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Introduction

La diversification des sociétés par le fait migratoire fait naître différents enjeux, en particulier ceux liés à l’intégration des immigrants dans leurs pays d’accueil (Morrissette et Audet, 2018). C’est surtout dans les environnements socioéducatifs, notamment les écoles, que ces questions prennent forme, car l’élève immigrant doit apprendre les codes et les manières de faire communes à la communauté éducative pour s’y intégrer efficacement (Mc Andrew et al., 2015; Morrissette et al., 2014; Potvin et al., 2014; Garcia et Guerra, 2004). Pour accomplir cet apprentissage, il a besoin de maîtriser la langue d’enseignement. Cependant, la réussite d’un élève ne relève pas uniquement des efforts qu’il investit en apprentissage, mais plutôt du capital social, culturel et économique dont il bénéficie (Devarennes, 2017). Ainsi, plusieurs élèves nouveaux arrivants vivent le plus souvent dans une situation de rupture entre la culture familiale et celle de l’école. Cela s’explique par la divergence des facteurs culturels et éducatifs de leurs pays d’origine avec ceux du pays d’accueil (Kanouté, 2016; Potvin et Leclercq, 2014).

En milieu francophone minoritaire, l’école joue un rôle essentiel en contribuant au maintien de la langue et de la culture françaises (Landry, 2012; Gérin-Lajoie et Jacquet, 2008). Au Nouveau-Brunswick, l’école est considérée comme un moyen privilégié de transmission et de revitalisation linguistique auprès des jeunes générations (Cavanagh et al., 2016). Pour les élèves allophones, l’intégration sociale et la réussite scolaire dans les écoles francophones passent nécessairement par la maîtrise de la langue française (Kanouté et al., 2016). À leur arrivée, ces élèves sont souvent confrontés au choc culturel causé par le rythme d’apprentissage, le changement de milieu culturel, les installations éducatives différentes et les difficultés d’apprentissage dans certaines disciplines, notamment le français et les mathématiques (Benimmas, 2010). Pour ce faire, les écoles, les districts scolaires francophones en collaboration avec certains organismes d’accueil et d’établissement des immigrants mettent en oeuvre plusieurs initiatives de francisation visant à faire vivre aux jeunes élèves nouveaux arrivants des expériences socioculturelles leur permettant de développer des compétences langagières en français.

Les recherches empiriques qui se penchent sur ces initiatives étant rares dans le contexte francophone minoritaire, cette étude vise donc à 1) mettre en évidence les facteurs qui déterminent le choix de l’école francophone par les parents immigrants selon la perspective des intervenantes et intervenants, à 2) identifier les initiatives de francisation mises en oeuvre pour répondre aux besoins de développement des compétences langagières des élèves allophones et parlant peu le français et à 3) décrire les effets possibles de ce processus de francisation sur l’intégration scolaire et sociale des élèves.

Dynamique collaborative et francisation

L’intégration scolaire et sociale des élèves nouveaux arrivants est une étape importante qui exige de la part des acteurs éducatifs une certaine collaboration à travers une synergie d’actions en vue de faire face aux multiples besoins d’accompagnement de ces élèves. La collaboration entre l’école et la communauté est appréhendée comme un ensemble de relations qu’entretiennent ces deux acteurs afin de répondre aux besoins d’accompagnement des élèves immigrants (Kamano et al., 2020; Benimmas,Boutouchent, et Kamano,2017).). Pour St-Juste (2017), ces relations peuvent porter sur la collaboration proprement dite (entente dans la mise en oeuvre des actions), la concertation (échange d’idées), la coopération (agir ensemble) et le partenariat (entente réciproque, partage d’objectifs et convergence dans l’utilisation des ressources respectives). En milieu scolaire, les différentes relations que peuvent entretenir l’école et la communauté s’opèrent selon les acteurs concernés, les objectifs visés, les rôles et les actions à mettre en oeuvre (Kamano et al., 2020). Par exemple, « dans le cas d’une dynamique collaborative entre l’école et les structures communautaires, les rôles des acteurs impliqués sont complémentaires, évolutifs et parfois changeants selon les situations ou les enjeux » (Kamano et al., 2020, p. 7).

