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Au cours de l’année 2021-2022, 33,6 % des signalements retenus par la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) impliquaient des enfants victimes de négligence ou à risque sérieux de négligence, et 28,1 % concernaient des victimes d’abus physique ou à risque sérieux de violences corporelles (Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse [CSDEPJ], 2022). Parmi les signalements retenus, 20,7 % provenaient du milieu policier (CSDEPJ, 2022). Le taux de signalements à la DPJ serait d’ailleurs à la hausse étant donné l’augmentation des signalements effectués par les membres des corps de police (Lacerte, Rousseau et Tarabulsy, 2018). Les situations dans lesquelles les policiers sont appelés à intervenir les exposent en effet à des contextes où ils peuvent être en mesure de détecter des cas de négligence ou d’abus auprès d’enfants. Les contextes sociaux et familiaux dans lesquels l’intervention policière mène à un signalement auprès de la DPJ sont toutefois complexes et comportent de multiples implications psychosociales. À titre d’exemple, les policiers interviennent dans des situations familiales pouvant être marquées par la violence intrafamiliale (Black, Heyman et Slep, 2001), de même que par un cumul de problèmes présents chez les parents, notamment en lien avec la consommation d’alcool ou de drogue (Mayer, Lavergne, Tourigny et Wright, 2007), ou avec la santé mentale (Cleaver, Nicholson, Tarr et Cleaver, 2007). En dépit du rôle majeur des policiers dans le processus de signalement à la DPJ, l’intervention policière impliquant la présence d’enfants a fait l’objet de très peu de recherches (Swerin, Bostaph, King et Gillespie, 2018).

De plus, soulignons que lors de leurs interventions impliquant des enfants, les policiers peuvent être exposés à des situations potentiellement traumatiques (SPT). Or, le fait d’être régulièrement exposé à des SPT est reconnu comme étant un facteur de risque relatif à la santé psychologique, émotionnelle et physique des policiers (Brondolo, Schwartz et Delahanty, 2018 ; Garner, Baker et Hagelgans, 2016), en plus de contribuer au développement de la détresse psychologique au travail (Deschênes, St-Hilaire, Crête, Desjardins et Farges, 2019). Parmi les études s’étant intéressées à cette réalité, il en ressort que les policiers trouvent particulièrement stressant d’être exposés à des situations de maltraitance envers les enfants (Scott, 2004 ; Toch, 2002), et également d’avoir le sentiment de ne pas posséder les ressources nécessaires leur permettant de bien intervenir dans ce type de situation (Richardson-Foster, Stanley, Miller et Thomson, 2012). Ceci serait encore plus vrai lorsque l’intervention policière en matière de protection de l’enfance se déroule auprès de membres des communautés autochtones.

L’intervention policière auprès des populations autochtones s’inscrit dans un contexte sociohistorique sensible qu’il est important de préciser. D’abord, les évènements passés auxquels les services policiers étaient partie prenante, associés notamment au déploiement de stratégies visant l’acculturation des Autochtones, ont grandement fragilisé les relations entre les membres des communautés et les policiers. D’ailleurs, ces derniers seraient toujours perçus comme étant en partie responsables de la création et de l’application de la politique des pensionnats (Bellot et Sylvestre, 2016). Selon Jaccoud (1999), grand nombre d’Autochtones considèrent que les problèmes sociaux vécus dans leurs communautés sont la conséquence du colonialisme et de l’ingérence de l’État. Il est aussi reconnu que l’histoire coloniale et postcoloniale a grandement bouleversé l’organisation et la dynamique de la vie familiale des citoyens autochtones (Guay et Grammond, 2012). Les traumatismes intergénérationnels rattachés aux pensionnats (Blackstock et Trocmé, 2005 ; Bombay, Matheson et Anisman, 2014 ; Guay et Grammond 2010) et la forte prévalence d’enfants autochtones placés en famille d’accueil (Recensement canadien, 2016 ; Tilbury, 2009) témoignent notamment de ces bouleversements. Les répercussions de ce contexte sociohistorique sont toujours bien présentes au sein des nouvelles générations (Bombay, Matheson et Anisman, 2014) et s’ajoutent aux facteurs de risque individuels et sociaux associés à la vulnérabilité de ces populations, créant par le fait même un terrain propice à la négligence parentale (Sinha, Trocmé, Fallon et MacLaurin, 2013 ; Tourigny, Domond, Trocmé, Sioui et Baril, 2007).

Au Québec, le gouvernement provincial est responsable du financement et du déploiement des services en matière de protection de la jeunesse. La seule exception concerne les communautés autochtones, qui sont traditionnellement sous la responsabilité du gouvernement fédéral (Blackstock et Trocmé, 2004). Ainsi, les services de protection de la jeunesse offerts dans les communautés autochtones sont financés par le fédéral, en plus d’être assujettis à la loi fédérale C-92 qui a préséance sur la Loi sur la protection de la jeunesse (LPJ) (Rae et Ledoux, 2020). Cette loi vise notamment à résoudre le problème de la surreprésentation des enfants autochtones dans le système de protection de l’enfance (Lévesque, 2022). Selon une étude, les enfants d’origine autochtone seraient 4,2 fois plus à risque de faire l’objet d’une évaluation de la DPJ pour un motif de négligence parentale que les enfants allochtones (Sinha et al., 2011). Les enjeux que connaissent les services de protection de la jeunesse en contexte autochtone soulèvent donc de vifs débats, considérant ce contexte. Ainsi, de nombreux facteurs ont une incidence sur le travail des policiers oeuvrant dans les communautés autochtones lorsque des enfants sont impliqués. Conséquemment, une meilleure compréhension de leur expérience subjective est requise afin de déterminer les obstacles et problèmes rencontrés, et de s’efforcer d’y trouver des solutions.

