Résumés
Résumé
La pandémie de Covid-19 a bouleversé la vie de nombreux enfants et adolescent∙e∙s ainsi que celle de leurs familles. En plus de devoir faire face à la possibilité de contracter la maladie, beaucoup ont appréhendé la perte d’un proche des suites de la maladie. Leur quotidien a été ébranlé par les mesures sociosanitaires instaurées pour contrer la pandémie, dont la fermeture des écoles, des garderies et des centres de loisirs. Cette période de bouleversements fut aussi porteuse d’opportunités et de remises en question pour les jeunes. Il leur fut nécessaire d’effectuer des apprentissages afin de s’adapter à leur nouvelle réalité. L’objectif de cette enquête était d’explorer comment les apprentissages réalisés par les jeunes Québécois∙e∙s en temps de pandémie ont contribuer à renforcer leur résilience. En mobilisant l’approche basée sur l’enfant, l’étude Réactions a permis de rencontrer 197 enfants et adolescent∙e∙s dans le cadre d’entrevues semi-dirigées. Privilégiant un devis qualitatif longitudinal, les jeunes ont été rencontrés à trois reprises, lors de moments clés de la pandémie. Trois thèmes discutés par les jeunes permettent d’identifier les apprentissages importants réalisés pendant la pandémie, soit : 1) les mécanismes de propagation du virus et les mesures préventives, 2) les stratégies pour s’occuper et favoriser son développement personnel pendant le confinement (ou malgré des mesures sanitaires restrictives) et 3) une prise de conscience de l’importance des relations familiales et sociales de qualité pour son bien-être. Les apprentissages rapportés par les participant∙e∙s rencontré∙e∙s dans le cadre de l’étude Réactions témoignent de la résilience qu’ont su démontrer les jeunes en contexte de pandémie.
Mots-clés :
- résilience,
- apprentissages,
- pandémie,
- enfants et adolescent∙e∙s,
- approche centrée sur l’enfant,
- contexte de crise
Abstract
The Covid-19 pandemic has disrupted the lives of many children and adolescents as well as the lives of their families. In addition to having to face the possibility of contracting the disease, many feared the loss of a loved one to the disease. Their daily lives have been shaken by the social and health measures introduced to counter the pandemic, including the closure of schools, daycares, and leisure centers. This period of upheaval also brought opportunities and challenges for young people. They had to adapt to their new reality. The objective of this study was to explore how the learning outcomes achieved by young Quebecers during the pandemic has contributed to strengthening their resilience. By mobilizing the child-based approach, the Réactions research project made it possible to meet 197 children and adolescents in the context of semi-structured interviews. Favoring a longitudinal qualitative design, young people were met three times, during key moments of the pandemic. Three themes discussed by young people make it possible to identify the important learnings outcomes achieved during the pandemic, namely: 1) the modes of transmission of the virus and preventive measures, 2) strategies for keeping busy and promoting personal development during confinement (or despite restrictive health measures) and 3) an awareness of the importance of quality family and social relationships for one’s well-being. The learning outcomes reported by the participants met as part of the Réactions study demonstrates the resilience that young people have been able to develop in the context of a pandemic.
Keywords:
- resilience,
- learning,
- pandemic,
- children and adolescents,
- child-centered approach,
- crisis context
Corps de l’article
La pandémie de Covid-19 a bouleversé la vie de nombreux enfants et adolescent∙e∙s ainsi que celle de leur famille. Le fonctionnement de presque tous les systèmes sociaux, de santé et d’éducation essentiel au bien-être a été perturbé (ex. : soins de santé, éducation, vie familiale, etc.) (Gayatri et Irawaty, 2021; Prime et coll., 2020). En plus de devoir faire face à la possibilité de contracter la maladie, plusieurs enfants ont vécu le deuil de membres de leur famille ou de leur entourage (Masten et Motti-Stefanidi, 2020). Leur quotidien a aussi été ébranlé par les mesures sociosanitaires instaurées pour contrer la pandémie, dont la fermeture des écoles, des garderies et des centres de loisirs (Ellis et coll., 2020; Jiao et coll., 2020; O’Reilly et coll., 2020). Entre autres, des restrictions empêchaient les enfants de jouer ensemble et les adolescent∙e∙s de se réunir en personne, contribuant ainsi à leur isolement (Masten et Motti-Stefanidi, 2020). Plusieurs jeunes ont d’ailleurs ressenti une panoplie d’émotions négatives telles que la peur, la tristesse et l’inquiétude (Idoiaga Mondragon et coll., 2020). De plus, puisque les enfants sont plus vulnérables à l’influence de leur environnement, certain∙e∙s ont émis l’hypothèse que ces bouleversements auront des effets à long terme sur leur santé à l’âge adulte (Tso et coll., 2020).
Cependant, cette période de bouleversements fut aussi porteuse d’opportunités et de remises en question pour les jeunes. Cet article a comme objectif d’explorer comment les apprentissages réalisés par les jeunes Québécois∙e∙s en temps de pandémie ont contribué à renforcer leur résilience.
La résilience des jeunes
La résilience fait référence aux processus d’adaptation à l’adversité, aux traumatismes et aux tragédies individuelles ou sociétales (Pettoello-Mantovani et coll., 2019). Ainsi, la résilience est définie comme la capacité d’un système à s’adapter avec succès aux défis qui menacent la fonction, la survie ou le développement futur du système (Masten, 2018). Il est communément accepté dans la littérature que la résilience consiste en un équilibre entre des événements stressants et la capacité d’y faire face (Pettoello-Mantovani et coll., 2019). Les réactions positives à des sources importantes de stress, notamment des problèmes familiaux et relationnels, ainsi qu’à des menaces importantes pour la santé constituent ainsi des exemples de résilience (Pettoello-Mantovani et coll., 2019). La résilience se développe donc dans des situations où des ressources, compétences, habilités, forces et possibilités sont nécessaires pour faire face à une situation (Hurley et coll., 2015).
