Corps de l’article

Introduction[2]

Le 11 mars 2022 a marqué le deuxième anniversaire de la déclaration de l’état de pandémie de COVID-19 (Organisation mondiale de la Santé [OMS], 2020). Partout au Canada, les individus qui vivent et travaillent dans des environnements où se côtoient des gens ont été durement touchés par les infections à la COVID-19 (Loreto, 2021). Les prisons n’ont pas fait exception. Les personnes incarcérées et les membres du personnel étant infectés à des taux significativement plus élevés que la population générale (Ouellet et Loeiro, 2020). La menace posée par la COVID-19 aux prisonniers et au personnel pénitentiaire a obligé la mise en place de plusieurs mesures afin de prévenir et gérer la propagation de la maladie en prison, tout en révélant les différentes façons dont l’emprisonnement mine la santé publique.

Premièrement, au début de la pandémie, les gouvernements du monde entier ont adopté de nombreuses mesures de libération (par exemple, des libérations sous caution d’urgence, des programmes d’absence temporaire élargis, etc.) affectant plus d’un million de personnes dans le monde (DLA Piper, 2021). Au Canada seulement, la population carcérale a diminué de plus de 15 % au cours des premiers mois de la pandémie (Statistique Canada, 2021a), et ce, malgré les objections des partisans de l’incarcération comme le Syndicat des agents correctionnels du Canada (2020) qui affirmait que « la libération immédiate des détenus […] signale un mépris total pour la sécurité publique » (p. 2). Il convient de noter qu’il n’y a pas eu de pic correspondant à la victimisation signalée par la police au cours de la même période (Statistique Canada, 2021b). La mise en place rapide de ces mesures de libération souligne la possibilité d’une déjudiciarisation et d’une désincarcération qui permettraient de réduire l’utilisation et les coûts futurs de l’emprisonnement, en particulier si elles s’accompagnent de mesures de déjudiciarisation et de soutien à la libération pour les personnes criminalisées en prévenant les préjudices, la recriminalisation et la réincarcération (Ricciardelli, Bucerius, Tetreault, Crewe et Pyrooz, 2021). Les études ont également montré que la réduction de la population carcérale diminue le risque de transmission de la COVID-19 dans et au-delà de la prison (Reinhart et Chen, 2021).

Deuxièmement, les gouvernements ont mis en place des mesures répressives dans le but de réduire le risque de transmission de la COVID-19 en prison (par exemple, l’utilisation de quarantaines médicales et de régimes d’isolement ressemblant à l’isolement en prison), la suspension fréquente des programmes (par exemple, la scolarité, la programmation cognitivo-comportementale, etc.) et des visites, ainsi que l’imposition de confinements lorsque des éclosions se produisent ou sont suspectées, etc.). (Piché, Speight et Walby, à paraître). Ces mesures répressives ont exacerbé les conditions austères de détention et les violations des droits de la personne que les prisonniers subissaient déjà avant la pandémie (voir, par exemple, Al-Ghazziz, 2020 ; Osman, 2020 ; Termite Collective, 2020 ; Zehr, 2020). Bien que les autorités aient défendu de telles mesures et aient résisté aux appels renouvelés pour une diminution de la population carcérale, en affirmant que cela porterait atteinte à la sécurité publique (par exemple, Richardson, 2020), des études antérieures sur l’isolement (par exemple, Butler, Steiner, Makarios et Travis, 2020), les confinements (par exemple, Drago, Galbiati et Vertova, 2011) et les visites en prison (par exemple, Duwe et Clark, 2013) suggèrent que le fait d’exposer les personnes emprisonnées à des conditions de détention austères, où leurs droits fondamentaux sont menacés, compromettra la sécurité de la communauté à long terme (voir aussi Sapers, 2020).

Troisièmement, cette période a également été marquée par un manque d’accès approprié et opportun aux équipements de protection individuelle, aux fournitures de nettoyage et d’hygiène et aux vaccinations, proportionnellement au risque accru posé par le coronavirus dans ces lieux (CCNP, 2021). Les personnes emprisonnées ont décrit le fait que la privation de ces protections de base a contribué aux éclosions de COVID-19 à l’intérieur des prisons (voir, par exemple, Criminalization and Punishment Education Project et TPRP, 2020). Alors que des initiatives telles que les campagnes d’aide mutuelle ont tenté de combler ces déficiences (Chartrand, 2021), le manque de ressources essentielles accessibles aux personnes emprisonnées a miné les efforts de santé publique visant à endiguer la propagation de la maladie à l’intérieur des prisons et des communautés dans lesquelles elles se trouvent. Cette négligence a une fois de plus révélé la disparité qui existe entre les soins de santé préventifs derrière les murs de la prison et au-delà, ce qui nécessite des changements pour assurer la continuité des soins de santé entre la prison et la communauté dans la mesure du possible (Clear et Montagnet, 2022).

Quatrièmement, les retards de vaccination et l’hésitation des prisonniers quant à celle-ci sont apparus comme une préoccupation (Prison Pandemic Partnership, 2021), avec des taux de vaccination très variables d’une juridiction à l’autre, démontrant que certains déploiements des vaccins en prison et stratégies de communication ont été plus efficaces que d’autres. Cette inégalité a été observée au-delà des frontières juridictionnelles. Par exemple, les taux de vaccination dans le système pénitentiaire fédéral canadien, où les personnes purgent des peines de deux ans et plus, sont plus élevés, depuis la mise à disposition des vaccins pour les lieux de rassemblement (Service correctionnel Canada [SCC], 2021a), par rapport aux taux de vaccination chez les personnes emprisonnées dans des prisons provinciales et territoriales qui attendent leur procès ou purgent des peines de deux ans moins un jour (Ouellet et Gilchrist, 2021). Il y a également eu des différences au sein des juridictions. En Ontario, dans certaines prisons provinciales du nord de la province, près de cent pour cent des prisonniers avaient été vaccinés à la fin du printemps 2021, contrairement aux personnes emprisonnées ailleurs dans la province, et ce, en raison de retards de déploiement et de l’absence d’informations pouvant répondre aux préoccupations concernant les effets secondaires des vaccins (Hasham et Kennedy, 2021). La vaccination étant considérée par les experts en santé publique comme essentielle pour mettre fin à la pandémie de COVID-19 (par exemple, Strodel et al., 2021), le déploiement inégal des vaccins et l’hésitation à se faire vacciner derrière les barreaux ont eu pour conséquence de prolonger la pandémie (Barsky, Reinhart, Farmer et Keshavjee, 2021).

