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Introduction

Se manifestant sous plusieurs formes, la violence envers les enfants et adolescents est un véritable fléau social au Québec. À ce sujet, l’enquête à portée provinciale menée par Clément, Gagné et Hélie (2018) illustre la nécessité d’intervenir et de multiplier les efforts en matière de prévention et de sensibilisation. En plus de générer des coûts individuels et sociaux d’une grande importance (Gilbert et al., 2009), la violence envers les enfants et les adolescents entraîne de graves conséquences à court et à long terme et affecte la manière dont ils se développent (Hillis, Mercy et Saul, 2017). Cela serait d’autant plus vrai en ce qui concerne les jeunes en situation de placement, ces derniers étant plus susceptibles d’être exposés à des situations de violence et donc d’avoir à témoigner de leur mauvais traitement au tribunal de la jeunesse ou à la cour criminelle. Les résultats de l’étude de Cyr et al. (2014), l’une des premières études à avoir documenté l’exposition des enfants et adolescents à la violence au Québec à l’aide du Juvenile Victimization Questionnaire (JVQ) (Hamby, Finkelhor, Ormrod et Turner, 2004), ont révélé que les jeunes pris en charge en vertu de la Loi sur la protection de la jeunesse (LPJ) auraient tendance à être plus fréquemment victimes de multiples événements de violence, 25 % ayant été exposés à plus de 7 formes de violence, que les jeunes de la population générale. D’autres études allèguent aussi que les mineurs polyvictimisés sont à risque d’éprouver une détresse psychologique d’une plus grande intensité (Finkelhor, Ormrod et Turner, 2007a) et davantage de difficultés d’adaptation (Finkelhor, Ormrod et Turner, 2007b). Dans un contexte où la situation de violence ou de négligence de plusieurs enfants et adolescents est rapportée aux autorités, qu’ils soient pris en charge en vertu de la LPJ ou impliqués dans des procédures judiciaires au criminel, il apparaît nécessaire de veiller à ce qu’ils aient l’encadrement et le soutien dont ils ont besoin pour assurer leur protection ou pour obtenir justice. Le dévoilement de la violence et les étapes qui s’ensuivent sont des moments empreints de défis pour les enfants et adolescents. En ce sens, il importe de s’interroger sur les impacts associés au fait de témoigner à la cour sur la santé psychologique des jeunes afin de bonifier et optimiser l’offre de service à laquelle ils ont droit.

Contexte entourant le dévoilement, l’enclenchement d’une procédure judiciaire criminelle et le témoignage

Au Québec, un protocole d’intervention sociojudiciaire est enclenché lorsqu’une situation de violence impliquant une personne âgée de moins de dix-huit ans est rapportée au Directeur de la Protection de la Jeunesse (DPJ) ou aux services policiers. Mieux connue sous le nom d’entente multisectorielle, cette entente invite le DPJ, le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP), les services policiers et d’autres partenaires concernés à travailler de concert en vue d’évaluer la situation, de minimiser le nombre de fois où le mineur est questionné sur son expérience et de concerter leurs interventions (Gouvernement du Québec, 2022). Bien que la mise en application de l’entente multisectorielle incite les partenaires à communiquer entre eux et à échanger de l’information (Gouvernement du Québec, 2022), certains mineurs ont à raconter ce qu’ils ont vécu à plus d’une occasion. Dans l’éventualité où les faits allégués s’avéreraient fondés et qu’il y aurait matière à enquêter, les enfants et adolescents pourraient avoir à témoigner dans différents contextes, notamment dans des causes criminelles à la Chambre criminelle et pénale et/ou à la Chambre de la jeunesse en lien avec la LPJ.

Lorsqu’une poursuite criminelle est intentée, le travail du DPCP est de prouver la culpabilité de la personne accusée et d’assigner les témoins à témoigner. Les enfants et adolescents sont principalement appelés à témoigner à la cour dans des dossiers de nature sexuelle (Ghetti, Alexander et Goodman, 2002). Comme l’ont indiqué Cross, Walsh, Simone et Jones (2003) au terme de leur méta-analyse, le fardeau de la preuve est extrêmement élevé dans les dossiers de crimes sexuels, contrairement aux crimes de toute autre nature. La plupart du temps, le manque de preuves circonstancielles et matérielles (Jackson, 2004) et l’absence de blessures corporelles (Heger, Ticson, Velasquez et Bernier, 2012 ; Robinson, 2015) compliquent le travail des procureurs de la Couronne qui ont la responsabilité de prouver l’agression au-delà de tout doute raisonnable. Alors que les prélèvements effectués lors de l’examen médico-légal ne confirmeraient que très rarement la vraisemblance des faits allégués, Heger et al. (2012) réitèrent l’importance de croire les enfants et adolescents qui expriment avoir été victimes d’agressions sexuelles. À défaut de preuves corroborantes, les procureurs de la Couronne n’ont donc guère d’autre choix que d’assigner les jeunes victimes à témoigner et de les questionner sur les détails de la cause au tribunal (Cross et al., 2003).

