Résumés
Résumé
La mobilité étudiante est une composante importante du flux migratoire de la RDC vers la Belgique. Cette recherche s’intéresse à l’insertion professionnelle de ces migrants étudiants, en comparaison avec ceux qui n’ont pas suivi d’études dans le pays d’accueil. Les profils des étudiants migrants sont hétérogènes. Leur migration et leurs études s’effectuent à des stades différents de leur vie et elles répondent à des motifs, des préoccupations et des objectifs différents. Cela s’observe dans le choix du type d’études et des filières de formation suivies. Les résultats montrent que les études effectuées en Belgique induisent une différence quant à l’insertion professionnelle des migrants. Elles permettent un meilleur accès à l’emploi et réduisent dans une certaine mesure la surqualification des migrants, mais pas de façon identique pour tous les groupes de migrants.
Abstract
International student mobility is an important component of the migration flow from the DRC to Belgium. This paper aims to investigate the professional integration of Congolese students into the Belgian labour market, in comparison with non-student migrants. Student migrants have heterogeneous profiles, as their migration and studies take place at different stages of their life. Reasons for migration, student objectives, and choices of sector of education differ from one group to another. The results show that courses of study in Belgium make a difference to migrants’ professional outcomes. Students have better access to employment, and encounter less problems of over-qualification in the migrant labour market, but these effects are not equally positive for all groups.
Corps de l’article
La migration de la République Démocratique du Congo (RDC) vers la Belgique se distingue depuis ses débuts, bien avant l’indépendance du pays, par l’importance de la mobilité étudiante. Contrairement à de nombreux flux de migration africaine, il ne s’agit pas principalement d’une migration de main d’oeuvre. Historiquement, durant la colonisation de la RDC par la Belgique, les flux migratoires, bien que de faible importance, étaient essentiellement constitués par une élite qui venait se former en Belgique, dans le but de prendre la relève et de seconder les fonctionnaires coloniaux (Schoonvaere, 2010). Si depuis les années 1975, période à laquelle la Belgique commence à fermer ses frontières, les motifs d’arrivée de cette population sur le territoire belge se diversifient, les études restent aujourd’hui encore un motif important de migration. Les données sur les motifs de délivrance de visas de longue durée[1] aux ressortissants congolais montrent que 31 % des visas délivrés en 2007 l’ont été pour des motifs d’études (Schoonvaere, 2010). C’est le deuxième motif de délivrance de visas de longue durée après le regroupement familial, qui représente 59 % des visas. Les données du volet belge de l’enquête Migration entre l’Afrique et l’Europe (MAFE), MAFE-Belgique — enquête que nous présenterons dans une section suivante de cet article et sur laquelle nous nous appuyons principalement — montrent qu’aujourd’hui un tiers des immigrants congolais qui arrivent en Belgique viennent pour la poursuite de leurs études supérieures. C’est le premier motif de migration évoqué par les migrants interrogés, devant les raisons liées à l’insécurité et aux problèmes politiques. Par la suite, ayant acquis un diplôme belge dans la majorité des cas, ces migrants semblent plus à même d’accéder à un emploi correspondant à leurs compétences. La question du devenir de ces étudiants à la fin de leurs études à l’étranger se pose. La méfiance croissante des autorités du pays d’accueil vis-à-vis de cette catégorie particulière d’immigrants, ainsi que les enjeux liés à la fuite des cerveaux, desservant des pays du Sud en manque de compétences pour contribuer au développement, conduisent à s’interroger sur les projets et l’insertion professionnelle de ces étudiants étrangers. À partir de données biographiques collectées dans le cadre du projet MAFE auprès de migrants congolais résidant en Belgique, ce travail se propose de retracer les trajectoires d’études et les trajectoires professionnelles des étudiants migrants en Belgique. Le premier objectif de cette recherche est d’analyser les différents profils de ces étudiants congolais et la diversité de leurs parcours d’études. En effet, la population étudiante congolaise est loin d’être homogène, tant au niveau des caractéristiques sociodémographiques des individus qu’au niveau des motivations et de la nature du projet d’études. Le second objectif est d’étudier l’insertion professionnelle de ces migrants à la fin de leurs études et d’identifier les effets de leur parcours scolaire sur leur accès à l’emploi. Se pose également la question d’une insertion professionnelle et d’une évolution de carrière différente pour les migrants étudiants et les autres migrants. Dans une première section, nous rappelons les principaux enjeux liés à la question de la mobilité internationale étudiante. Nous présentons ensuite les spécificités des flux de migrations de la RDC vers la Belgique au cours de l’histoire et aujourd’hui (deuxième section) puis les données et méthodes utilisées (troisième section). Les profils contrastés des étudiants migrants ainsi que leurs trajectoires d’insertion professionnelle sont analysés dans les sections suivantes.