Au Nouveau-Brunswick, il existe une dynamique de collaboration fructueuse entre l’école et les structures communautaires chargées de l’accueil et d’établissement des immigrants. En matière de francisation des élèves immigrants, les organismes communautaires collaborent étroitement avec les écoles à travers l’allocation des ressources humaines telles que des animateurs et animatrices d’activités de francisation, la liaison entre l’école et les parents immigrants (Kamano et al., 2020). Ces organismes jouent un rôle important dans le processus de développement des compétences langagières des élèves immigrants en vue de faciliter leur intégration scolaire et sociale dans leur nouvel environnement. Ils bénéficient du soutien financier de Citoyenneté et Immigration Canada et d’Opportunité Nouveau-Brunswick.

Les recherches montrent que les expériences langagières appropriées et de qualité ont une incidence sur le développement langagier et les compétences scolaires et sociales ultérieurs du jeune enfant (Steinbach et al., 2015; Ralalatiana, et Vatz-Laaroussi, 2015; Chartier et al., 2011; Neuman et Dickinson, 2001). La connaissance de la langue d’enseignement apparaît dans les écrits comme un aspect crucial du processus d’intégration scolaire et sociale des élèves immigrants (Steinbach, 2015). En effet, la maîtrise de la langue d’apprentissage est un moyen de socialisation qui facilite l’intégration socioscolaire de l’élève nouvel arrivant (Rahm et al., 2016). Ces mêmes auteurs soulignent l’importance des activités parascolaires dans le processus d’intégration sociale des élèves immigrants. Par ailleurs, selon Kanouté et al. (2016), l’apprentissage du français en tant que langue d’enseignement peut servir comme un outil de résilience sociale et scolaire.

Ainsi, la francisation définie comme « une démarche individuelle dont le but est l’intégration sociale, scolaire ou professionnelle » (TRÉAQFP, s.d., p. 6) apparaît comme un moyen permettant aux élèves immigrants d’acquérir des connaissances et des habiletés langagières nécessaires à la continuité des apprentissages. Elle englobe les services offerts pour l’apprentissage du français par les personnes dont le français n’est pas la langue première (TRÉAQFP, s.d.). En francophonie minoritaire canadienne, il existe des programmes formels de francisation dans certains contextes. En Ontario, Fleuret et al. (2015) parlent du programme d’actualisation linguistique (ALF) et de celui d’appui aux nouveaux arrivants (PANA). Ces deux programmes formels de francisation consistent à accompagner les élèves immigrants dans l’acquisition des compétences en français en vue d’assurer leur intégration scolaire et sociale. Selon Fleuret et Auger (2019), le programme d’actualisation linguistique (ALF) est conçu pour les élèves allophones (ceux qui ne parlent ni français, ni anglais, ni une langue des Premières Nations). Quant au Programme d’appui aux nouveaux arrivants (PANA), « il cible des élèves ayant été scolarisés dans un pays où le français est la langue d’enseignement ou d’administration, mais qui ont subi dans leurs parcours des interruptions de scolarité ou sont peu scolarisés » (Fleuret et Auger, 2019, p. 109). Au Manitoba, des cours d’actualisation scolaire pour les apprenants nouveaux arrivants (CASANA) ayant un retard scolaire ont été ajoutés dans le curriculum du primaire et secondaire. Ces cours qui incluent la mise à niveau en français portent la désignation « L » au primaire et « L » ou « M » au secondaire. Il s’agit d’une adaptation des contenus des programmes afin de répondre aux besoins des élèves nouveaux arrivants (Piquemal, 2012). La même auteure propose la mise en place d’un programme de francisation qui fait appel à des ateliers spécialisés de mise à niveau en francisation, en littératie, en numératie et en d’autres matières ou d’autres modules pour le niveau du secondaire, et un programme parascolaire et socioacadémique avec un temps social de loisir, mais principalement académique après l’école et géré par l’école. Une telle initiative semble répondre à la politique d’inclusion scolaire en vigueur au Nouveau-Brunswick.

