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Consommation de substances en contexte sexuel chez les gbHSH de Montréal : 2009-2016

La consommation de substances chez les hommes gais, bisexuels ou ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes (gbHSH) s’observe dans des proportions élevées (Wirtz et al., 2016 ; Yadav et al., 2014) et constituerait tout autant une des conséquences qu’un des déterminants d’autres épidémies parallèles, notamment celles des infections transmissibles sexuellement (ITS), incluant le VIH (Baliunas, Rehm, Irving et Shuper, 2010 ; Stall, Friedman et Catania, 2007). Elle pourrait faire partie intégrante d’une culture de la sexualité chez certains hommes gbHSH (Hegazi et al., 2017 ; Sewell et al., 2017). Elle est présente dans les lieux de socialisation comme les bars, où des proportions importantes d’hommes gbHSH rencontrent leurs partenaires sexuels (59,5 % en 2005, 42,1 % en 2008-2009 ; Lambert et al., 2006, 2011). Elle multiplierait la probabilité d’avoir des relations sexuelles le jour même de la consommation jusqu’à trois fois, dans le cas de l’alcool et du cannabis, et jusqu’à 10 fois dans le cas des substances utilisées à des fins récréatives (Rendina, Moody, Ventuneac, Grov et Parsons, 2015). La consommation de substances est aussi associée à différents facteurs de risque d’ITS, tels qu’un nombre plus élevé de partenaires sexuels (Li et McDaid, 2014 ; Wirtz et al., 2016) et un usage non systématique du condom lors des relations anales (Rendina et al., 2015 ; Wirtz et al., 2016), incluant avec des partenaires (potentiellement) sérodiscordants (Li et McDaid, 2014 ; Otis et al., 2006 ; Woolf-King et al., 2013).

Peu d’études ont décrit la consommation de substances chez les hommes gbHSH montréalais ou québécois. La Cohorte Oméga a fourni des données longitudinales sur l’usage de substances chez les gbHSH montréalais séronégatifs pour le VIH ou de statut inconnu, sans égard au contexte sexuel (Otis et al., 2006). Entre avril 1997 et juillet 2003, l’enquête a documenté une augmentation de la prévalence de la consommation au moins une fois dans les six mois précédant la collecte de données pour la cocaïne (celle-ci passant de 9,7 à 15,4 %), l’ecstasy (7,5 à 11,8 %), les hallucinogènes (2,8 à 7,4 %), le speed (1,4 à 8,8 %) et le GHB (0,0 à 3,7 %), sans changement significatif dans la consommation de cannabis, de poppers et d’héroïne. Au total, 70 % des hommes gbHSH suivis dans la cohorte ont rapporté avoir consommé au moins une fois l’une de ces substances durant la période 1997-2003. Aucune information n’était rapportée concernant l’usage d’alcool dans Otis et al. (2006).

L’enquête ARGUS a colligé des données chez les hommes gbHSH montréalais au cours de deux cycles transversaux : en 2005 auprès de 1 957 répondants et en 2008-2009 auprès de 1 873 répondants. En 2005, 73 % des participants ont rapporté avoir consommé de l’alcool au moins une fois avant ou pendant des rapports sexuels dans les six mois précédant l’enquête et 28 %, lors d’au moins la moitié de ces rapports ; 38 %, du cannabis lors d’au moins un rapport sexuel et 15 %, au moins la moitié des fois ; 30 %, des poppers lors d’au moins un rapport sexuel et 10 %, au moins la moitié des fois ; 21 %, de la cocaïne lors d’au moins un rapport sexuel et 7 %, au moins la moitié des fois ; 16 % des médicaments contre la dysfonction érectile (pour augmenter les performances sexuelles) au moins une fois lors des rapports sexuels et 5 %, au moins la moitié des fois ; 15 % du speed au moins une fois et 3 %, au moins la moitié des fois ; 16 % de l’ecstasy au moins une fois et 3 %, au moins la moitié des fois ; 11 %, du GHB au moins une fois et 2 %, au moins la moitié des fois ; 9 % de la kétamine au moins une fois et 1 %, au moins la moitié des fois ; avec des taux plus faibles pour le crystal meth (2,6 %), l’héroïne (2,4 %) et le LSD (1,8 %) et en deçà de 1 % pour au moins la moitié des fois (Lambert et al., 2006 ; Tremblay et al., 2007). Quelle que soit la substance considérée, la prévalence de consommation s’est révélée plus faible ou similaire en 2008-2009 comparativement à 2005, sans que l’on puisse affirmer si ces différences résultaient d’une diminution des taux de consommation chez les hommes gbHSH ou de différences dans la composition sociodémographique des échantillons (Lambert, Cox, Miangotar, et al., 2011).