Les enjeux de la migration étudiante et de l’insertion professionnelle des étudiants étrangers
La question de l’accueil et du devenir des étudiants étrangers tient une place importante dans les réflexions politiques sur les migrations internationales. L’accueil d’étudiants étrangers a longtemps été favorisé dans de nombreux pays, notamment en France, car il était considéré comme une contribution au rayonnement intellectuel et culturel du pays d’accueil (Gérard, 2008). Il permet également de favoriser le dynamisme et la qualité de la recherche universitaire, en ouvrant les universités à des liens et des échanges soutenus avec des universités étrangères. En France, la référence à l’aide au développement et la solidarité internationale a longtemps été utilisée pour justifier les politiques d’accueil des étudiants issus des anciennes colonies (Garneau, 2007). Cependant, les pouvoirs publics des pays d’accueil ont de plus en plus tendance à considérer les études comme un moyen de contourner les obstacles administratifs élevés de l’immigration classique. En effet, une part non négligeable des étudiants qui poursuivent leurs études à l’étranger est originaire de pays en développement, et les principales destinations de ces étudiants sont les pays du Nord, qui accueillent d’ailleurs souvent davantage d’étudiants étrangers qu’ils ne « fournissent » d’étudiants internationaux (Latrèche, 2001). Selon les données récentes de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), sur les 3,57 millions d’étudiants étrangers présents dans le monde en 2010, si 28 % étaient originaires d’Asie de l’Est et 15 % d’Amérique du Nord et d’Europe occidentale, ces zones géographiques accueillaient respectivement 21 % et 58 % des étudiants en mobilité internationale (ISU, 2012). Les étudiants originaires d’Afrique subsaharienne représentaient 7 % de ce flux, chiffre assez faible dans l’absolu, mais en termes relatifs 5 % des étudiants du niveau supérieur de cette zone. Ils se concentraient également à près de 60 % en Amérique du Nord et en Europe occidentale (ISU, 2012). Cette forte demande s’explique par l’offre de formation universitaire souvent moins développée dans les pays du Sud et l’essor plus rapide des sciences et techniques dans les pays du Nord. Souvent considérés comme présentant un « risque migratoire » élevé (Gérard, 2008), du fait de la relative facilité d’accès au territoire et au droit au séjour pour raisons d’études, et parfois amalgamés à des acteurs d’une immigration de travail « déguisée » (Borgogno, Streiff-Fenart, Vollenweider-Andresen et Simon, 1995), du fait de l’importance croissante des flux d’entrée, les étudiants étrangers font de plus en plus l’objet de restrictions dans les pays d’accueil. Aujourd’hui, la question des étudiants internationaux est devenue indissociable de celle de la gestion des flux migratoires, et de nombreux pays ont instauré un renforcement des contrôles sur ce type d’immigration, de diverses manières. Des pays comme l’Australie limitent les programmes d’études accessibles aux étrangers. La France a durci l’accès au visa de long séjour pour études[2] et restreint le renouvellement du titre de séjour en cas d’échecs répétés aux examens (Garneau, 2007). Certains pays, comme le Royaume-Uni, le Canada ou la Belgique instaurent des frais de scolarité beaucoup plus élevés pour les étrangers, tandis que d’autres, comme la Suisse, incitent les universités à établir des quotas d’étudiants étrangers (Latrèche, 2001).