Il est important de souligner que la résilience est un processus multifactoriel qui est issu de l’interaction entre l’individu et son environnement (Anaut, 2005). Par conséquent, la capacité d’un individu à s’adapter aux défis dépend des relations qu’il entretient avec d’autres personnes ainsi que de ses liens avec des systèmes externes à soi (Masten, 2018). Les théoricien∙ne∙s contemporain∙ne∙s de la résilience soulignent qu’elle est un état de fonctionnement qui reflète la constellation de caractéristiques individuelles, de soutiens externes et de facteurs de stress présents à un moment donné plutôt qu’une caractéristique stable des individus (Yule et coll., 2019). D’ailleurs, Richardson (2002) conçoit la résilience comme la mobilisation de processus adaptatifs et d’apprentissages qui permettent à l’individu de retourner à un état d’homéostasie lors de la survenue de stresseurs, ce qui aurait pour effet de renforcer, renouveler ou développer les facteurs de protection de ce dernier.
Les apprentissages réalisés à la suite d’une crise permettent également d’augmenter la résilience, que ce soit en réduisant les impacts de la crise sur le bien-être ou le développement des individus ou en favorisant une gestion plus efficace des impacts futurs de cette crise dans leur vie. (Altintas et Royer, 2009). Un individu résilient aura ainsi recours à des stratégies de protection qui lui permettent de conserver une qualité de vie en temps de crise (Anaut, 2012). Afin d’évaluer la résilience, il est possible de s’intéresser aux tâches et compétences développementales socialement attendues selon l’âge, puisque l’apprentissage de ces compétences faciliterait l’adaptation des jeunes et serait une preuve de résilience lorsqu’elles sont développées en temps d’adversité (Masten, 2014). À cet effet, Suárez-Orozco et ses collègues (2018) proposent que la compétition de différentes tâches développementales précises, déterminées en fonction du groupe d’âge de l’enfant, constitue un indicateur de résilience et d’ajustement psychologique chez l’enfant. En d’autres termes, ces auteur∙e∙s suggère que la réussite d’adaptation peut être déterminée en partie sur la base de résultats obtenus par l’enfant en rapport à des tâches normatives de développement, auxquelles tous les jeunes sont confronté·e·s au cours de leur vie. Ces tâches développementales comprennent, entre autres, le développement d’aptitudes d’autorégulation et d’autocontrôle ainsi que le développement de relations d’attachement positives (Masten, 2014).
Le développement d’aptitudes d’autorégulation et d’autocontrôle regroupe des aptitudes d’autogestion de l’attention, des émotions et des actions (Masten, 2014). Très tôt dans le développement des enfants, la surveillance de leurs comportements, l’établissement de limites et l’apprentissage des règles sociales contribuent à leur adaptation (Masten, 2014). En grandissant, grâce à l’acquisition de nouvelles responsabilités, nous nous attendons à ce que les jeunes soient responsables de leurs actions et émotions et qu’ils et elles développent leur sentiment d’être compétent∙e ainsi que leur agentivité en agissant de façon autonome et en faisant des choix qui exercent une influence sur leur propre vie (Garnier, 2015; Masten, 2014; Montreuil et coll., 2018). En cas d’adversité, ces compétences favorisent la résilience, puisque les jeunes, ayant l’impression qu’ils et elles sont en contrôle et agentifs, sont plus susceptibles d’essayer de surmonter des défis (Masten, 2014). De plus, la capacité de contrôler son attention, ses pensées et ses comportements serait utile pour s’adapter à des situations stressantes ou dangereuses (Masten, 2014). Pour ce qui est du développement de relations d’attachement positives, notamment avec les parents et les ami∙e∙s, cette tâche développementale favoriserait également la résilience chez les jeunes (Masten, 2014). En ce qui concerne spécifiquement le contexte de la pandémie de Covid-19, les relations familiales ont pu promouvoir la résilience grâce à leurs effets positifs dans la vie des membres de la famille (Prime et coll., 2020). À cet effet, la relation parent-enfant peut être considérée comme facteur de protection en cas d’adversité (Masten et Palmer, 2019).
Par ailleurs, la résilience d’une personne n’est pas circonscrite dans le corps et l’esprit de cette personne. Il est possible d’adapter cette définition à plusieurs systèmes. Ainsi, nous parlons parfois de résilience individuelle, familiale, communautaire ou encore, du système de santé (Masten, 2018). De plus, la capacité de résilience change également à mesure que le système (individuel, familial ou communautaire) permet l’acquisition de meilleures capacités d’adaptation (Masten et Motti-Stefanidi, 2020), la résilience étant optimisée lorsque les facteurs de protection sont renforcés à différents niveaux (Benzies et Mychasiuk, 2009).
La théorie de la résilience offre ainsi aux chercheur∙e∙s et aux praticien∙ne∙s un modèle conceptuel pour comprendre comment les enfants et les jeunes surmontent l’adversité et comment ces apprentissages peuvent être utilisés pour optimiser leurs forces (Zolkoskia et Bullockb, 2012). Par ailleurs, chez certains enfants vulnérables, les événements stressants peuvent avoir des effets positifs dans leur vie. En effet, au lieu d’exacerber leur vulnérabilité, leur réponse à ces événements aurait comme effet de renforcer leur résilience (Zolkoskia et Bullockb, 2012).