Cinquièmement, les personnes qui ont été libérées de la prison ont également fait face à des défis importants pendant la pandémie. Des difficultés d’accès au logement, à la nourriture, au soutien du revenu et à d’autres nécessités de base ont été signalées à des organisations travaillant avec des personnes criminalisées pour tenter de répondre à leurs besoins (voir, par exemple, PESF, 2021). Il est essentiel que les obstacles à la sécurité matérielle auxquels se heurtent les personnes criminalisées, ainsi que les leçons tirées des organismes communautaires qui participent à leur lutte (Chartrand, 2021), soient abordés afin d’améliorer le bien-être et la sécurité de la communauté pendant et au-delà de la pandémie de COVID-19.

En dépit du fait que les questions ci-dessus ont retenu l’attention des spécialistes de la santé publique et des prisons, ainsi que des journalistes, des commentateurs des médias et des militants, peu de travaux ont examiné le manque de transparence des autorités pénitentiaires concernant leur réponse à la COVID-19 et les résultats qui y sont associés (par exemple, Lacoste, Paliwal, Tyagi et Johnson, 2021). Le secret et le manque de transparence sont des problèmes sociaux qui peuvent donner lieu à des réponses de santé publique inefficaces lors de crises, caractéristique récurrente de l’ordre capitaliste (Maier, Hume et Dobchuk-Land, 2021), ainsi que favoriser la désinformation et les mythes sur les maladies infectieuses (Piller, 2020). S’appuyant sur la littérature sur la police des connaissances criminologiques et l’opacité en prison, cet article examine comment de multiples approches de la criminologie de l’actualité, sous la forme d’articles de blogues, de rédaction d’éditoriaux, de publication de rapports et de commentaires d’experts, peuvent remettre en question le secret d’État, de manière à générer une divulgation proactive d’informations sur l’impact et la gestion du coronavirus en prison. Comme le note Murray (2017), « la criminologie de l’actualité peut fournir un véhicule pour des résultats de recherche controversés ou “difficiles” et servir à demander des comptes aux autorités » (p. 507). Une partie de notre contribution illustre comment entreprendre la criminologie de l’actualité en utilisant de multiples approches que les médias sociaux et les médias en ligne indépendants du 21e siècle rendent possibles. Nous concentrons notre attention sur le travail dans lequel s’est engagé le Prison Pandemic Partnership, qui consistait à « inonder l’espace » des débats publics sur la gestion de la pandémie avec les informations limitées mises à disposition par les autorités. Il s’agissait là de procéder à une stratégie de mobilisation des connaissances et de recherche pour aider à révéler des informations inédites, essentielles à la compréhension des politiques, des pratiques et des conséquences de la pandémie dans les prisons. Dans notre analyse, nous soulignons la valeur de la criminologie de l’actualité, non seulement comme moyen de communiquer et de mobiliser les connaissances criminologiques, mais aussi de les générer au service de la recherche émancipatrice et militante.

Situer la recherche du Prison Pandemic Partnership

Le Prison Pandemic Partnership (PPP) est un projet de recherche et de mobilisation des connaissances auquel participent le Centre d’accès à l’information juridique (CAIJ), le Projet de sensibilisation sur la criminalisation et la sanction (Criminalization and Punishment Education Project [CPEP]) et l’Association canadienne des libertés civiles (ACLC). Le partenariat implique des chercheurs qui cherchent à réduire l’utilisation et les méfaits de l’emprisonnement afin d’atteindre un avenir non carcéralisé. Depuis le début de la pandémie, les chercheurs participant au partenariat ont examiné les approches utilisées par les autorités pénitentiaires fédérales et provinciales/territoriales du Canada pour gérer la propagation de la COVID-19 et ses répercussions, ainsi que leurs stratégies de gestion de l’information. Ci-dessous, nous situons le travail du PPP dans la littérature sur l’emprisonnement, la COVID-19, ainsi que sur l’opacité des prisons.

Emprisonnement et COVID-19

Alors que l’état de pandémie de COVID-19 n’a été déclaré qu’en mars 2020, un nombre important d’études concernant le coronavirus et l’emprisonnement avait déjà émergé. Certaines d’entre elles ont examiné les obstacles à la distanciation sociale derrière les murs de la prison (par exemple, Grace, 2020), les retards de dépistage (par exemple, Blair, Parnia et Siddiqui, 2020) et la transmission de la COVID-19, tant dans les centres de détention pour jeunes (par exemple, Gordon, Klose et Lyttle Storrod, 2021) que dans les prisons pour adultes (par exemple, Lacoste, Tyagi et Johnson, 2021). Des chercheurs, tels qu’Heard (2020), ont exploré l’impact de la COVID-19 sur la santé mondiale des populations emprisonnées. Certaines études ont examiné comment les prisons ont réagi relativement à la pandémie en enfermant les prisonniers, en restreignant leurs droits, leurs activités et leurs programmes, ainsi qu’en intensifiant les conditions d’emprisonnement déjà austères (par exemple, Suhomlinova et al., 2021). Cela a conduit des chercheurs comme Maycock (2021) à explorer la façon dont la COVID-19 a influencé les souffrances inhérentes de l’emprisonnement endurées par les personnes incarcérées. D’autres chercheurs ont examiné les répercussions de la COVID-19 sur la santé des prisonniers (par exemple, Nweze, Anosike, Ogunwusi, Adebisi et Lucero-Prisno, 2021) et leur santé mentale (par exemple, Burton, Morris et Hirschtritt, 2021). Cette dernière s’est particulièrement détériorée pendant la pandémie, comme en témoignent les taux plus élevés d’automutilation (Hewson, Green, Shepherd, Hard et Shaw, 2021) et les efforts des prisonniers pour attirer l’attention sur les atteintes à leur bien-être, par la résistance, prenant de nombreuses formes comme les grèves de la faim dans certaines juridictions (Moollabhai, 2021). Devant de telles tendances, les chercheurs ont fait valoir que les prisons devraient adopter des politiques pour atténuer les tensions causées par la COVID-19 et les restrictions associées (par exemple, Kinner et al., 2020).