Les mineurs agissant à titre de témoins

Contrairement à ce que plusieurs ont longtemps pensé (Marchant, 2013), les enfants et adolescents victimes d’actes criminels sont en mesure de raconter ce dont ils ont été victimes. Les modifications des dernières décennies apportées au Code criminel canadien et l’entrée en vigueur de diverses mesures d’accommodement ont contribué à rehausser la valeur accordée à la parole des enfants et des adolescents (Bala, Lee et McNamara, 2001). Cela dit, il demeure néanmoins inquiétant que leur témoignage puisse engendrer d’importantes conséquences négatives sur la santé psychologique des jeunes victimes (Back, Gustafsson, Larsson et Berterö, 2011 ; Quas et Goodman., 2012 ; Sas, Hurley, Hatch, Malla et Dick, 1993), et ce, surtout chez ceux qui ont à témoigner de manière répétée (Elmi et al., 2018 ; Goodman et al., 1992 ; Quas et al., 2005). L’absence de préparation et de conditions favorables à leur participation expose les enfants et les adolescents, qui sont souvent vulnérables étant donné leur histoire de victimisation, à faire face à davantage de difficultés d’adaptation (Goodman et al., 1992).

Tous s’entendent pour dire que le contre-interrogatoire constitue la partie la plus stressante du témoignage. Les recherches mettent en lumière qu’il est source d’appréhension et de confusion pour la plupart des enfants et des adolescents qui sont appelés à témoigner (Goodman et al., 1992 ; Sas, 1991, 2002). Cette étape du processus pose problème aux jeunes victimes notamment en raison des stratégies déployées par les avocats de la défense. Dans le cadre du contre-interrogatoire, ces derniers chercheraient, par le biais d’un climat d’échanges parfois houleux, à remettre en cause la version des faits des témoins mineurs en les confrontant, en insinuant qu’ils n’ont pas entièrement raison, en leur suggérant des éléments de réponse et en usant de phrases complexes ou lourdes de sens (Andrews, Lamb et Lyon, 2015a ; Andrews, Lamb et Lyon, 2015b ; Andrews et Lamb, 2016 ; Powell, Westera, Goodman-Delahunty et Pichler, 2016).

De plus, tous les enfants et les adolescents victimes d’actes criminels ne sont pas habiletés à témoigner. Très peu d’enfants et d’adolescents témoigneraient avec éloquence (Sas, 2002). Aux dires de Walker (2011), les capacités cognitives et langagières requises pour témoigner dépendent principalement de l’âge et du développement cognitif. Ce sont les aléas du quotidien et les expériences de vie qui façonnent comment les enfants et les adolescents, à leur tour, s’expriment et interagissent avec leur environnement (Cyr, 2019). Conséquemment, il est à supposer que les jeunes sous-stimulés et ceux présentant un retard du point de vue développemental possiblement lié à leur victimisation, aient à faire face à plus d’adversité au moment de témoigner. Ces derniers peuvent, entre autres, avoir plus de difficultés à communiquer, à saisir le sens des mots, à préciser le fond de leur pensée et à décoder les messages verbaux ambigus (Sas, 2002). Les jeunes enfants, comparativement aux plus âgés, auraient d’ailleurs plus de mal à situer des éléments dans le temps et à relater des faits de manière chronologique (Bala et al., 2001). Ainsi, dans la mesure où l’évaluation de la crédibilité et de la fiabilité d’un témoin dépend de la manière dont il s’exprime (Cyr, 2019), il est nécessaire de veiller à ce que les jeunes victimes puissent être en mesure de livrer un témoignage de qualité.

Le recours à un programme de préparation au témoignage

Parmi les différentes formes de soutien auxquelles ont droit les jeunes victimes, il existe les programmes de préparation au témoignage. Variant dans leur durée, ces programmes ont pour objectif de minimiser le stress lié aux procédures judiciaires en outillant les mineurs pour qu’ils puissent clairement raconter, dans la mesure du possible, ce qu’ils ont vécu (Barry, Nixon, Tutty et Wyllie, 2006). De manière générale, les programmes de préparation au témoignage comprennent un volet informatif et un volet éducatif (Hurley, Scarth et Stevens, 2002). Les enfants et les adolescents qui ont recours à de tels services bénéficient d’une éducation sur le système de justice, le témoignage et les acteurs judiciaires (Cunningham et Stevens, 2011). Ils apprennent également à être à l’affût de leur vécu émotif et à mieux réguler leurs émotions (Hurley et al., 2002).