Une autre question associée au thème de la mobilité des étudiants étrangers est celle de la fuite des cerveaux, ou de la perte des élites intellectuelles et scientifiques des pays du Sud au profit des pays du Nord. Les études à l’étranger forment l’un des segments du « marché international des cerveaux » (Gaillard et Gaillard, 2002). La question du retour ou non des personnes formées à l’étranger et de la déperdition des personnes qualifiées des pays du Sud est fondamentale, étant donnés les besoins en renforcement des capacités scientifiques et techniques de ces pays pour assurer leur marche vers la croissance économique et l’amélioration des conditions de vie de leur population.
Étudier le lieu d’insertion professionnelle des étudiants migrants permet d’observer si certaines craintes des acteurs politiques sur l’utilisation des études comme mode d’accès au territoire dans l’objectif de s’y installer et d’y trouver du travail plus tard se révèlent fondées. Cela permet également d’analyser les liens entre ce type de mobilité et le problème de la fuite des cerveaux dans les pays en développement. Étudier à l’étranger est-il encore un moyen de former des cadres dirigeants qui pourront contribuer à bâtir le développement du pays, où est-ce la porte ouverte à la perte d’une partie des intellectuels et des scientifiques du pays d’origine ?
De plus, l’insertion professionnelle des étrangers reste difficile dans les pays d’accueil. De nombreuses études soulignent des inégalités en matière d’accès à l’emploi et de niveau de salaires en défaveur des populations immigrées dans différents contextes (Boumahdi et Giret, 2005). Un fort taux de chômage des étrangers est observé dans l’ensemble des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). La Belgique figure parmi les pays où le taux de chômage des étrangers présente l’écart le plus marqué avec celui des « natifs », de l’ordre de 10 points de pourcentage en 2007 et 2008 (OCDE, 2009). Du fait de nombreuses contraintes administratives liées au statut de séjour, et d’inévitables discriminations sur le marché du travail, seul un faible nombre de migrants parvient à obtenir un emploi, et ceux qui trouvent un emploi correspondant à leurs compétences réelles sont encore moins nombreux (Rakotonarivo et Phongi, 2012). La question de l’absence de reconnaissance des compétences acquises dans les pays d’origine (OCDE, 2008) est souvent mise en avant pour expliquer le non-emploi de la main-d’oeuvre étrangère. Mais dans le cas d’une main-d’oeuvre formée localement dans le pays d’accueil, cette question continue-t-elle de se poser ? Il est ainsi pertinent de comparer les profils d’insertion, entre migrants qui sont des produits du système de formation du pays d’accueil et migrants qui ont étudié uniquement dans leur pays d’origine. Cela permet d’observer si les mêmes barrières s’appliquent à l’entrée de ces migrants sur le marché du travail ou si les études effectuées dans le pays d’accueil facilitent l’insertion professionnelle locale par la suite.
La migration congolaise en Belgique
La mobilité internationale des ressortissants de la RDC est importante depuis de nombreuses décennies, bien avant l’indépendance. Parmi les destinations européennes des migrants, la Belgique a toujours occupé une place centrale, du fait des relations historiques particulières qui lient les deux pays. Aujourd’hui, la population congolaise représente le troisième plus grand groupe de non-Européens résidant en Belgique, après les Marocains et les Turcs, et le premier groupe originaire d’Afrique subsaharienne (Schoonvaere, 2010). En 2006, la population de nationalité congolaise à la naissance implantée en Belgique compte 40 000 personnes, dont 31 000 sont considérés comme immigrés car nés à l’étranger (Schoonvaere, 2010). La mobilité étudiante est une composante importante du flux de migration des Congolais vers la Belgique. Selon les statistiques de visas de longue durée de l’Office des Étrangers, un tiers des immigrants congolais qui arrivent en Belgique pour s’y établir plus de trois mois viennent pour la poursuite de leurs études supérieures. Avant l’indépendance, les flux migratoires vers la Belgique étaient déjà majoritairement composés d’étudiants (Kagné et Martiniello 2001). Les crises politiques et économiques qui secouent la RDC depuis plusieurs années ont grandement contribué à alimenter les flux de migrations et à diversifier les motifs d’entrée, comme le montre la hausse des entrées liées à une demande d’asile. Mais aujourd’hui encore, les études restent un motif important d’entrée en Belgique (Schoonvaere 2010). Un motif de migration fréquemment cité par une grande partie des personnes interrogées au cours de nos enquêtes est la volonté d’effectuer des études de qualité dans de bonnes conditions.
