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Introduction. La place du livre numérique au Québec

Dès 2001, dans son portrait économique du livre au Québec, Ménard (2001) rappelait que le marché québécois du livre est plus étroit que les marchés français ou anglo-américains ; il anticipait en outre la plupart des obstacles auxquels le livre numérique (LN) s’est confronté dans son développement, comme la convivialité, la durabilité, les éventuels problèmes d’incompatibilités entre formats et l’accessibilité des contenus et leur conservation (Labrousse et Lapointe, 2021a). Cette même année, l’Observatoire de la Culture et des Communications du Québec (OCCQ) lançait une enquête sur la vente de livres neufs au Québec (Allaire, 2011 ; Labrousse et Lapointe, 2021a). Depuis, l’OCCQ publie également des données sur les ventes de LN. On y voit notamment que le nombre d’exemplaires de LN vendus demeure relativement stable de 2014 à 2016, soit en moyenne 510 162 exemplaires annuellement. On observe ensuite une baisse ; en effet, entre 2017 et 2019, ce sont 405 009 exemplaires qui sont en moyenne vendus annuellement (OCCQ, 2022). L’année 2020, qui marque le début de la pandémie de COVID-19 et la fermeture de plusieurs lieux culturels, est caractérisée par une augmentation majeure des ventes (894 531 exemplaires), engouement qui s’est essoufflé en 2021 (607 710 exemplaires) (OCCQ, 2022).

Parce qu’elles permettent un accès gratuit ou à coût très réduit aux livres, les bibliothèques publiques québécoises jouent un rôle différent de celui des lieux de vente et sont en outre un acteur important de la chaîne du livre :

[E]n 2010, […] elles auront prêté tout près de 53 millions de documents à la population. En 2012, leur nombre atteignait le millier de points de service et elles desservaient plus de 95 % de la population québécoise

Labbé, 2016, 2

Elles se sont donc trouvées aux premières lignes pour constater l’augmentation de l’offre et de la demande de LN, cette dernière ayant accéléré le développement des collections immatérielles (Labbé, 2016). Dans ce contexte, les bibliothèques publiques du Québec et les principaux acteurs du milieu du livre

ont convenu d’un protocole d’entente permettant d’offrir à leurs usagers, via la plateforme collective dédiée www.pretnumerique.ca, le prêt de livres numériques

Labbé, 2016, 2

Cette plateforme, créée en 2011, est opérée par l’organisme à but non lucratif Bibliopresto[1].

Les prêts de livres numériques en bibliothèque ont fait l’objet d’un certain nombre de publications (Ahmad et Brogan, 2012 ; Ahmad et al., 2014 ; Ashcroft, 2002 ; Ashcroft et Fong, 2005 ; BAnQ, 2012 ; Breault et al., 2021 ; Doga et Zerbib, 2017 ; Genco, 2009 ; Giblin et al., 2019 ; Labbé, 2018 ; Lapointe, Pelbois et Luckerhoff, 2021 ; Lemaire, 2021 ; Pelbois, Lapointe et Luckerhoff, 2022 ; Pelbois, Lapointe et Luckerhoff, 2023 ; Polanka, 2013 ; Rojeski, 2012 ; Shiratuddin, 2005 ; Van der Velde et Ernst, 2009 ; Zickuhr et al., 2012), dont une thèse de doctorat intitulée L’achat et l’emprunt de livres au Québec : une analyse communicationnelle, qui visait à mieux comprendre les choix exercés par les lecteurs en ce qui a trait à leurs modes d’approvisionnement en livres (Labbé, 2018). On y apprend notamment que, si les bibliothèques publiques québécoises se sont engagées dans la voie numérique, le coeur de leurs collections ainsi que la majorité des prêts réalisés concernent toujours des livres physiques (LP). On constate par ailleurs que peu de travaux portent spécifiquement sur les personnes qui se tournent vers les LN et les raisons pour lesquelles elles le font, et qu’encore moins portent sur les non-lecteurs de LN (Labrousse et Lapointe, 2021b).

Toutefois, comme l’ont remarqué Labbé et Luckerhoff dans leurs travaux,

les publics des librairies et ceux des bibliothèques sont beaucoup plus composites que les recherches publiées jusqu’à maintenant tendent à le montrer. […] les pratiques de lecture de la population évoluent. L’émergence de l’environnement numérique provoque des changements profonds qui modifient considérablement la perception des institutions et des produits culturels

2018, 467

Ils observent aussi une multiplication des supports de lecture, un éclatement des pratiques en cette matière et un passage du LP au LN qui ne correspond pas nécessairement à des profils types de lecteurs. Leurs travaux permettent en effet de constater que des personnes âgées peuvent préférer le LN alors que des personnes plus jeunes demeurent des emprunteurs de LP, que les livres empruntés soient au format imprimé ou audio sur disque compact (CD). Ils ont ainsi pu saisir « la facilité avec laquelle un individu peut passer d’un mode de consommation à un autre, d’un format de lecture à un autre, selon les contextes ou ses motivations » (468) ; selon eux, « cette flexibilité montre bien à quel point les habitudes de consommation liées au livre sont en mutation, autant du point de vue de l’offre que de la consommation » (id.).