Cadre conceptuel
L’approche centrée sur l’enfant a servi de cadre pour guider la collecte de donnée auprès des jeunes participant∙e∙s. Cette approche se base sur l’idée que les besoins et le bien-être des enfants doivent être placés au centre de la recherche et guider le choix des questions de recherche, des méthodologies privilégiées ainsi que des techniques d’analyse des données (Côté et coll., 2020; Edmond, 2006). Tout au long du processus de recherche, l’enfant est perçu comme étant un être agentif qui est l’expert de son vécu (Lavoie et coll., 2020; Race et O’Keefe, 2017). Le fait d’avoir son point de vue sur les situations qui le concernent permet de développer des connaissances scientifiques plus représentatives de leurs expériences (Lavoie et coll., 2020; Race et O’Keefe, 2017). Lors de la restitution des données, il est essentiel de tenter de rapporter leurs réalités le plus fidèlement possible, sans que celles-ci soient teintées par les représentations des chercheur∙e∙s (Côté et coll., 2020). Les enfants et adolescent∙e∙s ayant la capacité de porter un regard pertinent et innovant sur le processus de recherche (Côté et coll., 2020), un groupe d’expert∙e∙s constitué de 8 jeunes a notamment été mis en place afin de soutenir l’équipe de chercheures dans la conceptualisation des outils de collectes de données.
Objectif
En mobilisant l’approche centrée sur les enfants, cet article a comme objectif d’explorer comment les apprentissages réalisés par les jeunes Québécois∙e∙s en temps de pandémie ont contribué à renforcer leur résilience. Plus précisément, il vise à répondre aux questions de recherche suivantes :
Quels sont les apprentissages faits par les enfants et les adolescent∙e∙s pendant les premiers mois de la pandémie de la COVID19 ?
Comment ces apprentissages permettent aux jeunes de créer un sens aux contraintes inhérentes à la pandémie et à s’y adapter ?
Méthodologie
Recrutement et échantillon
Cet article a recours aux données du projet Réactions. Le projet Réactions a eu recours à un devis mixte longitudinal de type concomitant avec triangulation et prépondérance qualitative (Creswell et coll., 2011) afin de recueillir le point de vue des jeunes et d’un de leur parent sur les retombées de la COVID19. Pour les fins de cet article, seules les données qualitatives recueillies auprès des enfants ont été mobilisées.
Trois temps de collecte combinant des méthodes qualitatives et quantitatives ont été réalisés entre avril et novembre 2020. La première collecte de données a eu lieu de la fin avril à la mi-mai 2020, période caractérisée par un confinement stricte au Québec. La seconde collecte a eu lieu lors des mesures progressives de déconfinement, c’est-à-dire, à la fin juin et au début juillet 2020. La troisième collecte s’est déroulée de la mi-octobre à la mi-novembre 2020. Il s’agissait du début de la deuxième vague au Québec, accompagnée d’une intensification des mesures sociosanitaires. Trois temps de collecte de données ont été favorisés afin de percevoir si les attitudes et comportements des jeunes avaient évolués pendant la pandémie.
Les participant∙e∙s ont été recruté∙e∙s via les réseaux sociaux (Facebook) et les infolettres d’organismes dédiés à la famille (ex. : Fédération québécoise des organismes communautaires famille). Afin de participer à l’étude, les familles devaient correspondre à trois critères d’inclusion, soit : 1) Avoir au moins un enfant âgé de 7 à 17 ans; 2) Avoir accès à une connexion internet; 3) Être en mesure de comprendre et de s’exprimer en français. L’affiche de recrutement incluait un hyperlien LimeSurvey qui menait à un formulaire de consentement ainsi qu’un questionnaire en ligne sur leur situation générale, leur état de santé, leur fonctionnement et leur bien-être. Les parents intéressé∙e∙s par l’étude étaient invités à remplir ce formulaire. Les parents pouvaient donner leur autorisation pourque l’équipe communique avec leurs enfants afin de réaliser une entrevue à la fin de formulaire. Les membres de l’équipe ont alors contacté ces enfants afin d’obtenir leur consentement à participer à l’étude.
Au total, l’équipe du projet Réactions a rencontré 197 enfants et adolescent∙e∙s dans le cadre d’entrevues semi-dirigées. Lors de la première collecte, 197 jeunes ont été rencontré∙e∙s, soit 121 filles et 76 garçons. Ils et elles sont âgé∙e∙s de 6 à 17 ans (X = 11,08 ans). Au temps de la deuxième collecte, 169 jeunes ont été rencontré∙e∙s, soit 103 filles et 66 garçons âgé∙e∙s de 6 à 17 ans (X = 10,97 ans). Enfin, lors de la troisième collecte de données, 154 jeunes ont été rencontré∙e∙s, soit 95 filles et 59 garçons. Ils et elles sont âgé∙e∙s de 7 à 17 ans (X = 10,99 ans).
Une compensation financière a été offerte aux jeunes participant∙e∙s aux entrevues. Une rétribution d’une valeur de 10$ par entretien a été remise aux jeunes à la fin de leur participation à l’étude et un tirage au sort a permis de distribuer entre les parents quatre cartes cadeaux d’une valeur de 50$ par collecte de données. Le projet a reçu l’approbation au Comité d’éthique de la recherche de l’Université du Québec en Outaouais.
Collecte de données
Toutes les données ont été recueillies par le biais d’entrevues semi-dirigées qui ont été réalisées à distance via les logiciels Zoom et LimeSurvey, étant donné les mesures de distanciation physique. Les entrevues ont duré en moyenne 45 minutes et ont permis d’aborder quatre thèmes : 1) les représentations de la Covid-19 et des mesures de prévention; 2) l’expérience individuelle et familiale de la pandémie; 3) les stratégies d’adaptation et le soutien reçu; et 4) les représentations de l’avenir. Les questions ont d’ailleurs été développées à l’aide des jeunes participant∙e∙s au groupe d’expert∙e∙s (voir le cadre conceptuel pour plus de détails).