Le Programme Témoin Enfant (PTE) est le seul programme de préparation au témoignage au Québec. S’inspirant de ce qui est fait ailleurs en Amérique du Nord en termes de bonnes pratiques, le PTE est une initiative déployée par le réseau des centres d’aide aux victimes d’actes criminels (CAVAC). Le plan d’intervention du PTE est élaboré à la suite d’une recommandation au réseau des CAVAC par des partenaires ou le réseau lui-même et compte un nombre total de sept rencontres : 1) cinq rencontres préparatoires ; 2) l’accompagnement à la cour ; et 3) une rencontre bilan (Lachambre et Dufour, 2018). Chacune des rencontres préparatoires est importante puisqu’elles offrent aux témoins mineurs, accompagnés d’un intervenant psychosocial du réseau des CAVAC, l’occasion d’appliquer et de mettre en pratique des compétences qui leur seront utiles lors du témoignage (Lachambre et Dufour, 2018). Sans faire référence aux faits allégués de la cause, ces rencontres permettent aux enfants et adolescents de s’exercer à répondre à des questions similaires à celles posées au tribunal, mais en lien avec un événement autre (ex : examen à l’école). Ceci dit, alors que le PTE vise à mieux outiller les jeunes, il est fort possible que certaines craintes et appréhensions demeurent, étant donné la complexité et le contexte de la tâche. Les études dans le domaine indiquent que les enfants et les adolescents victimes d’actes criminels entretiennent de nombreuses craintes à l’idée de témoigner (Bala et al., 2001 ; Cunningham et Stevens, 2011 ; Goodman et al., 1992 ; Sas, 1991 ; Troxel, Ogle, Gordon, Lawler et Goodman, 2009).

Les craintes des témoins mineurs

Rationnelles ou non, les craintes que vivent les enfants et les adolescents victimes d’actes criminels à l’idée de témoigner engendrent des émotions qui, elles, sont bien réelles (Cunningham et Stevens, 2011). Le témoignage constitue un facteur de risque puisque parler des faits peut réactiver la mémoire traumatique et engendrer des blessures dites secondaires (Sas, 1991). L’attitude et les comportements des acteurs judiciaires, mais aussi d’autres personnes présentes au moment du témoignage, peuvent contribuer à ce que les jeunes victimes se sentent incomprises, malmenées et responsables de leur victimisation (Symonds, 2010). L’état actuel des connaissances indique que les craintes liées au témoignage sont variées et se manifestent différemment d’un témoin mineur à un autre. Parmi l’ensemble des craintes qui ont été identifiées par la communauté scientifique, celle d’avoir à décrire les événements en présence de la personne accusée est la plus fréquente de toutes (Bala et al., 2001 ; Cunningham et Stevens, 2011 ; Goodman et al., 1992 ; Sas, 1991 ; Troxel, Ogle, Gordon, Lawler et Goodman, 2009). D’après Goodman et al. (1992), ces chercheurs qui figurent parmi les premiers à s’être intéressés à l’impact associé aux procédures judiciaires sur la santé psychologique des enfants et les adolescents, les témoins mineurs vivraient difficilement le fait de se retrouver à proximité de leur agresseur. Il s’agirait, entre autres, de quelque chose de fort intimidant (Goodman et al., 1992). Plus récemment, l’étude de Randell (2017), réalisée en Nouvelle-Zélande sur l’expérience judiciaire des jeunes victimes d’agression sexuelle, avance que les témoins mineurs seraient sujets à ressentir de la peur, de l’angoisse et de l’anxiété à l’idée de parler des faits en présence de la personne ayant posé des gestes de violence. Ces réactions émotionnelles seraient d’ailleurs d’une plus grande intensité lorsque l’accusé est un membre de la famille ou une personne significative. Selon Barry et al. (2006), il serait encore plus difficile pour les enfants et les adolescents de se prioriser et de prendre des décisions pour soi en ces circonstances. Ces derniers seraient davantage anxieux et appréhenderaient qu’eux ou leur famille puissent faire l’objet d’éventuelles représailles (Cunningham et Stevens, 2011).