Mieux connaître les emprunteurs de LN à BAnQ

BAnQ a pour mission « d’acquérir, de conserver et de diffuser le patrimoine documentaire québécois ou relatif au Québec[2] ». Cette mission se décline en trois volets : conservation et diffusion du patrimoine, diffusion et promotion du savoir, et les archives. Pour la réaliser, BAnQ s’appuie sur trois piliers : la Grande Bibliothèque, la Bibliothèque nationale et les Archives nationales. La première « offre un accès libre et gratuit à la plus grande collection de livres et de documents en français en Amérique. En tant que bibliothèque publique de tous les Québécois, elle propose également de nombreuses ressources numériques[3] ». La seconde « acquiert, traite et conserve l’ensemble de l’édition québécoise, tout en assurant la mise en valeur des collections patrimoniales qu’elle a constituées au fil du temps[4] ». Finalement, les Archives nationales assurent la conservation d’archives publiques et privées et en facilitent l’accès à travers 10 centres répartis sur tout le territoire québécois, en plus d’encadrer les organismes publics dans la gestion de leurs documents[5] ».

Les ressources auxquelles la carte d’abonné[6] donne accès sont nombreuses : dans les secteurs jeunesse ou adultes, il peut s’agir de livres, de films, de divers supports musicaux, de méthodes d’apprentissage des langues, de revues, de cartes, de jeux vidéo[7]. Dans le cadre de la présente étude, nous nous penchons plus spécifiquement sur les livres, dans un contexte où, motivée par l’intérêt croissant pour le LN et les effets de la pandémie de covid-19, BAnQ a souhaité produire un portrait des emprunteurs de livres numériques, que l’on parle de LN texte ou de livres audionumériques[8].

Cet article vise à mieux cerner l’emprunteur de LN à BAnQ, c’est-à-dire de l’abonné ayant emprunté au moins un LN texte ou audionumérique. Nous nous sommes aussi penchés sur les emprunteurs de LP (imprimé ou audio sur CD) afin de réaliser des comparaisons de profils et de pratiques d’emprunt. Finalement, nous avons ajouté un troisième type d’emprunteurs : ceux qui empruntent des LN et des LP, que nous qualifions d’emprunteurs hybrides.

Les données : sources et types

Les données utilisées dans le cadre de ce projet proviennent de l’entrepôt de données de type Oracle SQL server de BAnQ. Y sont centralisées des données provenant des systèmes sources, soit Portfolio pour les données d’emprunt de BAnQ, Pretnumerique et OverDrive pour les données d’emprunt réalisées sur ces plateformes, et Pivotal pour les données liées aux abonnés. Ces quatre systèmes sources enregistrent automatiquement les mouvements d’emprunts et d’abonnement. Ces données brutes sont ensuite rapatriées dans l’entrepôt. Plusieurs données ont dû être recodées (p.ex. recodage de l’année de naissance pour calculer l’âge) avant que nous puissions procéder à des analyses descriptives. D’autres variables ont été créées car elles n’existent pas en l’état dans l’entrepôt ; c’est notamment le cas des statuts d’emprunteurs[9].

Nos analyses portent sur les données de BAnQ, Pretnumerique et OverDrive :[10]

  • BAnQ, dont les données sont disponibles pour la période 2005-2021 et dont la collection comptait, au 31 mars 2021, 2 941 035 LP et 468 476 LN[11] ;

  • Pretnumerique[12], principale plateforme d’emprunts en ligne de BAnQ, dont les données sont disponibles pour la période 2005-2021. Dans son plus récent rapport annuel, Bibliopresto mentionne qu’

[a]u 31 décembre 2021, les bibliothèques utilisant la plateforme Pretnumerique avaient accès à environ 480 000 titres francophones (dont plus de 51 000 québécois) et à environ 464 000 titres anglophones. Du côté du livre audio [c’est-à-dire le livre audionumérique], c’est maintenant plus de 51 000 titres qui sont disponibles, dont plus de 5 000 en français. Le marché francophone du livre audio est en plein développement et une offre de plus en plus intéressante est offerte aux bibliothèques[13] ;

  • OverDrive[14], dont les données sont disponibles pour la période 2015-2021, deuxième plateforme en importance pour les emprunts de LN réalisés par le biais du catalogue de BAnQ. Selon David Burleigh, directeur du marketing et des communications d’OverDrive, la plateforme propose « des millions » de livres électroniques et « approximativement 400 000 livres audionumériques », mais « tous ne sont pas disponibles à chacune de 76 000 bibliothèques et écoles desservies dans 94 pays ». Il précise que l’entreprise n’est pas en mesure de connaître le nombre total de titres offerts dans la plateforme. Si la plupart sont en anglais, des livres sont également offerts dans d’autres langues, dont l’allemand, le mandarin, le français, le japonais, le russe et l’espagnol[15].

Afin de réaliser des comparaisons, les données analysées couvrent les années 2015 à 2021 inclusivement. Elles sont de trois types :

  • données concernant les abonnés comme l’âge, le sexe et la région habitée ;

  • données sur les emprunts, telles les livres empruntés et la quantité d’emprunts distincts et confondus[16] ;

  • données sur les livres, comme la classification décimale Dewey, le pays d’origine et la langue de l’ouvrage.