Les données du sondage Sexe au présent réalisé auprès d’environ 8 000 hommes gbHSH à travers le Canada pour les années 2014-2015 (Trussler et Ham, 2016) révèlent que la substance la plus consommée par les répondants avant leur dernier rapport sexuel était les médicaments contre la dysfonction érectile (15 %), le cannabis (12 %), l’alcool (11 %) et les poppers (10 %). Le crystal meth (2 %), la cocaïne (1,5 %) et le GHB (1,6 %) étaient consommés par 1,5 à 2 % des répondants, suivis de l’ecstasy/MDMA (1 %), de la kétamine (0,3 %) et de la méphédrone (0,1 %).

En ce qui concerne la relation entre la consommation de substances et les relations anales sans condom à risque de transmission du VIH et d’autres ITS, l’enquête Oméga révélait que les hommes gbHSH qui rapportaient avoir consommé du cannabis, des poppers, de la cocaïne, de l’ecstasy, des hallucinogènes, du speed ou du GHB étaient aussi plus susceptibles d’avoir eu de telles relations durant la même période calendrier (Otis et al., 2006). Les données ARGUS ont aussi révélé que les participants ayant consommé de la drogue (sauf de la cocaïne), de la cocaïne (avec ou sans une autre drogue) ou au moins cinq consommations d’alcool lors de leur dernière relation sexuelle étaient plus susceptibles d’avoir eu une relation anale à risque lors de cette relation que ceux qui n’avaient pas consommé ces substances (Lambert, Cox, Hottes, et al., 2011). De tels résultats sont concordants avec la littérature internationale (Baliunas et al., 2010 ; Lacefield, Charles, Schrader, Ronald et Kuhlman, 2015).

Ces divers travaux québécois et canadiens (Oméga, ARGUS et Sexe au présent) apportent chacun un éclairage sur le phénomène à l’étude, mais ils ne permettent pas d’établir des tendances temporelles de consommation, puisqu’ils diffèrent eu égard à la population étudiée, aux modalités de recrutement et aux indicateurs de consommation (au cours des 6 derniers mois sans égard au contexte sexuel, lors des relations sexuelles au cours des six derniers mois, lors de la dernière relation sexuelle exclusivement). La présente étude vise à pallier en partie ces limites en décrivant (1)la prévalence et les tendances de la consommation de substances (alcool, drogues, médicaments contre la dysfonction érectile) lors des rapports sexuels entre 2009 et 2016 chez les hommes gbHSH séronégatifs ou de statut sérologique inconnu qui ont fréquenté un centre de dépistage rapide du VIH en milieu communautaire à Montréal ; et (2) les coefficients d’association entre la consommation de ces substances avec les relations anales avec des partenaires de statut sérologique inconnu ou séropositif avec charge virale inconnue ou détectable, qualifiées de relations anales à risque de transmission du VIH (RAR-VIH) qui constituent le principal mode de transmission du VIH dans ce groupe (Baggaley, White et Boily, 2010).

MÉTHODE

Procédure

L’échantillon est composé de 2 149 gbHSH qui ont été rencontrés à Montréal dans le cadre du projet Spot. Spot est un projet de recherche interventionnelle ayant implanté une approche de dépistage rapide du VIH, réalisé par un infirmier, et de counseling préventif intensif offert par un intervenant communautaire formé. Pour être éligibles, les répondants devaient s’auto-identifier comme homme, avoir au moins 18 ans, parler l’anglais ou le français, résider dans la province de Québec, avoir eu au moins un partenaire sexuel masculin au cours des 12 mois précédant leur rendez-vous et présenter un statut sérologique au VIH négatif ou inconnu. La collecte de données s’est déroulée de juillet 2009 à mai 2016 et 2 879 participants y ont pris part. Des activités de recrutement ont été déployées dans la communauté gaie montréalaise ainsi qu’en ligne. Les participants ont indiqué avoir été informés du projet via leurs amis, du matériel promotionnel imprimé, des articles ou des publicités imprimées dans les magazines destinés à la communauté gaie montréalaise, les moteurs de recherche sur le Web ou les bannières publicitaires sur des sites Internet.