Compte tenu des effets dévastateurs associés à la COVID-19 et de sa gestion derrière les murs des lieux de détention, de nombreux experts en santé publique et spécialistes des prisons ont plaidé en faveur d’une réduction significative de l’incarcération afin de freiner la propagation de la maladie et réduire l’exposition à des conditions de confinement dommageables. Alors que certains gouvernements ont suivi ces recommandations, des chercheurs ont fait valoir que la pandémie de COVID-19 a ouvert la possibilité de réductions massives de la population carcérale pendant et après la pandémie (par exemple, Chin et al., 2021). Cependant, des obstacles structurels à la désincarcération, incluant le racisme, le ressentiment et la peur, demeurent (Ivanov, Novisky et Vogel, 2021). Dans certaines juridictions, comme aux États-Unis (Miranda, Costa-Lopes, Freitas et Carvalho, 2021) et au Canada (Maynard et Piché, 2020), cela a empêché la libération d’un certain nombre de personnes noires, autochtones et d’autres personnes racialisées. Ainsi, alors que l’émergence de la COVID-19 a offert une opportunité de mettre fin à l’hyper incarcération des populations marginalisées et faire des investissements importants dans les moyens visant à améliorer la sécurité communautaire, cette occasion n’a pas été saisie dans de nombreuses juridictions (Minkler, Griffin et Wakimoto, 2020). Néanmoins, les précédents juridiques en matière de libération de la prison pour des raisons de santé publique établies pendant la pandémie (Murphy, 2021) ont fourni des modèles qui pourraient (et devraient) être adoptés pour réduire l’incarcération, dorénavant, afin de s’assurer que la population carcérale soit plus restreinte en cas de futures pandémies (Nowotny, Bailey, Omori et Brinkley-Rubinstein, 2020).

Bien que les idées des personnes incarcérées aient souvent été négligées dans les études sur l’emprisonnement (Clarkson et Munn, 2021), il y a eu quelques exemples notables d’initiatives universitaires centrées sur les voix des prisonniers. L’un de ces projets est le Prison Pandemic Project (2021) de l’Université de Californie à Irvine, qui fournit une « archive numérique d’histoires… des personnes incarcérées dans les prisons californiennes, des membres de leur famille et de leurs proches, ainsi que des membres du personnel/des employés qui travaillent dans ces établissements ». D’autres études incluent, sans toutefois s’y limiter, celle de Pyrooz, Labrecque, Tostlebe et Useem (2020) sur la manière dont les prisonniers dans des milieux de haute sécurité perçoivent la COVID-19, ainsi que des articles publiés dans des revues universitaires produites par des personnes elles-mêmes emprisonnées (par exemple, Roberts, 2022). Les personnes emprisonnées ont également rédigé des articles de magazines (voir par exemple, Birks et al., 2021), des éditoriaux (par exemple, Budlakoti, 2022) et des bulletins d’information documentant l’impact de la pandémie sur elles-mêmes (par exemple, Gottlied-Rosenwater, 2021). De tels efforts de production de connaissances sont essentiels pour faire la lumière sur la réalité de l’emprisonnement pendant cette période tumultueuse.

De nombreuses autorités pénitentiaires à travers le monde étaient mal préparées à la pandémie de COVID-19 (Dünkel, 2020). Sánchez, Simas, Diuana et Larouze (2020) ont noté que la santé publique est un défi paradoxal pour les prisons, tandis que d’autres auteurs, comme Sivashanker, Rossman, Resnick et Berwick (2020), ont fait valoir qu’une perspective en santé publique nécessite la libération de la prison en tant que réponse clé à la pandémie. En d’autres termes, la politique pénale doit intégrer une perspective de santé publique. Wang, Western et Berwick (2020) ont observé que certains médecins et cliniciens plaidaient pour la libération des prisonniers pour des raisons de santé publique, et que le manque de dépeuplement des prisons à l’échelle mondiale contribuait à la transmission de la COVID-19. Néanmoins, il existe un consensus émergent sur le fait que la réduction de l’emprisonnement est cruciale, non seulement pour la santé publique, mais aussi pour faire respecter les droits de la personne (Pont et al., 2021).

Conformément aux tendances de recherche mentionnées ci-dessus et dans le but de suivre les développements dans le contexte canadien, le Prison Pandemic Partnership a poursuivi quatre objectifs :

  1. En examinant les dossiers internes du gouvernement, obtenus par le biais de demandes d’accès à l’information (AI) et de données en sources ouvertes, nous examinons comment les organismes pénitentiaires canadiens se sont préparés au coronavirus avant l’allocution du directeur général de l’OMS sur la COVID-19 le 11 mars 2020 ;

  2. À partir d’une analyse des dossiers internes et publiés de gouvernements, nous trouvons les mesures utilisées par les organismes carcéraux à travers le Canada pour prévenir et gérer la propagation de la COVID-19 dans leurs établissements pendant la pandémie ;

  3. En comparant l’information accessible au public à l’information contenue dans des documents gouvernementaux non publiés recueillis à l’aide de demandes AI, nous étudions comment les organismes pénitentiaires de partout au Canada ont géré l’information concernant leur réponse à la pandémie et dans quelle mesure ils ont été transparents pendant la crise ; et

  4. Grâce à une analyse des dossiers internes du gouvernement et des données de sources ouvertes sur les résultats de la gestion de la pandémie carcérale (par exemple, étendue des tests, taux de tests positifs, décès en établissement, etc.), nous évaluons quelles approches ont produit les meilleurs résultats en matière de santé publique, de sécurité communautaire et de respect des droits de la personne pour éclairer les futures politiques et pratiques pénales pendant et après la pandémie de COVID-19.