Toutefois, la littérature est peu abondante sur les modèles de francisation mis en oeuvre pour répondre aux besoins des élèves nouveaux arrivants dans la province du Nouveau-Brunswick. La politique d’inclusion scolaire en vigueur depuis 2013 au Nouveau-Brunswick qui « vise à établir les conditions qui permettent aux écoles publiques d’être inclusives » (MEDPE, 2013) est incompatible avec certains modèles de francisation utilisés dans les contextes francophones majoritaires tels que le Québec où il existe des classes d’accueil (De Koninck et Armand, 2011)..

En tenant compte de la rareté des écrits sur la question et du choix de l’école francophone par les parents immigrants allophones ou parlant peu le français en francophonie minoritaire, il est important de s’intéresser, à travers les points de vue des intervenantes et intervenants et du personnel enseignant, aux facteurs qui sous-tendent le choix de l’école francophone, aux initiatives de francisation généralement mises en oeuvre en vue d’assurer l’accompagnement des élèves nouveaux arrivants et aux effets possibles de ce processus sur l’intégration scolaire et sociale des élèves immigrants.

Méthodologie

L’approche retenue dans le cadre de cette étude est qualitative et d’orientation interprétative (Fortin et Gagnon, 2022; Johnson et Christensen, 2004; Paillé, 1996). En utilisant un langage compréhensible et commun avec les participants, elle s’intéresse au sens des vécus et des événements en établissant une relation directe avec eux (Mucchielli, 2009).

Les données ont été collectées auprès de 12 intervenantes et intervenants chargés d’animer des activités de francisation et de 4 enseignantes, dont 2 au primaire et 2 au secondaire. Ces enseignantes devraient se prononcer sur les effets de la francisation sur l’intégration scolaire et sociale des élèves immigrants au sein de leurs classes. Quant aux intervenantes et intervenants interrogés, il y a 11 femmes et 1 homme, soit 2 personnes issues de l’immigration et 10 de la société d’accueil. Bien que les niveaux de formation de ces personnes semblent remarquables (baccalauréat et plus), les expériences en francisation de ces personnes sont très variées. Parmi ces intervenantes et intervenants, 7 affirment n’avoir reçu aucune formation nécessaire à la mise en oeuvre d’un programme de francisation. Cette dernière catégorie d’interviewés devrait se prononcer essentiellement sur les facteurs de choix de l’école francophone et les initiatives de francisation mises en oeuvre. Le choix de cette catégorie de répondants pour répondre à ces questions s’explique par leur rôle d’intermédiaires joué entre les écoles, les organismes d’accueil et d’établissement, et les parents d’élèves nouveaux arrivants. Ces personnes collaborent non seulement avec l’école, mais aussi avec les parents d’élèves immigrants. Les répondants ont été sélectionnés à partir d’un échantillonnage multicas, une méthode qui consiste à retenir plusieurs catégories de sujets dans le but d’avoir un portrait global du phénomène à l’étude à travers la variété de cas choisis (Yin, 2003; Pires, 1997).

L’entrevue semi-dirigée (Savoie-Zajc, 1997), dont la durée a été estimée à environ 90 minutes, est structurée autour de plusieurs dimensions, dont le profil des élèves, la participation au programme de francisation, les composantes du modèle et les effets de la francisation. Le choix de cet outil s’explique par le fait qu’il permet au chercheur de cerner, avec authenticité, les propos du sujet à travers des questions ouvertes (Lamoureux, 2000). Cette étude a bénéficié d’une approbation du comité d’éthique de recherche avec les êtres humains de l’université d’affiliation des auteurs, et les données ont été collectées dans la région du Sud-est de la province au courant de l’année scolaire 2021-2022. Les données ainsi collectées ont été transcrites sous forme de verbatim et analysées suivant deux étapes selon la perspective de Paillé et Mucchielli (2012) : la première a fait appel à une méthode d’analyse thématique et la deuxième a permis de procéder à la mise en relation des thèmes identifiés et à l’interprétation.

