Résumés
Résumé
L’indicateur souvent utilisé pour mesurer la fécondité des immigrantes et pour comparer son niveau à celui des femmes natives est l’indice synthétique de fécondité. Cependant, des recherches ont montré que cet indice tend à surestimer les écarts entre les immigrantes et les natives, car il attribue un niveau de fécondité qui reste marqué par l’âge des femmes au moment de l’arrivée. Pour contourner ce problème, il est nécessaire d’avoir recours à des approches longitudinales qui considèrent la partie de la vie féconde qui précède la migration. Au Québec, il est possible d’estimer la fécondité des immigrantes à l’aide de données de registres administratifs qui suivent des cohortes au fil du temps. Dans cet article, nous présentons la méthodologie employée pour estimer le nombre d’enfants mis au monde avant et après la migration et nous comparons la fécondité des immigrantes selon la descendance des générations. Les résultats montrent que la fécondité des femmes immigrantes au Québec est influencée par le calendrier de la migration. Quant aux estimations de la descendance à divers âges, le nombre moyen d’enfants varie selon la région de provenance, mais il ne dépasse pas les deux enfants par femme vers la fin de leur vie féconde.
Abstract
Total fertility rate is the indicator most often used to measure the fertility of immigrant women compared to native born women. But research shows that this indicator tends to overestimate the differences between immigrant and native born women, because the fertility level is affected by the woman’s age at the time of migration. To overcome this problem, longitudinal approaches can be used, which take into account the part of the woman’s fertile life preceding her migration. In Quebec, it is possible to estimate the fertility of immigrant women with the help of administrative registers, which follow cohorts of people over time. In this article we present the methodology used to estimate the number of children born before and after migration, and compare the fertility of immigrant women via their offspring in succeeding generations. The results show that the fertility of immigrant women to Quebec is influenced by the timing of their migration. Estimations of their offspring at different ages suggest that the average number of children varies with the region of origin but does not exceed two children per woman by the end of their reproductive lives.
Corps de l’article
Introduction
L’immigration internationale acquiert un rôle de plus en plus important dans un grand nombre de pays occidentaux, grâce à sa contribution directe aux effectifs de la population et à la fécondité dans le lieu de destination (Héran et Pison, 2007 ; Sobotka, 2008). Selon les résultats de l’Enquête nationale auprès des ménages de 2011, les personnes nées à l’étranger constituent 20,6 % de la population totale du Canada. Au Québec, elles constituent 12,6 % de la population (soit 974 895 personnes) alors qu’elles n’en constituaient que 5,6 % au recensement de 1951. La migration est le principal facteur d’accroissement de la population québécoise depuis 2001 et, selon les plus récentes projections, deviendra le seul facteur d’accroissement en 2019 (Institut de la statistique du Québec, 2009 : 34).
Les modifications apportées aux programmes de sélection pour fonder ceux-ci sur des objectifs sociaux, humanitaires et économiques, ainsi que le contexte international favorisant les mouvements des migrants et des réfugiés, ont notamment changé le profil des immigrants admis au Québec au fil du temps. En 1996, 43 % de la population immigrée au Québec était née en Europe, 25 % en Asie, 22 % en Amérique et 9 % en Afrique. Dix ans plus tard, en 2006, la proportion d’immigrants d’origine européenne a diminué à 36 %, tandis que la part des immigrants en provenance d’Afrique et d’Asie et du Moyen-Orient a augmenté (15 % et 27 % respectivement). La proportion d’immigrants nés en Amérique se maintient aux environs de 22 %, mais avec une légère hausse des ressortissants de l’Amérique centrale et du Sud. Si on se concentre sur les vagues d’immigration récentes, les principales régions de provenance des immigrants admis entre 2008 et 2012 sont l’Afrique du Nord (21 %), l’Amérique centrale et du Sud et les Antilles (20 %), l’Europe (17 %), l’Asie centrale et le Moyen-Orient (10 %) et l’Asie orientale (8 %) (Ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles, 2013a).
Les résultats des projections montrent que dans le contexte canadien actuel, l’immigration a un effet rajeunissant sur la population d’accueil, même s’il n’est pas suffisamment important pour renverser le processus de vieillissement. Cet effet est surtout dû à la fécondité des immigrantes une fois arrivées au Canada (Caron Malenfant, Dion, Lebel et Grenier, 2011). De fait, des études ont montré que la fécondité des femmes nées à l’étranger dépasse celle des femmes natives, au Québec comme dans le reste du Canada (Bélanger et Gilbert, 2003 ; Street, 2009). Par exemple, entre 1996 et 2001, l’indice synthétique de fécondité (ISF) des femmes nées à l’étranger était de 1,82 au Canada et de 2,05 au Québec, tandis que celui des femmes natives était de 1,47 et de 1,43 respectivement. L’ISF plus élevé des femmes nées à l’étranger résidant au Québec s’explique principalement par une composition des vagues d’immigration différente.
Cela dit, comme le montrent plusieurs recherches (Andersson, 2004 ; Andersson et Scott, 2005 ; Milewski, 2007 ; Parrado, 2011 ; Toulemon, 2004 ; Toulemon et Mazuy, 2004), les estimations du niveau de la fécondité faites à l’aide d’indicateurs transversaux comme l’ISF tendent à surestimer les écarts entre les immigrantes et les natives ainsi qu’entre les différents groupes d’immigrantes. Les femmes qui migrent à l’âge adulte sont plus susceptibles d’avoir des enfants dans les années qui suivent leur arrivée. L’ISF leur attribue ainsi un niveau de fécondité qui reste marqué par leur âge au moment de l’arrivée. Estimer correctement la fécondité des immigrantes exige le recours à des méthodes qui tiennent compte aussi de la partie de la vie féconde qui précède la migration.
Au Québec, l’adoption d’une telle approche s’avère difficile. D’une part, le recensement canadien ne contient plus la question sur le nombre d’enfants nés vivants (descendance finale) depuis 1996. D’autre part, les enquêtes populationnelles qui recueillent des données sur les transitions familiales, comme l’Enquête sociale générale et l’Enquête sur la dynamique du travail et du revenu, n’échantillonnent pas un nombre suffisamment grand d’immigrants récents ayant choisi le Québec comme lieu de destination. Quant aux données de l’état civil, les bulletins de naissance ne fournissent pas la date d’arrivée au Canada ni l’âge à la migration des parents des nouveau-nés.
Cependant, nous allons montrer que, lorsqu’elles existent et qu’elles sont mises à la disposition des chercheurs, les données des registres administratifs qui suivent des cohortes au fil du temps sont utilisables pour estimer la fécondité, comme cela se fait en Suède et en Norvège (voir par exemple Andersson, 2004, et Vangen, Eskild et Forsen, 2008). Bien qu’au Québec l’usage des registres administratifs à des fins de recherche ne soit pas aussi répandu que dans les pays scandinaves, on peut parfois utiliser cette approche, et c’est le cas pour le sujet qui nous intéresse. Chaque année, le ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles (MICC) compile des données sur les personnes admises au Québec à titre de résidentes permanentes. Un autre organisme public, la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ), fournit des renseignements sur les personnes assurées et sur les services médicaux dont elles bénéficient, dont ceux liés à la grossesse et à l’accouchement. L’existence d’un identifiant commun permet de jumeler les données contenues dans les deux banques tout en respectant la confidentialité des données nominatives. Comme nous allons le montrer dans cette étude, ces données permettent d’estimer, au sein des cohortes récentes d’immigrantes, le nombre d’enfants avant et après l’admission et la descendance à divers âges.