En raison de son financement et de l’évolution de ses objectifs, le projet s’est échelonné sur trois phases de collecte de données entre 2009 et 2016. Chaque phase prévoyait trois collectes de données par questionnaire auprès des participants : à la visite initiale, ainsi que trois et six mois plus tard. À la visite initiale, le questionnaire était administré en entrevue en face à face avec un intervenant ; les données de suivi étaient colligées en ligne ou au site communautaire, selon les préférences des répondants. Durant la première phase, aucune compensation n’était offerte aux participants. Durant les phases deux et trois, des modalités de compensation différentes ont été mises en place pour augmenter le taux de participation aux suivis. Lors de la seconde phase, les participants qui remplissaient les questionnaires de suivi dans les locaux du projet recevaient 20 $ à titre de compensation pour leurs frais de déplacement. Ceux qui transmettaient plutôt les questionnaires de suivi par la poste étaient inscrits à un tirage de 50 $. Durant la phase trois, les participants recevaient une compensation de 30 $ au premier suivi et de 50 $ au second suivi. Aucune compensation n’était offerte à la visite initiale.

En raison d’une interruption du financement, aucune donnée n’est disponible pour le second semestre de 2012 et le premier semestre de 2013. Les données utilisées dans cet article sont tirées des réponses de 2 149 répondants qui ont rapporté avoir eu des relations sexuelles anales et pour lesquels les données sur la consommation de substance et le profil sociodémographique, utilisées comme variables d’ajustement, étaient disponibles (âge, lieu de naissance, niveau de scolarité, revenu, orientation sexuelle et antécédents de dépistage). Des données trimestrielles sont disponibles de 2009 à 2016 et elles ont été agrégées par semestre pour simplifier leur présentation. Des données sont disponibles pour 12 semestres, chacun comptant 270 à 510 observations (sauf pour le second semestre de 2013 pour lequel seules 63 observations étaient disponibles), pour un total de 3 416 observations.

Le projet a fait l’objet d’une évaluation sur le plan éthique et a été approuvé par les comités d’éthique de la recherche avec des êtres humains de l’Université du Québec à Montréal et du CSSS Jeanne-Mance. Tous les participants ont signé un formulaire de consentement leur présentant en détail les risques et les bénéfices possibles associés à leur participation, la procédure de collecte de données à mesures répétées ainsi que les modalités prises pour garantir la confidentialité des informations colligées.

Mesures

Consommation de substances. La consommation de substances a été mesurée par la question suivante : « Au cours des trois derniers mois, à quelle fréquence avez-vous été sous l’effet de l’une ou l’autre des substances suivantes lors de vos relations sexuelles (orales ou anales) avec vos partenaires masculins ? ». Les substances évaluées étaient : alcool, cannabis, GHB, cocaïne, héroïne, LSD, crystal meth, kétamine/spécial K, crack, ecstasy/MDMA, speed, médicaments contre la dysfonction érectile, et poppers. L’échelle de réponses proposait trois options : Jamais, Moins de la moitié des fois, et La moitié des fois ou plus. Deux indicateurs dichotomiques ont été créés pour chacune des substances : Jamais (0) vs Au moins une fois (1), et Jamais ou moins de la moitié des fois (0) vs La moitié des fois ou plus (1).

Relations anales à risque. Les variations dans la consommation de substances ont été examinées en fonction de l’occurrence de relations anales considérées à risque de transmission du VIH (RAR-VIH). Les RAR-VIH ont été opérationnalisées ainsi : une relation anale, insertive ou réceptive, sans condom avec un partenaire de statut sérologique inconnu ou séropositif avec charge virale inconnu ou détectable, au cours des trois derniers mois.