Résultats

L’analyse des différents propos des participantes et participants a permis de ressortir le profil d’élèves nouveaux arrivants, les facteurs de choix de l’école francophone par les parents vus par les intervenantes et intervenants ainsi que les initiatives de francisation mises en oeuvre et leurs effets sur l’intégration scolaire et sociale des élèves nouveaux arrivants.

Profil des élèves

Selon les répondants, deux éléments fondamentaux permettent de dresser le profil des élèves nouveaux arrivants admissibles aux initiatives de francisation : l’aptitude en français et les facteurs de choix de l’école francophone.

Aptitude en français

En tenant compte de la connaissance de la langue française à l’arrivée, les participants ont classé les élèves nouveaux arrivants admis aux programmes de francisation en trois catégories : 1) les élèves allophones n’ayant aucune notion de la langue française; 2) les élèves ayant accusé un retard scolaire en français; et 3) les élèves francophones ayant des besoins de mise à niveau. Les élèves allophones constituent cette catégorie d’élèves issus de familles au sein desquelles on utilise une langue autre que celle de l’enseignement. Il s’agit spécifiquement des élèves qui proviennent des pays non francophones et qui n’ont jamais été scolarisés en français durant leur parcours migratoire. Par exemple, les participants associent à cette catégorie des élèves provenant de certains pays tels que la Syrie, l’Afghanistan, l’Irak, l’Espagne, la Chine, les Philippines, et les pays de l’Europe de l’Est, de l’Amérique latine et de l’Afrique non francophone. La seconde catégorie regroupe des élèves ayant accusé un retard scolaire en français qui s’explique par diverses raisons, dont les conflits politiques, le faible niveau de scolarité des parents, le statut de la langue française dans le pays d’origine et le parcours migratoire. La troisième catégorie, quant à elle, regroupe des élèves provenant des pays francophones au sein desquels le français est la principale langue de scolarisation. Toutefois, le niveau de maîtrise du français de ces élèves ne correspond pas ou peu à celui de leurs pairs de même âge de la société d’accueil. Une mise à niveau est ainsi requise afin de faciliter les apprentissages dans d’autres disciplines conformes au niveau de l’enfant.

Facteurs de choix de l’école francophone

Selon les participantes et participants, les facteurs de choix de l’école francophone dans un contexte de dualité linguistique obéissent à un argumentaire spécifique qui s’analyse selon les familles. Deux arguments fondamentaux expliquent le choix de certains parents : la continuité des apprentissages et le bilinguisme. En effet, pour les participantes et participants, certains parents qui, avant ou pendant le parcours migratoire avaient scolarisé leurs enfants dans les écoles de langue française choisissent d’inscrire leurs enfants dans les écoles francophones de la province afin d’assurer la continuité des apprentissages en français et pérenniser l’identité culturelle francophone :

Certains parents nous ont dit qu’ils inscrivent leurs enfants dans des écoles francophones pour avoir une continuité des apprentissages et pour que les générations à venir puissent aussi aller dans des écoles francophones. (AN07)

Par ailleurs, le choix de l’école francophone par d’autres parents francophones n’ayant aucune notion de la langue anglaise s’explique, selon les participantes et participants, par la possibilité de collaborer avec le personnel scolaire à travers la communication dans la langue de l’enseignement : Certaines familles francophones choisissent aussi l’école francophone, car ils sont moins à l’aise en anglais et souhaitent comprendre ce qui leur sera dit. (AN05)

Concernant le bilinguisme, ce sont surtout les parents allophones et ceux qui parlent l’anglais à la maison qui choisissent le plus souvent d’envoyer leurs enfants à l’école francophone dans le but de faire acquérir à l’enfant le français, car en contexte francophone minoritaire, l’acquisition de l’anglais par l’enfant va de soi.

Les parents allophones comprennent l’importance d’apprendre le français, et savent que pour vivre au [Nouveau-Brunswick], il faut être complètement bilingue. Donc, la motivation est que le jeune devienne bilingue. Ils sont intéressés par le français, mais surtout par le bilinguisme. Ils entendent que pour avoir un bilinguisme optimal, il faut opter plutôt pour l’école francophone que des programmes d’immersion dans les écoles anglophones. Pour l’anglais, ils se font dire qu’ils vont pouvoir l’attraper autrement. (AN02)

En plus des motifs évoqués, le choix de l’école francophone par certains parents allophones qui s’établissent dans les régions à forte dominance francophone de la province s’explique aussi par la facilité de s’y intégrer sur le plan social.