Également, les enfants et les adolescents qui ont à rendre un témoignage à la cour peuvent douter de leur habileté à témoigner. Ayant été informés de l’importance de leur témoignage et de la possibilité que l’accusé soit acquitté faute de preuve, certains jeunes ressentiraient qu’ils n’ont pas droit à l’erreur (Troxel et al., 2009). Parmi les craintes qu’ont répertoriées Cunningham et Stevens (2011) dans leur guide Pour aider un enfant témoin : 101 choses à savoir, dire et faire, un guide élaboré pour faciliter le passage à la cour des jeunes en Ontario, il est dit que les témoins enfants et adolescents peuvent craindre de ne pas être crus, de ne pas être capables de répondre aux questions posées, de vivre des émotions et de ne pas comprendre le déroulement des procédures judiciaires. Qui plus est, il serait fréquent qu’un enfant ou un adolescent ressente de la culpabilité, de la honte ou de l’embarras à parler des faits allégués (Cunningham et Stevens, 2011), et ce, surtout dans les dossiers d’agression sexuelle (Goodman et al., 1992). Beaucoup de jeunes éprouvent un certain malaise et de l’inconfort à l’idée d’avoir à parler de sexualité ou de leur intimité (Goodman et al., 1992). Enfin, les enfants et les adolescents peuvent appréhender que leur témoignage affecte la qualité de vie de leur entourage et des personnes qu’ils aiment (Sas et al., 1993). Ils peuvent anticiper que des rumeurs courent à leur sujet ou bien que leur histoire circule sans qu’ils en aient le contrôle (Cunningham et Stevens, 2011).

Objectifs de la recherche

L’objectif principal de cette étude est de documenter les effets associés de l’intervention du PTE sur le niveau de craintes des témoins mineurs. Les objectifs secondaires sont de déterminer qui sont les enfants et les adolescents qui ont bénéficié des services du PTE jusqu’à maintenant, d’étudier l’évolution des craintes, avant et après l’intervention, et d’identifier les facteurs liés à la présence de craintes au moment du témoignage. Étant donné que les jeunes pris en charge en vertu de la LPJ font face à plus d’adversité que les jeunes qui n’ont pas vécu de situation de placement, cette étude vise à susciter une réflexion sur les implications d’un programme comme celui du PTE dans l’accompagnement et la prise en charge des enfants et des adolescents vulnérables.

Méthodologie

Procédures

Les données de la présente étude sont issues d’un projet de recherche réalisé en collaboration avec le réseau des centres d’aide aux victimes d’actes criminels (CAVAC) afin de mieux documenter le passage à la cour des enfants et des adolescents victimes d’actes criminels au Québec. Le recrutement des participants et la collecte des données ont eu lieu entre 2016 et 2021, et ce, par l’entremise des intervenants du réseau des CAVAC auprès d’enfants, d’adolescents et de leurs parents. En consentant à y participer, les jeunes qui ont bénéficié des services du PTE ont autorisé que certaines informations figurant à leur dossier puissent être consultées pour des fins de recherche. Ce projet de recherche a reçu l’approbation du comité d’éthique de la recherche – Société et culture (CER-SC) de l’Université de Montréal.

Participants

Les analyses ont été effectuées à partir d’un échantillon de 68 enfants et adolescents victimes de violence dont l’âge varie entre 7 et 18 ans (M = 12,94 ; É-T = 3,07). Les participants qui composent l’échantillon final (n = 68) proviennent principalement des régions administratives du Centre-du-Québec (29,4 %), de Laval (26,5 %) et de l’Outaouais (35,3 %) et sont, pour la plupart, des jeunes filles (72,1 %). Initialement, l’échantillon regroupait 87 enfants et adolescents victimes de violence, mais les données de 19 mineurs ont dû être écartées en raison de leur deuxième participation au PTE ou de données manquantes. Tous les jeunes de l’échantillon final en sont à leur première participation au programme.

Parmi les enfants et les adolescents préparés, 58 (85,3 %) ont eu à se présenter à la cour le matin de la journée prévue pour leur témoignage, mais seulement 30 d’entre eux (44,1 %) ont eu à témoigner. Les enfants et les adolescents qui ont témoigné sont majoritairement de sexe féminin (76,7 %) et leur âge varie de 7 à 18 ans (M = 12,40 ; É-T = 2,90). Il a été déterminé, à l’aide de tests de khi deux et de tests t pour échantillons indépendants, que l’échantillon composé d’enfants et d’adolescents qui ont témoigné (n = 30) est représentatif de l’échantillon composé d’enfants et d’adolescents n’ayant pas témoigné (n = 38).