Quelques études se sont intéressées aux défis vécus par les policiers travaillant en communautés autochtones. Parmi celles-ci, une étude menée au Nunavik fait ressortir de nombreuses embûches auxquelles les policiers, la très grande majorité étant allochtone, se heurtent : isolement, conditions de travail difficiles, ressources limitées, manque de collaboration et critiques négatives de la part des membres de la communauté (Marchand, Laneuville, Hervé et Lévesque, 2020). Or, plusieurs participants à cette étude considèrent ne pas avoir reçu de formation adéquate pour bien intervenir dans ce type de contexte. La situation n’est pas plus simple pour les quelques policiers d’origine inuite oeuvrant dans le nord du Québec, lesquels rapportent vivre de la pression, des critiques et parfois même du rejet de la part des membres de la communauté, étant donné leur statut de policier (Marchand et al., 2020). Cette étude fait d’ailleurs écho aux résultats d’autres études démontrant que les policiers autochtones se disent parfois victimes de rejet et de discrimination de la part des membres de leur communauté (Gendron, Admo, Plourde et Thibault, 2020 ; Marchand et al., 2020). Conséquemment, il est reconnu que le recrutement et la rétention des effectifs policiers sont difficiles en contexte autochtone (Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics [CERP], 2019 ; Ruddell et Jones, 2020). Cette réalité vient ajouter à la complexité de l’intervention policière auprès d’enfants en situation de vulnérabilité et accentue la faiblesse du lien social entre policiers et Autochtones (Salée, 2005).

Parmi les pratiques à privilégier dans les secteurs de la santé, de l’éducation, de la protection de l’enfance et de la justice, une étude révèle que l’intervention intersectorielle en communauté autochtone engendre une plus grande utilisation des services par les enfants autochtones, leurs familles et leurs communautés, notamment concernant les soins de santé et les services communautaires (Lopez-Carmen et al., 2019). Nilson et Mantello (2019) rapportent quatre éléments clés pour une collaboration intersectorielle réussie, soit : (a) une compréhension claire du problème par les partenaires ; (b) la création d’une vision commune du problème ; (c) la participation des bons partenaires ; et (d) la possibilité d’avoir accès aux renseignements de tiers et de se les échanger. Bien que l’intervention intersectorielle en milieu autochtone semble une voie prometteuse, quelques études récentes soutiennent qu’elle n’est pas sans contrainte puisque la collaboration et la communication sont souvent rapportées comme étant difficiles entre les policiers et les services de protection de l’enfance (Gendron et al., 2020 ; Saxton, Jaffe, Dawson, Olszowy et Straatman, 2020).

Malgré tous ces enjeux, le travail policier en communauté est reconnu comme étant un aspect peu étudié (Jaccoud et Spielvogel, 2018 ; Jones, Mills, Ruddell et Quinn, 2016 ; Jones, Ruddell et Summerfield, 2019 ; Lithopoulos et Ruddell, 2013). Il faut toutefois reconnaître la sensibilité du contexte de recherche dans lequel se déroulent ces travaux. Étant donné l’histoire des peuples autochtones, il va de soi qu’il faut tenir compte d’une certaine méfiance lorsqu’il est question de recherche scientifique, surtout si les travaux abordent des questions aussi délicates que les services policiers et l’intervention en matière de protection de l’enfance. De plus, soulignons que très peu d’études qualitatives se sont penchées précisément sur le vécu des policiers (Jones et al., 2016). Étant donné le manque flagrant de connaissances sur une thématique de recherche aussi sensible et complexe, les méthodes qualitatives s’avèrent pourtant particulièrement adéquates pour amorcer l’exploration d’un phénomène culturellement teinté. Dans l’ensemble des études mentionnées précédemment, rares sont celles ayant examiné tout particulièrement les enjeux entourant l’intervention policière auprès d’enfants en situation de vulnérabilité en contexte autochtone. Or, il apparaît essentiel d’approfondir la compréhension de ces enjeux. Afin de faire un pas dans cette direction, cette étude exploratoire vise donc à décrire comment les policiers autochtones et allochtones perçoivent leur intervention concernant des enfants de communautés autochtones. De façon plus précise, la présente étude vise à documenter les enjeux opérationnels, interpersonnels et culturels associés à l’intervention policière en matière de protection de la jeunesse en milieu autochtone au Québec.