En 2010, selon les statistiques officielles de l’UNESCO (ISU, 2012), près de 6 000 étudiants originaires de la RDC poursuivent leur formation de niveau supérieur à l’étranger. La première destination des migrants étudiants congolais est d’abord l’Afrique, avec près de 60 % d’entre eux établis sur le continent, principalement en Afrique du Sud et en Angola. La France est le premier pays occidental d’accueil des étudiants internationaux de RDC, suivie par les États-Unis. La Belgique n’arrive qu’en cinquième position des destinations de ces étudiants. En 2010, les principales universités francophones de Belgique accueillaient 17 600 étudiants étrangers, soient 21 % de l’ensemble de la population étudiante de ces universités. Les étudiants congolais représentaient près de 5 % des étudiants étrangers et on en a dénombré 840[3] pour l’année universitaire 2010-2011 (Conseil des recteurs des universités francophones de Belgique [CREF], 2012). Ils y formaient le deuxième groupe d’étudiants internationaux non européens en effectifs, après les étudiants marocains.
La population congolaise se distingue des autres groupes de migrants non européens en termes à la fois de niveau d’instruction et d’intégration socioéconomique. Schoonvaere (2010) et Feld (2010) soulignent à cet égard le caractère ambivalent du profil de ces migrants. D’un côté, la population d’origine congolaise possède un niveau d’instruction élevé non seulement par rapport aux autres groupes de personnes de nationalité étrangère à la naissance, mais également par rapport à la population belge. Les données du recensement belge de 2001 montrent que 40 % des hommes nés congolais détiennent un diplôme de l’enseignement supérieur, contre 18 % des hommes nés avec une autre nationalité étrangère et contre 21 % des hommes nés belges. Cet écart existe aussi chez les femmes, avec 27 % des femmes nées congolaises diplômées de l’enseignement supérieur, contre 16 % des femmes nées avec une autre nationalité étrangère et 20 % des femmes nées belges[4] (Schoonvaere, 2010). D’un autre côté, ils sont pourtant confrontés à un taux de chômage très élevé, beaucoup plus élevé que celui des autres ressortissants étrangers (Adam, 2007). Si la Belgique figure parmi les mauvais élèves de l’OCDE en ce qui concerne l’emploi des étrangers (OCDE, 2008), la situation des personnes d’origine congolaise figure parmi les moins bonnes en termes d’emploi parmi l’ensemble des étrangers dans le pays. La situation semble paradoxale : loin du stéréotype du migrant peu qualifié, les Congolais résidant en Belgique ont un niveau élevé d’instruction, mais cela ne les met pas à l’abri de difficultés sur le marché du travail de leur pays d’accueil. Dans une étude sur l’insertion professionnelle des migrants congolais en Belgique, Rakotonarivo et Phongi (2012) montrent que le taux d’emploi des migrants diplômés du supérieur est plus élevé que celui de ceux qui n’ont qu’un diplôme du secondaire ou du primaire. Cependant, les emplois occupés ne correspondent pas au niveau du diplôme obtenu, et les personnes les plus qualifiées sont confrontées à une forte surqualification sur le marché de l’emploi. Moins de 40 % des migrants congolais titulaires d’un diplôme universitaire ou équivalent occupent un poste nécessitant des qualifications supérieures, et cette proportion est encore plus faible chez les femmes qualifiées (Rakotonarivo et Phongi, 2012). Le problème de l’absence de reconnaissance des diplômes étrangers et celui, lié, de la « non-transférabilité » supposée des compétences acquises à l’étranger peut être une piste d’explication aux difficultés d’insertion professionnelle des immigrés qualifiés. Cet article se propose d’essayer de comprendre ce paradoxe en étudiant les effets du parcours de formation des migrants sur leur employabilité en Belgique. L’hypothèse que nous souhaitons vérifier est que les études effectuées dans le pays d’accueil ont une influence sur l’accès à l’emploi des migrants. Si les migrants détiennent un diplôme belge, le problème de l’absence de reconnaissance de leurs qualifications et compétences ne devrait plus se poser, et cela devrait conduire à une plus grande facilité à intégrer le marché de l’emploi. Cependant, est-ce vraiment le cas, et les études en Belgique ont-elles une influence positive sur l’insertion professionnelle pour tous les types de migrants ?