En bref, l’estimation de la fécondité à l’aide de l’ISF sert à déterminer la contribution des immigrants dans le remplacement des générations (Calot, 2001). L’approche longitudinale doit cependant être privilégiée lorsqu’on vise à estimer la fécondité réelle des cohortes. Dans cette étude, nous adoptons ces deux approches et nous discutons de leurs avantages et de leurs limites en tenant compte des sources de données disponibles au Québec.
L’estimation de la fécondité selon la méthode transversale
La méthode couramment utilisée pour mesurer la fécondité d’une population consiste à estimer des taux de fécondité par âge chez les femmes de 15 à 49 ans durant une année civile et d’additionner l’ensemble des taux, ce qui donne l’indice synthétique de fécondité. Cette mesure s’interprète comme le nombre moyen d’enfants qu’aurait une cohorte hypothétique de femmes qui se comporteraient selon les taux par âge de la période observée en absence de mortalité. Il s’agit d’un indicateur transversal, car il juxtapose des fragments de vie de diverses générations. On considère que la fécondité se situe au-dessus du strict remplacement des générations si le nombre moyen d’enfants par femme atteint le seuil de 2,1, une valeur inférieure indiquant qu’il n’est pas assuré à long terme.
L’ISF peut être calculé à partir des données des fichiers des naissances et des estimations annuelles de la population par âge et par sexe. Dans les pays où les données de l’état civil sont de bonne qualité, il s’agit de la méthode la plus utilisée pour obtenir des estimations pour l’ensemble de la population. Mais les données du recensement sont davantage utilisées lorsqu’on s’intéresse à la comparaison de sous-groupes de population, car les numérateurs et les dénominateurs des taux peuvent être estimés à l’aide d’une même source[1]. Au Canada, les estimations faites à partir du recensement se basent sur une méthode indirecte, étant donné que le formulaire de collecte ne pose pas de questions sur la fécondité des femmes en âge d’avoir des enfants[2]. Cette méthode, connue sous le nom de « décompte des enfants au foyer », consiste à rapporter les enfants de 4 ans et moins recensés dans le ménage à la femme susceptible d’en être la mère biologique (Desplanques, 1993). Dans les sociétés où la mortalité est faible et où la famille nucléaire domine durant les premières années de la vie de l’enfant, la plupart des enfants nés dans les années qui précédent le recensement sont vivants et résident avec leur mère. En connaissant l’âge des membres de la famille ainsi que leurs liens de parenté, il est donc possible de relier les données des enfants et celles de leurs mères.
Nous avons obtenu des estimations pour le Québec à partir du fichier de microdonnées du recensement de 2006[3], en suivant la démarche décrite dans Bélanger et Gilbert (2003) pour les recensements des années précédentes. Nous avons exclu des analyses les résidents non permanents, les ménages collectifs et les ménages d’outre-mer. Les enfants de 4 ans et moins nés au Canada ont été rattachés à la femme de 15 à 49 ans conjointe de fait, épouse ou mère sans conjoint[4] dans la famille de recensement. Les taux de fécondité par âge sont alors mesurés par le rapport entre le nombre total d’enfants par classe d’âge de la femme et le nombre total de femmes de la même classe d’âge, les dénominateurs étant corrigés pour tenir compte des années vécues à l’étranger par les femmes ayant immigré au cours des cinq années précédentes[5].
Comme l’illustre le tableau 1, ces estimations sont semblables à celles que l’on obtient à partir des fichiers des naissances. Toutefois, lorsqu’on compare les taux de fécondité par âge, on constate que le recensement sous-estime les taux chez les plus jeunes tandis qu’il les surestime chez les plus âgées. Ce biais est dû au fait que cette méthode empêche de rattacher à leur mère les enfants qui ne vivent pas avec elle et qu’elle attribue certains enfants à des femmes autres que leur mère biologique. Cependant, les différences s’amenuisent lorsqu’on calcule l’indice synthétique de fécondité, car la majorité des naissances se produisent chez des femmes de 25 à 35 ans, âges pour lesquels les biais sont moindres.
Ces mêmes tendances ont été rapportées par Bélanger et Gilbert (2003) et par St-Amour et Girard (2012). Comme le mentionnent ces auteurs, les imprécisions de cette méthode ne devraient pas compromettre la comparabilité entre les différents groupes, car il est probable que leurs effets soient semblables d’un groupe à l’autre. Dans le cadre de notre étude, le principal avantage est de pouvoir obtenir des estimations de l’ISF en considérant les caractéristiques de la femme, en particulier le lieu de naissance, l’année d’arrivée au Canada et l’âge au moment de l’arrivée.
Le tableau 2 montre l’évolution de l’ISF (moyen sur cinq ans) pour les périodes de cinq ans comprises entre 1981 et 2006, selon le lieu de naissance de la femme. Pour l’année 2012, on présente l’estimation annuelle (encore provisoire) réalisée par l’Institut de la statistique du Québec à partir des fichiers des naissances pour l’ensemble des femmes résidant au Québec.
Au Québec, l’indice synthétique de fécondité est passé sous le seuil de remplacement vers 1970, une transition très rapide : elle a pris moins de 15 ans. Globalement, l’évolution observée à partir de 1976 s’explique presque totalement par la contribution des femmes natives, car celles-ci représentaient la majorité des femmes en âge de procréer, bien que le poids des femmes nées à l’étranger n’ait pas cessé d’augmenter, passant de 8,1 % en 1981 à 12,8 % en 2006.
Entre 1976 et 1981, l’ISF du Québec avoisine 1,7 enfant par femme. Il maintient sa tendance à la baisse durant les années 1980 (environ 1,5 enfant). Il remonte pendant la première moitié des années 1990, mais il chute à nouveau durant la première moitié des années 2000. Selon les estimations provisoires pour l’année 2012, l’indice récupère le niveau observé vers la fin des années 1970. Cependant, bien que le nombre moyen d’enfants soit semblable au début et à la fin de la période, le calendrier de la fécondité a considérablement changé au cours de ces années. Selon les données publiées dans le plus récent bilan démographique du Québec (Institut de la statistique du Québec, 2012), en 1976, l’âge moyen à la maternité était de 27,3 ans tandis qu’il était de 29,9 ans en 2010. Cette variation s’explique par la baisse du nombre d’enfants chez les femmes de moins de 30 ans et par son augmentation chez les femmes de 30 à 45 ans, hausse qui s’accélère durant les années 2000.