Méthode

La présente étude s’inscrit dans un projet mis en place en 2017 et dont l’objectif visait à documenter de façon générale les difficultés rencontrées par des policiers oeuvrant dans les communautés autochtones afin d’échanger sur les différents points de vue et de travailler à l’élaboration de solutions adaptées à la réalité (Gendron et al., 2020). Pour ce faire, une démarche de méthode d’analyse en groupe (MAG) a été retenue comme méthode de collecte de données. La MAG, comme définie par Van Campenhoudt, Chaumont et Franssen (2005), est similaire à l’entretien de groupe standard, mais diffère par sa formule plus structurée ainsi que par des retombées qui se veulent à la fois théoriques et pratiques (Konaté et al., 2019). Cette méthode est caractérisée par une intégration des acteurs concernés du début à la fin du processus (Van Campenhoudt, Chaumont et Franssen, 2005).

Des 14 corps de police autochtones au Québec ayant reçu une invitation à participer à la MAG, 7 ont accepté de dégager une ressource volontaire pour prendre part à l’étude. Le groupe de discussion MAG est composé de sept policiers ayant une expérience variant de 5 à 30 années de service au sein de corps de police autochtones. Parmi eux, cinq policiers sont d’origine autochtone et les deux autres sont allochtones. Le groupe se compose de six hommes et une femme. Au cours de la MAG dirigée par Gendron et al. (2020), un des récits ayant été choisi et discuté par les participants abordait la question de l’intervention policière en matière de protection de l’enfance. Ce récit relate une intervention policière en contexte autochtone au cours de laquelle des enfants étaient impliqués. Afin de répondre aux objectifs de la présente étude, ce récit et son interprétation par les participants ont été isolés de l’ensemble du matériel de la MAG pour faire l’objet d’une analyse de contenu thématique (Mucchielli et Paillé, 2003) en mettant l’accent sur les enjeux perçus. D’abord, afin d’avoir une vue d’ensemble, une première lecture du verbatim de la MAG a été faite, permettant de faire émerger les éléments saillants du corpus. Ensuite, la thématisation a été effectuée en continu, les thèmes ont été attribués (notés et identifiés) et, en parallèle, l’arbre thématique s’est construit. Les thèmes ont ensuite été regroupés et hiérarchisés en termes centraux. En effectuant une thématisation en continu plutôt que séquencée, l’objectif était d’obtenir plus de détails et d’effectuer une analyse riche et précise (Mucchielli et Paillé, 2016).

Résultats

L’analyse de contenu thématique du matériel recueilli lors de la MAG a permis de dégager une schématisation représentative des différentes sources de difficultés telles que perçues par les sept participants à propos de l’intervention auprès d’enfants dont la sécurité est compromise. Trois grands thèmes associés aux difficultés rencontrées lors d’interventions auprès d’enfants ont été mis en évidence : le contexte de travail des policiers ; leur vécu lors des interventions ; et les obstacles perçus dans l’exercice de leurs fonctions (figure 1).

Contexte de travail des policiers

Tout d’abord, lorsqu’il est question du contexte de travail des policiers en communautés autochtones, les besoins urgents des enfants en situation de vulnérabilité et la chronicité des problèmes psychosociaux chez les membres des communautés sont des thèmes omniprésents dans le discours des participants. Selon l’analyse, la sévérité et la chronicité de ces problèmes psychosociaux, de même que leurs conséquences sur les enfants, semblent définir le contexte de travail des policiers. Ainsi, les participants se disent dépassés face à l’importante prévalence et à la chronicité des problèmes rencontrés en contexte autochtone, dont la consommation d’alcool, comme en témoigne l’extrait suivant :

Il y a deux semaines, une mère a mis le feu à sa maison alors que ses enfants étaient là. Ils ont décidé de placer les enfants, et comme ils veulent les garder le plus possible à même la communauté, ils les ont placés chez les grands-parents, où deux de leurs oncles habitent aussi. Les deux oncles et les grands-parents sont alcooliques (…). Les services sociaux disent que c’est la famille parfaite pour garder les enfants temporairement. La protection de l’enfant est rendue où ?

Participant 5, 5 ans de service

Dans cet extrait, la question de consommation soulevée par le participant, de même que le caractère intergénérationnel des problèmes psychosociaux, laissent craindre pour le bien-être de l’enfant alors que les services sociaux privilégient le maintien de ce dernier dans la famille élargie. Kiedrowski, Jones et Ruddell (2017) rapportent des résultats similaires. Dans cette étude, la majorité des policiers interrogés (85 %) affirmaient faire face à des problèmes sociaux insolubles en communauté autochtone, notamment concernant la violence intrafamiliale, la consommation d’alcool et de drogues et la santé mentale. Or, ces problèmes sont reconnus comme susceptibles d’engendrer des risques accrus de négligence envers l’enfant (DePanfilis, 2006 ; Mayer et al., 2007 ; Slack et al., 2011).