Concernant notre troisième objectif de recherche, le recours à la criminologie de l’actualité, sur lequel le présent article s’appuie, est apparu comme une stratégie déployée en réponse à un obstacle méthodologique clé auquel nous nous sommes heurtés au cours du déploiement de cette initiative de recherche. L’absence de divulgation proactive a mis en péril notre capacité à recueillir et à analyser des données sur la façon dont les autorités pénitentiaires canadiennes ont réagi à la COVID-19 et les résultats qui y sont associés (voir Piché et Walby, 2022). Nous situons ces questions de transparence dans la littérature sur l’opacité des prisons et la police des connaissances criminologiques.

L’opacité des prisons et la police des connaissances criminologiques

Comme le rappelle une exposition récente au pénitencier de l’Eastern State (2018) intitulée Hidden Lives Illuminated aux visiteurs qui visitent le site désaffecté : « Les murs ne font pas que garder les prisonniers [à l’intérieur]… Ils tiennent le public à l’écart. » Même si les prisons ne sont pas les seules institutions étatiques à mettre l’accent sur le contrôle de l’information sur leurs pratiques (Pettigrew, 1972), elles sont reconnues comme étant parmi les plus secrètes (Turnbull, Martel, Parkes et Moore, 2018).

Alors que certains chercheurs ont été en mesure de cultiver des relations avec les autorités pénitentiaires pour mener des travaux sur le terrain, que ce soit avec des prisonniers (par exemple, Haggerty et Bucerius, 2020) ou avec le personnel pénitentiaire (par exemple, Ricciardelli, 2019) dans le contexte canadien, d’autres universitaires ont vu leurs tentatives de questionner les objectifs, les politiques et les pratiques des établissements carcéraux contrecarrées (Balfour et Martel, 2018). Parce que leurs recherches sont traitées par les autorités pénitentiaires comme dangereuses ou provocatrices, certains chercheurs ont même dû abandonner leurs plans de recherche originaux (par exemple, Yeager, 2008). Martel (2004) parle du contrôle associé à l’accès au travail sur le terrain dans les prisons comme un exemple de la police des connaissances criminologiques à laquelle font face les chercheurs en prison.

Ayant déjà surmonté les obstacles à l’accès à l’information sur l’emprisonnement (par exemple, Piché, 2012) et d’autres entités du système pénal (par exemple, Walby et Monaghan, 2011), nous ne nous faisions aucune illusion sur le fait que nos tentatives d’étudier l’impact de la pandémie sur l’incarcération au Canada seraient adoptées par les autorités carcérales. Même les renseignements les plus élémentaires associés à la COVID-19 et à l’emprisonnement, comme le nombre de cas parmi les prisonniers et le personnel carcéral, n’ont pas été divulgués de façon proactive par les autorités pénitentiaires canadiennes, à l’exception du Québec et du Manitoba, tandis que le Service correctionnel du Canada et l’Ontario n’ont publié que des mises à jour sur les cas de prisonniers sur leurs plateformes ouvertes (Piché et Walby, à paraître). D’autres données telles que l’accès des prisonniers aux vaccins et leur utilisation ainsi que les griefs et les plaintes ne sont pas accessibles dans la plupart des juridictions.

Parce que notre objectif est de comprendre la réponse carcérale à la COVID-19 au Canada, trouver des moyens non conventionnels afin de naviguer dans les « déserts de transparence » (Koningsor, 2020) que nous avons rencontrés pour obtenir des données en temps opportun est devenu nécessaire pour compléter notre production de connaissances, et ce, notamment parce que les demandes d’accès à l’information peuvent prendre des mois avant d’être traitées (Luscombe et Walby, 2015).

« Inonder l’espace » grâce à la criminologie de l’actualité pour produire des connaissances sur la COVID-19 derrière les murs des prisons au Canada

Les criminologues ont longtemps étudié la couverture médiatique concernant les politiques, pratiques et conséquences du système pénal, y compris au Canada (par exemple, Ericson, 1987), comme force motrice des points de vue et des réponses punitives à l’égard des préjudices sociaux. C’est dans ce contexte que les spécialistes critiques de la criminalisation et de la sanction ont avancé l’idée de la « criminologie de l’actualité » pour contester ce « site primaire à travers lequel la classe dirigeante est capable de produire et de reproduire des réseaux d’institutions, de relations sociales et d’idées » (Barak, 1988, p. 567). Cela implique de mettre en avant des « discours de remplacement » qui sont « dirigés vers le double processus de déconstruction du sens donné par des structures et de les remplacer par de nouvelles conceptions, distinctions, mots et expressions, qui communiquent un sens alternatif » (Henry, 1994, p. 289). La criminologie de l’actualité est apparue comme une tentative de rendre la discipline pertinente en dehors des milieux universitaires (Barak, 2007). Les criminologues publics et les criminologues de l’actualité s’engagent dans le débat public et le travail de politique, et les tactiques qu’ils utilisent pour mener des recherches, ainsi que pour communiquer leurs résultats, ont tendance à être plus querelleuses que les approches conventionnelles de la recherche universitaire (Currie, 2007).

