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Introduction

En février 2015, le programme de maîtrise de l’École de bibliothéconomie et des sciences de l’information (EBSI) de l’Université de Montréal a reçu la prolongation de l’agrément accordé par l’American Library Association (ALA) jusqu’en 2021. Il s’agit du septième agrément consécutif obtenu depuis 1969 par l’EBSI pour son programme de maîtrise. La reconnaissance de l’ALA permet d’attester de la qualité du programme de maîtrise de l’EBSI. La plupart des employeurs nord-américains dans les bibliothèques, les centres d’archives et les autres milieux qui embauchent des professionnels de l’information exigent, pour les postes de niveau professionnel, un diplôme de maîtrise délivré par une institution agréée par l’ALA.

L’agrément constitue pour l’EBSI une étape fondamentale, qui confirme l’École en tant que formateur d’excellence en sciences de l’information au Canada. Dès l’intégration de l’École de bibliothéconomie à l’Université de Montréal en 1961, l’obtention de « l’agrément de l’American Library Association (ALA) était [établi comme] un objectif capital » (Lajeunesse 1987, 5) et elle continue de l’être aujourd’hui, plus de 50 ans plus tard.

Cet article présente les tenants et les aboutissants du processus d’agrément de l’ALA[1] et en explique l’importance tant pour l’EBSI que pour les milieux professionnels et les diplômés. Dans notre domaine, il est essentiel de savoir ce qu’est l’agrément, pourquoi il revêt une si grande importance et comment il influence la formation professionnelle. Cet article devrait intéresser tant les formateurs que les étudiants – anciens, actuels ou futurs – de la maîtrise en BSI, ainsi que les employeurs susceptibles d’embaucher les diplômés de ce programme.

Qu’est-ce qu’un agrément?

Dans le milieu de l’enseignement supérieur, l’agrément est défini comme un processus collégial basé sur l’autoévaluation et l’évaluation par les pairs ayant pour but l’amélioration de la qualité de la formation générale et la consolidation de l’imputabilité des établissements d’enseignement envers le public. C’est en ces termes que le Council for Higher Education Accreditation définit cet exercice (CHEA 2010, 17). L’agrément est un moyen d’assurer que les institutions d’enseignement supérieur et leurs unités, écoles, ou programmes, sont conformes aux normes de qualité et d’intégrité propres à leur domaine. L’agrément est donc une reconnaissance officielle émanant d’une autorité reconnue (en général un ordre ou une association professionnelle) attestant qu’un programme de formation ainsi que l’institution responsable de sa mise en oeuvre satisfont aux exigences requises pour la formation de professionnels dans un domaine spécifique.

Le processus d’agrément est utilisé dans maints domaines de formation professionnelle tels le droit, la médecine et plusieurs autres, et il existe depuis plusieurs décennies dans le domaine de la formation en bibliothéconomie. L’agrément est un système non gouvernemental d’évaluation volontaire. Il est à la fois un processus et un statut. Le processus implique l’évaluation de la qualité de la formation et l’amélioration continue des activités liées à l’enseignement à l’aide de normes spécifiques. Le statut fournit à l’institution un titre de compétence indiquant que ses programmes de formation sont conformes aux normes établies par les associations professionnelles et qu’ils sont adéquatement bâtis pour qu’elle remplisse son engagement d’offrir une éducation de qualité.

L’agrément de l’ALA

Fondée en 1876, l’ALA évalue les programmes de formation des bibliothécaires depuis 1924. De nos jours, le Committee on Accreditation (COA) de l’ALA – un comité permanent responsable du programme d’agrément – agrée les programmes de maîtrise en BSI qui répondent aux normes de qualité et d’intégrité énoncées dans les Standards for Accreditation of Master’s Programs in Library and Information Studies. Ces normes, rédigées par le COA, sont réévaluées et mises à jour régulièrement. La dernière version des Standards ALA a été approuvée en février 2015[2]. L’ALA agrée actuellement 64 programmes de maîtrise offerts par 51 universités et collèges aux États-Unis (incluant Puerto Rico)[3] et par huit universités canadiennes (ALA-OA 2015).