Instruments de mesure

Les données ont été recueillies à partir de trois instruments de mesure distincts : la fiche signalétique, le journal de bord et le questionnaire Mes craintes à l’idée d’aller témoigner. La fiche signalétique est un document qui liste les renseignements généraux et sociodémographiques du mineur (Lachambre et Dufour, 2018) tels que son sexe, la durée de la victimisation, le lien avec la personne accusée, etc. Le journal de bord est un document qui consigne l’évolution du mineur au fil des rencontres de préparation (Lachambre et Dufour, 2018). Il permet d’assurer le suivi des rencontres et fait état du niveau de stress, de compétence et de connaissance du jeune en vue du témoignage. Les données du journal de bord ont permis d’amasser des renseignements sur l’expérience judiciaire des jeunes et leur maîtrise des compétences. Enfin, le questionnaire Mes craintes à l’idée d’aller témoigner (voir la figure 1) est un instrument de mesure validé à 23 items inspiré du Fears of Court Questionnaire produit par le Centre for Children and Families in the Justice System (2002). Il vise à évaluer le niveau de craintes du participant en s’intéressant aux inquiétudes qu’il peut avoir envers lui-même, envers la personne accusée, envers les acteurs judiciaires et envers les personnes autres. Il était demandé aux intervenants du réseau des CAVAC de faire passer le questionnaire à la première rencontre de préparation (temps 1) et à la dernière rencontre avant le témoignage (temps 2). Le participant devait répondre « Non », « Un peu » ou « Beaucoup » à chacun des items. La consistance interne (degré de fiabilité) du questionnaire Mes craintes à l’idée d’aller témoigner au temps 1 est de 0,86 et de 0,84 au temps 2 (Cronbach, 1951).

figure 1

Questionnaire Mes craintes à l’idée d’aller témoigner*

Questionnaire Mes craintes à l’idée d’aller témoigner*

* Traduction et adaptation du Fears of court questionnaire du Centre for Children and Familias in the Justice System (2002).

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Stratégies d’analyse

Des analyses descriptives (fréquences) ont été effectuées afin de collecter des informations générales sur les caractéristiques sociodémographiques et l’expérience judiciaire des enfants et des adolescents ayant bénéficié des services du PTE au cours des dernières années. Des analyses bivariées (tests t pour échantillons appariés, corrélations, tableaux croisés) à partir de deux mesures visant à évaluer les craintes ont été menées dans l’espoir de mieux cerner les effets de l’intervention du PTE. Une analyse multivariée (régression logistique binaire) a été réalisée afin de déterminer les facteurs les plus susceptibles de prédire la présence de craintes lors du témoignage.

Résultats

Portrait des participants à l’étude

Le tableau 1 présente les caractéristiques sociodémographiques des enfants et des adolescents préparés (n = 68) et celles de ceux qui ont témoigné (n = 30). Trois participants à l’étude sur cinq (60,3 %) ont bénéficié des services du PTE en lien avec un seul événement de violence. Pour la plupart des enfants et des adolescents (66,2 %), et ce, notamment chez les enfants et les adolescents ayant témoigné (80 %), le motif de l’assignation concernait des allégations de nature sexuelle. Approximativement un jeune sur cinq (19,1 %) a bénéficié des services du PTE à la suite d’une recommandation personnalisée par le DPCP. Ce pourcentage diminue à 13,3 % lorsque seuls les enfants et les adolescents ayant témoigné sont considérés. Quant au lien avec la personne accusée, presque tous les participants à l’étude (91,2 %) connaissaient, d’une manière ou d’une autre, l’identité de leur agresseur. Dans près de 45,6 % des cas, l’accusé était un membre de leur famille (immédiate ou élargie). Enfin, seuls 38,2 % des participants et 33,8 % des parents ont bénéficié d’un encadrement psychologique au moment d’entamer leur première rencontre préparatoire à la cour.