Les emprunteurs de livres à BAnQ

Dans le cadre de ce projet, les emprunteurs de livres sont des abonnés de BAnQ. Est considérée comme abonné pour une année donnée entre 2015 et 2021 toute personne dont l’abonnement était actif durant au moins 1 jour[17].

Puisque cette étude se penche spécifiquement sur le livre, l’emprunteur s’y définit comme toute personne qui a fait l’emprunt d’au moins l’un des types de livres suivants au cours des années retenues pour l’étude : LP (imprimé ou audio sur CD) ou LN (texte ou audionumérique)[18]. Les usagers n’ayant pas emprunté de livres mais ayant fait d’autres types d’emprunts n’ont pas été retenus. De même, si un usager a emprunté des livres et d’autres types de documents, seuls ses emprunts de livres sont pris en compte.

Présentation des résultats

Nous présentons ici les principaux résultats de ce projet en débutant par les emprunts de livres puis les types d’emprunteurs (physiques, numériques et hybrides) et leurs caractéristiques avant de terminer par leurs habitudes d’emprunts.

Des emprunts totaux de livres en augmentation… jusqu’à la pandémie

Le nombre d’emprunts total de livres à BAnQ est en constante augmentation : entre 2015 et 2019, le nombre total de livres empruntés est passé de 3 258 612 à 3 717 523. La pandémie de covid-19 semble avoir eu un effet négatif sur les emprunts : en 2020, leur nombre est passé à 2 735 444. Si cette diminution en 2020 est attribuable à la baisse d’emprunts de LP découlant de la fermeture intermittente des lieux culturels, il faut savoir qu’elle était déjà amorcée depuis quelques années. Enfin, alors que le nombre d’emprunts total a augmenté en 2021 (2 853 352) par rapport à l’année précédente, il n’a pas atteint à nouveau le nombre de 2015.

Les emprunts de LP

En 2015, 2 589 461 LP ont été empruntés à BAnQ (figure 1). Le nombre d’emprunts a augmenté jusqu’en 2017, puis a diminué en 2018 et en 2019. En 2020, la baisse a été majeure et la remontée observée en 2021 n’a pas permis de revenir au nombre d’emprunts de 2015.

Figure 1

Nombre de LP empruntés à BAnQ de 2015 à 2021

Nombre de LP empruntés à BAnQ de 2015 à 2021

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Cette diminution est surtout attribuable à la baisse des emprunts de livres imprimés (2 557 418 emprunts en 2015, 1 277 607 en 2021), mais également à celle des livres audio sur CD (32 043 en 2015, 14 586 en 2021). Dans les deux cas, le nombre d’emprunts a diminué de plus de moitié en six ans.

Dans la collection de BAnQ[19], les livres imprimés comptent pour plus de 99 % des LP. En 2015, on comptait 945 465 titres et en 2021, 1 060 600. Quant aux livres audio sur CD, leur nombre est passé de 4 456 en 2015 à 8 139 en 2021.

Les emprunts de LN[20]

Le nombre d’emprunts de LN augmente de manière constante entre 2015 et 2019, passant de 669 151 à 1 201 231 (figure 2). Cette situation n’est pas sans rappeler celle qui se remarque dans certains pays européens (Allemagne, Belgique, France) en ce qui concerne la vente de livres : après un lent décollage, la part de marché a progressé continuellement (Labrousse et Lapointe, 2021a).

Figure 2

Nombre de LN empruntés à BAnQ de 2015 à 2021

Nombre de LN empruntés à BAnQ de 2015 à 2021

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On note toutefois que s’il a fait un bond en 2020, le nombre d’emprunts de LN à BAnQ est redescendu en 2021. Cette augmentation se remarque à la fois pour les LN texte (647 926 emprunts en 2015, 1 529 144 en 2020 et 1 384 830 en 2021) et les livres audionumériques (21 225 emprunts en 2015, 176 329 en 2021). Les livres audionumériques sont le seul type de livre qui a connu une hausse constante, maintenue en 2021. Le nombre de titres disponibles via Pretnumérique et OverDrive a d’ailleurs beaucoup augmenté durant ces années.

Une croissance du nombre d’emprunteurs de livres… avant la pandémie

Le nombre d’emprunteurs de livres à BAnQ a augmenté durant la période à l’étude, et ce jusqu’au début de la pandémie. En 2015, BAnQ comptait 133 113 emprunteurs de livres, nombre qui s’est accru jusqu’en 2019 (figure 3). Nous observons toutefois une baisse importante du nombre total d’emprunteurs en 2020 (128 901) et en 2021 (118 188). Cette baisse est attribuable à la diminution du nombre d’emprunteurs de LP imprimés, qui n’est pas compensée par la hausse du nombre d’emprunteurs de LN et de LP au format audio sur CD.