Il existe plusieurs façons pour les chercheurs de s’engager dans la criminologie de l’actualité. Henry (1994) décrit quatre de ces approches. Tout d’abord, il y a celle du « criminologue en tant qu’expert » qui peut s’impliquer par le biais de « lettres à l’éditeur, de forums ouverts ou être… appelé par les journalistes alors qu’une question devient une histoire brûlante et continue » (Henry, 1994, p. 294). Deuxièmement, on peut adopter l’approche du « criminologue en tant que journaliste » en prenant « le contrôle de la conception des articles de presse criminelle, plutôt que de se laisser utiliser comme sujet ou spectacle secondaire en leur sein » (Henry, 1994, p. 293). Avec la mise à disposition de plateformes de sites Web permettant de créer soi-même un site, certains criminologues ont entrepris ce type de travail par le biais de blogues (par exemple, Piché, 2015). Troisièmement, on peut s’engager dans « l’auto-déclaration » en se positionnant comme « la source principale, sinon exclusive, de l’histoire médiatique » (Henry, 1994, p. 296) en organisant des événements et en produisant des rapports par le biais de communiqués de presse. Enfin, on peut occuper le rôle de « criminologue-provocateur-éducateur » en « cultivant des relations avec les journalistes » (Henry, 1994, p. 314) pour façonner leur couverture médiatique. Les criminologues de l’actualité peuvent modifier le message des organes de presse et des décideurs, bien qu’il existe des contingences dont les chercheurs doivent être conscients pour être efficaces (Piché, 2015).

S’engager dans la criminologie de l’actualité dans l’optique de remettre en question les constructions hégémoniques et les structures du système pénal n’est pas sans défis. L’un d’entre eux est d’ailleurs l’accès asymétrique à l’information sur la façon de conceptualiser et de manifester la justice qui existe entre les acteurs étatiques et les chercheurs engagés dans des luttes (Trulson, Marquart et Mullings, 2004). Les premiers sont capables de contrôler les connaissances criminologiques en maîtrisant les informations à divulguer et à dissimuler au public, alors que les seconds sont désavantagés dans la conception d’idées et d’issues possibles pour des politiques et des pratiques publiques émancipatrices. Le terrain sur lequel se déroule la criminologie de l’actualité a également changé, car les médias sociaux (Obar, 2014) et les blogues (Piché, 2015) peuvent maintenant être utilisés pour contester l’orientation et les titres apparaissant dans les médias grand public. À une époque où « la demande de contenu pour remplir le cycle de l’information continue 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 » existe, les criminologues ont plus d’occasions « de contribuer efficacement à cette dimension de la criminologie publique » (Rowe, 2013, p. 26).

Face à de tels défis et opportunités, Piché (2011) souligne comment les interventions criminologiques – y compris les textes de blogues, les notes d’orientation, les entrevues avec les médias et les échanges avec les journalistes – ont fait pression sur les autorités canadiennes pour qu’elles divulguent des renseignements sur les nouveaux plans d’infrastructure pénitentiaire qui étaient auparavant gardés secrets. Une partie de ce travail consistait à faire connaître des données, communiquées de manière proactive, limitée et incomplète par les organismes pénitentiaires, et à faire porter sur ces derniers la responsabilité des lacunes en matière de connaissances pour promouvoir une plus grande transparence. Cette divulgation a donné lieu à de nouvelles données, sur les coûts et la taille de nombreux ajouts aux installations existantes et aux nouvelles prisons, qui ont été communiquées au public (Piché, 2012).

Cette approche s’apparente à la tactique employée par la campagne présidentielle de Donald Trump en 2016 sous la direction de Steve Bannon qui a généré un avantage électoral en « inondant l’espace de merde » (Lewis, 2018), ce qui a entraîné une attention considérable des médias. Une grande partie de cette stratégie a été défavorable au candidat à la présidence Trump, mais elle lui a également donné l’occasion d’obtenir plus de couverture médiatique et de faire avancer des récits que son équipe de campagne a considérés comme utiles dans les efforts pour gagner l’élection. Pour Bannon, cette tactique « n’est pas une question de persuasion. Il s’agit de désorientation » (Lewis, 2018). L’approche de Bannon peut également être utilisée par des chercheurs engagés dans la recherche empirique pour faire pression et persuader – plutôt que de désorienter – les autorités de l’État dans le cadre d’un travail de criminologie de l’actualité, pour générer et mobiliser des connaissances qui entrecroisent l’activisme des médias et des données.

Bien que l’inondation de l’espace ait été utilisée par des forces autoritaires pour brouiller la frontière entre la réalité et la fiction, entre les vérités et les faussetés, et entre les nouvelles et les « fausses nouvelles », elle peut également être employée pour faire progresser les connaissances enracinées dans des objectifs émancipateurs. Comme nous le soulignons ci-dessous, l’approche privilégiée par le PPP, pour générer des connaissances sur la gestion de la COVID-19 et les résultats associés aux prisons au Canada, a consisté à inonder l’espace, sur le devant et l’arrière-scène de la couverture médiatique sur la pandémie, avec les données incomplètes divulguées de manière proactive par les autorités, et ce, dans l’optique de promouvoir de plus amples divulgations de données. Idéalement, les données communiquées de manière proactive par les organismes du système pénal devraient être complètes et motivées par les demandes des citoyens d’une manière qui stimulerait la transparence et la participation civique (Ricker, Cinnamon et Dierwechter, 2020). Nous envisageons un système dans lequel les citoyens pourraient soumettre une demande de production d’un ensemble de données, et les agences gouvernementales rendraient les résultats ouverts et accessibles à tous sous forme brute (par exemple, les cas de COVID-19 parmi les prisonniers et le personnel pénitentiaire). Cependant, à l’heure actuelle, la divulgation proactive et l’idée d’un gouvernement ouvert au Canada et ailleurs sont en grande partie rhétoriques (Wang et Shepherd, 2020). Dans l’état actuel des choses, d’autres stratégies sont nécessaires. La publication de données incomplètes des organismes du système pénal par divers moyens, y compris des articles de blogues et des éditoriaux, pourrait obliger ces organismes à rectifier l’information et à fournir de meilleures données au public. Nous concevons cela comme une réflexion sur les approches utilisées dans la criminologie de l’actualité, en mettant en évidence deux exemples clés qui ont aidé à atteindre cet objectif.