Variables d’ajustement. Comme cette étude reposait sur un recrutement continu qui est propice à des variations dans la composition de l’échantillon d’une période à l’autre, les variables d’ajustement suivantes ont été prises en compte dans les modèles multivariés : l’orientation sexuelle (gai/homosexuel/bisexuel vs autre), les antécédents de dépistage (au cours de la dernière année vs plus d’une année vs jamais dépisté), l’âge à la visite initiale (en année), le nombre de visites, le lieu de naissance (Canada vs hors Canada), le niveau de scolarité (au moins un diplôme d’études secondaires [DES] vs plus d’un DES) et le revenu annuel (moins de 30 000 $ vs 30 000 $ ou plus).

Analyses statistiques

Dans un premier temps, nous avons estimé la prévalence (incluant l’intervalle de confiance à 95 %) de consommation « lors d’au moins une relation sexuelle » et « lors de la moitié des relations sexuelles ou plus » au cours des trois derniers mois pour chacune des substances considérées et pour l’ensemble de la période (2009-2016). Dans un second temps, nous avons analysé l’évolution de ces prévalences de 2009 à 2016, par semestre. Pour déterminer l’existence de tendances temporelles dans la consommation de ces substances, l’association entre la prévalence de chacune des substances et le temps calendrier, chronologique et au carré (pour tenir compte des tendances non linéaires), a été testée. Comme les mesures répétées chez un même répondant ne sont pas indépendantes les unes des autres et que les postulats d’une approche à effets fixes n’étaient pas respectés, nous avons adopté une approche à effets aléatoires robuste à l’hétéroscédasticité, qui permet aussi de contrôler l’autocorrélation des mesures répétées auprès d’un même répondant. Les coefficients d’association entre le temps calendrier et les prévalences ont été ajustés pour le nombre de visites, l’orientation sexuelle, les antécédents de dépistage, l’âge à la visite initiale, le lieu de naissance, le niveau de scolarité et le revenu annuel.

Enfin, nous avons testé l’association de la consommation de chacune des substances lors des relations sexuelles avec l’occurrence de RAR-VIH au cours de la même période. Pour ce faire, nous avons réalisé des analyses de données de panel pour chacune des substances (modèles logistiques à effets aléatoires). Pour chaque substance, une première analyse portait sur l’ensemble des données disponibles (premières visites et suivis) et une seconde, sur les données de suivi exclusivement, pour soustraire l’effet du besoin de dépistage inhérent à la visite initiale qui n’est potentiellement pas indépendant des RAR-VIH et de la consommation de substances. Ce second modèle constitue un test de robustesse permettant d’estimer des tendances possiblement moins biaisées par les facteurs qui ont conduit au besoin initial d’un test de dépistage. Ces modèles permettent donc d’estimer l’association de la consommation de substances lors des relations sexuelles (au moins une fois au cours des trois derniers mois vs jamais) avec les RAR-VIH (au moins une RAR-VIH au cours des trois derniers mois vs aucune) pour chaque répondant et à chaque période pour lequel des données étaient disponibles. Tous les résultats rapportés ont été produits en contrôlant pour les variables d’ajustement.

Les données manquantes ont été traitées avec la méthode des cas complets, de sorte que les répondants qui présentaient des données manquantes sur l’ensemble des mesures de consommation en contexte sexuel et sur au moins l’une des variables d’ajustement ont été exclus des analyses. Les analyses ont été réalisées avec le logiciel Stata et le module xt pour l’analyse de données de panel (StataCorp, 2015).

Résultats

Caractéristiques des participants

Les participants étaient âgés en moyenne de 32,3 ans (étendue = 18-74 ; É-T = 10,9) et près de 96 % s’identifiaient comme gais, homosexuels ou bisexuels. Plus de 80 % avaient au moins un diplôme d’études collégiales et 63,4 % avaient un revenu annuel égal ou supérieur à 30 000 dollars canadiens. Respectivement 87 % et 38,1 % des participants avaient déjà eu un test de dépistage du VIH au cours de leur vie et au cours de la dernière année. Au total, 38,2 % des répondants n’ont effectué qu’une seule visite à Spot, 24,8 % ont effectué deux visites, et 37 % ont effectué trois visites.