Un agrément de programme et non une certification professionnelle

Les professions utilisent deux moyens principaux pour assurer le contrôle de la qualité de la formation : l’agrément des programmes et la certification des professionnels. Ces deux procédés sont liés, mais restent distincts :

« L’agrément est le processus d’examen des programmes éducatifs qui préparent les personnes pour l’entrée dans la profession, attestant que les programmes répondent à certaines normes prédéterminées et prescrites. » (Goggin 1993, 186, notre traduction) La certification est « le processus par lequel une organisation professionnelle [...] reconnaît une personne qui a réussi certaines exigences prescrites [...] et a démontré certaines aptitudes et compétences, et déclare ces personnes qualifiées pour exercer cette profession »

Goggin 1993, 187, notre traduction

La certification est généralement une démarche volontaire entreprise par les individus pour être reconnus qualifiés en démontrant qu’ils maîtrisent les connaissances de base et possèdent les compétences et les capacités requises pour l’exercice de leur profession. Dans le domaine de la BSI, certaines spécialisations exigent une certification ou même une licence officielle conférant un droit d’exercice; c’est le cas dans certains états des États-Unis pour les bibliothécaires scolaires. Mais en Amérique du Nord, c’est l’agrément des programmes, en l’occurrence celui que délivre l’ALA, qui est historiquement le moyen le plus universellement répandu et reconnu pour assurer le contrôle de qualité requis par la profession. En d’autres termes, l’agrément de l’ALA ne joue pas un rôle de certification des professionnels et ne confère ni ne restreint d’aucune façon le droit d’exercer. L’agrément offre plutôt une assurance que les programmes de formation, et de surcroît les institutions qui en sont responsables, sont conformes aux normes élaborées par le COA.

Le processus d’agrément

La demande d’agrément se fait généralement sur une base volontaire. C’est le cas pour l’agrément de l’ALA. C’est donc l’institution d’enseignement qui demande au bureau d’agrément de l’ALA que son programme de formation soit agréé ou réagréé. Il est à noter que tous les frais reliés à cet exercice sont à la charge de l’institution. Ce processus est une excellente occasion pour une école d’analyser en profondeur ses programmes de formation, de réfléchir à ses orientations futures et de faire connaître à divers publics ses réalisations. Il s’agit d’un moment opportun pour la direction de l’université ou du collège, les diplômés, les employeurs, les étudiants et tous les acteurs de la profession d’évaluer une institution et son programme. Aussi intense, aride et exigeant que le processus puisse être, il est largement apprécié tant pour son effet bénéfique sur l’évolution des programmes de formation que pour sa portée positive sur les normes de qualité auxquelles ceux-ci doivent se conformer (Norton 2012).

Quelles sont les grandes étapes de l’agrément?

L’agrément de l’ALA est normalement accordé pour une période de sept ans. Ensuite, c’est l’institution qui doit demander, si elle le désire, son renouvellement. Environ deux ans avant l’expiration de l’agrément, le bureau d’agrément de l’ALA envoie une note de service afin d’en avertir la direction de l’institution. C’est à ce moment que le processus est réellement enclenché. L’institution doit d’abord confirmer son intention de renouveler l’agrément de son programme de maîtrise et présenter un plan de travail expliquant comment elle procédera à la préparation de l’imposante documentation requise par le bureau. Le bureau fera au besoin quelques suggestions à partir de ce document et l’institution commencera à compiler toutes les données requises pour effectuer le travail d’autoévaluation. L’ensemble de ces données sera annexé à un rapport d’autoévaluation, que l’ALA désigne sous le nom de Plan for Program Presentation (PPP). Dans ce rapport d’autoévaluation, l’institution doit faire la démonstration, preuves à l’appui, qu’elle se conforme aux normes en vigueur, telles que décrites dans les Standards ALA. Les éléments de preuve doivent couvrir tous les points énumérés dans les Standards ALA : la mission de l’institution, la planification stratégique, la gouvernance, le programme de formation (objectifs et curriculum), l’évaluation et la validation des apprentissages, le corps professoral et ses activités de recherche, les clientèles étudiantes et le processus d’admission, ainsi que les ressources financières et matérielles mises à la disposition de l’école ou du département qui demande l’agrément de son programme par son institution d’attache. Le PPP préparé par l’EBSI en 2014 comportait 250 pages de texte, de figures, de tableaux et de graphiques et était accompagné de 114 annexes totalisant plus de 1 000 pages; il faut noter que le rapport d’évaluation et un grand nombre d’annexes devaient être présentées en anglais.