Suivi des cas de COVID-19 parmi les prisonniers et le personnel pénitentiaire au début de la pandémie

Lorsque la pandémie de COVID-19 a été déclarée par l’OMS le 11 mars 2020, les restrictions de voyage et de mouvement ont rapidement suivi, et les experts en santé publique avertissaient les gens de respecter la distanciation sociale pour prévenir la transmission de la maladie (par exemple, Adolph, Amano, Bang-Jensen, Fullman et Wilkerson, 2021). Dès le début de la pandémie, les chercheurs travaillant sur la prison et les défenseurs des droits des prisonniers, notant qu’il serait difficile de respecter de tels conseils de santé publique derrière les barreaux, ont exigé la libération de la prison pour prévenir la transmission de la COVID-19 et l’exposition potentielle (par exemple, CPEP, 2020a). Le premier cas signalé de la maladie au Canada en prison a été documenté à la fin du mois de mars (CPEP, 2020b) et a inspiré l’auteur principal, selon l’approche « criminologue- provocateur-éducateur », qui a publié une lettre ouverte sur un blogue diffusé sur les médias sociaux. Cette lettre ouverte a également été envoyée par courriel, le 6 avril 2020, aux ministres fédéraux, provinciaux et territoriaux responsables de l’emprisonnement et aux journalistes couvrant les développements sur la pandémie. La lettre ouverte demandait une divulgation proactive concernant les cas de COVID-19 en prison, les changements de population carcérale, les procédures d’entrée et de sortie, et posait diverses questions liées aux conditions de détention, les informations fournies aux prisonniers, ainsi que les changements dans les procédures de surveillance institutionnelle (Tracking the Politics of Criminalization and Punishment [TPCP], 2020a). Cette intervention par courriel et les suivantes (y compris une liste croissante de journalistes couvrant les développements sur la COVID-19 dans le contexte de la prison au début de la pandémie) ont positionné l’auteur principal comme « criminologue en tant qu’expert » dans plus de 60 émissions et 110 entrevues dans des médias imprimés/en ligne entre avril 2020 et novembre 2021.

Une autre intervention de l’auteur principal le 6 avril 2020 a consisté à compiler les cas de COVID-19 – tels que rapportés selon une couverture médiatique par le biais d’un moniteur de suivi intitulé « Emprisonner la pandémie au Canada » – parmi les prisonniers, le personnel pénitentiaire et les fournisseurs liés à des sites carcéraux canadiens (TPCP, 2020b). Adoptant la tactique de « l’autodéclaration », ce tableau – qui a été mis à jour sur une base hebdomadaire pendant la première vague de la pandémie de mars à mai 2020 et sur une base mensuelle par la suite, après le début de la deuxième vague à l’automne 2020 – a été envoyé par courriel à la liste de contacts de journalistes de l’auteur principal après chaque publication. Cette approche permettait de contrôler le message et soulignait également que seul le SCC (2020a) disposait d’une page Web dédiée à signaler les cas de COVID-19 dans ses pénitenciers, sans mentionner les infections chez le personnel. Si la plupart des administrations n’ont pas pris de mesures pour communiquer leurs propres données en ligne, l’Ontario a commencé à fournir le nombre de cas touchant des prisonniers sur une base de données en ligne, régulièrement mise à jour, en mai 2020 en raison des appels à plus de transparence et de l’intérêt des journalistes. Le même mois, le Québec a adopté cette pratique en y incluant le nombre de cas parmi les membres du personnel alors que les éclosions s’intensifiaient dans leurs prisons provinciales au printemps 2020, tandis que le Manitoba – qui n’avait détecté aucune transmission au cours de la première vague – incluait ces cas sur une page Web centralisée à compter de l’automne 2020 au milieu d’éclosions dans toutes ses prisons provinciales.

Alors que les « déserts de transparence » (Koningsor, 2020) étaient toujours abondants, même en termes de transmission de la COVID-19 derrière les barreaux, et que le Prison Pandemic Partnership avait officiellement commencé ses travaux en décembre 2020, nous avons intensifié nos efforts pour couvrir de honte les autres autorités pénitentiaires canadiennes afin qu’elles divulguent plus d’informations, en avertissant que nos mises à jour mensuelles sur les cas de COVID-19 indiquaient quelles juridictions divulguaient de manière proactive les infections parmi les prisonniers et le personnel pénitentiaire et celles qui ne le faisaient pas. Cette information se retrouvait sur les articles de blogues (par exemple, PPP, 2021a) et les rapports (par exemple, PPP, 2021b). Cependant, ces efforts n’ont pas permis de générer d’autres divulgations proactives lorsque la transmission de la COVID-19 liée aux sites carcéraux canadiens était préoccupante, au-delà de celles mentionnées ci-dessus.