Analyses
Une analyse combinée (Tessier, 2012) de notes de terrain et de verbatims a été employée dans le cadre de cette étude. Dans un premier temps, un condensé résumant les propos des participant∙e∙s a été rédigé à la suite de chaque entrevue (N : 192 au T1, 165 au T2 et environ 155 au T3). Par la suite, environ 50% des entrevues ont été transcrites sous forme de verbatim sur la base de la diversité de caractéristiques sociodémographiques des participant∙e∙s (âge, sexe, région), des expériences racontées par les participant∙e∙s, de la richesse et du développement de leur discours ainsi que de l’unicité des entrevues (expériences contrastées). Les condensés des entrevues ayant été transcrites ont été retirés, chaque entrevue étant intégrée aux corpus de données sous la forme d’une transcription ou d’un condensé.
La lecture attentive de six transcriptions, choisies afin de représenter différents temps de mesure ainsi que des enfants d’âges variés, a permis à deux membres de l’équipe d’identifier les thèmes émergeants du discours des enfants et d’élaborer un arbre thématique de façon inductive (Paillé et Mucchielli, 2014). Six autres entrevues choisies au hasard ont ensuite été codifiées dans N’Vivo à partir de cet arbre thématique. Une comparaison d’encodage a permis d’identifier certains recoupements entre les thèmes ainsi que des thèmes manquants. Une rencontre de l’équipe de recherche a permis de raffiner l’arbre thématique et de définir avec précision chacun des thèmes ainsi que ses limites.
L’ensemble du corpus (transcriptions et condensés) a ensuite été codifié dans N’Vivo et soumis à une analyse thématique (Paillé et Mucchielli, 2014). Étant donné l’ampleur du corpus, une stratégie d’expert∙e de code a été privilégiée. Trois équipes ainsi été constituées, chacune regroupant deux assistantes de recherche et une chercheure. Chacune des équipe s’est spécialisée dans deux ou trois thèmes de l’arbre thématique, et a codifié ces thèmes pour l’ensemble des entrevues et condensés. Des comparaisons d’encodage ont été effectuées de façon régulière (environ 10% du corpus) afin de s’assurer d’un bon accord interjuge. Des rencontres régulières regroupant chacune des équipes de codage, et d’autres regroupant l’ensemble des membres de l’équipe impliqués dans la codification, ont permis de discuter de certains thèmes plus complexes à coder et de s’assurer de la cohérence entre les différentes équipes.
Le processus de codification a révélé la richesse du discours des enfants et des adolescent·e·s entourant les apprentissages réalisés depuis le début de la pandémie. Ce thème a donc été soumis à une analyse thématique inductive (Paillé et Mucchielli, 2014), permettant ainsi aux chercheures de mettre en lumière les thèmes centraux du discours des enfants en ce qui concerne les apprentissages réalisés en temps de pandémie, de même que leur importance pour leur adaptation à cette situation exceptionnelle.
Résultats
Trois thèmes ont été générés par les chercheures sur la base du discours des jeunes rencontrés en ce qui a trait aux apprentissages réalisés par les enfants et les adolescent∙e∙s depuis le début de la pandémie. Le premier thème aborde les connaissances acquises en lien avec la pandémie. Le deuxième présente les apprentissages sur soi. Enfin, le troisième thème précise de quelles façons les jeunes ont pris conscience de l’importance des relations de proximité dans leur vie. Les jeunes ont ainsi effectué des apprentissages non seulement au niveau de leurs connaissances, mais aussi des apprentissages de nature intrapersonnelle et interpersonnelle.
Se protéger et protéger les autres
Rapidement après l’arrivée du coronavirus, les jeunes ont dû développer de nouvelles connaissances spécifiquement en raison de la pandémie. Ils et elles ont appris notamment les origines du virus, les façons dont il se propage ainsi que les mesures pour s’en protéger. Dans un premier temps, les enfants et adolescent∙e∙s rencontrés mentionnent que le virus vient de la Chine et qu’il est lié à divers animaux. Au fil des mois ainsi qu’au fur et à mesure que de nouvelles connaissances au sujet du virus émergeaient, les jeunes ont bien intégré le langage présent dans les médias en utilisant des termes comme « vecteurs du virus », les « goulettes qui se promènent dans l’air » ou même « personnes immunosupprimées », comme l’explique Adriana (12 ans)[1] :
J’ai appris que c’était surtout des personnes avec déjà des problèmes pulmonaires ou immunosupprimés qui pouvaient avoir beaucoup de complications pour la COVID. Que ça se transmet par les gouttelettes et que ça reste sur les surfaces solides donc il faut désinfecter beaucoup.
Adriana, 12 ans
Les jeunes semblent aussi bien connaitre les mesures sociosanitaires mises en place : se laver les mains, respecter une distance de deux mètres, désinfecter les objets et surfaces, porter un masque, etc. Une jeune (Ariel, 12 ans) mentionne même écrire des poèmes avec ses ami∙e∙s sur les façons d’éviter la propagation du virus afin de sensibiliser leur entourage. Pour sa part, Sabrina (8 ans) résume ses apprentissages de la façon suivante :
J’ai appris les règles sur la Covid-19. J’ai appris de nouveaux mots à force d’entendre parler de ça à la radio.