Les femmes immigrées ont, en moyenne, un indice plus élevé que les femmes natives, quelle que soit la période observée. Cependant, on observe aussi des variations au fil du temps. L’ISF des femmes immigrées diminue au cours des années 1980, il remonte au-dessus de 2 enfants par femme au cours des années 1990, mais il redescend sous ce seuil durant la première moitié des années 2000, atteignant 1,9 enfant. Si l’on mesure la contribution de la fécondité des femmes immigrées à l’ISF global, on constate qu’elle a doublé, mais qu’elle demeure encore faible : elle est passée de 0,03 enfant à 0,06 enfant. Cette augmentation est principalement due au fait que les femmes immigrées représentent une plus forte proportion de femmes en âge de procréer qu’auparavant.
On peut analyser l’ISF des femmes nées à l’étranger selon leur région de naissance afin d’apprécier leurs différences. Dans la figure 1, on présente les résultats obtenus à partir des données du recensement de 2006. Tout d’abord, on observe que les femmes venues d’Afrique du Nord, d’Asie du Sud, d’Afrique subsaharienne et d’Asie centrale et du Moyen-Orient ont les indices les plus élevés (respectivement 3,1, 2,7, 2,5 et 2,0). Les femmes venues d’Amérique et des Caraïbes, d’Europe de l’Ouest et d’Asie du Sud-Est ont des indices inférieurs au seuil de remplacement, mais supérieurs à celui des femmes natives (entre 1,6 et 1,8 selon la région). Enfin, les femmes venues d’Europe de l’Est et du Sud et d’Asie de l’Est affichent les indices les plus faibles, inférieurs à celui des femmes natives (environ 1,35 enfant par femme).
On sait par ailleurs que l’ISF moyen des femmes immigrées résulte de la contribution de différentes cohortes d’immigration. Dans la figure 2, on présente la valeur de l’indice en 2001-2006 selon le nombre d’années écoulées depuis la date d’arrivée au Canada. En moyenne, il est plus élevé chez les femmes arrivées il y a moins de 5 ans (2,6 enfants), un peu moins élevé chez les femmes ayant de 5 à 9 ans de résidence (1,9 enfant) et il se rapproche de celui des femmes natives chez les femmes arrivées depuis 10 ans ou plus. Si l’on regarde la région d’origine, on constate que l’ISF des nouvelles arrivantes avoisine ou dépasse généralement le seuil de 2,1 enfants par femme, notamment chez les femmes d’Afrique du Nord et d’Asie du Sud (supérieur à 3,5). Les femmes d’Europe de l’Est et d’Asie de l’Est constituent une exception : leurs indices sont plus faibles (environ 1,5 enfant). Les écarts entre les régions tendent à se réduire lorsque la durée de séjour s’allonge, pouvant même atteindre des valeurs inférieures à la moyenne des femmes natives.
Comme on peut le constater sur la figure 3, l’ISF des immigrantes récentes (4 ans et moins de résidence) se caractérise par des taux plus élevés à tous les âges. Chez les femmes qui ont 5 à 9 ans de résidence, le taux de fécondité se rapproche de celui des femmes natives avant 25 ans, mais il est supérieur chez celles de 25 ans ou plus. Quant aux plus anciennes arrivantes (10 à 14 ans de résidence ou plus), le taux de fécondité est plus faible que celui des femmes natives avant l’âge de 30 ans, tandis qu’il est supérieur aux âges plus avancés, à partir de 35 ans. Si l’on tient compte de l’âge que les femmes avaient au moment de migrer (l’âge au moment du recensement moins le nombre d’années écoulées depuis l’arrivée), on constate que les taux sont plus élevés chez les femmes qui ont immigré jeunes ou adultes (entre 15 et 39 ans). Par contre, ils sont semblables ou même plus faibles chez les femmes ayant immigré durant leur enfance (moins de 15 ans).
Ces résultats suivent à peu près les mêmes tendances que celles observées à l’échelle du Canada et du Québec à partir des recensements antérieurs à 2006 (Bélanger et Gilbert, 2003 ; Street, 2009). On constate que la fécondité des immigrantes tend à se rapprocher de celle des natives au fur et à mesure que la durée de résidence s’allonge, d’autant plus que l’immigration a eu lieu à un âge plus jeune, pouvant même atteindre des niveaux inférieurs chez certains groupes. Bélanger et Gilbert (2003 : 158) y voient l’effet du processus d’intégration des femmes dans leur nouvelle société :
La mesure au moyen des méthodes démographiques des comportements féconds [C’est nous qui soulignons] des nouvelles arrivantes tend donc à soutenir l’hypothèse de l’intégration de ces dernières à la société canadienne, en autant que la fécondité soit un indicateur d’intégration, leur fécondité tendant à ressembler de plus en plus à celle des Canadiennes de naissance à mesure que leur durée de résidence au pays s’allonge […]. En particulier, les femmes nées à l’étranger ayant immigré au Canada avant l’âge de 15 ans qui ont donc reçu une partie de leur scolarisation en sol canadien affichent, une fois en âge de procréer, des taux de fécondité très semblables à ceux des Canadiennes de naissance.
Malgré ce qui précède, il faut tenir compte, au moment d’interpréter les écarts entre les immigrantes et les natives, de la limite de l’ISF en tant que mesure du comportement fécond, notamment à cause de sa sensibilité aux phénomènes « perturbateurs » (Pressat, 1961). En effet, l’estimation de la fécondité à partir de la méthode transversale suppose que les femmes se comporteront durant toute leur vie féconde selon les taux de fécondité par âge observés durant la période considérée. Toutefois, cette hypothèse n’est pas toujours réalisée. Par exemple, le report des naissances réduit l’indice, même si la descendance finale des générations n’est pas modifiée (Institut de la statistique du Québec, 2012 : 39). Selon le même principe, l’accélération des naissances augmente l’indice. Comme l’ont démontré Boongarts et Feney (1998), la valeur de l’ISF est fonction de l’intensité des naissances, le quantum, mais aussi de son calendrier, le tempo. Pour comparer les tendances, il faut donc tenir compte de l’influence de ces deux effets.
Nous avons montré que les immigrantes récentes se caractérisent par des taux de fécondité plus élevés à tous les âges, qui sont dus aux enfants nés après leur immigration. Mais qu’en est-il des naissances survenues avant l’arrivée ? À cet égard, les analyses faites par Toulemon (2004 et 2006) auprès des femmes immigrées en France durant les années 1990 montrent que celles qui ont immigré aux âges plus féconds (25 à 35 ans) avaient, à leur entrée en France, un nombre moyen d’enfants plus faible qu’en avaient eu les femmes natives à leur âge. Cependant, cette sous-fécondité a été compensée par un rattrapage des naissances après la migration. Par contre, les femmes ayant immigré durant leur enfance affichaient un profil de fécondité qui ressemblait davantage à celui des femmes nées en France, car leur trajectoire s’est révélée moins sensible à l’effet perturbateur de la migration. Comme le souligne Toulemon, ces diverses trajectoires selon l’âge à la migration ne sont pas prises en compte dans le calcul de l’ISF, car on considère que les femmes se comportent comme des « immigrantes perpétuelles », c’est-à-dire qu’elles ont des enfants aux différents âges comme si elles venaient tout juste d’arriver. Cet effet est moins fort chez les plus jeunes immigrantes, car leur période de vie féconde débute après avoir vécu la migration. En bref, pour estimer le nombre d’enfants mis au monde par les femmes immigrantes, particulièrement de celles qui migrent aux âges plus féconds, il faut tenir compte des naissances avant et après la migration.