Tableau 1

Caractéristiques des répondants (n = 2149)

Caractéristiques des répondants (n = 2149)

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Prévalence de la consommation de substances lors des relations sexuelles avec des partenaires masculins sur une période de trois mois

Plus de la moitié des répondants (55,9 %) ont indiqué avoir déjà consommé de l’alcool lors de leurs relations sexuelles avec des partenaires masculins (Tableau 2). La consommation de cannabis et de poppers au moins une fois lors des relations sexuelles était rapportée par 19 à 22 % des répondants. Entre 4 et 7 % des répondants ont rapporté avoir eu des rapports sexuels alors qu’ils avaient consommé de l’ecstasy/MDMA, des médicaments contre la dysfonction érectile, de la cocaïne, du GHB ou du speed. Un à 2 % ont rapporté avoir consommé de la kétamine ou du crystal meth au moment d’au moins une relation sexuelle et moins de 1 %, du crack, du LSD ou de l’héroïne. Les proportions de participants ayant vécu la moitié ou plus de leurs de relations sexuelles alors qu’ils avaient consommé étaient de 13,4 % pour l’alcool, 5,0 % et 4,7 % pour le cannabis et les poppers respectivement, de 2,4 % pour les médicaments contre la dysfonction érectile et de 1 % ou moins pour les autres substances.

Tableau 2

Prévalence de la consommation de substance lors des relations sexuelles avec des partenaires masculins au cours des trois derniers mois, 2009-2016 (n = 2149)

Prévalence de la consommation de substance lors des relations sexuelles avec des partenaires masculins au cours des trois derniers mois, 2009-2016 (n = 2149)

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Tendances longitudinales de la consommation de substances lors d’au moins un rapport sexuel avec des partenaires masculins, 2009-2016

Le tableau 3 présente les prévalences de la consommation de substances par semestre. Les tests de tendances linéaires et curvilinéaires ajustés pour les variables de contrôle et le nombre de visites étaient tous significativement différents de 0 (p < 0,001). Pour toutes les substances, on observe un déclin graduel dès 2010. Pour la majorité des substances, ce déclin a été observé jusqu’en 2014 ou 2015, moment à partir duquel leur consommation a recommencé à augmenter légèrement jusqu’en 2016 (alcool, cannabis, poppers, cocaïne, ecstasy/MDMA, GHB, speed), atteignant des taux tout de même inférieurs à ceux observés en 2009. Pour le crystal meth, la prévalence a atteint son plus bas en 2012-2013, pour augmenter graduellement jusqu’à revenir à un taux similaire à celui de 2010. La kétamine et les médicaments contre la dysfonction érectile ont diminué graduellement pour atteindre leur plus bas niveau en 2015 et 2016.

Tableau 3

Tendances longitudinales de la consommation de substances lors d’au moins un rapport sexuel avec des partenaires masculins, chez les hommes gbHSH, 2009-2016, par semestre

Tendances longitudinales de la consommation de substances lors d’au moins un rapport sexuel avec des partenaires masculins, chez les hommes gbHSH, 2009-2016, par semestre

Notes. Estimations ajustées pour le nombre de visites, l’orientation sexuelle, les antécédents de dépistage, l’âge à la visite initiale, le lieu de naissance, le niveau de scolarité et le revenu annuel.

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Association entre les RAR-VIH et la consommation de substances

Le tableau 4 présente les coefficients d’association entre les RAR-VIH et la consommation de substances lors d’au moins une relation sexuelle avec des partenaires masculins au cours des trois derniers mois. La consommation d’alcool, de cannabis et de poppers a été rapportée par un nombre suffisant de répondants pour estimer également leur prévalence lors de la moitié des relations sexuelles ou plus. Les résultats des modèles de régression montrent que la consommation de substances est associée à une occurrence accrue de RAR-VIH, avec des ratios de cote variant de 2,13 (pour l’alcool) à 10,49 (pour le crystal meth) lorsque les données de la visite initiale étaient considérées. L’exclusion de ces dernières montrait une association significative des RAR-VIH, bien que de moindre ampleur, avec l’occurrence d’au moins la moitié des relations sexuelles lorsqu’avaient été consommés durant la même période de l’alcool et du cannabis, ainsi qu’avec l’occurrence d’au moins une relation sexuelle concomitante avec la consommation de poppers, d’ecstasy/MDMA, de médicaments contre la dysfonction érectile, de cocaïne, de speed ou de kétamine.