Données et méthodes
Les données utilisées dans cette étude proviennent d’une enquête biographique menée dans le cadre du projet MAFE. Ce projet est une collaboration internationale entre différents instituts de recherche et universités européennes et africaines, sous la coordination de l’Institut national d’études démographiques (INED). L’objectif du projet MAFE est d’étudier et de comparer trois systèmes migratoires, à partir de trois pays africains et à destination de différents pays en Europe. Des enquêtes transnationales ont été conduites au Sénégal, en République Démocratique du Congo et au Ghana pour les pays d’origine et dans six pays de destination (France, Espagne, Italie, Belgique, Pays-Bas et Royaume-Uni).
Nous utilisons les données de l’enquête réalisée en Belgique auprès de 279 migrants congolais, interrogés entre juillet 2009 et février 2010. En Belgique, comme dans les cinq autres pays européens sélectionnés, un questionnaire biographique a permis de collecter des données détaillées sur le parcours de vie de chaque répondant. Ce questionnaire comportait de nombreux modules, permettant d’enregistrer systématiquement et de dater les différents événements intervenant au cours de la trajectoire personnelle de l’individu. Il a notamment permis de retracer son histoire résidentielle, son histoire familiale, l’histoire de ses emplois successifs ainsi que les différentes étapes de son parcours administratif à l’étranger. L’avantage de ce questionnaire biographique est qu’il permet de rendre compte de l’évolution dans le temps de la situation du répondant et d’analyser les interactions entre les différents événements vécus. D’une durée moyenne de 90 minutes, et comportant à la fois des questions ouvertes et fermées, ces questionnaires ont été remplis en face à face par des enquêteurs belges et congolais.
L’échantillonnage de l’enquête MAFE-Belgique a été réalisé suivant la méthode des quotas. Ceux-ci ont été établis par âge, sexe et lieu de résidence, sur la base de la répartition de l’ensemble de la population congolaise au niveau national fournie par le Registre national de population. Ces quotas ont été respectés pour la constitution de notre échantillon, mais d’autres critères ont également guidé le choix des répondants, afin que leurs profils correspondent aux objectifs de l’enquête. Ils devaient avoir la nationalité congolaise à la naissance et avoir quitté le continent africain à 18 ans ou plus. Ce critère d’âge au départ de l’Afrique sert à isoler les personnes qui migrent en Europe de leur propre chef des accompagnants mineurs d’un parent ou d’un membre de la famille. Les personnes interrogées devaient avoir entre 25 et 75 ans au moment de l’enquête, afin qu’elles aient une histoire de vie suffisamment longue pour être étudiée, et elles devaient avoir résidé au moins un an en Belgique au moment de l’enquête. Ce critère de durée de résidence sert à cibler les migrants déjà établis depuis un certain temps en Belgique et à exclure les nouveaux arrivants.
