriver à satisfaire aux attentes. Les rétroactions négatives contribuent à sa dévalorisation, et son sentiment de compétence demeure fragilisé.
Agatha, en choisissant d’entrer graduellement dans la profession, prend le temps d’observer et d’expérimenter, et elle bénéficie de la rétroaction de ses collègues. Cela soutient l’idée que la pratique accompagnée favorise la réflexion et l’ajustement des pratiques. À ce sujet, dans le cadre de leur stage probatoire au Québec, il aurait été intéressant que Jules et Agatha puissent bénéficier d’un accompagnement de type mentorat, comme le suggèrent Gagnon et Duchesne (2018). Cela aurait pu permettre de confronter leurs connaissances théoriques à la réalité, tout en bénéficiant de l’accompagnement d’un professionnel expérimenté, pour éventuellement consolider leur sentiment de compétence.
Finalement, nous constatons que la diminution du sentiment de compétence est attribuable à une dévalorisation de l’image de soi pour les deux cas présentés. Pour Jules, elle est aussi associée à une quête de reconnaissance, ce qui montre le rôle essentiel d’autrui dans le développement de l’identité professionnelle.
Négociations identitaires et interactions
L’interaction avec les élèves et les collègues a permis à Agatha de négocier son identité pour autrui. Celle-ci concerne la dimension intersubjective, donc l’espace relationnel. Dubar (2015) écrit : « On ne fait pas l’identité des gens malgré eux et pourtant, on ne peut pas se passer des autres pour forger sa propre identité » (p. 110). L’identité pour autrui est aussi liée à la reconnaissance (Donnay et Charlier, 2006), à la contiguïté et au sentiment d’appartenance (Gohier et al., 2001). Ainsi, les postures privilégiées pour appréhender les tensions identitaires entraînent des stratégies impliquant des interactions.
Jules a surmonté des défis dans ses relations avec les parents, les collègues et les gestionnaires du milieu, ce qui reflète une incohérence entre l’assurance éprouvée jadis et le faible rapport de contiguïté avec ses pairs au Québec. Ses stratégies visent des changements d’environnements dans l’espoir de favoriser des relations professionnelles positives et une reconnaissance de ses compétences.
Pour Agatha, la rencontre avec l’autre est déterminante et positive. Elle a réussi à établir des échanges constructifs grâce à son ouverture à la rétroaction et aux relations sociales. De plus, nous pouvons dégager de son récit certaines actions du milieu ayant contribué à son intégration. Il s’agit, par exemple, du soutien de la direction ou du travail collaboratif avec les collègues ayant permis l’affirmation de ses sentiments de reconnaissance et d’appartenance au milieu.
Finalement, puisque la relation avec autrui est indissociable de la profession enseignante, et essentielle au développement de l’identité (Gohier et al., 2001), il semble évident que les stratégies d’intégration telles que l’ouverture et le partage sont parmi les plus efficaces à cette fin. Parmi elles, l’engagement dans des activités permettant les échanges, sur le plan social ou professionnel, est porteur de bénéfices. Selon Berry (2005), les individus manifestant une ouverture au changement et valorisant l’interaction avec autrui mobiliseraient davantage ce type de stratégies. De telles attitudes renforceraient donc la contiguïté et l’appartenance, essentielles à la construction d’une identité professionnelle solide (Gohier et al., 2001).
CONCLUSION
La recherche menée contribue au champ de l’insertion professionnelle en tissant des liens entre les défis d’acculturation, les tensions identitaires et les stratégies mobilisées par une enseignante et un enseignant immigrant. Elle apporte aussi un éclairage pour soutenir l’étude de l’identité professionnelle en contexte d’acculturation dans d’autres domaines que l’enseignement. Les négociations identitaires empruntent une trajectoire dynamique et évolutive, se modifiant au contact d’autrui, dans un aller-retour entre l’image de soi comme enseignant et celle de la profession.