Sabrina, 12 ans
De plus, le discours des jeunes démontre qu’ils et elles sont au courant des règles et des mesures mises en place par le gouvernement. Plusieurs jeunes mentionnent également les nombreux changements apportés à ces mesures au fil des mois, notamment concernant la distanciation sociale (passant de 1m au lieu de 2m). Au Québec, un nombre limité de personnes a également été instauré en ce qui a trait aux rassemblements privés et publics. Des resserrements ainsi que des assouplissements de ces mesures ont été observés sur le territoire, en fonction de la propagation du virus ainsi que du nombre de cas observés. La confusion ressentie par la population entourant les changements apportés aux mesures sanitaires a amené le gouvernement à mettre en place un code de couleur pour les régions[2]. Différentes mesures sanitaires ont ainsi été associées à chacune des couleurs du système d’alertes régionales. Dans leurs discours, les enfants et les adolescent∙e∙s rencontré·e·s comprennent les tenants et aboutissements de ce système. Il semble que la simplification des messages sanitaires ainsi que la concentration de ces derniers autour d’un seul axe de communication a favorisé la compréhension et l’apprentissage des mesures par les jeunes.
De plus, les nouvelles connaissances acquises en ce qui a trait l’application des mesures sociosanitaires semblent avoir bien été intégrées par les jeunes de l’étude. En effet, les comportements et les habitudes des jeunes au quotidien ont changé, et ce, au regard de ces apprentissages. Entre autres, certain∙e∙s enfants et adolescent∙e∙s ont réalisé qu’ils et elles avaient l’habitude de garder une proximité physique avec les gens de leur entourage, que ce soit avec leurs proches ou même des individus qu’ils et elles ne connaissent pas très bien. En contexte de pandémie, les jeunes affirment garder dorénavant une distance physique avec toutes les personnes qu’ils et elles côtoient (auteurs, 2022). D’autres jeunes partagent qu’ils et elles font des efforts considérables pour ne pas manipuler des objets de leur environnement inutilement :
Ça va sembler niaiseux, mais maintenant, je prends toujours ma manche pour ouvrir une porte parce que c’est sale. Avant, on s’en foutait un peu. On arrivait de l’école, on ne se lavait pas les mains et on s’en foutait et tout. Mais là, le « purell », on dirait que c’est devenu essentiel. J’en ai besoin pour sentir que je ne suis pas contaminée ou quoique ce soit. Je pense que ça va nous faire réaliser bien des choses.
Lydia, 16 ans
Bref, les jeunes ont développé des connaissances et des comportements de prévention au regard des mécanismes de propagation du virus ainsi que des mesures préventives exposées par les autorités de la santé de l’État, en s’adaptant continuellement au caractère imprévu et changeant de la pandémie.
Le bonheur d’être soi-même
La pandémie de la Covid-19 est rapidement devenue une source de conversation quotidienne; un élément omniprésent dans nos vies qui l’affecte de manière non négligeable. La perte de routine quotidienne, l’isolement et l’incertitude provoqués par cette crise mondiale a amené les enfants et les adolescent∙e∙s à vivre de l’anxiété, de la peur et de la solitude. Certain·e·s jeunes rencontré·e·s dans le cadre de l’étude ont pris conscience de la fragilité de la santé mentale ainsi que de l’importance d’en prendre soin :
J’ai appris que la santé mentale c’est fragile, pis c’est ça, c’est pas mal une des choses que j’ai retenues.
Léon, 14 ans
Depuis le début de la pandémie, de nombreux∙euses professionnel∙le∙s de la santé ainsi que des médias populaires ont fait la promotion de comportements de « self-care », préconisant ainsi l’importance et les bénéfices du fait de prendre soin de soi pour le bien-être mental et physique. Le caractère essentiel de ces comportements d’autosoins a été retrouvé dans le discours des enfants et des adolescent∙e∙s de l’étude. Pour l’une de nos participantes, la pandémie lui a permis notamment de réaliser l’importance de faire de l’activité physique au quotidien ainsi que l’impact positif de cette habitude sur sa personne :
Je ne suis pas quelqu’un de méga énergisée qui a tout le temps besoin de faire quelque chose. Mais là, avec le confinement, je me rendais compte que si je ne faisais rien, je me sentais moins bien. Et aller dehors ou prendre une marche chaque jour me permet de mieux me sentir. C’est comme si j’ai besoin tout le temps de prendre l’air.
Blanche, 12 ans
Les périodes de confinement ont aussi amené les jeunes à avoir énormément de temps libre, mais sans avoir l’opportunité de faire leurs activités habituelles ou de côtoyer leurs ami∙e∙s. Cette période d’arrêt dans leur vie a permis aux jeunes de s’engager davantage dans leurs passe-temps favoris et de réaliser l’importance de prendre davantage soin d’eux-mêmes. Charlie (15 ans) mobilise le terme de « self-care », comme bien d’autres jeunes, pour référer aux divers comportements faits par une personne pour être et rester en santé, ainsi que pour prévenir la maladie :
Je pense plus à m’améliorer moi-même. Je fais plus de self-care, du temps pour moi. J’ai un petit journal pour dessiner tout ça et pour dire les choses que je suis reconnaissante pour. Après, je prends souvent du temps pour prendre soin de ma peau et tout. Je mange plus vert et je prends moins de sucre.
Charlie, 12 ans
De plus, la pandémie a été une période riche en apprentissages sur soi-même pour plusieurs jeunes qui mentionnent que cet événement les a amenés à apprendre à être plus patient·e·s, à choisir ce qui leur convient plutôt qu’à faire les choses par obligation, à gagner en maturité ainsi qu’à réaliser la chance qu’ils et elles ont. La pandémie a aussi été une opportunité pour les jeunes d’adopter une nouvelle routine plus cohérente avec leur propre rythme, les menant ainsi à mieux se connaitre :
J’ai vraiment l’impression que j’ai surtout appris sur moi, parce que je passais comme plus de temps avec moi-même. (…) J’ai l’impression que j’ai plus de temps pour moi, ça fait que j’ai vraiment appris à plus me connaitre.