Une version préliminaire du PPP doit être soumise au bureau d’agrément environ six mois avant la date prévue pour le renouvellement de l’agrément. Le bureau émet des commentaires et peut demander des précisions et des informations complémentaires s’il le juge approprié. La version définitive du rapport d’autoévaluation doit être remise au bureau d’agrément environ trois mois avant la date de renouvellement. Un exemplaire imprimé du rapport (excluant les annexes, qui sont en format numérique) doit être remis à chaque membre du COA et à chaque membre du comité visiteur composé de six personnes (External Review Panel (ERP)). Environ six semaines après le dépôt de la version finale du PPP, l’institution reçoit la visite des membres de l’ERP. C’est lors de cette visite, d’une durée de deux à trois jours, que sont examinées sur place les sources de preuve présentées dans le PPP. La visite comprend, outre une tournée des locaux et du campus, plusieurs rencontres avec tous les membres du personnel enseignant et non-enseignant de l’école ou du département, les étudiants, les diplômés, quelques grands employeurs et la direction de l’institution (recteur, vice-recteur(s), doyen(s) et vice-doyen(s) ou leurs représentants). Ces rencontres sont l’occasion pour l’ERP d’obtenir des précisions et des compléments d’information sur certains éléments du rapport d’autoévaluation. Ils amorcent alors la rédaction de leur propre rapport, qu’ils doivent soumettre au COA quelques jours suivant la fin de leur visite. Finalement, le COA prend connaissance du rapport de l’ERP et convoque la direction de l’école ou du département à une entrevue durant le congrès de l’ALA, en janvier ou en juin. Durant cette entrevue, les 12 membres du COA peuvent questionner le directeur de l’école à propos d’éléments moins convaincants ou moins clairs présents dans le rapport d’autoévaluation et au sujet desquels il pourrait subsister des inquiétudes. Quelques jours après l’entrevue, le COA rend sa décision.

Pour combien de temps l’agrément est-il valide?

La durée de l’agrément octroyé par l’ALA est de sept ans, si tout se passe normalement; on parle alors d’agrément « continu ». Ce statut est accordé aux institutions qui ont démontré que leur programme de maîtrise est conforme à l’ensemble des normes énoncées dans les Standards ALA et répond pleinement aux attentes des membres du COA.

Toutefois, s’il juge que certains objectifs des Standards ALA ne sont pas atteints, le COA peut accorder un agrément conditionnel pour une durée de trois ans[4]. Des 59 institutions actuellement agréées par l’ALA, cinq seulement ont, en ce moment, le statut « conditionnel ». Quand l’agrément est conditionnel, le COA indique clairement quels sont les éléments problématiques qui doivent être corrigés. Au terme des trois années, l’institution doit démontrer qu’elle a mis en oeuvre des mesures adéquates pour pallier les éléments jugés problématiques et que ceux-ci ont été corrigés. Si la démonstration est convaincante, le COA retire alors le statut « conditionnel » et accorde l’agrément continu; dans le cas contraire, le COA retire l’agrément. Ceci n’arrive qu’occasionnellement et est sans contredit très dommageable pour une institution et pour la réputation de son programme de formation (Chant 2013).

Qu’est-ce qui pourrait affecter l’agrément d’un programme?

L’obtention de l’agrément continu ne signifie pas pour autant qu’une institution peut se reposer sur ses lauriers, car l’ALA se réserve le droit de révoquer l’agrément à n’importe quel moment si elle le juge nécessaire, par exemple si des changements majeurs surviennent dans la composition du corps enseignant ou dans la situation financière et matérielle de l’institution, ou encore si l’institution modifie profondément sa mission et ses orientations stratégiques. C’est pourquoi les institutions agréées doivent soumettre au bureau d’agrément un rapport statistique annuel fournissant des données sur les admissions, les cohortes d’étudiants, l’aide financière disponible, le corps professoral, les finances et le curriculum. Les institutions agréées fournissent également un rapport narratif biennal qui présente les activités et les orientations stratégiques de l’école ainsi que les modifications apportées aux programmes de formation. Le bureau peut même, à l’occasion, demander des rapports spéciaux pour obtenir des éléments de preuve supplémentaires sur certains points précis des Standards ALA qui nécessiteraient une validation plus étoffée. Ce processus d’évaluation continue assure que la condition d’agrément demeure valide et signifie que le programme répond à un engagement durable de qualité de la formation. Chaque rapport biennal est, tout comme le rapport septennal d’autoévaluation, soumis lors de la demande de réagrément, rédigé en fonction des normes énoncées dans les Standards ALA. Cependant, ce dernier est beaucoup plus détaillé.

Qui est responsable de l’évaluation?