Âge à la migration et calendrier de constitution de la famille
Au Canada, on dispose de deux enquêtes populationnelles menées par Statistique Canada et portant sur les transitions biographiques des femmes en âge de procréer : les cycles sur la famille de l’Enquête sociale générale et les panels de l’Enquête sur la dynamique du travail et du revenu. Toutefois, dans aucun des deux cas, la méthode d’échantillonnage ne prévoit l’inclusion d’un nombre suffisant de nouvelles arrivantes, ce qui limite la possibilité d’effectuer des analyses comparatives auprès des immigrantes ayant choisi le Québec comme lieu de destination.
L’autre voie qui s’offre aux chercheurs est d’utiliser des registres administratifs qui compilent des données en temps continu sur les événements touchant la population qui réside habituellement sur le territoire. Au Québec, on trouve des précédents dans les études menées par le MICC sur la permanence des nouveaux arrivants et leur localisation sur le territoire québécois dix ans après l’obtention de la résidence permanente, en fonction de leurs principales caractéristiques sociodémographiques au moment de l’admission. Pour ce faire, le MICC procède annuellement au jumelage des renseignements contenus dans sa banque de données sur les admissions permanentes et ceux qui se trouvent dans le Fichier d’inscription des personnes assurées (FIPA) tenu par la Régie d’assurance maladie du Québec (RAMQ). Étant donné que l’admissibilité à la RAMQ est universelle, il est possible d’estimer ainsi la fraction de la population immigrante qui réside toujours au Québec. La fusion des données se fait à l’aide d’un identifiant commun aux deux organismes, tout en assurant la protection de la confidentialité des renseignements nominatifs.
Nous montrerons qu’il est possible d’utiliser une méthodologie semblable pour estimer le nombre d’enfants que les femmes admises au Québec ont eus avant et après leur admission.
Constitution du fichier de recherche
La cohorte à l’étude est composée des femmes admises au Québec à titre de résidentes permanentes entre 1997 et 2006 et âgées de 15 à 40 ans au moment de leur admission. Le choix de cette période repose sur deux critères : d’une part, cela correspond aux années couvertes par le dernier jumelage effectué par le MICC au moment de soumettre notre demande d’accès aux données et, d’autre part, il n’était pas possible d’obtenir des données antérieures à 1996 dans la banque de données de la RAMQ.
Brièvement, la procédure de constitution du fichier de recherche a été la suivante :
Le MICC a transmis à la RAMQ l’information permettant de retrouver les femmes de la cohorte à l’étude dans son registre FIPA selon la procédure utilisée au moment de faire notre demande, ce qui incluait le jumelage nominatif pour identifier la population immigrante qui n’était plus accessible dans le registre après les modifications réglementaires de 2001[6]. Une fois le jumelage complété, le MICC a transmis aux chercheurs un fichier contenant les caractéristiques sociodémographiques des femmes immigrantes provenant de sa banque des admissions à la résidence permanente. Ces informations étaient accompagnées d’un indicateur d’appariement et d’un numéro banalisé pour chaque femme, afin de pouvoir relier les données des deux organismes. Grâce à cette procédure, nous avons pu repérer 88 797 femmes dans la banque FIPA. La description de cette cohorte est présentée en annexe.
La RAMQ a transmis aux chercheurs un fichier permettant de vérifier la présence des femmes de la cohorte sur le territoire québécois entre 1997 et 2006. Le critère utilisé a été le statut d’admissibilité[7], le même que celui utilisé par le MICC au moment de la demande d’accès aux données. En ayant l’historique des dates de début et de fin de leur admissibilité, nous avons pu déterminer les périodes de présence au Québec de chaque femme de la cohorte à l’étude durant la période considérée.
Nous avons aussi demandé à la RAMQ des renseignements sur certains actes médicaux pratiqués auprès des femmes entre 1997 et 2006. Cette information provient de la banque de services rémunérés à l’acte des omnipraticiens et des spécialistes[8]. Nous avons sélectionné les codes des actes correspondant à un accouchement[9]. Cette base fournit aussi la date du service, le type d’établissement, le code de diagnostic, la classe de professionnel et la spécialité du professionnel. Il faut mentionner que les services rendus à l’extérieur du Canada sont enregistrés dans une autre banque de la RAMQ. Parce qu’ils représentent un très faible nombre (environ 50 actes auprès des femmes de la cohorte à l’étude), nous les avons exclus, sachant qu’ils avaient un faible impact sur les estimations.
Pour avoir accès aux données des deux organismes, nous avons obtenu l’avis favorable de la Commission d’accès à l’information, l’organisme responsable de la protection des renseignements personnels au Québec.
Variables d’analyse
Nous avons estimé le nombre d’enfants que les femmes de la cohorte à l’étude ont eus et l’âge de la mère au moment de la naissance de l’enfant à partir des données provenant des deux banques :
Le nombre d’enfants dénombrés dans le dossier d’admission, selon l’information fournie par le MICC. Il s’agit d’une variable dérivée à partir de la présence des enfants dans le dossier. Dans le cas des immigrantes économiques, la situation est habituellement claire, car l’unité d’immigration est l’unité familiale complète. Dans le cas des épouses, conjointes de fait ou partenaires parrainées par un résident permanent ou par un citoyen canadien, il est habituel qu’au moment de l’admission elles n’aient pas d’enfants. La situation peut être plus complexe dans le cas des réfugiées, car il se peut que la femme ne soit pas la mère des enfants qui l’accompagnent ou que les enfants qu’elle a eus ne l’accompagnent pas. On doit donc tenir compte de ces possibles biais. Quant à l’âge de la femme au moment de la naissance, il a été dérivé en soustrayant l’âge de l’enfant à l’âge de la femme au moment de l’admission.
Le nombre d’accouchements qui ont eu lieu pendant que la femme était au Québec, obtenu à partir de la banque de la RAMQ. Comme nous l’avons mentionné, ces données n’incluent pas les naissances survenues hors du Canada. L’âge de la femme au moment de l’accouchement a été calculé en soustrayant la date du service à la date de naissance de la femme.