Jeanne, 15 ans
Les enfants et adolescent∙e∙s mentionnent également avoir appris à être moins exigeant·e·s envers eux·elles-mêmes et être moins prompts à se comparer aux autres. La pression exercée par l’entourage et la société semble être moins ressentie par ces jeunes qui témoignent se sentir libres d’être eux·elles-mêmes :
Je me sens moins exigeante envers moi-même. Je fais des choses que j’ai envie, sans me comparer aux autres.
Carolyn, 15 ans
J’ai appris que j’aimais ça passer du temps juste relax et que je n’aimais pas ça être avec trop de monde en même temps. (…) Là, je me sens à l’aise d’être moi-même et je me sens plus libre.
Gloria, 16 ans
La famille au coeur du bien-être des jeunes
Pendant la pandémie, les jeunes ont pris conscience de l’importance de la famille. Certain·e·s affirment avoir toujours su qu’elle était importante, mais seulement en avoir pris la pleine mesure avec la pandémie, notamment en prenant conscience que d’avoir une bonne relation avec sa famille est un privilège puisque tous les jeunes n’ont pas cette chance. Pour l’une des participantes, les relations familiales de qualité sont un besoin :
C’est surtout quand j’étais avec mes amies que j’ai remarqué que ça m’avait vraiment manqué et que j’en ai quand même besoin, parce que sinon… ça bouillonne un peu.
Éléonore, 14 ans
En outre, plusieurs jeunes ont réalisé l’importance des contacts sociaux avec leurs proches. Si certain·e·s avaient tenu pour acquises ces relations de proximité avant la pandémie, les jeunes réalisent maintenant toute leur importance ainsi que leur fragilité. D’ailleurs, malgré les difficultés rapportées, les enfants et les adolescent∙e∙s mentionnent que le maintien des contacts est essentiel pour eux et elles, particulièrement en ce qui a trait aux contacts en personne :
[En ligne] tu ne parles pas aux gens, tu ne communiques pas avec eux.
Céleste, 15 ans
Par ailleurs, certain∙e∙s jeunes ont réalisé qu’il est important de faire attention aux autres et que l’entraide est essentielle au sein de la société. Ils et elles reconnaissent notamment l’importance de respecter davantage leurs parents ainsi que de démontrer son affection aux gens que l’on aime. Ces prises de conscience les ont amenés à exprimer davantage leurs émotions ainsi que leur ressenti auprès de leur entourage. Les jeunes se disent également plus à l’affut des signes de détresse exprimés par leurs proches. Certains enfants réalisent désormais avoir le potentiel d’agir et d’apporter leur aide aux personnes qui les entourent :
Oui, j’ai appris qu’on peut protéger les autres sans… en leur rendant un gros service. Qu’on peut toujours aider les autres.
Dylan, 8 ans
Certain·e·s jeunes rencontré·e·s dans le cadre de notre étude ont appris que l’adversité renforce les relations et que les difficultés rapprochent les gens :
Je crois qu’on va être plus fort [quand la pandémie sera terminée] parce qu’on est capable… et qu’on reste ensemble. (…) Pour les plus jeunes couples comme ceux à l’Université, ceux qui vivent ensemble, ils peuvent vraiment voir si c’est la personne qu’ils voudraient être avec pour de vrai, parce qu’ils vivent ensemble. Et ça renforce un peu les liens et comme tu vas avoir de meilleures amitiés ou de meilleurs couples qui seront plus forts.
Alexane, 12 ans
Ces enfants et adolescent·e·s réalisent que les moments difficiles qu’ils et elles ont partagés avec leur famille en raison de la pandémie les ont rapproché∙e∙s de leurs proches. Les jeunes affirment aussi avoir appris à mieux les connaitre. Le partage d’activités et de moments de qualité est aussi identifié comme étant un facteur ayant contribué au rapprochement de certaines relations dans la vie des jeunes. Plusieurs soutiennent ainsi avoir appris de nouvelles facettes de la personnalité des membres de leur famille :
Je pense que je me suis beaucoup rapproché de ma famille et qu’on se connait mieux. J’étais dans ma crise d’adolescence vraiment beaucoup en secondaire 4 et 5. Donc, j’étais toujours avec mes amis et rarement chez moi. Et là, ça été un choc de passer des semaines et des semaines avec ma famille. Ça nous a rapprochés, donc c’est cool.
Hayden, 17 ans
Bref, les jeunes ont pris conscience de l’importance des relations familiales de qualité pour leur bien-être ainsi que de l’impact important de la pandémie dans leur vie :
Ça nous fait profiter de beaux moments ensemble. Ça va être marquant dans toute notre vie. Quand je vais avoir des enfants, je vais leur en parler.
Antonin, 9 ans
Discussion
Les résultats suggèrent que les jeunes sont en mesure de faire des apprentissages en temps de crise, et que ces apprentissages contribuent à leur adaptation. Bien que certain∙e∙s enfants et adolescent·e·s aient souffert des conséquences de la pandémie, plusieurs jeunes ont su conserver une qualité de vie malgré la crise en cours (Anaut, 2012), soulignant ainsi la capacité de résilience des jeunes. Notre recherche permet ainsi de bonifier les connaissances portant sur la résilience en mettant en lumière la grande capacité d’apprentissage et de résilience des jeunes ainsi que le rôle crucial de la famille pour favoriser cette résilience en contexte de crise, plus particulièrement dans le cadre d’une crise mondiale ayant généré des impacts majeurs dans la vie des enfants et adolescent·e·s. Nos résultats confirment aussi l’importance des apprentissages comme composante permettant de renforcer la résilience des jeunes et permettent de mieux comprendre la perspective des enfants et adolescent·e·s.