Pour minimiser les biais d’échantillonnage, différents modes de contact ont été utilisés pour recruter les répondants (tableau 1) : 15 % des personnes interrogées ont été approchées dans différents espaces publics (gares, stations de métro, épiceries africaines ou salons de coiffure) dans les principales villes belges (Bruxelles, Anvers, Louvain, Ottignies-Louvain-la-Neuve et Namur), 21 % des contacts ont été fournis par des associations et des églises de différentes confessions, localisées dans les différentes régions du pays et 16 % d’entre eux faisaient partie des contacts ou des réseaux personnels des enquêteurs. Un autre mode de contact a été l’annuaire téléphonique, dans lequel des noms à consonance congolaise ont été relevés. Enfin, la méthode « boule de neige » a permis d’étendre l’échantillon à partir des premières personnes interrogées, près d’un tiers des répondants ayant été recrutés de cette façon.
Différentes méthodes ont été utilisées pour analyser les effets potentiels des études en Belgique sur l’insertion professionnelle. Les statistiques descriptives ont permis de connaître le profil des migrants ainsi que leur situation professionnelle à différents moments de leur parcours. L’analyse des séquences a permis de décrire les différentes trajectoires d’études et professionnelles des migrants. Enfin, une régression logistique multivariée a permis de mettre en lumière les déterminants de l’accès à l’emploi et d’identifier le rôle des études en Belgique dans l’insertion professionnelle de ces migrants en tenant compte de plusieurs facteurs variant dans le temps.
Le profil des « étudiants » migrants
Les données de l’enquête MAFE-Belgique permettent de connaître les caractéristiques générales des migrants interrogés et d’identifier ceux qui, à un moment de leur parcours en Belgique, ont suivi des études.
Plus de la moitié des migrants congolais interrogés résidaient dans la région de Bruxelles-Capitale. Un tiers d’entre eux résidaient en région wallonne et seulement 17 % en Flandre. Schoumaker et Schoonvaere (2012) observent la même situation pour l’ensemble des migrants originaires d’Afrique subsaharienne en Belgique, près de 75 % d’entre eux résidant à Bruxelles et en Wallonie. Les auteurs expliquent cette concentration par le fait que les migrants africains de Belgique sont majoritairement issus de pays francophones[5] et qu’il existe un lien fort entre le pays d’origine et ces régions de résidence, mais également par la proximité des réseaux sociaux et familiaux, qui encouragent l’établissement dans une région plutôt qu’une autre (Schoumaker et Schoonvaere, 2012).
Les données de l’enquête MAFE-Belgique montrent une intensification des arrivées subsahariennes après 1990. Schoumaker (2010) lie cette évolution aux crises politiques qui secouent la RDC à cette période et observe des évolutions différentes pour les hommes et les femmes. Les hommes sont plus nombreux à être arrivés dans la décennie 1990, à l’époque où de très forts taux de demande d’asile étaient enregistrés pour les Congolais, tandis que les femmes sont plus nombreuses à arriver après 2000. La migration congolaise semble connaître également une féminisation, phénomène observable depuis près de 20 ans dans différents contextes migratoires internationaux (Vause, 2009). En effet, ces femmes ne relèvent pas du regroupement familial faisant suite aux fortes immigrations d’hommes durant la décennie précédente en Belgique : seules 29 % des femmes arrivées après 2000 rejoignaient leur conjoint déjà installé, les autres étant arrivées de façon autonome. Ces effectifs sont en diminution : 47 % des femmes arrivées avant 1990 et 37 % de celles ayant immigré entre 1990 et avant 2000 rejoignaient un conjoint à leur arrivée dans le pays d’accueil. De plus en plus, les Congolaises immigrent seules en Belgique, situation qui semble être spécifique aux migrantes congolaises : elles sont par exemple plus nombreuses que les Sénégalaises à immigrer dans un pays où elles n’ont ni mari ni famille proche (Toma et Vause, 2010).