Tableau 4

Association des RAR-VIH avec la consommation de substances lors des rapports sexuels avec des partenaires masculins

Association des RAR-VIH avec la consommation de substances lors des rapports sexuels avec des partenaires masculins

Notes. Modèles logistiques à effets aléatoires ajustés pour le temps calendrier, l’orientation sexuelle, les antécédents de dépistage, l’âge, le lieu de naissance, le niveau de scolarité et le revenu. Les modèles pour le LSD, le crack et l’héroïne ne peuvent être estimés ou produisent des résultats non fiables en raison de leur trop faible prévalence.

* p < 0,05, ** p < 0,01, *** p < 0,001, † Estimations non fiables en raison de la trop faible prévalence de consommation de ces substances.

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Discussion

Cette analyse secondaire de données visait à décrire la consommation de substances chez les hommes gbHSH de Montréal ayant fréquenté un service de dépistage rapide du VIH en milieu communautaire entre 2009 et 2016 et à documenter son association avec les RAR-VIH. Dans l’ensemble, un peu plus de la moitié des participants ont rapporté avoir eu au moins un rapport sexuel alors qu’ils avaient consommé de l’alcool, sans égard à la période calendrier considérée. Environ le cinquième des répondants a rapporté avoir eu au moins un rapports sexuel alors qu’ils avaient consommé du cannabis ou des poppers ; entre 4 et 8 %, alors qu’ils avaient consommé de l’ecstasy/MDMA, du speed, des médicaments contre la dysfonction érectile, de la cocaïne, du GHB ou des amphétamines ;1 à 2 % alors qu’ils avaient consommé de la kétamine ou du crystal meth ; et moins de 1 %, du crack, du LSD ou de l’héroïne.

En ce qui concerne les tendances temporelles, il est notable que pour presque toutes les substances étudiées, le premier point d’observation (semestre 2 de l’année 2009) est le plus élevé. Il est possible qu’à son ouverture, Spot ait attiré, en raison notamment de son caractère communautaire, des répondants différents de ceux qui allaient se joindre ultérieurement à l’étude. Il est aussi possible que la prévalence de ces substances ait été effectivement plus élevée à cette période. Les données des enquêtes ARGUS précédentes (2005 et 2008-2009) montraient des prévalences plus élevées que celles observées dans la présente enquête (voir Tableau 5), ce qui peut refléter en partie une composition sociodémographique différente entre les enquêtes ou encore suggérer un véritable déclin dans la consommation de plusieurs substances au cours de cette période. Un tel déclin a aussi été observé chez les gbHSH d’autres pays, notamment en Australie entre 2005 et 2014 (Lea et al., 2016), mais nous ne disposons d’aucune information qui permettrait d’identifier des mécanismes communs à ces différents contextes sociojuridiques.

Tableau 5

Prévalences comparées de la consommation de substances chez les gbHSH lors d’au moins un rapport sexuel au cours des six derniers mois, dans les enquêtes ARGUS 2005 et 2008-2009, et Spot 2009-2016

Prévalences comparées de la consommation de substances chez les gbHSH lors d’au moins un rapport sexuel au cours des six derniers mois, dans les enquêtes ARGUS 2005 et 2008-2009, et Spot 2009-2016

Tableau 5 (suite)

Prévalences comparées de la consommation de substances chez les gbHSH lors d’au moins un rapport sexuel au cours des six derniers mois, dans les enquêtes ARGUS 2005 et 2008-2009, et Spot 2009-2016

Notes.1 Données sur les gbHSH de Montréal (Tremblay et al., 2007) ; 2 Données sur les gbHSH de la province de Québec (Lambert, Cox, Miangotar, et al., 2011).