Dénoncer l’opacité du SCC et établir un contexte pour un changement de comportement

Bien que nous ayons obtenu des gains modestes avec certains organismes carcéraux canadiens en ce qui concerne leur réponse à la COVID-19 et la transparence des résultats, tout comme la mise en oeuvre de mesures visant à humaniser et à réduire le recours à l’emprisonnement fait l’objet d’une « récupération carcérale » qui démantèle les changements progressifs au nom du maintien de la sécurité et de l’ordre institutionnels (Carlen, 2002), nous avons également observé des cas de récupération de renseignements carcéraux avec une divulgation proactive décroissante à mesure que la pandémie persistait. Un exemple est la déclaration par le SCC des cas de COVID-19 parmi les prisonniers, qui est devenue moins transparente au cours de la deuxième vague de la pandémie, lorsque les infections par la COVID-19 ont considérablement augmenté dans les pénitenciers fédéraux (PPP, 2021c). Ci-dessous, nous fournissons une chronologie des changements apportés aux divulgations proactives du SCC concernant les cas de COVID-19 chez les prisonniers fédéraux, y compris la récupération de renseignements carcéraux, qui ont éclairé les interventions ultérieures en criminologie de l’actualité :

  • Fin mars 2020 : Le tableau « Dépistage des détenus et résumé des cas » du SCC énumère 43 pénitenciers fédéraux et comprend des champs pour les tests positifs, négatifs, en attente et totaux pour les prisonniers (voir Wayback Machine, 2020a). Il s’agissait là d’une période où des éclosions ont été détectées à l’Établissement de Port-Cartier et à l’Établissement pour femmes de Grand Valley.

  • Du début à la mi-avril 2020 : Avec l’augmentation des cas de COVID-19 parmi les prisonniers fédéraux, le SCC a allongé sa liste d’établissements en passant de 43 (Wayback Machine, 2020b) à 60 (Wayback Machine, 2020c), ce qui, d’une part, a réduit le pourcentage de prisons touchées par la transmission de la maladie chez les prisonniers, mais a également permis d’analyser quelles unités (c.-à-d. à sécurité minimale, moyenne et maximale) dans les établissements pénitentiaires pour hommes étaient des sites d’éclosions.

  • Mi-avril 2020 : Les décès et les guérisons ont été ajoutés au tableau à la suite du décès d’un premier prisonnier fédéral de la COVID-19 à l’Établissement de Mission (SCC, 2020b).

  • Début mai 2020 : Avec des éclosions dans plusieurs établissements et deux prisonniers fédéraux maintenant morts de la COVID-19 (SCC, 2020c), les cas actifs ont été ajoutés au tableau du SCC, une transparence qui a permis de calculer les taux de positivité des tests, de mortalité et de rétablissement.

  • Décembre 2020 : Alors que des éclosions se déroulaient à l’Établissement de Stony Mountain, au Pénitencier de la Saskatchewan et à l’Établissement de Joyceville, le SCC a retiré les champs pour les tests négatifs, non concluants et en attente. Le SCC a également réduit la liste des établissements de 60 à 39, ce qui a empêché une analyse des unités dans les établissements pénitentiaires pour hommes qui avaient connu une épidémie de COVID-19 parmi leurs prisonniers (Wayback Machine, 2020d).

Au début de 2021, le SCC avait réduit, sans explication, les données disponibles en libre accès concernant les infections à la COVID-19 parmi ses prisonniers, laissant les personnes emprisonnées, leurs proches et d’autres, moins informés de l’impact de la pandémie sur le système pénitentiaire fédéral.

Devant ces changements dans la déclaration des cas de COVID-19 et dans le cadre d’autres efforts de recherche visant à préparer les réponses aux autorités pénitentiaires canadiennes en cas de pandémie (par exemple, Ricciardelli et al., 2021), nous avons écrit deux éditoriaux afin d’embarrasser le SCC pour qu’il fournisse des données plus détaillées sur la transmission du coronavirus derrière les murs des pénitenciers fédéraux. S’appuyant sur des données incomplètes du SCC recueillies au moyen de captures d’écran de pages Web enregistrées sur les archives Internet indépendantes de Wayback Machine, le premier éditorial publié le 3 février 2021 dans Options politiques a fourni une estimation de la répartition de l’infection par la COVID-19 parmi les prisonniers dans les pénitenciers du SCC. Sur la base d’une analyse des données limitées dont nous disposons, nous avons affirmé que dans l’ensemble du système pénitentiaire fédéral, 1 138 des 1 233 prisonniers fédéraux (92,3 %) qui ont contracté la COVID-19 ont été infectés dans des unités à sécurité moyenne pour hommes » (Piché, Walby et Deshman, 2021a). Nous avons également noté que, bien qu’un taux de transmission plus élevé dans de telles unités ne soit pas surprenant étant donné que « plus de 60 % des hommes incarcérés ont été classés comme tels [c.-à-d. à sécurité moyenne] en 2019-2020 » (Piché et al., 2021a), les témoignages des prisonniers et de leurs proches ont révélé que les installations touchées étaient plus surpeuplées, avec des unités plus compactes, avec des portes de cellule munies de barres plutôt que pleines, et avec une ventilation plus faible par rapport aux installations ayant d’autres classifications de sécurité. En mobilisant l’approche « criminologue en tant que journaliste », et tout en reconnaissant les limites des données, nous espérions que le SCC serait obligé de corroborer notre analyse par le silence ou un accord ouvert, ou qu’il contesterait notre travail et publierait des données plus complètes. Le silence du SCC s’en est suivi.

Une semaine plus tard, le 10 février 2021, nous avons publié un deuxième éditorial dans The Hill Times, un journal principalement lu par des parlementaires et des fonctionnaires fédéraux dans lequel nous avons noté les changements dans la déclaration des cas de prisonniers atteints de COVID-19 du SCC. Nous avons terminé l’article en déclarant : « Les changements apportés aux pratiques de déclaration de la COVID-19 soulèvent également des questions exigeant des réponses de la part du SCC, de sa commissaire Anne Kelly, ainsi que du ministre de la Sécurité publique, Bill Blair. La principale d’entre elles est de savoir ce que les représentants du gouvernement et du SCC cachent tout en donnant l’impression de s’être engagés à la transparence et à la divulgation proactive » (Piché et al., 2021b). En même temps, le premier auteur a utilisé les médias sociaux pour tenter de provoquer des réactions de la part du SCC, tout en continuant à publier des chiffres généraux sur la COVID-19 en prison afin de garder la question à l’esprit des chercheurs et des journalistes à la suite de ces développements.