Pour représenter la fécondité avant et après l’admission, nous avons regroupé les femmes selon l’âge qu’elles avaient au moment de leur admission. L’âge à l’admission a été remplacé par la valeur médiane de la classe de cinq ans, comme le préconise Toulemon (2006 : 6). Par exemple, les femmes ayant de 18 à 22 ans au moment de l’admission sont réputées avoir 20 ans. On attribue ainsi deux ans de plus aux femmes de 18 ans, tandis que l’on retire deux ans aux femmes de 22 ans, l’âge demeurant invariable pour les femmes admises à 20 ans. Ensuite, les femmes de 23 à 27 ans sont réputées avoir 25 ans, celles de 28 à 32 ans avoir 30 ans et celles de 33 à 37 ans avoir 35 ans. Pour le groupe des plus jeunes, on ne dispose d’information que pour les femmes admises de 15 à 17 ans, et pour celui des plus âgées, de 38 à 40 ans. Nous avons également regroupé les femmes selon leur région de provenance, en suivant la même typologie que celle utilisée dans l’analyse des données du recensement de 2006.
Dans la figure 4, nous présentons les résultats pour l’ensemble du Québec et pour l’ensemble des femmes immigrantes de la cohorte à l’étude[10], selon l’âge qu’elles avaient au moment de leur admission. Les résultats de l’ensemble du Québec correspondent à la période 1997-2006 et ont été calculés à partir des données diffusées par l’Institut de la statistique du Québec.
Les femmes admises à 15 ans ont leurs enfants après l’admission. À 20 ans, leur taux est semblable à celui de l’ensemble du Québec, mais il est plus faible à 25 ans. Quant aux femmes admises à 20 ans, elles affichent un calendrier plus précoce que celui du Québec (pic à 25 ans). Les femmes admises à 25 ans et à 30 ans ont, avant d’arriver, des taux plus faibles que l’ensemble du Québec au même âge, mais elles rattrapent des naissances après l’admission. Chez les premières, la courbe se rapproche de celle du Québec (pic à 30 ans), tandis que chez les dernières, on observe un calendrier plus tardif. Quant aux femmes admises à 35 ans, la courbe est plus aplatie que celle du Québec, mais on observe des taux supérieurs aux âges plus avancés. Les femmes admises à 40 ans ont un profil de fécondité moins fortement marqué par le calendrier de la migration, même si l’on observe un rattrapage dans les années qui suivent l’arrivée. Elles affichent un niveau plus faible que celui du Québec au début de la trentaine, mais plus élevé vers la fin de la trentaine.
Il est intéressant de comparer les tendances par rapport à l’ensemble du Québec selon la région de provenance (figures 5 à 10) en considérant toujours l’âge de la femme au moment de l’admission.
Femmes admises à 15 ans (figures 5a et 5b) : Les femmes en provenance d’Europe et d’Asie de l’Est affichent des taux plus faibles que l’ensemble du Québec à 20 ans, tandis que le taux est plus élevé chez les femmes d’Amérique centrale. À 25 ans, les taux sont inférieurs à celui du Québec chez tous les groupes, à exception des femmes d’Asie du Sud et d’Amérique centrale. Il faut aussi tenir compte du fait que le faible nombre de femmes d’Europe du Sud est susceptible de biaiser les estimations pour ce groupe.
Femmes admises à 20 ans (figures 6a et 6b) : Les taux sont plus élevés aux âges qui précèdent l’admission chez les femmes d’Amérique centrale, d’Amérique du Sud, d’Afrique du Nord et d’Asie centrale et du Moyen-Orient, tandis qu’ils sont plus faibles chez les femmes d’Europe de l’Ouest, d’Europe de l’Est et d’Asie de l’Est. On observe un pic aux âges qui suivent l’admission chez tous les groupes, encore plus élevé chez les femmes d’Afrique du Nord, d’Asie du Sud, d’Asie du Sud-Est et d’Asie centrale et du Moyen-Orient.
Femmes admises à 25 ans (figures 7a et 7b) : Elles affichent des taux inférieurs à l’ensemble du Québec aux âges qui précédent la migration. L’écart est plus grand chez les femmes des Caraïbes, d’Europe, d’Asie du Sud-Est et de l’Est. Le pic observé après l’admission (30 ans) dépasse le niveau observé au Québec au même âge chez les femmes d’Afrique du Nord, d’Asie du Sud et, dans une moindre mesure, d’Afrique subsaharienne, d’Asie centrale et du Moyen-Orient et d’Asie du Sud-Est. Par contre, le niveau demeure plus faible chez les femmes des autres régions, notamment chez celles d’Amérique du Sud, d’Europe de l’Est et d’Asie de l’Est.
Femmes admises à 30 ans (figures 8a et 8b) : Comme dans le groupe précédent, les femmes se caractérisent par des taux plus faibles avant l’admission (entre 25 et 30 ans). On observe un rattrapage des naissances après l’admission chez tous les groupes, notamment chez les femmes d’Afrique du Nord. Les taux sont aussi plus élevés que celui du Québec chez les femmes d’Afrique subsaharienne, d’Asie du Sud et d’Asie centrale et du Moyen-Orient. Les femmes d’Asie du Sud-Est rattrapent la sous-fécondité qui précède l’admission. Le taux des femmes d’Europe de l’Est et d’Asie de l’Est sont un peu plus élevés que celui du Québec au même âge, mais plus faibles que ceux des autres groupes.
Femmes admises à 35 ans (figures 9a et 9b) : En général, la courbe est plus aplatie que celle du Québec, mais les taux sont supérieurs aux âges qui suivent l’admission. Il faut noter les taux plus faibles des femmes des Caraïbes et d’Asie du Sud-Est avant l’admission. On observe un calendrier plus précoce chez les femmes d’Asie du Sud, d’Asie de l’Est et d’Europe de l’Est (pic à 25 ans). Par contre, celui des femmes d’Afrique du Nord est plus tardif, car la hausse s’observe au début de la trentaine.
Femmes admises à 40 ans (figures 10a et 10b) : Le profil de fécondité des femmes d’Europe de l’Ouest et d’Amérique centrale et du Sud est semblable à celui du Québec, bien que les taux soient inférieurs aux âges plus féconds. Le calendrier est plus précoce chez les femmes d’Europe de l’Est et du Sud et d’Asie de l’Est. Un calendrier plus précoce avec des taux plus élevés à tous les âges s’observe chez les femmes d’Asie du Sud, d’Afrique subsaharienne et d’Asie centrale et du Moyen-Orient.
L’une des hypothèses pour expliquer le comportement de la fécondité dans les années qui suivent l’arrivée est la relation entre l’immigration et la dynamique de formation de la famille (Hoem et Nedoluzhko, 2008 ; Kulu et Milewski, 2007, Nedoluzhko et Andersson, 2007). On s’attend à ce que les femmes qui migrent dans le cadre du regroupement familial ou du mariage soient plus susceptibles de donner naissance à un enfant, de même que celles pour qui la migration ouvre de nouvelles perspectives à la formation du couple. Il est aussi possible que les couples formés avant la migration, c’est-à-dire les conjoints qui migrent ensemble, récupèrent des naissances reportées.