Tableau 1

Caractéristiques sociodémographiques de l’échantillon

Caractéristiques sociodémographiques de l’échantillon

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Le tableau 2 renseigne sur l’expérience judiciaire des enfants et des adolescents qui constituent l’échantillon final (n = 68) et ceux ayant témoigné (n = 30). Les participants à l’étude (89,7 %) ont surtout bénéficié des services du PTE en lien avec une audience à la Chambre criminelle et pénale. Bien qu’une proportion importante des participants à l’étude (63,2 %) étaient assignés à témoigner au stade du procès, un témoin mineur sur deux a témoigné au stade de l’enquête préliminaire (46,7 %). La plupart des jeunes à l’étude (86,7 %) ont assisté à un minimum de trois rencontres préparatoires. Fait notable, trois enfants et adolescents sur quatre ayant témoigné (73,3 %) ont pu revenir sur leur expérience en tant que témoin lors d’une rencontre bilan avec leur intervenant. Un niveau de craintes modéré ou élevé a été identifié chez 70,6 % des enfants et des adolescents qui composent l’échantillon final et 73,3 % des enfants et des adolescents ayant témoigné. En contrepartie, peu de participants à l’étude (26,9 %) ont exprimé avoir de la difficulté à comprendre certains aspects du témoignage lors de leur première rencontre de préparation. Au final, et ce, de manière générale, un délai approximatif de 37,96 jours (É-T = 30,63) séparait la première rencontre de préparation et la journée prévue du témoignage.

Tableau 2

Données descriptives de l’expérience judiciaire de l’échantillon

Données descriptives de l’expérience judiciaire de l’échantillon

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Ceci dit, le tableau 3 fait état des données descriptives des enfants et des adolescents qui ont eu à rendre un témoignage (n = 30). Presque tous les jeunes ayant témoigné (n = 29) ont pu profiter d’au moins une forme d’aide au témoignage. Parmi les dispositifs existants, le fait d’être accompagné par une personne de confiance a été le dispositif d’aide au témoignage auquel les jeunes ont le plus recouru (86,2 %). En regroupant les données des participants qui ont témoigné à l’extérieur de la salle d’audience (n = 14) ou derrière un paravent (n = 9), 79,3 % des enfants et des adolescents ayant témoigné n’ont pas été directement en contact avec leur agresseur. Enfin, la vidéo témoignage de l’entrevue policière d’un témoin mineur sur quatre (24,1 %) a été visionnée lors de l’interrogatoire principal.

Tableau 3

L’expérience du témoignage des mineurs ayant témoigné (n = 30)

L’expérience du témoignage des mineurs ayant témoigné (n = 30)

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Effets de l’intervention sur le niveau des craintes

Le tableau 4 présente les moyennes et les écarts-types ainsi que les résultats des tests t à mesures répétées (prétest et post-test). Seuls 31 des 68 enfants et adolescents qui composent l’échantillon final ont rempli le questionnaire visant à évaluer les craintes aux deux temps de mesure, c’est-à-dire avant et après l’intervention. Les résultats indiquent que l’ensemble des scores de craintes connaissent une diminution statistiquement significative après l’intervention. Le score global de craintes moyen varie notamment de 15,74 (É-T = 6,92) au temps 1 à 6,77 (É-T = 5,54) au temps 2. Conséquemment, les enfants et les adolescents qui ont bénéficié des services du PTE ont moins de craintes après les rencontres préparatoires.

Tableau 4

Moyennes, écarts-types et résultats des tests t pour échantillons appariés (n = 31)

Moyennes, écarts-types et résultats des tests t pour échantillons appariés (n = 31)

* = p < 0,05 ; ** = p < 0,01 ; *** = p < 0,005.

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Les facteurs liés à la présence de craintes au moment du témoignage

L’analyse multivariée visait à déterminer les facteurs possiblement associés (variables indépendantes) à la présence de craintes chez les enfants et les adolescents lors du témoignage (variable dépendante). Le tableau 5 expose les résultats de l’analyse de régression logistique binaire qui s’est révélée être statistiquement significative. Les variables indépendantes intégrées dans ce modèle ont été déterminées à partir d’analyses préliminaires univariées et d’écrits de la communauté scientifique. Les analyses préliminaires visaient à identifier et à quantifier le degré d’association entre les différentes variables et la présence de craintes au matin du jour du témoignage (variable dépendante). En respectant le ratio d’une variable indépendante par 10 observations (Hosmer et Lemeshow, 1989), le modèle retenu compte cinq variables indépendantes : 1) le score global de craintes avant l’intervention ; 2) la durée de la victimisation ; 3) le fait d’être assigné au stade du procès ; 4) le fait que le parent reçoit des services psychosociaux au début du PTE ; et 5) le sexe. Le modèle (X2 (5) = 30,099 ; p = 0,000) atteste, dans 84,5 % des cas, de la présence de craintes lors du témoignage. Toutes les variables indépendantes intégrées au modèle se sont avérées être des variables associées à la variable dépendante. Les résultats indiquent que la probabilité d’avoir des craintes au moment de témoigner est d’abord influencée par le fait d’être assigné à l’étape du procès, par une longue période de victimisation, par le fait d’être une fille, par le fait que le parent non abuseur reçoit des services psychosociaux ou thérapeutiques et, finalement, par la présence de craintes au début de l’intervention. Les variables intégrées dans le modèle expriment entre 40,5 % et 54,8 % de la variance globale de la variable dépendante.