Figure 1

Schématisation représentant les sources de difficultés rencontrées par les policiers lors d’intervention auprès d’enfants

Schématisation représentant les sources de difficultés rencontrées par les policiers lors d’intervention auprès d’enfants

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Les participants à la MAG considèrent que certains aspects systémiques peuvent aussi avoir des répercussions lors d’interventions auprès d’enfants en situation de négligence. Dans cet extrait, le participant relate des exemples de cas où le contexte sociohistorique influence certaines prises de décision concernant le placement des enfants autochtones :

Le conseil de bande fait tellement des pressions, des manifestations, ils ramènent tout le temps ça aux pensionnats : « Pareil comme aux pensionnats, vous nous enlevez nos enfants. » Fait que là, un moment donné, pour calmer, calmer le jeu, ben ils (DPJ) font : « Ben, c’est beau, regarde, on va essayer de trouver une famille ici, on le sait que ce n’est pas la meilleure, mais crime, on va essayer de calmer la tempête. » Tsé, est-ce que c’est vraiment ce qui est bon pour l’enfant ? Je pense pas.

Participant 5, 5 ans de service

Ici, le participant exprime devoir composer avec une multitude de contraintes qui dépassent largement le contexte de l’intervention policière. Kiedrowski et al. (2017) avancent notamment que les tensions politiques internes, ainsi que l’ingérence politique, peuvent avoir des répercussions sur le travail des policiers. Les propos témoignent également d’une grande divergence d’opinions concernant les bonnes pratiques à mettre en place pour protéger les enfants. Cette volonté des communautés de ne pas reproduire ou exacerber le traumatisme des pensionnats et la rafle des années 1960 semblent perçues par les policiers comme un obstacle à la protection des enfants, du moins dans l’immédiat, au moment du placement.

Vécu des policiers

Sentiment de responsabilité et d’impuissance à protéger les enfants

L’importance de la protection des enfants est un thème central abordé par l’ensemble des participants à la MAG. Lorsqu’ils en parlent, ils expriment de forts sentiments d’impuissance, de colère et d’inquiétude. L’intensité émotionnelle est un thème transversal émergent du corpus de données qui témoigne de leur propre vulnérabilité lorsqu’ils sont appelés à intervenir auprès d’enfants en situation de négligence.

Moi, mon petit point faible, ce sont les enfants. Avec les enfants, je pense que je perds un petit peu la… [rire nerveux] je perds la tête. J’avais tellement de colère à ce moment-là.

Participant 1, 8 ans de service

Quand on parle d’enfants, je suis d’accord avec Participant 1, elle le dit de manière plus expressive, moi je ne suis pas encore capable, ça bouille en dedans.

Participant 7, 30 ans de service

Cette émotivité est omniprésente dans les témoignages des participants. De façon unanime, ces derniers se disent particulièrement touchés par les cas d’enfants victimes de négligence.

Dans un autre ordre d’idées, les participants s’expriment sur les défis rencontrés lorsqu’ils font des signalements, lesquels pourraient entraîner une inefficacité des filets de protection des enfants. Notamment, ils perçoivent être limités dans leurs pouvoirs d’actions immédiates :

C’est curieux, car quand on intervient auprès d’une personne (adulte) en crise, on a un certain pouvoir. Lorsqu’on croit que y’a un danger pour elle ou pour autrui, on peut à la limite la priver de sa liberté, tsé en appliquant la P-38 (…). Le policier a droit de décision sur une personne adulte en crise, mais il n’a pas de droit sur un enfant qui est en danger, même quand c’est flagrant.

Participant 3, 8 ans de service

De ce fait, si le policier a de sérieuses préoccupations concernant la sécurité d’un enfant, il doit transmettre les informations aux services de protection de la jeunesse afin de déterminer s’il y a des motifs raisonnables pour que des mesures soient prises. Ceci entraîne un délai supplémentaire qui, selon les participants à la MAG, accentue leur perception d’un manque de collaboration avec la DPJ, en plus de générer un sentiment d’impuissance à apporter une aide immédiate à un enfant dont la sécurité est potentiellement compromise. Parfois, malgré les observations des policiers et leur conviction de devoir intervenir de façon urgente auprès de l’enfant, le dossier n’évolue pas nécessairement dans le sens souhaité. Or, cette situation représente un enjeu important pour les policiers qui considèrent ne pas bénéficier du soutien souhaité de la part des services partenaires pouvant apporter de l’aide à l’enfant. En pareille situation, le policier n’a pas la légitimité d’intervenir auprès de l’enfant dont il se sent partiellement responsable. Dans l’extrait suivant, un participant parle de ce défi sous l’angle de l’imputabilité :

On est tellement imputables, qu’il faut faire attention. J’essaie de refermer toutes les portes le plus possible pour pas que ça revienne me péter dans face. (…) Dans mon rapport, ça va être écrit que je l’ai avisé (intervenant de la DPJ).

Participant 3, 8 ans de service

Obstacles perçus dans l’exercice de leur travail

En plus du contexte de travail et du vécu émotionnel lui étant rattaché, les participants parlent d’obstacles perçus dans l’exercice de leur travail. Ils expliquent que ces difficultés sont vécues à deux niveaux, d’abord par des tensions avec les services en protection de l’enfance et les membres des communautés autochtones, ensuite par un manque d’outils traduisant un besoin de formation supplémentaire.