Les migrants congolais arrivent jeunes en Belgique : 52 % d’entre eux sont arrivés avant leurs 30 ans et seulement 12 % sont arrivés après 40 ans. La Belgique est dans la majorité des cas leur premier pays d’émigration.
Pour étudier le parcours de formation des migrants en Belgique, il est important de distinguer le profil des étudiants migrants. Trois groupes peuvent être distingués. Le premier groupe, qui servira de groupe de contrôle, est constitué des personnes qui n’ont jamais suivi d’études en Belgique (les « non-étudiants »). Les données étant collectées sur la base de la même activité sur une période d’un an, les personnes qui n’ont pas effectué d’année complète d’études en Belgique sont également considérées comme non étudiantes et appartiennent donc aussi à ce premier groupe. Les personnes du deuxième groupe sont celles qui ont effectué au moins une année d’études durant leur séjour en Belgique et qui ont suivi des études dès la première année de leur arrivée. On peut supposer que ces personnes sont venues en Belgique dans le but de poursuivre leurs études. Elles forment le groupe des « étudiants à l’arrivée », pour faire référence à leur première activité à leur arrivée dans le pays. De manière attendue, la grande majorité d’entre eux évoque la poursuite d’études comme motif de migration en Belgique (figure 1). Le troisième groupe rassemble quant à lui un autre type d’étudiants : les migrants de ce groupe ont suivi au moins une année complète d’études en Belgique, mais les études n’ont pas constitué leur première activité à leur arrivée en Belgique. Ce sont des personnes qui sont retournées suivre des études plus tard, après une ou plusieurs années de séjour. Ils seront appelés « retournés aux études » afin de les distinguer du deuxième groupe. On peut donc supposer que les études ne représentaient pas le principal objectif de leur venue dans le pays. La figure 1 confirme que leurs motifs de migration ne sont pas spécifiquement liés aux études. L’objectif de cette subdivision du groupe des étudiants est de distinguer les personnes pour lesquelles les études en Belgique faisaient partie intégrante du projet migratoire dès l’arrivée des autres personnes, qui ont pu ou dû reprendre des études après quelques années passées dans le pays dans le souci d’une meilleure intégration professionnelle. Nous supposons que les études suivies, les attentes professionnelles ainsi que les résultats obtenus sur le marché du travail diffèrent pour ces deux groupes.
Caractéristiques des migrants selon leur statut vis-à-vis des études
Le tableau 2 donne la répartition des migrants de l’échantillon selon leur statut vis-à-vis des études en Belgique, c’est-à-dire selon leur appartenance aux trois groupes cités précédemment. On observe qu’une majorité de migrants (60 %) a déjà suivi au moins une année complète d’études dans le pays de destination. Les étudiants migrants sont principalement étudiants à leur arrivée, dès leur première année en Belgique. Ils sont moins du cinquième à être retournés aux études plus tard.
Les trois groupes de migrants présentent des profils très différents. Si la répartition par sexe est assez équilibrée chez les non-étudiants, près de deux tiers des étudiants à l’arrivée sont des hommes. À l’inverse, on compte davantage de femmes dans le groupe des personnes retournées plus tard suivre des études (tableau 3).
Une deuxième différence porte sur l’âge à l’arrivée en Belgique. Les non-étudiants arrivent majoritairement plus âgés : deux tiers d’entre eux sont arrivés après 30 ans. C’est le contraire pour les étudiants à l’arrivée : 44 % d’entre eux sont arrivés en Belgique avant 25 ans. Un tiers des personnes retournées suivre des études sont arrivées entre 25 et 29 ans. L’âge moyen à l’arrivée diffère significativement entre les groupes : 33 ans pour les non-étudiants, 27 ans pour les étudiants à l’arrivée et 30 ans pour ceux qui sont retournés aux études (tableau 4).