Les données disponibles ne nous permettent pas de connaître l’histoire conjugale des femmes immigrantes ni les motifs liés à leur immigration. Toutefois, les données de la banque du MICC permettent deux approximations de leur situation conjugale au moment de l’admission : la proportion des femmes ayant un conjoint[11] et la proportion des femmes épouses, conjointes de fait ou partenaires parrainées par un citoyen canadien ou un résident permanent vivant au Canada. La première approximation porte sur les femmes qui ont pu immigrer avec leur conjoint et auraient pu avoir des enfants avant l’admission. La seconde porte sur les femmes séparées de leur conjoint avant de migrer ou ayant immigré pour former un couple, ce qui expliquerait que les naissances s’accélèrent après l’admission. Il est tout de même possible que certaines femmes parrainées aient été présentes au Québec au moment de faire la demande d’admission, ce qui est le cas, par exemple, des résidentes temporaires qui travaillaient ou poursuivaient des études avant d’être admises ou des réfugiées reconnues sur place. Toutefois, on peut s’attendre à ce que la fécondité s’accélère après l’obtention de la résidence permanente.
La figure 11 montre la proportion de femmes ayant un conjoint selon l’âge au moment de l’admission (même classement que pour les figures 4 à 10) et la région de provenance. On compare ces résultats à ceux de l’ensemble du Québec, en tenant compte de la proportion de femmes vivant avec un conjoint (données du recensement de 2006). La figure 12 montre la proportion de femmes parrainées (épouse, conjointe de fait ou partenaire) sur l’ensemble des femmes immigrantes ayant un conjoint au moment de l’admission, selon les mêmes variables.
On observe tout d’abord que les femmes admises à 15 ans sont moins susceptibles d’avoir un conjoint au moment de l’admission que les immigrantes plus âgées. Cependant, cette proportion est plus élevée que la moyenne du Québec dans certains groupes, notamment chez les femmes d’Amérique centrale et des Caraïbes, d’Afrique du Nord et d’Asie. Sur la figure 12, on voit que la majorité des femmes ayant un conjoint ont immigré en étant parrainées. Toutefois, la plupart des femmes admises à cet âge ont immigré dans d’autres situations (par exemple, en accompagnant des membres de leur famille d’origine) et elles formeront une union après leur migration, ce qui explique que leur fécondité soit moins fortement marquée par l’âge à l’admission.
La présence d’un conjoint au moment de l’admission est la situation la plus fréquente chez les femmes plus âgées. Chez les femmes admises à 20 ans, la proportion est aussi plus élevée que la moyenne du Québec (28 %), allant de 35 % à 69 % si l’on exclut les femmes d’Afrique subsaharienne (26 %). La part des femmes parrainées est encore très importante, de plus de 80 %, chez les femmes des Caraïbes, d’Afrique du Nord et d’Asie. Le calendrier de la fécondité plus précoce observé chez les femmes admises à cet âge par rapport à l’ensemble du Québec s’expliquerait en partie par le plus grand nombre de femmes déjà en union au début de la vingtaine et par le fait qu’elles aient entamé leur union peu de temps avant l’admission.
À partir de l’âge de 25 ans, les différences entre les régions se réduisent, de même que la différence par rapport à la moyenne du Québec. Les femmes d’Afrique du Nord, d’Asie centrale et du Moyen-Orient et d’Asie du Sud affichent toujours la proportion la plus élevée de femmes en couple au moment de l’admission, tandis qu’elle est plus faible chez les femmes venues d’Europe. Il faut aussi noter que la proportion de femmes en couple augmente chez les immigrantes d’Asie de l’Est à partir de 30 ans, tandis qu’elle diminue chez les femmes d’Asie du Sud-Est. Quant à la proportion de femmes parrainées, elle diminue au fur et à mesure que l’âge de la femme augmente, ce qui indique que les femmes ont vraisemblablement migré avec leur conjoint. Toutefois, le parrainage demeure très fréquent chez les femmes venues des Caraïbes et d’Asie du Sud-Est, ce qui pourrait expliquer leur faible fécondité avant l’admission. On ne peut cependant pas déterminer combien de temps elles ont été séparées de leur conjoint, ni si elles ont des enfants qui n’ont pas immigré avec elles. En résumé, ces résultats suggèrent qu’il faut prendre en considération la relation entre la migration et la formation de la famille dans les analyses comparatives de la fécondité.
L’estimation de la fécondité selon la méthode longitudinale
Jusqu’ici, nous avons estimé le nombre moyen d’enfants des femmes immigrantes avant et après leur admission, ce qui nous a permis d’apprécier les variations du calendrier, mais ce qui rend plus difficile la comparaison du nombre d’enfants mis au monde au cours de la vie chez les femmes de la cohorte à l’étude.
L’indicateur couramment utilisé pour cela est la mesure de la descendance finale des générations. Elle représente le nombre moyen d’enfants mis au monde par les femmes d’une même génération à la fin de leur vie féconde. Dans les populations où la mortalité féminine et l’émigration sont négligeables, cet indice correspond à la moyenne des enfants nés vivants après que la génération ait atteint son 50e anniversaire. Par rapport à l’ISF, la descendance finale est une mesure plus stable car elle n’est pas perturbée par les variations du calendrier de la fécondité (Calot et Sardon, 2001a et 2001b). En effet, les femmes qui connaissent la maternité plus tard dans leur vie peuvent rattraper les naissances reportées, ce qui implique une hausse de l’âge moyen à la maternité sans qu’il y ait de changement de la descendance finale (avec l’hypothèse que les femmes réussissent à avoir le nombre d’enfants désirés aux âges plus avancés). Pour estimer la descendance finale, il faut attendre que les femmes aient atteint la fin de leur vie féconde, mais les estimations auprès des femmes plus jeunes permettent déjà d’anticiper des changements au fil des générations et leurs effets sur la descendance finale. Étant donné que peu de naissances ont lieu après l’âge de 40 ans, la sous-estimation à ces âges sera relativement faible (Frejka et Calot, 2001).
À cet égard, l’étude de Parrado (2011) montre qu’il existe des différences importantes, chez les femmes d’origine hispanique et mexicaine immigrées aux États-Unis, entre les estimations de l’ISF (3,3 et 3,6 respectivement) et celles de la descendance finale des cohortes de 40-44 ans (2,4 et 2,7). Ces différences sont dues principalement à la situation conjugale des femmes immigrantes et à la hausse de la fécondité à la suite de leur immigration.
Le recensement canadien ne nous permet pas d’obtenir des estimations de la descendance finale des différentes sous-populations, étant donné que Statistique Canada a éliminé en 1996 la question rétrospective sur le nombre total d’enfants mis au monde par les femmes de 15 ans et plus. Au Québec, les bulletins de naissance fournissent le rang de naissance des nouveau-nés, ce qui permet d’estimer la descendance chez les générations féminines successives. Toutefois, les estimations publiées par l’Institut de la statistique du Québec sont faites pour l’ensemble des femmes, sans distinction du lieu de naissance. En outre, les bulletins ne fournissent pas l’année d’arrivée des mères immigrantes, ce qui limite les analyses par cohorte d’immigration et par âge à l’arrivée.