Tension entourant la protection de l’enfance

Un premier obstacle vécu par les participants concerne les difficultés rencontrées lors d’un signalement. Certains d’entre eux disent peiner à obtenir l’accès aux ressources psychosociales en matière de protection de la jeunesse pour faire le relais. Ils expliquent toutefois cet état de fait par leur sentiment de ne pas toujours être pris au sérieux lorsqu’ils font des signalements :

Cette fois-là, c’était exagéré, c’était plus que ce que moi je pouvais tolérer. J’arrive là, ça consomme, il est 4-5 h du matin, ils sont 30 dans maison, les enfants sont dans une pièce fermée, tous ensemble, tu fais ton signalement… mais tu le sais que même en le faisant, les enfants ne seront pas sortis de là.

Participant 4, 9 ans de service

J’ai dû pogner les nerfs parce qu’ils ne se déplaçaient pas, ou ils avisaient toujours les parents avant. Là, j’ai tenu mon bout, ils sont venus et ils ont constaté que c’était vraiment problématique.

Participant 1, 8 ans de service

Les participants proposent certaines hypothèses pouvant expliquer cette embûche à la collaboration avec les services sociaux. D’abord, la méconnaissance des protocoles employés par les services sociaux et le manque de communication entre les deux services (services sociaux et policiers) :

Moi, de mon côté, ce que je pense, c’est qu’il y a un très grand manque de communication puis de connaissances. Je pense que d’un côté comme de l’autre, on s’imagine un peu c’est quoi le travail de la DPJ, c’est quoi leur protocole, mais sans nécessairement savoir leurs façons de faire.

Participant 3, 8 ans de service

Est-ce que c’est typique des communautés autochtones ? Je ne suis pas sûre que ce soit typique de chez nous. Oui, c’est choquant et même frustrant, mais pour ce qui en est de la cause, je ne suis pas capable de faire un lien direct. C’est plutôt le fait qu’eux (les services sociaux), ils ont fait leur travail seulement au septième appel. À l’appel 1, 2, 3, 4, 5, 6, qu’est-ce qu’ils ont fait ?

Participant 3, 8 ans de service

Ainsi, les policiers participant à l’étude partagent des questionnements et de l’incompréhension quant aux protocoles d’intervention utilisés par les services de protection de la jeunesse. Pour certains d’ailleurs, ce manque de collaboration des services sociaux pourrait s’expliquer par leur statut d’Autochtone, ils se perçoivent comme victimes de discrimination :

On dirait qu’ils [la DPJ] ne veulent jamais se déplacer et que ce n’est jamais retenu ! Pourquoi ? C’est-tu parce qu’on est autochtones ? Mais en ville, y’en a un, il mange pas, ils vont y aller. (…) J’aimerais ça qu’ils nous prennent d’égal à égal. J’aimerais ça, moi !

Participant 7, 30 ans de service

Nous autres, on est pas loin de [ville allochtone 1] et ça m’est déjà arrivé d’appeler la DPJ pour faire un signalement, puis on sent une différence lorsqu’on prononce que c’est pour [communauté1]. C’est peut-être à tort, c’est peut-être juste une question de perception. (…) Pour moi, ça vient un peu me chercher.

Participant 3, 8 ans de service

Comme en témoigne le dernier extrait, les participants ont le sentiment que la DPJ traite différemment les signalements venant de policiers travaillant en communauté autochtone. Du point de vue des policiers ayant collaboré à la MAG, cette réticence ou discrimination, réelle ou perçue, complique leur intervention auprès d’enfants en situation de vulnérabilité et par le fait même la protection de ces derniers. La Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse d’avril 2021 a d’ailleurs reconnu la présence de discrimination systémique des services de la protection de la jeunesse envers les communautés autochtones (Gouvernement du Québec, 2021).

Cependant, ce problème de collaboration entre les services policiers et les services de protection de la jeunesse ne serait pas généralisé et certains participants rapportent au contraire des liens de collaboration efficaces et positifs dans leurs communautés.

Nous autres, on fait un appel et ils [la DPJ] viennent tout de suite, c’est automatique. Dès que j’appelle et que je constate quelque chose, ils débarquent (…). C’est automatique, ils n’attendront pas mon rapport pour faire l’évaluation. Ils vont venir constater tout de suite les dommages pour être sûrs de pas prendre de chance.

Participant 4, 9 ans de service

Dans cet extrait, la bonne collaboration des services de protection de la jeunesse est reconnue comme un facteur facilitant l’intervention des policiers, mais aussi la protection des enfants. Une meilleure communication entre les services serait un des éléments clés permettant aux policiers d’effectuer leur travail dans le respect des valeurs des peuples autochtones (Chrismas, 2012). Ce résultat est aussi en concordance avec l’étude de Lopez-Carmen et al. (2019), selon laquelle l’intervention intersectorielle en communautés autochtones concourrait à améliorer la santé mentale des enfants autochtones.