Fait rare, un responsable du SCC a publié un éditorial le 22 février 2021 dans The Hill Times en réponse à notre intervention, affirmant qu’il s’agissait d’une organisation transparente et que des données plus détaillées seraient bientôt disponibles (voir Robitaille, 2021). Plus tard en février 2021, le SCC a effectivement fourni plus de détails sur la transmission de la COVID-19 parmi les prisonniers et sur les éclosions. Cette information comprenait une liste plus longue d’établissements selon les classifications de sécurité et des données plus complètes sur les éclosions, y compris la date du premier cas positif, la date du dernier rétablissement, la date de fin d’éclosion, les tests associés, les tests positifs, les décès et les cas actifs (jusqu’à ce que les éclosions soient déclarées terminées) pour chaque éclosion dans un pénitencier fédéral canadien depuis le début de la pandémie. En réponse directe à notre « inondation de l’espace » avec leurs propres données incomplètes et au milieu d’autres efforts publics pour influencer le changement (par exemple, Ricciardelli et al., 2021), une plus grande divulgation proactive en ce qui concerne l’impact de la COVID-19 sur le système pénitentiaire fédéral a été faite.

Conclusion

Dans le présent article, nous avons souligné comment la gestion de l’information initialement opaque du SCC associée à sa réponse à la COVID-19 a continué d’être une tendance de l’opacité au sein de l’autorité pénitentiaire fédérale du Canada – caractéristique documentée il y a plus de dix ans (par exemple, Martel, 2004) et qui existe en effet depuis bien plus longtemps (voir Culhane, 1979). Nous avons montré comment on peut appréhender la criminologie de l’actualité en utilisant de multiples approches dans le monde multimédia dans lequel les médias sociaux et les médias en ligne indépendants facilitent les interventions d’universitaires qui remettent en question le secret d’État et le manque de transparence. L’approche de la criminologie de l’actualité est plus importante que jamais devant le contrôle croissant de l’information par les agences étatiques (voir Piché et Walby, 2022). Notre analyse a mis en évidence que, grâce à de multiples approches de la criminologie de l’actualité, visant à faire pression sur les organismes du système pénal pour qu’ils soient plus transparents, il est possible de contester la police des connaissances criminologiques de manière à promouvoir la divulgation d’un plus grand nombre d’informations et de meilleures données. Devant (a) l’autodéclaration dans des articles de blogues retraçant les cas de COVID-19 liés aux prisons, ainsi que (b) la publication de rapports et de communiqués de presse sur les développements de la gestion de la pandémie derrière les barreaux qui ont fait l’objet d’articles de presse, (c) la réponse aux questions des médias en tant qu’experts, et (d) l’engagement en tant que provocateurs-éducateurs fournissant des conseils – sollicités et non sollicités – aux journalistes sur des sujets qui méritaient d’être examinés, en plus des efforts déployés par d’autres chercheurs exigeant des changements, le SCC a publié davantage d’informations sur la transmission du coronavirus dans les pénitenciers. À ce jour, le système pénitentiaire fédéral fournit habituellement, de manière proactive et systématique, des informations telles que les mises à jour du personnel et des bénévoles (SCC, 2021b), les messages aux personnes qu’ils emprisonnent, à leurs proches (SCC, 2021c) et aux intervenants communautaires (SCC, 2021d ; SCC, 2021e), le tableau de bord des visites (SCC, 2021f), ainsi que les mises à jour sur le déploiement des vaccins (SCC, 2021g) et les taux de vaccination (SCC, 2021a).

À coup sûr, des lacunes subsistent en matière d’information, y compris le nombre d’employés qui ont contracté la COVID-19 ou qui ont été vaccinés ; il est clair que les autorités du système pénitentiaire fédéral veulent être perçues comme transparentes, ce qui est évident dans un rare éditorial d’un responsable du SCC publié en réponse à nos critiques sur leur manque de transparence pendant la pandémie (Robitaille, 2021) et le fait que la divulgation d’informations par leurs homologues provinciaux et territoriaux n’a pas été faite de manière proactive (voir Piché et Walby, 2022). Ce que cela suggère, c’est que les obstacles à l’opacité carcérale peuvent être surmontés lorsque des pressions d’enquête sont appliquées, obligeant les autorités pénitentiaires à corriger publiquement le dossier pour que tout le monde puisse le voir, en révélant davantage sur la pratique et les conséquences de l’enfermement.

En dépit des limites à la criminologie de l’actualité en tant qu’approche de mobilisation des connaissances pour avoir un impact sur le changement (Piché, 2016), ce que le travail du Prison Pandemic Partnership illustre, un tel engagement peut aider à produire des connaissances pour éclairer les luttes visant à réduire le recours à l’emprisonnement et ses méfaits. S’engager dans l’activisme des données comme le PPP (2022) continue de le faire, ainsi que dans les communications sur les médias sociaux et en ligne, oblige les agences du système pénal à réagir et à tenir compte des écarts et des contradictions. Il incombe donc, lorsque les chercheurs rencontrent la police des connaissances criminologiques, qu’ils ne passent pas simplement à d’autres questions de recherche auxquelles on peut répondre par une analyse de données accessibles au public, mais contestent plutôt activement les « blocages de l’information » (Piché, 2011, p. 635). En ce sens, il existe de nombreux points d’intersection futurs possibles entre la criminologie de l’actualité et les domaines émergents de l’activisme des données et de l’activisme numérique. « Inonder l’espace » de données incomplètes divulguées de manière proactive par les autorités pénitentiaires est un moyen de les embarrasser activement pour qu’elles divulguent des informations plus complètes pouvant être examinées par les chercheurs et mobilisées pour en arriver à des politiques et des pratiques pénales moins nocives que celles en vigueur pendant et après la pandémie.