Figure 3

Nombre de chaque type d’emprunteurs de livres à BAnQ de 2015 à 2021

Nombre de chaque type d’emprunteurs de livres à BAnQ de 2015 à 2021

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Les emprunteurs de LP : de moins en moins nombreux

Les emprunteurs de LP ont emprunté des livres imprimés, audio sur CD ou les deux. En 2015, ils étaient 90 035 et leur nombre a décru d’année en année, jusqu’en 2021. La baisse observée entre 2019 et 2020 est majeure. Elle est attribuable à la diminution des emprunteurs de LP imprimés, qui sont environ 2,5 fois moins nombreux en 2021 qu’en 2015. Le nombre d’emprunteurs de LP audio sur CD est demeuré assez stable de 2015 à 2018 mais, en 2019, il a plus que doublé et se maintient depuis. Nous observons donc un nombre d’emprunteurs physiques à la baisse de manière assez régulière d’une année à l’autre, mais aussi une baisse importante, qui s’est effectuée en 2020. Nous pouvons penser que la pandémie, qui a occasionné la fermeture de plusieurs lieux culturels durant des périodes variables, a accéléré une tendance déjà installée. D’ailleurs, la Grande Bibliothèque a été physiquement fermée aux usagers à partir du 14 mars 2020 ; une réouverture partielle a été faite le 2 juillet, puis une réouverture élargie le 11 août (BAnQ, 2021).

Non seulement le nombre d’emprunteurs de LP a diminué, mais la proportion qu’ils représentent connaît elle aussi une baisse régulière de 3 à 5 points de pourcentage par année de 2015 à 2019. En 2020, cette baisse se montre majeure : alors que les emprunteurs physiques représentaient 52 % du total des emprunteurs de livres en 2019, cette proportion est passée à 29 % en 2020, puis est remontée à 30 % en 2021. Cette tendance s’explique par la diminution du nombre d’emprunteurs physiques, mais également par l’augmentation croissante du nombre d’emprunteurs de LN. Bien que la grande majorité des emprunteurs de LP se tournent vers le format papier, la proportion d’emprunteurs de livres audio sur CD, quoiqu’encore marginale, croît de manière continue.

Les emprunteurs numériques : en pleine augmentation et mouvance

Rappelons qu’un emprunteur dit numérique doit avoir emprunté au moins un LN texte et/ou au moins un livre audionumérique. Le nombre d’emprunteurs numériques a plus que doublé entre 2015 et 2021 (Figure 3). Bien que leur nombre ait bondi en 2020, la tendance à la hausse était déjà bien installée avant cette année charnière ; elle s’observe autant dans l’emprunt de LN texte et de livres audionumériques que dans l’emprunt des deux types de livres numériques à la fois.

La baisse constante de la proportion d’emprunteurs de LP s’est faite au profit des emprunteurs de LN : à peu de points de pourcentage près, la baisse de la proportion des premiers correspond à une augmentation de la proportion des seconds, qui représentaient 23,6 % des emprunteurs en 2015, puis 36 % en 2019. En 2020, leur proportion a grimpé à 59 %, puis à 60,7 % en 2021. Bien que la baisse dans un cas et l’augmentation dans l’autre aient connu une variation marquée en 2020, les tendances étaient déjà installées avant cette année.

En 2015, nous observons que, parmi les emprunteurs de LN, la très grande majorité, soit 93,4 %, empruntaient uniquement ce type de livres ; en 2021, cette proportion est de 73,6 %. La proportion de personnes empruntant à la fois des LN texte et des livres audionumériques est en croissance constante, passant de 6,1 % en 2015 à 24,1 % en 2021. Nous voyons donc une migration marquée de la lecture numérique au format texte vers une hybridité texte-audio chez les emprunteurs de LN, alors qu’une telle hybridité entre le livre imprimé et le livre audio sur CD ne s’observe pas chez les emprunteurs de LP.

Les emprunteurs hybrides : peu importe le support

Pour compléter le portrait des emprunteurs de livres à BAnQ, nous avons brossé celui des emprunteurs ayant réalisé des emprunts de livres physiques et numériques, que nous qualifions d’emprunteurs hybrides. Alors qu’ils étaient 11 631 en 2015, leur nombre a augmenté à 16 738 en 2019, avant de redescendre (figure 3). Bon an mal an, ils représentent entre 9 et 12 % des emprunteurs. Toutefois, nous remarquons que la place prise par le livre dématérialisé dans cette hybridité a cru légèrement mais constamment de 2015 (23,7 %) à 2019 (27,6 %). Alors que la place occupée par le numérique était de 35,2 % en 2020, elle est redescendue à 31,2 % en 2021. Cette tendance était amorcée depuis quelques années et semble avoir été accélérée par la pandémie et ses conséquences, comme la fermeture physique de lieux culturels.

Des emprunteurs de livres dans la fleur de l’âge

Les emprunteurs ont été regroupés en 10 groupes d’âge[21]. Au fil des ans, les 25-34 ans et les 35-44 ans représentent une part plus grande d’emprunteurs. En 2021, ils en forment plus du tiers (37,4 %). La plus grande part des emprunteurs est dans la fleur de l’âge, ayant entre 18 et 64 ans. La proportion d’emprunteurs très jeunes est en diminution, tandis que celle des personnes plus âgées augmente (Figure 4).