Tension avec la communauté

Il est reconnu que de grandes tensions perdurent entre les policiers et les citoyens autochtones (Aguiar et Halseth, 2015 ; Bellot et Sylvestre, 2016). Une réalité qui constitue un défi majeur, notamment lors d’interventions auprès d’enfants en situation de vulnérabilité. Les participants considèrent que les citoyens autochtones entretiennent une opinion plutôt négative des policiers :

On m’a déjà dit, quand je suis arrivée dans une maison :
« Tu fais tellement de signalements à la DPJ, que c’est comme si tu vivais sur un nuage. Tu ne connais pas notre réalité, notre vie. »
« Je la regarde votre vie et ce n’est pas pour rien que je fais un signalement. Oui, j’ai été élevée dans le coton, mais ce n’est pas normal ce que tu fais vivre à tes enfants. »

Participant 1, 8 ans de service

Dans cet extrait, le participant illustre un cas soulignant l’importante tension qui persiste entre les policiers et les citoyens autochtones, qui semblent partager des perceptions diamétralement opposées.

Bien qu’il soit reconnu que la proximité avec les citoyens facilite certaines interventions policières (Jaccoud et Spielvogel, 2018), notamment en raison d’enjeux opérationnels, les participants laissent entendre qu’elle peut aussi avoir des conséquences négatives. Ils discutent d’un défi supplémentaire, soit l’intervention en situation de grande proximité, par exemple auprès d’un proche ou d’un membre de leur famille. Cette délicate circonstance engendre nécessairement des incidences de taille sur le plan interpersonnel. Aussi, selon leur perception, les participants devraient endosser leur rôle de policier en tout temps. Leurs propos témoignent d’une sérieuse difficulté, voire une impossibilité, à dissocier le citoyen du policier lorsque celui-ci travaille en communauté. L’extrait suivant montre bien ce défi majeur avec lequel doivent composer de nombreux policiers autochtones :

Tsé, moi, j’ai, j’ai intervenu à plusieurs reprises chez ma tante pour des violences conjugales puis de la consommation. Je suis le parrain de la petite fille, la dernière, puis j’ai fait beaucoup de signalements, après 5-6 interventions, je suis allé à la cour, je me suis débattu pour que la garde soit enlevée.

Participant 5, 5 ans de service

Ça revient encore à dire que si tu fais ta job comme il faut, tu seras pas aimé par la communauté.

Participant 4, 9 ans de service

Comme en témoigne le dernier extrait, le discours des participants donne à entendre qu’un bon policier se rend nécessairement vulnérable au rejet de sa communauté. Parallèlement, il semble toutefois que le fait d’être d’origine autochtone puisse améliorer l’efficacité des interventions au sein de sa communauté, notamment dans le cas des intervenants sociaux.

Le lien de confiance avec leur clientèle est plus facile. Ils (les intervenants sociaux) ont un lien de confiance parce qu’ils viennent de la communauté, ils se connaissent. Ils vont essayer de trouver des solutions avant d’arriver jusque-là [placer les enfants hors communauté].

Participant 1, 8 ans de service

Ainsi, la bonne connaissance des familles et du milieu ainsi que le lien de confiance avec la communauté semblent soutenir des pratiques plus adaptées à la réalité culturelle des communautés autochtones.

Besoins sur le plan de la formation

Lors des discussions sur les pistes de solutions envisageables, les participants ont exprimé un besoin d’actualiser la formation des recrues policières en matière de réalités autochtones. Considérant le contexte particulier des communautés, certains participants déplorent que les recrues arrivent mal préparées.

Je pense que c’est de plus en parler, de prendre connaissance de ce qui se passe dans les communautés autochtones et de préparer les jeunes à ça. En sortant de l’École nationale de police, le processus est tellement long qu’ils vont appliquer dans des communautés autochtones pour aller chercher de l’expérience (…) pis là, ils arrivent là, pis y veulent sauver le monde, mais attends un peu là, t’es time out, t’es sur une communauté là ! C’est pas la même réalité.

Participant 1, 8 ans de service

Dans un contexte où le recrutement et la rétention des policiers sont plus difficiles (Ruddell et Jones, 2018), les participants ont le sentiment que le travail en communauté pour certaines recrues n’est qu’un tremplin vers d’autres corps policiers. Ainsi, selon leur point de vue, ces recrues souhaitent y prendre de l’expérience sans connaître réellement la réalité et les besoins propres à chaque communauté.

Je ne suis pas prêt à dire que la formation qu’on a présentement n’est pas adéquate (…). Chaque communauté est typique, chaque communauté a sa façon de faire (…). Ensuite, je pense que c’est à l’organisation policière de les former, une partie de la formation doit être faite par l’organisation policière autochtone parce qu’elle est typique à chez eux.

Participant 3, 8 ans de service

Cet extrait témoigne également de l’unicité de chaque communauté autochtone. La solution proposée par les participants est donc d’offrir une partie de la formation des recrues policières à même les communautés dans lesquelles elles sont engagées.

Discussion

Cette étude exploratoire visait à documenter les enjeux opérationnels, interpersonnels et culturels associés à l’intervention policière en matière de protection de la jeunesse en milieu autochtone au Québec. Le travail de ces policiers les amène à intervenir auprès d’enfants dont la sécurité est potentiellement compromise, un thème transversal à l’ensemble des échanges réalisés au cours de la MAG. La chronicité de plusieurs problèmes rencontrés sur le terrain engendre chez les policiers un sentiment de responsabilité et d’impuissance à protéger les enfants. Lorsqu’on examine la perception des policiers oeuvrant en contexte autochtone, les obstacles nommés sont de deux ordres : d’abord, les difficultés relatives à la collaboration avec les services de protection de l’enfance et, ensuite, la tension avec les membres de la communauté ; le tout exacerbé par leur sentiment de ne pas être suffisamment outillés. Lors de leurs interventions, les policiers se trouvent en présence de problèmes psychosociaux sévères et chroniques touchant plusieurs générations. De façon unanime, ils expriment être particulièrement bouleversés devant un ou des enfants en situation de négligence et sont très volubiles quant à leurs conditions de vie qu’ils considèrent comme « inacceptables ».