Le bureau d’agrément de l’ALA est responsable de coordonner le travail du COA. Le bureau assure la planification et assume la direction pour la mise en oeuvre du processus d’agrément ou de réagrément d’un programme. Le COA, qui reçoit son mandat du conseil de l’ALA, est constitué de 12 membres, dont deux membres externes n’oeuvrant pas en BSI. Les dix autres membres sont généralement issus des milieux de formation en BSI ou sont des bibliothécaires professionnels ayant à coeur la qualité de la formation de leurs futurs collègues. Le Council for Higher Education Accreditation (CHEA) reconnaît le COA comme l’autorité compétente pour évaluer la qualité des programmes d’études supérieures en BSI. En tant que membre du CHEA, le COA doit se plier à certaines conditions d’adhésion. Par conséquent, certaines des exigences incluses dans les Standards ALA proviennent d’exigences émises par le CHEA (par exemple, la nécessité de rendre publiques les données d’évaluation de programmes).

Des comités externes d’examen (l’ERP), que l’on appelle également « comités visiteurs », sont formés de manière ad hoc pour une période d’environ un an pour l’examen de chacun des programmes de maîtrise dans les institutions qui sollicitent l’agrément. Ces comités sont généralement constitués de trois professeurs et de trois professionnels diplômés d’un programme agréé par l’ALA; pour l’agrément des écoles canadiennes, un septième membre, ayant le statut d’observateur, est nommé par la Canadian Library Association. Ces membres sont recrutés sur une base volontaire et ne reçoivent aucune compensation pécuniaire pour leur travail, outre leurs frais de subsistance durant une visite. Une formation de base leur est donnée lors des congrès de l’ALA. Les membres de l’ERP doivent prendre connaissance du rapport d’autoévaluation préparé par l’institution (le PPP) et faire rapport au COA à la suite de leur visite. Il est à noter que l’ERP n’a aucun pouvoir décisionnel et ne peut même pas émettre quelque recommandation que ce soit au COA. C’est ce dernier qui a l’ultime et pleine responsabilité de prendre la décision concernant l’agrément d’un programme. Cette décision, prise à majorité simple, est rendue en fonction des éléments fournis par l’institution, tels que présentés dans le PPP, et sur la base du rapport de l’ERP. L’institution est alors informée par lettre de la décision.

L’importance et l’utilité de l’agrément

Dans tous les programmes de formation professionnelle agréés, il est essentiel d’établir et de maintenir des normes de qualité afin d’assurer que les diplômés de ces programmes auront reçu une formation adéquate, cohérente et probante au moment de leur entrée dans la profession. L’ALA, la plus ancienne et la plus grande association professionnelle au monde dans notre domaine, agrée les écoles de BSI depuis 1924. L’agrément qu’elle confère aux programmes de formation en BSI est largement reconnu par les employeurs, au Canada, aux États-Unis et même ailleurs dans le monde, comme un label d’excellence, une garantie que les diplômés de ces programmes ont reçu une formation validée par des normes strictes, répondant aux exigences actuelles de la profession.

L’agrément indique que le programme de formation a mené une opération rigoureuse d’autoévaluation et a été évalué par des pairs, et qu’il répond aux exigences établies par le comité d’agrément. Cette reconnaissance atteste que : les standards de qualité sont atteints (et peuvent continuer de l’être) par l’institution ou le programme; le curriculum, les méthodes d’évaluation, les conditions d’admission, le corps professoral, ainsi que les ressources financières et physiques sont adéquats pour répondre aux objectifs de formation du programme, et; l’on peut s’attendre à ce que les étudiants aient rempli les exigences en matière d’acquisition de connaissances et de compétences lors de l’achèvement de leur programme.

Rappelons que, pour les postes de niveau professionnel, un diplôme d’une école agréée par l’ALA est presque toujours une exigence d’embauche réglementaire. Pour les détenteurs d’un diplôme décerné par une institution agréée par l’ALA, l’offre d’emploi est donc élargie tant pour les types que pour les niveaux d’emplois pour lesquels ils sont qualifiés. Les diplômés d’une école agréée bénéficient également d’une mobilité professionnelle accrue puisque leur diplôme est reconnu au Canada et aux États-Unis. Cette reconnaissance nord-américaine est un enjeu majeur pour les écoles canadiennes, car cela leur permet d’attirer bon nombre d’étudiants américains qui verront leur diplôme reconnu à leur retour dans leur pays d’origine. Notons que cette caractéristique est moins importante pour l’EBSI, dont les diplômés sont en majorité des francophones qui désirent pratiquer au Québec.

L’agrément de l’ALA, en plus d’être une marque de conformité à des standards de formation rigoureux, confère à l’institution à laquelle il est accordé un prestige indéniable. Il s’agit d’un label d’excellence qui n’est décerné qu’à un nombre restreint d’institutions. Par l’agrément qu’elle confère aux institutions d’enseignement supérieur qui forment les professionnels, l’ALA reconnaît formellement les formateurs d’excellence dans le domaine de la BSI.