Nous avons utilisé à nouveau le fichier de données du MICC et de la RAMQ pour estimer la descendance des femmes immigrantes admises entre 15 et 40 ans selon la génération (année de naissance) et la région de provenance. Pour estimer la descendance, on a tenu compte des enfants nés avant et après l’admission jusqu’à l’âge que les femmes avaient au moment de l’année de présence au Québec la plus récente. Nous pouvons ainsi comparer la descendance des générations 1960-1964 et 1965-1969 jusqu’à 40 ans, de 1970-1974 jusqu’à 35 ans et de 1975-1979 jusqu’à 30 ans. Les résultats obtenus sont comparés aux estimations pour le Québec en 2011 (moyenne des résultats des cohortes annuelles concernées) (tableau 3).
Rappelons qu’entre 1996 et 2006, l’ISF du Québec se situe en-dessous de 1,5 enfant par femme, et qu’il remonte durant la seconde moitié des années 2000, atteignant 1,7 enfant. Mais, lorsqu’on compare la descendance entre les générations, on constate que la valeur de cet indicateur demeure relativement stable : le nombre moyen d’enfants mis au monde à 40 ans atteint 1,7 enfant pour les générations 1965-1969 et, selon les prévisions en 2011, il se maintiendra autour de cette valeur pour les générations 1970-1974 et 1975-1979. Il y a eu toutefois une légère diminution de la descendance à 30 ans (passant de 1,1 à 0,9), ce qui s’explique par la hausse de l’âge à la maternité. Les variations de calendrier ont contribué à faire osciller l’ISF, tandis que la descendance finale n’a presque pas varié.
Quant aux femmes immigrantes, si l’on compare les générations 1960-1964 et 1965-1969 à 40 ans, on constate que le nombre moyen d’enfants est inférieur au seuil de remplacement, quelle que soit la région. Les écarts par rapport à la moyenne du Québec sont plus grands à 35 ans et à 30 ans, à cause des différences de calendrier. Comme nous le supposions, les femmes d’Europe de l’Est et d’Asie de l’Est affichent la descendance la plus faible (environ un enfant par femme), tandis que les femmes d’Afrique du Nord, d’Afrique subsaharienne, d’Asie centrale et du Moyen-Orient et d’Asie du Sud affichent la plus élevée. Cependant, la valeur de la descendance est identique ou légèrement supérieure à celle de l’ensemble du Québec (moyenne de 1,6 et 1,9 enfant selon la région et la génération). Par contre, les femmes des Caraïbes et d’Asie du Sud-Est montrent une descendance très faible (inférieure à 1), ce qui peut s’expliquer par les particularités de leur immigration, notamment la proportion plus élevée de femmes parrainées au moment de l’admission. S’il est encore tôt pour évaluer l’avenir des immigrantes des générations 1970-1974 et 1975-1979, car elles vivent les âges les plus féconds au moment de l’observation, nous pouvons dès à présent constater qu’elles présentent à peu près les mêmes tendances que les générations précédentes.
En conclusion, l’estimation de la fécondité au Québec à partir de l’approche longitudinale montre une stabilité relative au fil des générations. Quant aux cohortes de femmes immigrées alors qu’elles avaient 15 à 40 ans au moment de leur admission, leur nombre moyen d’enfants mesuré par cet indicateur est inférieur à 2, quelle que soit la région de provenance.
Discussion et conclusion
Le but de cette étude était d’estimer la fécondité des femmes immigrantes au Québec, dans un contexte favorable à l’immigration internationale en provenance de diverses régions du monde.
Les résultats obtenus à l’aide de l’indicateur transversal qu’est l’ISF montrent que la fécondité des femmes immigrantes s’approche du seuil de remplacement et demeure toujours supérieure à celle des femmes natives jusqu’au milieu des années 2000. On observe en même temps l’augmentation de leur contribution à l’ISF total due à la plus forte proportion de femmes immigrées dans l’ensemble des femmes en âge de procréer, bien que cette contribution demeure encore faible. Si l’on tient en compte des scénarios d’immigration anticipés par le MICC d’ici 2015 — moyenne annuelle de 50 000 immigrants admis dont 65 % âgés de moins de 35 ans —, on s’attend à ce que le maintien d’un flux continu de nouveaux arrivants contribue à faire monter la part des naissances de mères immigrées dans le total des naissances annuelles et à accroître ainsi leur contribution au renouvellement des générations. La provenance de l’immigration constitue aussi un facteur important de variation, car les ISF les plus élevés correspondent aux femmes venues d’autres régions que l’Europe, notamment d’Afrique du Nord, d’Afrique subsaharienne, d’Asie centrale et du Moyen-Orient et d’Asie du Sud.
L’ISF des femmes immigrantes varie non seulement en fonction de leur lieu de naissance, mais aussi du temps écoulé depuis leur arrivée. Si l’on décompose l’indice selon le nombre d’années depuis leur arrivée au Canada, on constate que les immigrantes récentes montrent des indices plus élevés que les femmes natives — ce qui n’est pas très surprenant compte tenu de la faible fécondité observée au Québec jusqu’en 2006 — et surtout que ces indices sont plus élevés que ceux des femmes venues des mêmes régions ayant immigré il y a plus longtemps.
Nous avons montré que la plus forte fécondité des nouvelles arrivantes s’explique par la façon dont l’ISF est calculé, car sa valeur résulte non seulement de l’intensité des événements, mais aussi de leur calendrier. Les femmes immigrées jeunes ou adultes tendent à avoir des enfants immédiatement après la migration, de façon plus ou moins prononcée selon l’âge à l’admission et la région de provenance, ce qui contribue à faire monter la valeur de l’ISF total. Cette situation s’explique, en partie, par le fait que les femmes admises à 20 ans ou plus avaient un conjoint au moment de l’admission, et que celles de moins de 25 ans sont plus susceptibles d’avoir immigré dans le cadre de la recomposition familiale. L’estimation du nombre d’enfants au moyen de mesures longitudinales comme la descendance montre que, pour les femmes de certaines régions, les écarts par rapport à la moyenne du Québec se réduisent.
Si les limites de l’ISF pour mesurer le comportement procréateur des femmes sont connues depuis longtemps, pourquoi la comparaison de la fécondité des immigrantes et des natives au Québec et au Canada se base-t-elle exclusivement sur des approches transversales ? Il y a à notre avis au moins trois explications.
D’une part, le recensement demeure la source de données privilégiée pour mesurer les phénomènes démographiques au sein de sous-populations spécifiques. Cependant, au Canada, on a retiré du formulaire la question rétrospective portant sur la descendance et on doit se contenter de l’estimation de la fécondité à l’aide de la méthode transversale. Il faut noter que le calcul de l’ISF lui-même pourrait se voir affecté à l’avenir à cause du remplacement du questionnaire détaillé du recensement par l’Enquête nationale auprès des ménages en 2011. La nouvelle méthode de collecte rend probable une détérioration de la qualité des données, notamment lorsque les effectifs sont réduits, ce qui est le cas des immigrants récents, des minorités visibles, des personnes vivant sous le seuil de pauvreté ainsi que de certains villages et quartiers (Prévost et Lachapelle, 2012).