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Au-delà de cette diminution graduelle, il est intéressant de noter une légère tendance à l’augmentation dans la consommation de plusieurs substances depuis 2012 dans le cas du crystal meth et de 2014-2015 dans les autres substances, sauf pour les médicaments contre la dysfonction érectile et la kétamine. Elle pourrait suggérer une popularité grandissante du chemsex repérée chez les gbHSH dans d’autres pays (Bourne et al., 2015 ; Dolengevich-Segal, Rodriguez-salgado, Bellesteros-Lopez et Molina-Prado, 2017 ; McCall, Adams, Mason et Willis, 2015), mais des données de suivi sont nécessaires pour établir cette possible recrudescence chez les gbHSH montréalais.

Association de la consommation de substances avec les RAR-VIH

Les résultats confirment la cooccurrence des RAR-VIH et de la consommation pour l’ensemble des substances étudiées, en particulier la cocaïne, le GHB, la kétamine et le crystal meth, ainsi que les médicaments contre la dysfonction érectile et les poppers. Utilisées lors des relations sexuelles pour accroître les sensations ou les performances sexuelles, ces substances étaient associées à une occurrence de 2 à 10 fois plus élevée de RAR-VIH dans le présent échantillon. Ces ratios de cote sont plus élevés que ceux rapportés par Otis et al. (2006) chez les gbHSH montréalais pour la période 1997-2003. L’hypothèse la plus plausible pour expliquer cette différence est que la mesure utilisée dans la présente étude portait précisément sur la consommation en contexte de relations sexuelles, alors que la mesure utilisée par Otis et al. (2006) portait sur la consommation de substances en général, sans égard au contexte sexuel. Cette dernière approche a donc pu sous-estimer la relation entre consommation et RAR-VIH. Il reste que la mesure utilisée dans la présente étude ne peut désintriquer la consommation lors des activités sexuelles en général de celle survenant spécifiquement lors des relations anales, ce qui pourrait aussi avoir biaisé l’association observée entre RAR-VIH et consommation. Néanmoins, la consommation de substances chez les hommes gbHSH qui ont des relations anales demeure un bon indicateur de leur propension à s’engager dans des RAR-VIH et, par conséquent, de leur risque d’infection par le VIH, en particulier pour le crystal meth, la kétamine, le GHB, la cocaïne, les poppers et les médicaments contre la dysfonction érectile.

Limites

Ces résultats doivent être interprétés dans le contexte de certaines limites. D’abord, cette étude repose sur un échantillon de convenance avec un fort biais d’autosélection, de sorte qu’il ne peut pas être considéré comme représentatif des hommes gbHSH montréalais. En effet, le recrutement des hommes gbHSH dans un centre de dépistage pourrait biaiser la composition de l’échantillon en faveur d’hommes qui ont pu prendre des risques peu de temps avant leur consultation à Spot, mais qui en avaient une certaine conscience et dont la persistance de l’engagement dans l’étude au-delà de leur visite initiale peut témoigner d’un souci distinctif pour leur santé sexuelle. Ce biais d’autosélection implique aussi que la composition de l’échantillon aux différents temps de mesure peut s’être modifiée entre 2009 et 2016 et avoir contribué aux variations dans les prévalences observées. Pour minimiser ce biais, nous avons inclus des variables d’ajustement dans les analyses multivariées, mais l’ensemble des comparaisons, tant entre les périodes calendrier au sein de Spot qu’entre les études ARGUS et Spot sont susceptibles de souffrir de ce biais.

L’engagement dans une routine régulière de dépistage du VIH accompagnée d’un counseling intensif sur les stratégies de réduction des risques d’infection par le VIH peut avoir participé à une diminution de la consommation de substances des répondants. Dans ce contexte, il est possible que la consommation de substances soit plus élevée chez les hommes gbHSH qui ne sont pas engagés dans une routine de dépistage et que les tendances décrites ici ne s’appliquent pas à eux. L’étude ne permet pas non plus de décrire les patrons de consommation dans le temps des hommes qui ont été perdus de vue aux temps de mesure subséquents.