Figure 4

Proportion de l’ensemble des emprunteurs selon les groupes d’âge de 2015 à 2021 et comparaison avec la répartition de ces groupes dans la population du Québec en 2021

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Afin de vérifier si cette répartition des emprunteurs selon l’âge correspond à la répartition dans la population québécoise en général, nous avons comparé la proportion des emprunteurs appartenant aux différents groupes d’âge à celle que ces personnes représentent dans la population générale en 2021 (figure 4). Les personnes mineures, celles âgées de 55 à 64 ans et de 75 ans et plus sont sous-représentées (de manière plus marquée pour les 0-14 ans). Toutefois, les emprunteurs des autres groupes d’âge sont surreprésentés par rapport à la population générale, ce phénomène étant plus marqué chez les 25-34, 35-44 et 65-74 ans.

En général, la moyenne d’âge des emprunteurs augmente de manière constante à chaque année (39,9 ans en 2015, 45 en 2021). Cette augmentation est surtout attribuable aux emprunteurs de livres physiques : leur moyenne d’âge était de 36,3 ans en 2015 et de 41,6 ans en 2021. L’âge moyen des emprunteurs numériques est le seul chez lequel on observe une tendance à la baisse (51,3 ans en 2015, 47 en 2021). Quant à l’âge moyen des emprunteurs hybrides, il se maintient autour de 40 à 41 ans durant la période étudiée.

Vers un écart plus marqué entre le nombre d’emprunteurs et d’emprunteuses ?

Les femmes sont plus nombreuses que les hommes à emprunter des livres ; de 2015 à 2019, leur nombre est passé de 77 648 à 84 692. Il a ensuite décru (80 347 en 2020, 74 086 en 2021). Le nombre d’hommes qui empruntent des livres a aussi augmenté entre 2015 et 2019 (54 079 à 56 890), avant de subir une première baisse en 2020 (47 466) et une autre en 2021 (42 696).

Les variations dans le nombre d’emprunteurs ont eu des répercussions sur la représentation des hommes et des femmes parmi ceux-ci. BAnQ compte une plus grande proportion de femmes qui empruntent des livres, mais entre 2015 et 2021, l’écart se creuse. Tous types de livres confondus, la proportion que représentent les hommes parmi les emprunteurs se retrouve désormais sous la barre des 40 % (figure 5).

Figure 5

Proportion des emprunteurs de livres à BAnQ selon le sexe en 2015 et 2021

Proportion des emprunteurs de livres à BAnQ selon le sexe en 2015 et 2021

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On observe une plus grande proportion de femmes, et ce, peu importe les types d’emprunteurs. Toutefois, la différence est moins grande entre les deux sexes chez les emprunteurs de LP. Les résultats montrent même une légère réduction de l’écart en 2020. Chez les emprunteurs numériques et hybrides, les écarts entre les hommes et les femmes sont marqués. La proportion de femmes emprunteuses de LN avoisine les 70 % et celle des emprunteuses hybrides, les 60 %.

Nous remarquons également des ressemblances et des différences entre les sexes et les profils d’emprunteurs au regard du nombre d’emprunts. Le nombre d’emprunts de LP papier et audio sur CD effectués par des femmes a été en diminution constante entre 2015 et 2020, année lors de laquelle une baisse marquée est observée, avant de remonter en 2021. Quant au nombre d’emprunts de LP papier et audio sur CD réalisés par des hommes, il a augmenté en 2016 avant de descendre jusqu’en 2020 et de remonter en 2021. Alors que les femmes ont toujours emprunté un plus grand nombre de LP que les hommes depuis 2015, ce n’est plus le cas en 2020 et en 2021 ; durant ces deux années, les hommes empruntent un plus grand nombre de LP (environ 4 000 de plus en 2020 et 6 000 en 2021). En outre, les hommes empruntent en moyenne plus de LP que les femmes, soit 15,4 contre 13,3 en 2021, l’écart se montrant du même ordre entre 2015 et 2021. Ainsi, bien que les hommes soient moins nombreux que les femmes en nombre et en proportion à emprunter des LP, ils en empruntent plus au total et en moyenne.

En tant qu’emprunteurs numériques, les hommes et les femmes suivent une même tendance, c’est-à-dire que leur nombre est en constante augmentation depuis 2015 et qu’il a légèrement diminué en 2021. Un bond est noté en 2020, mais dans ce cas également, la tendance à la hausse était déjà bien installée avant le début de la pandémie. Toutefois, les femmes empruntent nettement plus de titres numériques que les hommes. La part de leurs emprunts se situe autour de 73 % au fil des ans. Elles empruntent aussi plus de LN en moyenne que les hommes. Par exemple, en 2021, leur moyenne était de 17,6 et celle des hommes, de 14,1.

Comme c’est le cas des emprunteurs numériques, les emprunteurs hybrides, tant hommes que femmes, suivent une même tendance en ce qui a trait à leurs emprunts (augmentation jusqu’en 2019, puis baisse en 2020 et 2021) et la part des emprunts réalisés par des femmes y est plus élevée que celle des hommes (environ 61 % contre 39 % durant la période à l’étude). Cela dit, les emprunteurs hybrides, hommes et femmes, empruntent en moyenne un nombre similaire d’ouvrages au fil des ans, soit autour d’une trentaine, exception faite de 2020, alors que le nombre moyen était à la baisse (26,7 chez les femmes, 25,1 chez les hommes). L’ordre de grandeur se montrait tout de même encore similaire entre les hommes et les femmes.