D’autre part, le terme fécondité est plus souvent employé en référence au processus de renouvellement des générations, une dimension strictement populationnelle, qu’en référence au comportement procréateur des individus, une dimension de leur histoire personnelle. Alors que l’ISF est clairement un indicateur de la première dimension — du plus grand intérêt pour les planificateurs —, il est souvent utilisé pour tirer des conclusions sur la seconde dimension, sans qu’il soit tenu compte de sa sensibilité aux variations de calendrier. Autrement dit, il faut préciser à quelle dimension de la fécondité on fait référence dans l’interprétation des résultats des indicateurs et de leurs limites.
Une troisième raison est que l’on suppose que les femmes immigrantes, notamment celles qui viennent d’autres régions que l’Europe, se distinguent par leur fécondité élevée. Il semble tout à fait raisonnable de croire que les femmes arrivées récemment de pays qui n’ont pas encore terminé la transition démographique ou qui l’ont fait plus tardivement, qui sont moins sécularisés que le Québec et où l’accès des femmes à l’éducation et à l’emploi qualifié est moins généralisé soient enclines à avoir une famille nombreuse et que le processus d’intégration ne modifie pas leurs comportements de façon significative. Dans ce contexte, les tendances de l’ISF servent à confirmer ces suppositions, en dépit des limites que nous avons déjà soulevées. Il faut cependant tenir compte également du fait que les immigrantes sont soumises à un processus de sélection de la part du Québec et du Canada afin d’obtenir leur résidence permanente, ce qui implique que leurs caractéristiques et leurs motivations soient différentes de celles de la population dont elles sont issues. Ces aspects sont rarement abordés dans les études comparatives, pas plus qu’ils ne le sont dans celles sur la dynamique de la formation de la famille dans le cadre de la migration internationale et sur les déterminants liés à la fécondité.
Cette étude a permis d’illustrer les possibilités des registres administratifs à des fins de recherche. Comme nous l’avons déjà mentionné, les bases de données que nous avons utilisées ont aussi leurs limites. D’une part, on ne peut pas négliger le fait que certaines femmes aient pu immigrer au Québec sans leurs enfants, ce qui contribuerait à sous-estimer le nombre d’enfants avant et après la migration et, par conséquent, le niveau de leur descendance finale. Cette erreur serait plus fréquente chez les résidentes temporaires n’ayant pas obtenu le statut de résidente permanente (qui ont été exclues de notre fichier d’analyse) mais aussi chez les femmes réfugiées, à cause des particularités de leur parcours migratoire.
Notre étude exclut les femmes qui ont immigré durant leur enfance (avant l’âge de 15 ans), car il faut attendre un plus grand nombre d’années avant de pouvoir obtenir des indicateurs sur les naissances survenues au Québec. En outre, les données disponibles dans leur formulaire d’admission contribueront peu à déterminer leur situation au moment de l’analyse de leur fécondité.
En ce qui concerne la situation des cohortes d’admission plus récentes, le MICC a changé de méthodologie pour déterminer la présence des immigrants sur le territoire. Depuis 2012, le critère est plus restrictif : il dépend de la date d’expiration de la carte d’assurance maladie. Par conséquent, toute personne qui n’a pas renouvelé sa carte est considérée comme non présente, même si dans les faits elle réside toujours au Québec. Les calculs pour 2012 indiquent ainsi un taux de présence plus faible des cohortes 2001 à 2010 par rapport aux taux passés (MICC, 2013b). L’effet sur l’estimation de la présence des sous-groupes considérés dans cette étude reste à préciser.
En conclusion, l’analyse de la fécondité des immigrantes et de ses déterminants exige le recours à d’autres méthodes que celle de l’approche transversale classique. L’accès aux banques des organismes publics offre sans doute un avenir prometteur. Mais pour mieux connaître les comportements féconds des femmes ayant immigré durant l’enfance ou la vie adulte, ainsi que ceux de la deuxième génération (les filles des immigrants), il est nécessaire que les sources de données fournissent des informations sociodémographiques plus détaillées, autant sur les caractéristiques des femmes au moment de leur admission que sur les transitions qu’elles expérimentent avant et après leur arrivée.
Parties annexes
Annexe
Caractéristiques (en %) des femmes de la cohorte à l’étude au moment de leur admission (1997-2006)
Notes
-
[1]
Le sous-dénombrement de certaines catégories de la population peut cependant avoir un effet sur les estimations.
-
[2]
Les recommandations internationales suggèrent de mesurer la fécondité de moment à partir de l’information sur le nombre d’enfants nés vivants chez les femmes de 15 à 50 ans durant les 12 mois précédant la date du recensement (Nations Unies, 2009 : 156).
-
[3]
L’exploitation du fichier de microdonnées du recensement a été faite au laboratoire informatique du Centre interuniversitaire québécois de statistiques sociales, antenne UQAM-INRS.
-
[4]
Dans les cas d’un couple de même sexe (deux femmes), la femme la plus jeune a été considérée comme la mère potentielle de l’enfant.
-
[5]
Les femmes immigrantes ont été comptabilisées dans le calcul depuis la date de leur arrivée au Québec.
-
[6]
Comme le précise le rapport du MICC : « Ce dernier jumelage a permis de couvrir de façon exhaustive la présence au Québec des immigrants récents et, plus spécifiquement, des immigrants dont la demande a été traitée sur place » (MICC, 2008 : 19).
-
[7]
Selon le MICC, « Le statut d’admissibilité se subdivise en diverses composantes : l’admissibilité au régime, l’inadmissibilité, les décès. L’admissibilité au régime survient lorsque le statut du bénéficiaire est vérifié et déclaré valide. L’inadmissibilité est déclarée lorsqu’une personne quitte le Québec de façon définitive (avis de la personne à la suite de son départ du Québec, renvoi de sa carte d’assurance maladie à la RAMQ, recoupements avec des fichiers externes à la Régie) » (MICC, 2008 : 17).
-
[8]
La RAMQ couvre les services médicaux qui sont considérés nécessaires et qui sont fournis par un omnipraticien ou par un médecin spécialiste. Les services associés à la grossesse et à l’accouchement sont aussi couverts durant le délai de carence de 3 mois avant d’être admissible à la RAMQ.
-
[9]
La liste de codes qui correspondent à un accouchement est la suivante : 6903, 6919, 6923, 6943, 6912, 6913, 6946, 6945 et 6950.
-
[10]
Nous avons exclu les immigrantes en provenance des États-Unis et d’Océanie ou d’autres pays à cause du trop faible effectif.
-
[11]
La présence d’un conjoint au moment de l’admission est dérivée à partir de la situation de la femme déclarée dans le formulaire d’admission (banque du MICC) : mariée ou fiancée (état civil) ; épouse/conjointe de faite/partenaire parrainée sous la recomposition familiale (catégorie d’immigration) ; conjointe du requérant principal (statut d’immigration). Il est possible qu’il y ait une omission des femmes en couple sans être mariées, notamment chez les requérantes principales ou les membres dépendantes sous la catégorie d’immigrant économique ou de réfugié.
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