Vécu des policiers

Dans un cas suspecté d’abus envers un enfant, il incombe aux professionnels de prendre la bonne décision, mais face à cette responsabilité, ils se disent majoritairement dépassés (Vulliamy et Sullivan, 2000). Comme en témoignent nos résultats, les participants expriment à la fois de la colère, de l’inquiétude et de l’impuissance relativement à de telles situations. Dans une étude de Scott (2004), les policiers y participant placent le fait d’être témoins de maltraitance envers les enfants en troisième position des situations stressantes auxquelles ils doivent faire face dans leur travail, et ce, avant les retombées sur leurs familles, le manque de ressources de leurs organisations, les problèmes avec la communauté et les délais pour avoir du soutien de la part de confrères. Nos résultats et la littérature s’entendent pour dire que ces interventions peuvent être hautement émotives et difficiles pour les policiers (Scott, 2004 ; Vulliamy et Sullivan, 2000). Il est donc préoccupant de constater que les policiers oeuvrant en contexte autochtone sont exposés à de telles situations, sachant que les ressources de soutien de la santé psychologique au travail sont souvent lacunaires dans les régions éloignées (Gendron, 2023). De plus, la hausse des signalements provenant du milieu policier, depuis les modifications à la LPJ, témoigne de la préoccupation quant à la sécurité des enfants. Il semble en effet que les policiers ont un rôle clé à jouer dans la détection de situations pouvant compromettre la sécurité et le bien-être d’enfants et qu’ils sont sensibilisés à l’importance de signaler un cas jugé préoccupant (Lacerte, Rousseau et Tarabulsy, 2018).

Obstacles perçus dans l’exercice de leur travail

Dans notre étude, les policiers interrogés disent se heurter à des problèmes psychosociaux sévères et chroniques sans toutefois posséder les ressources nécessaires pour bien intervenir. Ils mentionnent notamment des lacunes quant aux services de soutien complémentaires aux interventions policières. De plus, certains participants font état d’une relation difficile avec les services de protection de la jeunesse, qui font obstacle à leur travail selon leur point de vue, alors que d’autres participants sont plutôt d’avis que la relation avec la DPJ le facilite. Bien que la littérature propose qu’une bonne collaboration et l’échange d’information entre les policiers et les services sociaux autochtones aient une incidence positive sur les relations entre les policiers et la communauté (Nilson et Mantello, 2019), en plus d’engendrer une plus grande utilisation des services (Lopez-Carmen et al., 2019), il semble que les changements durables tardent à être mis en place dans les communautés autochtones du Québec.

Nos résultats témoignent de tensions qui persistent entre les services policiers et la protection de la jeunesse. Les participants autochtones et allochtones ont le sentiment d’être victimes de discrimination de la part des services de protection de la jeunesse, une impression qui est confirmée dans le rapport de la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse (Commission Laurent, 2021). Il est reconnu que la discrimination systémique entraîne des perceptions pouvant biaiser l’évaluation d’un signalement, ce qui empêche par le fait même d’agir à la source du problème, qui est l’insuffisance ou l’inaccessibilité des services pour les familles autochtones (Commission Laurent, 2021). Ainsi, la discrimination vécue par les participants lors d’un signalement pourrait être attribuable au fait qu’il s’agit d’enfants autochtones plutôt qu’à leur propre statut de policiers autochtone ou allochtone travaillant en communauté autochtone. Une perception qui n’a toutefois pas été distinctement rapportée par les participants ayant collaboré à ces présents travaux. Les participants reconnaissent toutefois que dans certaines communautés autochtones, à cause des grands besoins des familles, il peut être complexe pour la DPJ d’intervenir rapidement, notamment lorsque les ressources en famille d’accueil sont limitées.

Selon nos résultats, la proximité entre un policier et les membres de la communauté peut faciliter certaines interventions, mais aussi y nuire. Ainsi, le policier d’origine autochtone s’expose au rejet de la part de sa communauté, par exemple s’il doit effectuer un signalement pour un enfant. En revanche, cette proximité peut faciliter l’intervention grâce à une connaissance privilégiée des lieux et des membres de la communauté.