Sur le plan social, cette recherche soulève des préoccupations au sujet des exigences de requalification et du stage probatoire auxquels sont soumis les enseignantes et enseignants immigrants. Comme ceux-ci sont déjà enseignants dans leur pays d’origine, le fait de se soumettre à ces exigences les relègue à la catégorie de débutantes ou débutants, rendant leur statut incohérent. De plus, le stage probatoire est souvent réalisé dans le contexte d’affectations fragmentées et temporaires, ce qui nuit à la stabilité professionnelle et à l’établissement de liens avec l’équipe-école.
Pour favoriser le développement des compétences et l’autonomie professionnelle, il est souhaitable que ce stage se réalise dans un contexte stable, avec un accompagnement tenant compte du bagage et des besoins individuels. Par exemple, Jules avait accumulé de nombreuses connaissances disciplinaires et pédagogiques, mais il avait besoin de mieux comprendre les particularités de la gestion de classe au Québec. Le mentorat aurait été davantage bénéfique pour lui que l’observation et l’évaluation de sa pratique par la direction. Pour Agatha, l’entrée graduelle dans la profession a été salvatrice, mais lui a demandé un recul et un temps d’adaptation considérable. Des mesures d’accueil et le soutien d’un mentor auraient pu accélérer son processus d’intégration.
De plus, étant donné la contribution évidente des échanges culturels au développement de l’identité pour autrui, nous soulignons l’importance de développer la communication interculturelle, en particulier chez les formatrices et les formateurs. Aussi, il est essentiel de s’intéresser davantage à la contribution d’enseignantes et d’enseignants immigrants, et de les accueillir chaleureusement. Enfin, les mesures de soutien proposées devraient favoriser l’appropriation des normes de la profession, les échanges et la pratique réflexive. Elles devraient permettre aux enseignantes et enseignants immigrants de mobiliser des stratégies d’intégration et d’ainsi apporter leur contribution à la profession enseignante au Québec.
Pour terminer, nous souhaitons indiquer que les entretiens menés ont permis de récolter les données du seul point de vue de la participante et du participant. Il serait intéressant, dans une recherche future, de mener des entretiens complémentaires avec des intervenantes et intervenants du milieu scolaire, afin de recueillir leur point de vue sur les défis et stratégies des enseignantes et enseignants immigrants.
Parties annexes
Notes
-
[1]
En français, il s’agit du Test de certification en français écrit pour futurs enseignants (TECFÉE). En anglais, on parle du English Exam for Teacher Certification (EETC).
-
[2]
À l’époque de la recherche (2018), le référentiel utilisé comportait 12 compétences. Aujourd’hui, le référentiel présente 13 compétences déclinées au regard de la formation initiale, de l’insertion professionnelle et de la formation continue.
-
[3]
Cette figure est inspirée des travaux de Duval (2011), qui a illustré le modèle des négociations identitaires de Dubar pour les besoins de sa thèse.
-
[4]
Carrefour national de l’insertion professionnelle en enseignement (https://cnipe.ca).
-
[5]
Les participantes et participants à la recherche doctorale proviennent de l’Albanie, de l’Argentine, du Cameroun, de la Côte d’Ivoire, de la Chine, de la France, de la Guinée, du Maroc, de la Roumanie et de l’Uruguay.
-
[6]
Il s’agit d’une synthèse. Pour les versions complètes, consulter la thèse de Provencher (2020).
-
[7]
Un entretien de groupe semi-dirigé a aussi permis d’approfondir les représentations et de favoriser une interprétation commune des défis et des stratégies mobilisées. Cependant, dans cet article, les résultats présentés proviennent de deux entretiens individuels.
-
[8]
Les deux personnes participantes devaient avoir obtenu un diplôme en enseignement dans un autre pays que le Canada, être titulaires d’une autorisation d’enseigner au Québec, et être en insertion professionnelle, ce qui réduisait le bassin de recrutement.
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Liste des figures
Figure 1
Processus de négociations identitaires
Figure 2
Négociations identitaires de Jules sur le plan professionnel
Figure 3
Négociations identitaires d’Agatha sur le plan professionnel
Liste des tableaux
Tableau I
Extrait de la typologie des stratégies individuelles d’acculturation