Tableau 5

Résultats de la régression logistique binaire visant à identifier les facteurs associés à la présence de craintes lors du témoignage (n = 58)

Résultats de la régression logistique binaire visant à identifier les facteurs associés à la présence de craintes lors du témoignage (n = 58)

* = p < 0,05 ; ** = p < 0,01 ; *** = p < 0,005.

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Discussion

Cette étude visait à évaluer l’apport du PTE sur le niveau de craintes des témoins mineurs. Le fait que l’échantillon à l’étude soit principalement composé de filles (72,1 %) et d’enfants et d’adolescents victimes de crimes à caractère sexuel (66,2 %) est cohérent avec ce qu’ont pu observer d’autres chercheurs. Dans le cadre de leur étude visant à analyser l’offre de service d’un autre programme de préparation au témoignage offert au Canada, Barry et al. (2006) ont constaté une présence accrue de filles requérant des services d’accompagnement et de soutien. Il est à présumer que cette différence selon le sexe est en partie attribuable à la nature des infractions commises. Qui plus est, ces résultats appuient ce qu’ont noté Ghetti et al. (2002), soit que la présence de mineurs au tribunal est surtout sollicitée lorsqu’il est question de crimes sexuels. Puisque l’existence de preuves corroborantes est rare en matière d’agression sexuelle (Heger et al., 2012 ; Jackson, 2004 ; Robinson, 2015), les procureurs de la couronne doivent se résoudre à assigner les jeunes victimes à témoigner (Cross et al., 2003). Cependant, alors que la quasi-totalité des enfants et des adolescents à l’étude (89,7 %) était assignée à témoigner à la cour criminelle, il est discutable qu’une faible proportion des participants (19,1 %) ait bénéficié des services PTE à la suite d’une recommandation du DPCP. Étant donné leur responsabilité énoncée de prouver la culpabilité de la personne accusée et d’assigner les témoins à témoigner, le travail des procureurs de la couronne peut être facilité par ce type de programme. L’implantation récente du PTE explique possiblement le faible taux de recommandations de la part des procureurs. Ces résultats suggèrent que des efforts supplémentaires de communication avec les partenaires pourraient permettre une meilleure connaissance du programme et, par le fait même, un taux plus élevé de recommandations. En ce qui concerne la durée du programme, les résultats de la présente étude indiquent que les participants ont entrepris le PTE en moyenne cinq semaines et demie avant la date prévue de leur témoignage. À supposer que les jeunes assistent à une rencontre préparatoire une fois par semaine, cette fréquence laisse peu de place à la flexibilité. Ainsi, il aurait lieu de réfléchir à la possibilité d’initier le PTE plus tôt afin de tenir compte des aléas de la vie et de permettre aux enfants et aux adolescents d’intégrer l’ensemble des notions apprises.

Par ailleurs, il semblerait y avoir des avantages à court terme à aborder les craintes des témoins mineurs en début d’intervention. Les résultats indiquent que l’intervention du PTE a contribué à ce que les craintes des participants à l’étude soient apaisées ; ces derniers ont indiqué avoir moins de craintes une fois les rencontres préparatoires terminées. Ce résultat fait écho aux études de Davies, Devere et Verbitsky (2004) et de Nathanson et Saywitz (2015), qui ont remarqué que recevoir de l’aide en lien avec le témoignage diminue le niveau d’anxiété et de stress des jeunes victimes. En étant dans un meilleur état d’esprit, il est possible de croire que les enfants et les adolescents seront plus disposés à témoigner. L’habileté qu’ont les mineurs de se remémorer les détails d’un événement est en partie liée à leur état émotionnel du moment (Sas, 2002). En effet, les craintes qu’entretiennent les enfants et les adolescents victimes d’actes criminels à l’idée de témoigner peuvent malheureusement avoir une incidence sur la manière dont ils racontent leur victimisation (Goodman et al., 1992 ; Goodman, Goldfarb, Quas et Lyon, 2017 ; Sas, 1991, 2002), d’où la recommandation de Lachambre et Dufour (2018) de prendre tout le temps nécessaire pour intervenir auprès des jeunes et aborder le sujet des craintes.