Les interventions policières auprès d’enfants autochtones se font dans un contexte sociohistorique qui nécessite des pratiques policières sensibles afin d’éviter l’exacerbation des tensions. Dans nos résultats, les participants parlent de l’omniprésence de ces tensions entre policiers et citoyens autochtones. Une piste de solution nommée est la bonification de la formation quant aux réalités autochtones, permettant un meilleur arrimage entre la théorie et la mise en pratique en milieu autochtone. Certains auteurs suggèrent que l’ajout d’une formation sur la culture (Palmater, 2016) et le jumelage avec des mentors issus des communautés (Griffiths et Clark, 2017) sont des initiatives favorables à la collaboration entre les policiers et les Autochtones. Les résultats de notre étude soutiennent l’idée que tous les acteurs concernés devraient connaître les particularités historiques, sociales et culturelles des peuples autochtones, et qu’ils s’inspirent notamment des méthodes d’intervention assurant une sécurisation culturelle (Commission de vérité et réconciliation du Canada, 2015 ; Guay, 2017 ; Guay et Grammond, 2012). Le processus de sécurisation culturelle permet donc d’offrir un service de qualité respectant l’identité culturelle de la personne autochtone (Nursing Council of New Zealand, 2011). Afin de diminuer les biais culturels, il est primordial que le processus de sécurisation culturelle s’inscrive dans des changements individuels et institutionnels (Guay et Grammond, 2012). Bien que la formation sur la culture soit de plus en plus implantée au collégial et à l’École nationale de police du Québec, il serait pertinent d’assurer une formation continue dans les milieux de pratique. Le sentiment d’impuissance vécu par les participants à notre étude rappelle l’importance et la pertinence d’offrir un meilleur soutien lors d’interventions policières délicates, telle que l’intervention policière impliquant des enfants autochtones.

Il s’agit donc de poursuivre les efforts pour mieux comprendre les difficultés auxquelles se heurtent les policiers afin de trouver des solutions novatrices quant aux meilleures pratiques culturellement adaptées au milieu autochtone.

Limites et pistes de recherche futures

Comme énoncé précédemment, la MAG permet d’impliquer directement les acteurs concernés par la problématique décrite dans l’ensemble du processus de recherche. Ce dernier donne la possibilité d’obtenir « une formulation contrastée des convergences et surtout des divergences interprétatives » (Van Campenhoudt et al., 2009, paragr. 24). Par ailleurs, l’étude est réalisée auprès de sept policiers travaillant pour des corps de police de communautés non conventionnées, majoritairement en régions rurales et éloignées, les résultats obtenus témoignent de leurs réalités individuelles et ne sauraient représenter le vécu de l’ensemble des policiers travaillant auprès des populations autochtones du Québec. Des travaux de recherche sont notamment amorcés auprès d’autres policiers oeuvrant en communauté autochtone à proximité des centres urbains.

Il est aussi important de noter que plusieurs obstacles abordés dans les résultats de la présente étude ont aussi été observés par d’autres recherches s’étant intéressées à différents services policiers travaillant en milieux ruraux et éloignés. Parmi les similitudes se trouvent un plus grand nombre d’interventions auprès d’un proche ou d’un membre de la famille (David, 2023), une plus grande prévalence de problèmes sociaux (Payne, Berg et Sun, 2005 ; Ruddell et Jones, 2020), des lacunes sur le plan des ressources humaines (Ricciardelli, 2018), ainsi que l’élargissement du rôle des policiers (Huey et Ricciardelli, 2015 ; Payne, Berg et Sun, 2005). Concernant ce rôle, il est avancé que le fait d’être policiers en milieux ruraux et éloignés nécessite une plus grande flexibilité dans l’application de leur mandat de maintien de l’ordre ainsi que dans l’endossement de tâches qui ne leur incombent généralement pas (Huey et Ricciardelli, 2015). Une étude de Scott (2004) sur le vécu de policiers travaillant dans des petites villes aux États-Unis fait état de constats similaires. Lorsque le policier travaille et vit au sein de la même ville, et devient, aux yeux des habitants, un policier 24 h/24, son rôle de policier se révèle indissociable de sa personne (Scott, 2004). Considérant les nombreuses similitudes entre le contexte de travail de policiers en communauté autochtone et celui de policiers en régions rurales et éloignées, les résultats obtenus ne sauraient s’appliquer exclusivement à l’intervention policière en communauté autochtone. Des recherches futures sont nécessaires afin de mieux documenter les obstacles s’y rapportant.

Bien que cette étude ait permis de soulever plusieurs problématiques importantes, il s’agit d’une première étape dans la compréhension du phénomène. Nos résultats permettent une meilleure compréhension des éléments pouvant alimenter les défis rencontrés par les policiers lorsqu’ils interviennent auprès d’enfants dont la sécurité est compromise. De plus, bien que plusieurs études se soient intéressées aux moyens d’améliorer la communication entre les différents services offerts en communauté et aux avantages d’une telle pratique, peu ont pu témoigner des mécanismes sous-jacents au bon fonctionnement de cette relation. Nos résultats témoignent de la discrimination positive et systémique vécue par les policiers pouvant entraver leurs interventions et, par le fait même, leur capacité à aider les enfants autochtones en situation de négligence. La grande diversité des réalités vécues entre les différentes communautés autochtones du Québec nécessite de plus amples travaux de recherche. Il serait donc utile d’aller plus loin en recueillant la perception des policiers au moyen d’entrevues individuelles. En procédant de cette façon, une compréhension plus raffinée des différents enjeux relatifs à l’intervention policière s’avérerait possible.