Dans la région de Shediac – Beaubassin – Cap Pelé, il n’y a pas d’école anglophone, donc les parents sont obligés de mettre leur enfant dans une école francophone. La population locale est francophone, donc pour pouvoir mieux t’intégrer dans la communauté il faut parler le français. Donc, ils n’ont pas le choix de mettre les enfants dans une école francophone pour commencer l’insertion sociale. (AN04)

Les motifs qui sous-tendent le choix de l’école francophone constituent l’un des facteurs motivant la participation au processus de francisation ou de perfectionnement linguistique de ces jeunes. D’où la nécessité de mettre en oeuvre des stratégies de francisation en vue de répondre aux besoins langagiers des élèves nouveaux arrivants.

Initiatives de francisation mises en oeuvre

Bien qu’il n’existe pas un modèle formel spécifiquement retenu dans tous les districts scolaires de la province, les différentes initiatives envisagées obéissent à la politique d’inclusion scolaire en vigueur au Nouveau-Brunswick. Cela explique le fait que l’ensemble des activités de francisation se déroulent sous forme d’ateliers dans les écoles ou à l’occasion des regroupements spécifiques (camp d’été, groupes de jeunes du Centre d’accueil et d’accompagnement francophone des immigrants du Sud-Est du Nouveau-Brunswick [CAFi]). À la différence de certaines provinces, il n’existe pratiquement pas de classes d’accueil destinées aux élèves nouveaux arrivants ayant une faible connaissance de la langue d’enseignement/apprentissage. Il faut noter cependant qu’il y a eu une exception pour les enfants de réfugiés syriens où des ateliers de formation intensifs ont été organisés pendant l’été 2016, pour une mise à niveau en français et en mathématiques, en plus de tenir des camps d’été spécialement pour exposer le nouvel arrivant à la culture française (Delatre, 2016).

Le processus de francisation des élèves nouveaux arrivants regroupe un ensemble de stratégies qui se traduisent le plus souvent par des activités de mise à niveau ou d’ateliers de francisation. Les résultats identifient plusieurs modèles (stratégies) de francisation relevant de l’initiative des acteurs éducatifs ou des organismes d’accueil et d’accompagnement à l’intégration. La Figure 1, ci-dessous, présente la plupart des initiatives mises en oeuvre dans les écoles primaires et secondaires telles que l’ont fait ressortir les interviewés. À noter que certains services de francisation sont offerts aux deux cycles. Selon les répondants, la mise en oeuvre de certaines initiatives s’accompagne de défis liés notamment à la définition du contenu des programmes, au manque de formation adéquate des animatrices et animateurs, et à l’insuffisance des matériels pédagogiques.

Figure 1

Initiatives de francisation mises en oeuvre au primaire et au secondaire

Initiatives de francisation mises en oeuvre au primaire et au secondaire

-> Voir la liste des figures

Les différents programmes de francisation présentés ci-dessus constituent des initiatives rapportées par les répondants afin d’accompagner les élèves immigrants dans leur processus d’intégration socioscolaire au sein des écoles francophones du Nouveau-Brunswick. Il s’agit, entre autres, du Groupe de jeunes, des Cercles de conversation, d’Ateliers de francisation, du Tutorat, de Franco-bulle, de Franco-jeunes et des Camps d’été axés principalement sur les activités de francisation et de socialisation. Les objectifs visés par l’ensemble des différentes initiatives sont l’apprentissage de la langue française dans un contexte moins formel, l’aide aux devoirs et l’accompagnement linguistique individualisé ou en équipe. Certains programmes parascolaires tels que Groupe de jeunes et Franco-bulle vont au-delà de l’apprentissage de la langue et englobent les activités culturelles et sportives dans le but d’assurer leur intégration sociale, de même que le développement d’un sentiment d’appartenance à leur nouvel environnement.