La répartition des emprunteurs sur le territoire

La Grande Bibliothèque étant située à Montréal et les emprunts physiques nécessitant une certaine proximité géographique, la plus grande proportion d’emprunteurs, tous types confondus, habitent cette région. Toutefois, leur proportion diminue à chaque année. Alors qu’ils comptaient pour presque les deux tiers des emprunteurs en 2015 (65,3 %), six ans plus tard, ils comptent pour la moitié (50,4 %). De manière générale, nous notons dans plusieurs régions autres que Montréal une augmentation légère mais constante des emprunteurs jusqu’en 2021, année où une diminution est constatée.

Nous avons voulu vérifier si la proportion d’emprunteurs de livres à BAnQ se compare à la répartition de la population dans les différentes régions du Québec. Dans la majorité des cas, nous avons observé que la proportion d’emprunteurs dans une région y est inférieure à la proportion qu’elle représente dans l’ensemble du Québec (figure 6). En Montérégie toutefois, les proportions sont sensiblement les mêmes et, à Montréal, elles sont nettement supérieures.

Figure 6

Proportion des emprunteurs de livres à BAnQ de 2015 à 2021 et comparaison avec la répartition de la population québécoise en 2021

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Quels genres de livres empruntent-ils?

Le système de classification Dewey répartit les connaissances en 10 grandes classes, 100 divisions, 1000 sections et plusieurs sous-sections[22]. Ce système renseigne sur la nature des ouvrages empruntés. BAnQ dispose des données sur les 10 grandes classes et les 100 divisions[23].

Les tendances observées dans les types de livres empruntés sont assez stables, autant pour le LP que le LN, c’est-à-dire que la proportion de chaque classe de livres empruntés demeure sensiblement la même dans le temps. En outre, autant pour le LN que pour le LP, la classe 800 (Littérature) occupe la plus grande part, bien que la taille de cette dernière varie (entre 38,8 % et 40,8 % pour les années à l’étude) ; c’est également cette classe qui compte le plus de titres dans la collection de BAnQ (255 544 livres en 2015, 297 795 en 2021, soit 26 à 28 % de la collection physique de BAnQ). Les emprunts d’ouvrages littéraires sont donc plus importants que la part qu’ils représentent au sein de la collection. En ce qui a trait aux LN appartenant à la classe 800, leur part parmi les emprunts est importante et oscille autour de 69 % pour la période étudiée ; 31 % des emprunts de LN se répartissent donc dans les neuf autres classes, ce qui leur confère des parts limitées. Ainsi, bien que la majorité des emprunts se réalisent dans la classe 800, nous notons que la proportion d’emprunts de LN pour cette classe est plus élevée que pour les LP.

Nos résultats montrent également que les emprunts de LP classés 700 (Arts et loisirs : 17,3 %), 600 (Technologie : 10,4 %) et 300 (Sciences sociales : 8,7 %) sont les plus importants ; ces trois classes représentent respectivement 11,1 %, 11,0 % et 13,0 % de la collection de LP de BAnQ en 2021. Parmi les emprunts de LN, la classe 800 (69,0 %) est suivie par les classes 600 (8,0 %) et 300 (6,5 %), puis, pratiquement à égalité, par les classes 900 (4,8 % ; Histoire et géographie) et 100 (4,7 % ; Philosophie et psychologie).

Empruntent-ils beaucoup ?

Pour mieux comprendre les particularités des emprunteurs physiques, des emprunteurs numériques et des emprunteurs hybrides, nous nous sommes intéressés au nombre de titres empruntés afin de voir si des différences sont perceptibles entre les types d’emprunteurs.

Nous avons calculé la moyenne de livres empruntés selon les types d’emprunteurs. Alors que, durant la période à l’étude, les emprunteurs physiques et numériques empruntent un nombre moyen de livres similaire à l’exception de 2020, les emprunteurs hybrides se démarquent : le nombre moyen de leurs emprunts correspond au double de celui des autres types d’emprunteurs (figure 7).

Figure 7

Nombre moyen des emprunts de livres selon les types d’emprunteurs et au total de 2015 à 2021

Nombre moyen des emprunts de livres selon les types d’emprunteurs et au total de 2015 à 2021

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Les analyses ont aussi révélé que 25 % des emprunteurs de LP et 35 % des emprunteurs de LN font généralement un à deux emprunts par an. La tendance est différente chez les emprunteurs hybrides. La proportion de ceux qui empruntent un à deux livres par an est marginale : elle varie entre 3,3 et 4,5 % selon les années à l’étude tandis qu’entre 21,1 et 23,4 % d’entre eux empruntent entre 11 et 20 livres par an, et qu’entre 38,5 et 44,3 % font 21 emprunts et plus durant cette même période.

Les résultats montrent également que les emprunteurs de LP font, en moyenne, un emprunt tous les trois mois, alors que les emprunteurs de LN réalisent un emprunt tous les quatre mois[24]. Quant aux emprunteurs hybrides, en plus d’emprunter beaucoup, ils empruntent régulièrement : en moyenne une fois tous les deux mois.