En développant des connaissances et des comportements de prévention quant aux mécanismes de propagation du virus ainsi que des mesures préventives exposés par les autorités de la santé de l’État, les jeunes rencontré·e·s dans le cadre de notre étude ont pu renforcer leurs aptitudes d’autorégulation et d’autocontrôle (Masten, 2014). En effet, dans une situation de crise, les jeunes ont su prendre le contrôle sur leurs actions en se protégeant et en protégeant leur entourage du virus de la Covid-19. Ils et elles ont ainsi développé de nouvelles responsabilités (Masten, 2014).
Le fait de passer beaucoup de temps en confinement a favorisé chez les jeunes le développement de nouveaux passe-temps et des apprentissages sur soi, notamment concernant l’importance de prendre soin de soi. Ces apprentissages contribuent à la résilience des jeunes, puisqu’ils permettent à ces dernier·e·s de se sentir plus en contrôle et compétent·e·s (Masten, 2014) et donc plus optimistes par rapport au futur (Dvorsky et coll., 2021). D’ailleurs, le fait d’être optimisme serait un facteur de protection contre l’anxiété (Song et coll., 2021).
Grâce à la meilleure connaissance de soi que les enfants et adolescent·e·s ont pu développer en raison du temps passé en confinement, les jeunes ont su mettre en place des stratégies afin de faire face aux nouveaux défis rencontrés. Ils et elles ont ainsi pu s’adapter en développant des stratégies qui leur étaient propres. L’acquisition de nouvelles connaissances et le développement de diverses habiletés ont ainsi permis de renforcer leur résilience.
D’ailleurs, l’estime de soi jouerait un rôle dans la résilience, puisque les individus ayant confiance en eux et en leurs aptitudes sociales seraient plus enclins à être résilients, quel que soit le risque ou le contexte (Zolkoskia et Bullockb, 2012). En effet, des habilités personnelles, comme les capacités à établir des objectifs et à contrôler ses impulsions, favoriseraient la résilience (Dias et Dadime, 2017). À cet effet, Pettoello-Mantovani et coll. (2019) soulignent que lorsque les enfants sont résilients, ils sont confiants, curieux, capables de s’adapter à de nouvelles situations et mieux qualifiés pour étendre leur portée dans le monde.
De plus, en prenant conscience de l’importance des relations familiales de qualité pour leur bien-être ainsi que de l’impact considérable de la pandémie dans leur vie, plusieurs jeunes ont pu apprécier les relations d’attachement positives qu’ils et elles entretenaient avec leur famille (Masten, 2014). D’ailleurs, la qualité des interactions et des liens familiaux permettrait d’optimiser la résilience des familles et de favoriser un meilleur ajustement des enfants face aux défis de la pandémie (Prime et coll., 2020). En ce sens, des études ont démontré que les ressources familiales avaient permis de renforcer la résilience des adolescent∙e∙s pendant la pandémie (Branje et Morris, 2021). En raison du rôle potentiel que la famille peut jouer afin de renforcer la résilience chez les jeunes, il semble notamment essentiel de favoriser le renforcement de la cohérence familiale pour promouvoir le bien-être psychosocial pendant une période de crise, telle que fut la pandémie (Tso et coll., 2020).
Cette capacité de résilience des jeunes témoigne de leur agentivité. En effet, on constate que plusieurs jeunes ont été les agents de leur propre développement pendant la pandémie et ont été capables d’agir de façon autonome (Garnier, 2015; Montreuil et coll., 2018). Les jeunes ont su mobiliser leurs propres ressources pour faire des apprentissages pendant cette période et s’adapter au contexte de crise. Il est ainsi essentiel de comprendre comment les jeunes savent faire preuve de résilience et s’adapter, car comprendre ce qui favorise la résilience est crucial pour développer des stratégies de prévention et d’intervention plus efficaces (Hurley et coll., 2015; Yule et coll., 2019). Par conséquent, nos résultats nous guident vers des pistes d’intervention pour soutenir la résilience chez les jeunes en contexte de crise.
Une action combinée de plusieurs acteurs peut favoriser la résilience. D’ailleurs, la résilience serait optimisée lorsque les facteurs de protection sont renforcés à différents niveaux, c’est-à-dire, au niveau individuel, familial et communautaire (Zolkoskia et Bullockb, 2012). En effet, grâce au soutien combiné des professionnel·e·s de la santé, des familles et d’autres liens sociaux (y compris les ami∙e∙s), les jeunes ont la capacité de surmonter des états de détresse émotionnelle et psychologique (Shevell et Denov, 2021; Pettoello-Mantovani et coll., 2019). Cependant, il est important de ne pas oublier que les jeunes possèdent aussi des connaissances et des idées sur les situations qui les concernent et le fait de pouvoir ouvertement exprimer ses besoins peut les aider à obtenir de l’aide au besoin (Stafford et coll., 2021).