Les résultats de l’analyse de régression logistique binaire montrent que plusieurs facteurs, dont le sexe et le score global de craintes obtenu au début de l’intervention, sont susceptibles d’influencer la présence de craintes chez les jeunes victimes au moment du témoignage. Tout comme dans les travaux de Nathanson et Saywitz (2015) et dans ceux de Sas et al. (1993), les filles, dans le cas présent, ont rapporté un niveau de craintes plus élevé que les garçons. Cette distinction selon le sexe pourrait être en partie due, comme l’ont supposé Nathanson et Saywitz (2015), à l’éducation et à la socialisation, les filles étant plus enclines à verbaliser leur ressenti. Qui plus est, il n’est pas étonnant de constater que les participants à l’étude aient exprimé avoir des appréhensions en vue de leur témoignage. D’autres études s’étant intéressées à l’effet associé aux procédures judiciaires sur la santé psychologique des jeunes victimes ont également remarqué de l’anxiété d’anticipation chez plusieurs témoins enfants et adolescents dans les jours et les semaines précédant le témoignage (Goodman et al., 1992 ; Nathanson et Saywitz, 2015 ; Sas, 1991 ; Sas et al., 1993). Cela dit, il demeure complexe d’identifier tout ce qui effraie les enfants et les adolescents victimes d’actes criminels dans le fait de témoigner (Elmi et al., 2018), et ce, surtout lorsqu’ils sont en situation de grande vulnérabilité. Dans une optique où les craintes peuvent perdurer, voire se cristalliser avec le temps, il est primordial de mieux les comprendre. Sur le plan de la recherche, il est important de poursuivre l’étude des craintes signalées par les témoins mineurs, et ce, en privilégiant une vision plus générale et englobante des peurs, une vision inspirée du modèle écologique (Bronfenbrenner, 1979). Bien que la contribution du PTE se précise, elle demeure à approfondir. Certaines dimensions du programme n’ont pas encore fait l’objet d’une évaluation complète. Sur le plan clinique, cette recherche illustre la pertinence d’intervenir sur les craintes et les bienfaits sur le bien-être des enfants et des adolescents de prendre part à un programme de préparation au témoignage.

Limites

Cette étude comporte trois limites principales. Premièrement, il faut mentionner que la réalité des participants à l’étude ne représente pas nécessairement la réalité de l’ensemble des enfants et adolescents qui ont à témoigner au Québec. En effet, les participants dans le cas présent bénéficient des services d’un programme de préparation à la cour offert par le réseau des CAVAC. Malheureusement, tous n’ont pas la possibilité d’avoir accès à ce service, bien qu’ils le devraient. Il arrive, encore à ce jour, que des enfants et des adolescents témoignent sans le moindre soutien ni encadrement. Afin de mieux protéger les mineurs qui agissent comme témoins, il serait intéressant de connaître dans quels contextes les enfants et les adolescents peuvent avoir à témoigner et de réfléchir à la possibilité d’adapter la structure du PTE à ces contextes. Deuxièmement, l’absence d’un groupe contrôle ne permet pas de dégager les effets propres à l’intervention du PTE. Bien que l’implantation du PTE ait été graduelle et qu’il y ait eu tentative de recruter un groupe témoin au début de son établissement, il n’a pas été possible de constituer ce groupe pour les raisons suivantes : 1) tous les centres du réseau CAVAC n’étaient pas impliqués dans la recherche au moment où le réseau a intégré le protocole de recherche du PTE et 2) il aurait été discutable sur le plan déontologique de priver des mineurs de ce type de service pour les biens de la recherche. Dans le cadre d’une recherche future, il est envisagé de constituer des groupes de comparaison à partir du nombre de rencontres préparatoires complétées dans l’espoir d’avoir une meilleure idée des retombées du programme. Troisièmement, l’exclusion d’un certain nombre de participants (n = 19) a réduit la portée et quelque peu appauvri la richesse des analyses qui ont été menées. Il aurait été préférable d’avoir accès à un bassin composé d’un plus grand nombre de participants. Un échantillon final plus volumineux aurait facilité la mise en relation d’un plus grand nombre de variables, ce qui, ensuite, aurait permis une lecture plus juste et adéquate des facteurs prédicteurs de la présence de craintes lors du témoignage.

Conclusion

Cette étude souligne l’importance de continuer à documenter les craintes et inquiétudes des témoins mineurs ainsi que la nécessité d’approfondir l’évaluation du PTE dans le but de mieux cerner ses effets possibles, notamment sur leur compétence à rendre un témoignage. Les enfants et les adolescents en situation de grande vulnérabilité, comme les jeunes pris en charge en vertu de la LPJ, auraient avantage à bénéficier de ce genre de préparation afin d’amoindrir tout risque de revictimisation. Ces derniers ont une voix et cette voix mérite d’être entendue.