Le but, c’est de faire des activités culturelles, sportives, communautaires, de bénévolat, des activités plus éducatives afin de tisser des liens, mais aussi apprendre la langue, car tout se passe en français. Les jeunes viennent aux activités, participent, rencontrent du monde, apprennent des choses et se développent un sentiment d’appartenance à un groupe. (AN06)

Les critères de participation à ces différentes initiatives de francisation varient selon les programmes et leurs stratégies, toutefois il existe des critères communs : les jeunes doivent être de nouveaux arrivants inscrits dans les écoles francophones où l’un des programmes est offert, être résident permanent et avoir des défis en français ou des défis scolaires auxquels les parents sont incapables de remédier. Il convient de préciser que les élèves participant à ces programmes sont identifiés par les écoles après avoir passé des tests d’évaluation en français.

Les activités mises en oeuvre dans les initiatives de francisation varient selon les programmes. Les résultats font état d’activités ludiques, sportives et culturelles, et d’activités d’apprentissage de la langue. Les activités ludiques portent essentiellement sur les jeux qui favorisent les échanges et l’interaction active afin de faire acquérir le vocabulaire d’une manière amusante.

Je regroupe les jeunes pour jouer aux cartes, il y a des échanges, on demande de l’aide pour distribuer, lire les cartes, l’objectif est de faire en sorte que le jeune ne remarque pas qu’il est en train d’apprendre le français. Il apprend en s’amusant. Le jeu le plus populaire : le petit bac (est un jeu) qui permet de travailler le vocabulaire, mais aussi l’écriture et c’est vraiment ludique. (AN05)

Certains animatrices et animateurs procèdent par des activités sportives et culturelles afin de favoriser l’apprentissage de la langue. Ces activités inculquent aux jeunes nouveaux arrivants le respect de l’environnement et contribuent à leur bien-être tout en leur apprenant le français.

Les activités sont sportives et culturelles, car les jeunes sont moins actifs avec [la] COVID. Il y a la Cabane à sucre (la cabane est venue leur expliquer comment on fait du sirop d’érable), le Laser tag (les règles expliquées en français), le taekwondo (le formateur parle en français), les ateliers sur la nature (ramasser des déchets, construire des cabanes à oiseaux et des jeux éducatifs sur la nature avec la fondation canadienne de la faune) et le Ski de fond au parc centenaire. (AN08)

Bien que ces différentes activités culturelles et sportives favorisent les interactions en vue d’acquérir le vocabulaire, certains programmes tels que le tutorat, les ateliers de francisation et les cercles de conversation privilégient davantage des activités pédagogiques qui visent à développer des compétences en écriture, en lecture et en communication orale.

On commence par l’oral, en demandant comment a été la journée, s’ils ont des choses à raconter, il y a des moments de lecture. Pendant la lecture, on fait des interactions pour que les jeunes développent aussi la capacité orale et pas seulement l’écoute. On a des travaux d’écriture de mots faciles. On vérifie si les jeunes assimilent le vocabulaire de base, le vocabulaire de tous les jours. (AN11)

Les approches évaluatives considérées par l’ensemble des programmes de francisation ont pour objectif principal le suivi du progrès des élèves en matière d’apprentissage de la langue française. Pour ce faire, les animateurs/animatrices procèdent par des évaluations plutôt formatives.

Effets de la francisation sur l’intégration scolaire et sociale

Les initiatives de francisation ont des répercussions positives sur le développement des compétences langagières des élèves nouveaux arrivants et leur intégration socioscolaire. Pour les répondants, les effets des initiatives de francisation se remarquent surtout au niveau du développement des compétences langagières des élèves nouveaux arrivants inscrits dans ces programmes. Les activités déployées par les différents programmes permettent à l’élève nouvel arrivant d’enrichir son vocabulaire, d’améliorer sa prononciation et d’accroître ses habiletés en lecture, en écriture et en communication orale. Ce qui contribue inéluctablement à l’apprentissage dans toutes les autres disciplines.