La langue des ouvrages physiques et numériques empruntés[25]

Nous observons des disparités dans la langue des ouvrages empruntés, selon qu’ils se présentent sous un format physique ou numérique et selon la plateforme d’emprunt. La majorité des LP empruntés sont en français, cette proportion croissant légèrement depuis 2015 (69,9 %, contre 73,0 % en 2021). Dans la collection de LP de BAnQ, la majorité des titres sont en français (733 753 en 2015, 818 207 en 2021), la proportion se maintenant autour de 76-77 %. Le nombre de titres en anglais a aussi augmenté (188 182 en 2015, 223 324 en 2021), mais la proportion est stable. Quant aux livres dans une autre langue, leur nombre et leur proportion se sont maintenus tout au long de la période à l’étude.

Des tendances contraires s’expriment dans les plateformes Pretnumerique et OverDrive : entre 2015 et 2021, plus de 99 % des ouvrages empruntés par les abonnés de BAnQ par le biais de Pretnumerique sont en français et plus de 99 % des ouvrages empruntés dans OverDrive sont en anglais, ce qui concorde avec la langue des ouvrages disponibles aux abonnés de BAnQ sur ces plateformes. En date du 8 juillet 2022, 114 053 LN texte sur les 117 952 offerts par le biais de Pretnumerique étaient en français (soit 96,6 % des titres), alors que 3 187 livres audionumériques sur 3 192 étaient en français (99,8 %). En ce qui a trait à OverDrive, 26 092 LN texte sur 27 983 étaient en anglais (93 %) et pratiquement tous les livres audionumériques étaient offerts dans cette langue, soit 8 327 titres sur 8 341 (99,8 %).

Bien que les emprunts se concentrent majoritairement sur les ouvrages en français, nous observons des différences entre les emprunteurs physiques et hybrides, d’une part, et les emprunteurs numériques de l’autre. Les emprunts des emprunteurs physiques et hybrides sont constitués, en moyenne, d’environ 67 à 70 % d’ouvrages en français et d’environ 26 à 30 % d’ouvrages en anglais, cette tendance se montrant stable au cours des années à l’étude. Les emprunts des emprunteurs numériques sont aussi majoritairement constitués, en moyenne, d’ouvrages en français (75,1% en 2015, 69,5% en 2021), bien que leur part diminue au profit des ouvrages en anglais (24,7% en 2015, 30,3% en 2021).

Quel intérêt pour les livres québécois ?

Nous avons voulu déterminer si les livres empruntés provenaient de différents endroits dans le monde et si les emprunteurs avaient des préférences à l’égard de la provenance géographique. Nous avons ainsi tenu compte des territoires dont sont issues les maisons d’édition des ouvrages empruntés pour en retenir les principaux : Québec, France, Canada hors Québec, Royaume-Uni (R.‑U.) et États-Unis (É.‑U.).

Nous observons que les habitudes sont différentes selon que les emprunts sont uniquement physiques, uniquement numériques ou hybrides[26]. Au cours des six années à l’étude, les emprunts des emprunteurs physiques sont le plus souvent français (les proportions se situent autour de 46-47 % selon les années) ; ils proviennent par la suite du R.‑U. et des É.‑U. (environ 23 %). Dans la collection de LP de BAnQ, les livres publiés par des maisons d’édition situées en France comptent pour environ 39 % de la collection disponibles entre 2015 et 2021 et les livres édités aux É.‑U. et au R.‑U. comptent pour 12 à 13 %. Par rapport à la part qu’ils occupent dans la collection, les livres du R.‑U. et des É.‑U. anglais/américains sont beaucoup empruntés. Les LP édités au Québec arrivent en troisième place et représentent, en moyenne, entre 16 et 18,7 % des emprunts physiques, alors qu’ils représentent environ 36-37 % de la collection entre 2015 et 2021[27]. Cette tendance est relativement stable dans le temps.

Les emprunts des emprunteurs numériques sont surtout québécois. Toutefois, la part du Québec diminue d’année en année (59,1 % en 2015, 41,9 % en 2021), cette diminution étant principalement attribuable à la hausse des emprunts d’ouvrages édités en France (21,6 % en 2015, 32,3 % en 2021) de même qu’au R.‑U. et aux É.‑U. (16,2 % en 2015, 21 % en 2021).

Comme c’est le cas pour les emprunteurs physiques, la provenance des livres des emprunteurs hybrides est majoritairement française (40,5 % en 2015, 43,4 % en 2021). Les emprunts d’ouvrages édités au Québec, d’un côté, puis aux É.‑U. et au R.‑U. de l’autre se disputent la deuxième place ; chacune de ces catégories compte, bon an mal an, pour près du quart des emprunts.

Conclusion

Cette analyse a permis de faire ressortir les caractéristiques de trois profils d’emprunteurs. Les emprunteurs de LP (imprimé et audio sur CD), dont le nombre diminue d’année en année, composent le profil comptant le moins de différences entre les femmes et les hommes, et ce, autant en termes de nombre d’emprunteurs que de nombre d’emprunts. La moyenne d’âge des emprunteurs appartenant à ce profil augmente à chaque année et, par rapport aux emprunteurs de LN, leurs emprunts sont plus variés. Le quart sont de petits emprunteurs (un à deux emprunts par an).