Plus concrètement, nos résultats suggèrent que pour renforcer la résilience des jeunes, il est essentiel que ces dernier∙e∙s soient bien informé∙e∙s des situations de crise qui les affectent afin qu’ils et elles puissent se sentir en contrôle de la situation. Pour assurer le succès d’une telle démarche, il est primordial que ce processus éducatif se fasse par le biais de ressources adaptées à cette population ainsi qu’à leurs intérêts. À ce sujet, les réseaux sociaux semblent une avenue intéressante à explorer. De plus, il est important de financer et mettre en place une programmation d’activités variées, que ce soit au niveau scolaire ou communautaire, pour que les jeunes puissent avoir accès et développer des passe-temps. En temps de pandémie, il est essentiel qu’un éventail de stratégies soit mobilisées pour maintenir et faciliter la pratique sécuritaire d’activités, telles que dispenser des programmes au moyen de technologies numériques ou promouvoir la pratique en personne de ces activités dans des espaces ouverts. Dès que les mesures sociosanitaires s’assouplissent, il est également important de prioriser le retour à la normale de la programmation d’activités offertes à l’intention des jeunes. Ces activités permettent aux jeunes d’acquérir de nouvelles habiletés et de cultiver leur sentiment de compétence. L’offre d’activités collaboratives devrait notamment être priorisée auprès des familles, puisqu’elles permettent de venir renforcer les relations de proximité des jeunes. Notamment, la participation à des activités communautaires en famille permettrait de renforcer la solidarité familiale et de favoriser le bien-être chez ses membres (Jepsen et coll., 2019). Puisque ces activités ont le potentiel, non seulement, d’améliorer le bien-être des jeunes, mais aussi de contribuer au développement de capacités chez les jeunes et leur famille, il est essentiel que cette offre d’activités proposées par les milieux communautaires rejoigne les familles en situation de précarité, puisqu’elles ont moins tendance à aller chercher des ressources (De Weger et coll., 2022)
Bref, en contexte de crise, des interventions qui ont pour objectifs d’éduquer les jeunes sur les situations qui les concernent, d’améliorer la qualité de la relation parent-enfant, d’encourager des pratiques de réflexion sur soi et d’autorégulation ainsi que de développer le sentiment de compétence des enfants et adolescent∙e∙s devraient être privilégiées.
Conclusion
Les apprentissages rapportés par les jeunes Québécois∙e∙s rencontré·e·s dans le cadre de l’étude Réactions témoignent de la résilience qu’ont su démontrer les enfants et les adolescent∙e∙s en contexte de pandémie. En plus d’apprendre de nouvelles informations sur la propagation du virus de la Covid-19 et les mesures de protection nécessaires pour faire face à une pandémie, les jeunes ont appris à composer avec le changement. Ils et elles ont ainsi développé leur capacité d’adaptation afin de faire face à la pandémie. Les jeunes semblent aussi avoir développé leur autonomie et avoir appris à mieux se connaitre en raison du temps qu’ils ont passé confinés. Finalement, les jeunes Québécois∙e∙s rencontré·e·s mentionnent avoir pris conscience de l’importance des contacts physiques avec leurs proches ainsi que de démontrer son affection aux membres de sa famille et à ses ami∙e∙s. Ils et elles ont aussi pu constater à quel point les relations familiales et sociales de qualité étaient essentielles pour leur bien-être. Ainsi, ces résultats mettent en lumière la grande capacité de résilience des jeunes en contexte de crise ainsi que le rôle crucial de la famille pour favoriser cette résilience.
Parties annexes
Notes biographiques
Sophie Doucet est candidate au doctorat en sciences de la famille à l’Université du Québec en Outaouais. Sa thèse porte sur les relations significatives des personnes pratiquant le BDSM. Détentrice d’une maitrise en sexologie de l’Université du Québec à Montréal, elle s’intéresse à la diversité familiale, aux pratiques intimes, au bien-être, aux processus de stigmatisation et de marginalisation et aux pratiques et identités sexuelles non normatives.
Flavy Barrette est étudiante à la maîtrise en travail social à l’Université du Québec en Outaouais (UQO). Elle détient également un baccalauréat en psychologie de la même Université. Ses intérêts de recherche portent sur la recherche centrée sur l’enfant, le bien-être et la santé mentale ainsi que les pratiques familiales émergentes. Son mémoire porte sur l’expérience subjective des enfants de femmes porteuses en ce qui a trait au processus de gestation pour autrui dans lequel leur mère s’est engagé.
Isabel Côté est professeure titulaire au Département de travail social de l’Université du Québec en Outaouais, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la procréation pour autrui et co-directrice scientifique du projet SAVIE-LGBTQ. Ses travaux portent principalement sur les familles qui se réalisent grâce à un tiers. Elle s’intéresse également à la diversité familiale, dont les familles LGBTQ+. Ses travaux intègrent la perspective des enfants et des jeunes sur les réalités qui les concernent.
Christine Gervais est professeure titulaire au département des sciences infirmières à l’Université du Québec en Outaouais. Co-directrice du laboratoire Tout un Village, ses travaux portent sur la santé des familles et sur le développement positif des jeunes, avec un intérêt particulier pour l’expérience spécifique des familles migrantes. Elle a développé une expertise sur les méthodologies participatives qui permettent de recueillir et de faire entendre la voix des enfants et des adolescents.
Vicky Lafantaisie est professeure au Département de psychoéducation et de psychologie à l’Université du Québec en Outaouais. Elle s’intéresse aux approches et modalités d’intervention mises en place pour soutenir les familles et dirige le Groupe de recherche – Action communautaire et Familles (GRACeF). Ses travaux actuels se penchent sur la participation des enfants suivis en protection de la jeunesse et sur la formation initiale des interventant·e·s appelé·e·s à travailler avec des familles. Une de ses préoccupations porte sur la représentation des personnes concernées dans la recherche.
Notes
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[1]
Pour préserver l’anonymat des participant.e.s de l’étude, des pseudonymes ont été utilisés tout au long de l’article.
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[2]
Le 8 septembre 2020, le Gouvernement du Québec a mis en place système d’alertes régionales selon un code de 4 couleurs : vigilance (vert), préalerte (jaune), alerte modérée (orange) et alerte maximale (rouge). Des mesures sanitaires spécifiques étaient associées à chaque palier d’alerte. Plus qu’une région se rapprochait du palier rouge, plus que des restrictions et limitations étaient imposées à ses habitant.e.s. Pour plus de détails : https://www.msss.gouv.qc.ca/ministere/salle-de-presse/communique-2304/
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