C’est la solution pour parler le français parce que, quand ces jeunes-là arrivent, ils ne se sentent pas à leur place avec les autres jeunes qui parlent français, ce n’est pas leur langue première. Ces programmes les aident à développer le vocabulaire, à améliorer leur prononciation et développer leur capacité en écriture et en lecture selon les besoins individualisés, ça permet d’accélérer les apprentissages qui peuvent leur manquer. (EN02)

En ce qui a trait à l’effet des activités de francisation sur l’intégration sociale des élèves nouveaux arrivants, les répondants remarquent qu’à leur arrivée ces jeunes se sentent seuls et n’affichent aucun sentiment d’appartenance. Toutefois, au fur et à mesure qu’ils participent aux différentes activités de francisation qui font appel au jeu en compagnie d’autres élèves immigrants avec lesquels ils partagent les mêmes défis, ils se sentent socialement plus intégrés.

Ces programmes de francisation vont soutenir ce que fait l’école et vont aussi donner l’occasion aux jeunes de s’ouvrir à d’autres groupes, car à l’école ils sont avec des élèves de même niveau et même âge. Rencontrer d’autres élèves avec d’autres besoins, ils développent un langage plus dans le jeu. (AN07)

En salle de classe, les enseignantes ayant participé à cette étude font le même constat en matière de changements sur le plan comportemental des élèves nouveaux arrivants allophones : Je vois la différence entre un jeune qui vient d’arriver et qui ne peut pas trop participer aux discussions, qui ne peut pas rire, car ne comprend pas ce qui se passe. Ils seront plus isolés au départ, moins actifs. (EN03)

Les répondants associent le développement des compétences langagières au processus d’intégration socioaffective. En d’autres mots, plus l’enfant est capable de communiquer efficacement dans la langue de l’enseignement, plus il interagit avec les autres et nouent des amitiés avec ses pairs de la classe et en dehors de la classe. En mettant l’accent sur les activités parascolaires sportives, culturelles et ludiques, les différents programmes de francisation constituent un tremplin pour l’intégration sociale des élèves nouveaux arrivants afin d’éviter leur isolement social susceptible d’entraîner l’abandon scolaire.

Plus les enfants développent la capacité de parler en français, plus ils sont à l’aise de socialiser dans la communauté locale, ils peuvent interagir avec les amis de classe. Parfois, tu peux voir les amis à l’heure de la récréation, ils sont en train de jouer avec tout le monde, mais quand les enfants ne sont pas encore capables de communiquer en français, ils vont aller dans leur microcommunauté s’il y en a. (EN02)

Enfin, le développement des capacités langagières à travers les activités de francisation a une incidence sur le processus d’apprentissage global de l’enfant. Pour les répondants, qu’ils soient enseignants/enseignantes ou animateurs/animatrices, le français étant le médium de l’enseignement, son acquisition permet aux jeunes immigrants de mieux réussir leurs apprentissages dans les autres matières telles que les mathématiques, les sciences, les sciences humaines, etc. Les répondants s’accordent sur les effets positifs de la francisation sur la réussite scolaire (l’intégration scolaire), illustrés par les retours qu’ils reçoivent des enseignants des différentes disciplines, des parents et des élèves nouveaux arrivants eux-mêmes.

C’est vraiment positif, on a des retours positifs des enseignants qui viennent nous dire qu’un élève a développé du vocabulaire et, par exemple, il connaît maintenant tous les mois de l’année et quand l’enseignant lui demande où il a appris, le jeune répond que c’est à l’activité de Franco-jeunes […]. Souvent aussi le jeune nous fait un retour sur sa réussite scolaire et surtout ça fait du bien d’avoir un retour des parents qui disent que son jeune a eu de meilleures notes. (AN06)

Le personnel enseignant interrogé abonde dans le même sens et soutient que les expériences que vivent les élèves immigrants dans les différentes initiatives de francisation ont des répercussions positives sur leur apprentissage en classe.