Les emprunteurs numériques, soit ceux qui n’empruntent que des LN texte et des livres audionumériques, ont vu leur nombre augmenter de manière accélérée avec la pandémie ; il en va de même du nombre de leurs emprunts. Il s’agit du profil présentant la moyenne d’âge la plus élevée, mais elle baisse au fil des ans. La part occupée par les ouvrages édités au Québec arrive en première place dans leur panier d’emprunts – alors que ce sont les ouvrages français qui prédominent dans les paniers des emprunteurs physiques et hybrides – mais on y observe une tendance à la baisse. Les femmes sont plus nombreuses parmi ce groupe et elles empruntent davantage d’ouvrages que les hommes. Comme c’est le cas des emprunteurs de LP, les emprunteurs numériques comptent une part plus grande de petits emprunteurs (35 %).

Nous retrouvons finalement les emprunteurs hybrides, dont le nombre est relativement stable au fil des ans. Ils forment un noyau dur et constant de grands emprunteurs et leurs emprunts se réalisent de manière régulière. Si ce profil compte une majorité de femmes, en moyenne, les hommes et les femmes empruntent le même nombre de livres et, en moyenne toujours, ils empruntent environ deux fois plus de titres que les emprunteurs physiques et numériques. Ils comptent une proportion marginale de petits emprunteurs, et la plupart d’entre eux empruntent plus de 11 livres par an. On remarque en outre que la part du numérique croît dans la totalité de leurs emprunts ; ainsi, ils ne sont pas sans rappeler l’éclectisme et l’omnivorisme : « en accroissant considérablement le nombre de produits culturels accessibles et en démultipliant les modes de consommation, la révolution numérique accélère le développement de l’éclectisme (Donnat, 1994) ou de l’omnivorisme (Peterson et Kern, 1996), tendance à l’oeuvre depuis la fin du XXe siècle. D’autant qu’à l’accroissement numérique de l’offre s’ajoute une hybridation marquée, qui se traduit par des effets de transfert d’un support à l’autre, un chaînage culturel » (Octobre, 2009, 4).

Cet omnivorisme a été étudié spécifiquement en bibliothèque :

la montée de l’éclectisme des pratiques culturelles et de l’omnivorisme culturel (Peterson, 2004) a nécessité la diversification des offres en bibliothèques, afin de satisfaire les attentes des publics voire de les devancer et de les stimuler. Après la musique, la vidéo, les cd-rom et internet, le jeu vidéo, par exemple, prend actuellement place dans les bibliothèques, y compris dans les plus modestes d’entre elles. De ce fait, étudier l’introduction du livre numérique dans les bibliothèques ne peut se faire sans conserver à l’esprit les voies empruntées par ces institutions culturelles au fil des décennies pour construire de nouvelles offres et favoriser (ou s’adapter à) de nouveaux usages

Zerbib, 2014, 93

Plusieurs études en culture font ressortir un profil similaire d’omnivore ou d’éclectique culturel (Donnat, 1994 ; Ollivier et Gauthier, 2007). Au Québec, pensons à Rosaire Garon (MCCQ, 2004), qui a identifié différents profils de consommateurs culturels à partir des données des enquêtes sur les pratiques culturelles.

Ce travail d’analyse a aussi permis de formuler certains constats. On note d’abord une progression du nombre d’emprunteurs de livres et d’emprunts à BAnQ. Bien entendu, la pandémie de covid-19, en entraînant la fermeture de plusieurs lieux culturels, dont la Grande Bibliothèque, a changé la donne. Il faudra toutefois observer, avec les analyses des années 2022 et suivantes, dans quelle mesure les changements ou l’accélération des tendances auront été durables.

Nous avons aussi observé que, même si les habitants de la région de Montréal sont moins nombreux qu’avant à emprunter les livres mis à disposition par BAnQ, la couverture territoriale hors Montréal semble en légère progression de manière générale.

La diminution du nombre d’emprunteurs et d’emprunts de LP (imprimé et audio sur CD) et l’augmentation du nombre d’emprunteurs et d’emprunts de LN (texte et audionumériques) soulèvent certains enjeux, tels l’avenir du LP, la part du livre édité au Québec parmi les emprunts de même que sa découvrabilité. Cette tendance pose aussi la question de la diversité des livres empruntés, car nous avons vu que le panier des emprunteurs de LP est plus varié que celui des emprunteurs de LN. Avec la montée des emprunts numériques, les différences entre les hommes et les femmes, en termes de nombre d’emprunteurs et d’emprunts, soulèvent à nouveau la question de la féminisation des pratiques (Donnat, 2005).

Il serait souhaitable, au cours des prochaines années, de suivre la progression de ces tendances et d’initier des études qualitatives visant à mieux comprendre : les raisons de procéder à un emprunt physique ou numérique ; la manière d’emprunter un LP ou un LN ; celle dont se fait la transition de l’emprunt majoritairement physique vers l’emprunt numérique, de plus en plus important. Il serait en outre pertinent de cerner, d’une part, les raisons pouvant expliquer le délaissement du livre édité par des maisons ayant pignon sur rue au Québec dans les emprunts réalisés par certains emprunteurs, et, d’autre part, les raisons qui expliqueraient la moins grande diversité des emprunts au format numérique.