Par leur caractère autorapporté, les données recueillies sont aussi sujettes à des biais de mémoire dans le rapport des comportements sexuels, potentiellement plus importants chez les répondants qui consomment des substances considérant leurs effets sur la conscience et la mémoire. De ce fait, les données sur les conduites sexuelles concomitantes à la consommation de substances tout comme les comportements de consommation eux-mêmes sont potentiellement biaisées. Néanmoins, pour minimiser les erreurs d’interprétation des questions et les données manquantes, tous les questionnaires de la visite initiale et la majorité des questionnaires de suivi ont été remplis dans le cadre d’une entrevue en face à face avec un travailleur communautaire. Il est aussi possible que les répondants aient volontairement modifié certaines réponses par désirabilité sociale sans que nous puissions en évaluer ici l’impact. Enfin, les questions sur la fréquence de consommation en contexte sexuel ne référant pas strictement aux RAR-VIH, il n’est pas possible d’établir avec certitude une relation temporelle entre les deux phénomènes et la relation statistique observée, de nature corrélationnelle, ne peut être interprétée comme une relation de cause à effet entre la consommation de substance et les RAR-VIH.

Implications pour la recherche et l’intervention

Les données colligées ont permis de documenter la consommation de substances des hommes gbHSH en contexte sexuel et ont révélé de légères variations dans les patrons de consommation entre 2009 et 2016. Toutefois, elles ne permettaient pas d’explorer en détail le profil de consommation des répondants ou d’étudier les liens possibles entre la consommation en contexte sexuel, la toxicomanie ou d’autres problèmes psychosociaux ou de santé. Ces connaissances permettraient d’identifier les hommes gbHSH les plus susceptibles de bénéficier des efforts de prévention et d’intervention. L’exploration des tendances temporelles au sein de divers sous-groupes (d’âge, d’ethnicité ou de trajectoire migratoire, par exemple) pourrait aussi faire émerger des trajectoires distinctives permettant de mieux cibler les groupes à risque et les interventions qui leur sont destinées.

Cette étude réitère aussi la forte association entre la consommation de substances en contexte sexuel et les RAR-VIH, qui restent l’un des facteurs de risque les plus importants de transmission du VIH chez les hommes gbHSH. Ainsi, la prévention du VIH peut prendre appui en partie sur une meilleure gestion de la consommation de substances chez les hommes gbHSH qui permettrait de limiter le relâchement de l’usage du condom lors des rapports sexuels. Toutefois, le contrôle de la consommation de substances chez les hommes gbHSH se heurte à des défis importants. Par exemple, cette consommation est en partie inscrite dans une culture de la socialisation et elle est souvent concomitante à leur fréquentation ou la précède de peu, en particulier dans les lieux qui favorisent la rencontre de partenaires sexuels (bars, saunas, after hours, etc.). Elle peut aussi s’inscrire, pour certains hommes gbHSH, dans une culture de la sexualité et une quête hédonique (Hegazi et al., 2017 ; Sewell et al., 2017) qui accordent une place importante à la recherche de sensations et à l’amplification des performances sexuelles. Elle peut aussi constituer une stratégie d’ajustement face aux difficultés que peuvent rencontrer les hommes gbHSH, en particulier la discrimination basée sur l’orientation sexuelle et diverses difficultés psychosociales ou de santé qui y sont corrélatives (Kerridge et al., 2017). Il est probable que ces différents motifs agissent en synergie et appellent des stratégies de prévention et d’intervention globales et complexes, ciblant non seulement les hommes gbHSH qui consomment ces substances, mais aussi les normes privilégiées au sein des lieux et contextes de socialisation qui soutiennent cette consommation.

Chez les hommes gbHSH qui consomment des substances avant ou pendant leurs rapports sexuels, le recours à la prophylaxie préexposition, une stratégie biomédicale démontrée efficace consistant pour les personnes séronégatives à prendre des antirétroviraux de façon à prévenir l’infection par le VIH (McCormack et al., 2016), pourrait aussi constituer une voie particulièrement prometteuse de prévention du VIH. Pour les hommes dont la consommation est susceptible d’interférer avec la prise adéquate de cette prophylaxie, un counseling soutenu pourrait être souhaitable pour assurer son efficacité et soutenir les efforts de prévention du VIH. Sans nécessairement réduire leur consommation de substances, cette approche pourrait en réduire les conséquences sur leurs risques d’infection par le VIH.