Je me dis que la francisation est bénéfique pour le reste des études et par ricochet, comme ça leur fait vivre de belles expériences de détente, d’apprentissage, de découverte culturelle de la région, forcément ça leur donne du bagage pour apprendre d’autres matières, par exemple parler de ses expériences dans un exposé oral, rendre compte de leur fin de semaine, comprendre les directives d’un problème. (EN04)

Ainsi, pour les répondants, la francisation joue un rôle fondamental dans le processus d’intégration socioscolaire des élèves nouveaux arrivants dans la mesure où elle leur permet d’acquérir non seulement des compétences linguistiques nécessaires aux interactions avec leurs pairs et enseignants, mais aussi affectent positivement l’expérience d’apprentissage dans l’ensemble des disciplines en plus de contribuer à la socialisation de l’élève nouvel arrivant.

Discussion

Il ressort des résultats deux arguments susceptibles d’expliquer le choix de l’école francophone par les parents immigrants : la continuité des apprentissages et le bilinguisme. Excepté le bilinguisme souhaité par les parents, ces arguments rejoignent les conclusions de l’étude de Dalley (2009) qui avait identifié certains facteurs tels que la continuité linguistique et l’accueil ressenti au sein de l’école.

Bien qu’il n’existe pas de modèles formels retenus dans tous les districts scolaires de la province, les programmes de francisation mis en oeuvre au Nouveau-Brunswick relèvent des initiatives des districts scolaires, des écoles et des organismes communautaires. La mise en oeuvre de différents programmes de francisation s’accompagne de plusieurs obstacles, dont le manque de ressources pédagogiques, la formation adéquate des animateurs/animatrices et la définition des contenus de certains programmes. Ce constat corrobore les conclusions de l’étude de Kamano et Benimmas (2017), qui identifient l’insuffisance des ressources et les défis de formation comme des obstacles à la mise en oeuvre des stratégies d’accompagnement des élèves immigrants de la province.

Cependant, selon les répondants, la francisation des élèves nouveaux arrivants demeure un véritable enjeu ayant des effets positifs sur leur intégration scolaire et sociale. Elle leur permet non seulement d’acquérir des compétences linguistiques nécessaires aux interactions avec leurs pairs et les enseignants, mais elle affecte aussi positivement l’expérience d’apprentissage. D’où la nécessité de se pencher sur ce processus afin de le rendre plus formel et adéquat. Des auteurs tels que Marcotte (2020a); Marcotte (2020b); Steinbach (2015); Suárez-Orozco (2011); Steinbach, Vatz-Laaroussi et Potvin (2015) ; Chartier et al. (2011); Mc Andrew, al. (2008) et Mc Andrew, al. (2000)soutiennent que la maîtrise de la langue de l’enseignement est un aspect crucial du rendement scolaire et d’intégration sociale des élèves immigrants.

Conclusion

L’étude visait à identifier les facteurs de choix de l’école francophone par les parents immigrants, les initiatives de francisation mises en oeuvre et leurs effets sur l’intégration scolaire et sociale des élèves immigrants. Selon les répondants, les facteurs de choix de l’école francophone par les parents d’élèves immigrants dans un contexte de dualité linguistique obéissent à des logiques spécifiques, notamment la continuité des apprentissages des enfants dans leur nouvel environnement d’études et le souhait d’acquérir un certain bilinguisme (anglais-français). Plusieurs stratégies visant à développer chez ces élèves des compétences langagières nécessaires à la poursuite des apprentissages dans les écoles francophones ont été identifiées. La mise en oeuvre de certaines initiatives donne lieu à des activités socioculturelles.

Les répondants considèrent que le développement des compétences langagières en français des jeunes nouveaux arrivants allophones et parlant peu le français leur permet non seulement de poursuivre leurs apprentissages entamés dans leurs pays d’origine, mais aussi de s’intégrer socialement dans leur nouvel environnement socioéducatif. L’une des limites de cette étude est le fait de passer par les tierces personnes pour comprendre les facteurs de choix de l’école francophone par les parents et d’interpréter leurs propos afin de comprendre les incidences de la francisation sur l’intégration scolaire sans avoir recours au rendement scolaire concret. Des recherches plus approfondies devraient être menées en contexte francophone minoritaire afin de déterminer les effets de ce processus de francisation sur la réussite scolaire des élèves nouveaux arrivants.