Le statut familial des migrants à leur arrivée est également différent : en majorité, les non-étudiants et les personnes retournées suivre des études sont en couple ou ont déjà fondé une famille à leur arrivée en Belgique. Près des deux tiers des non-étudiants et la moitié de ceux qui sont retournés suivre des études étaient engagés dans une relation maritale au moment où ils ont immigré en Belgique. De plus, respectivement 72 % et 55 % d’entre eux avaient déjà au moins un enfant. À l’inverse, les étudiants à l’arrivée sont en majorité sans charge de famille, célibataires et sans enfants au moment de la migration (tableau 5).
En observant un autre aspect de la situation familiale des migrants à leur arrivée en Belgique, celui de la présence d’un conjoint dans le pays au moment de l’arrivée, des différences importantes apparaissent entre les hommes et les femmes selon leur statut vis-à-vis des études. Si près d’un quart de l’ensemble des migrants, sexes et statuts vis-à-vis des études confondus, a rejoint un conjoint déjà installé en Belgique, cette proportion est faible chez les étudiants à l’arrivée (13 %), alors qu’elle concerne près d’un tiers des migrants dans les deux autres groupes. De façon générale, les femmes sont plus nombreuses que les hommes à opérer une réunification familiale avec leur conjoint en Belgique. Près de la moitié (48 %) de celles qui ont effectué un retour aux études rejoignaient leur conjoint en Belgique, alors que cette proportion est plus faible pour les étudiantes dès leur arrivée (23 %). De plus, moins de 6 % des hommes du groupe des personnes retournées suivre des études avaient rejoint une épouse dans le pays d’accueil. Un plus grand nombre de femmes peuvent donc être considérées comme relevant du regroupement familial, et une partie d’entre elles a eu besoin de reprendre une formation pour s’adapter aux exigences du marché du travail (tableau 6).
Cette différence nette entre les profils des trois groupes permet de supposer que la migration vers la Belgique n’est pas motivée par les mêmes raisons et qu’elle ne s’effectue pas dans les mêmes circonstances. La figure 1 illustre les motifs de migration évoqués par chaque groupe de migrants. Les étudiants à l’arrivée sont bien évidemment nombreux (60 %) à citer la poursuite d’études comme principal motif de migration. Dans les deux autres groupes, les motivations sont plus variées. Les raisons familiales, notamment le regroupement familial, et les raisons politiques, en lien avec la guerre et l’insécurité qui secoue la RDC, sont les deux principaux motifs de départ des non-étudiants et des personnes retournées plus tard suivre des études. Peu de migrants évoquent directement la recherche de travail comme raison de leur arrivée en Belgique : moins de 5 % des migrants étudiants et près de 15 % dans les deux autres groupes.
Non seulement la migration est motivée par des objectifs différents, comme obtenir un diplôme pour certains et rejoindre un conjoint ou retrouver la sécurité pour d’autres, mais le parcours administratif des trois groupes est également différent. Les non-étudiants et les personnes retournées suivre des études plus tard sont nombreux à avoir connu des périodes de « précarité administrative » depuis leur arrivée en Belgique : près des deux tiers ont été demandeurs d’asile (alors que seulement un étudiant sur cinq l’a été) et plus de la moitié des non-étudiants et 70 % des personnes ayant repris des études plus tard ont connu une période sans titre de séjour légal (tableau 7).
Pour les étudiants, le moment auquel interviennent ces difficultés administratives varie selon la catégorie d’appartenance. Pour 80 % des personnes ayant repris des études, il a eu lieu dans la période précédant le retour aux études. Ces personnes, arrivées en Belgique pour des raisons familiales, politiques ou autres, se sont retrouvées à un moment sans titre de séjour. Elles ont donc dû attendre de régulariser leur situation administrative et obtenir un droit de résidence en Belgique avant d’entamer un projet d’études. Les personnes ayant étudié dès leur arrivée ont quant à elles connu une période sans titre de séjour après leurs études. Cela n’est guère surprenant dans la mesure où l’inscription à l’université leur donne un droit au séjour dès leur arrivée, sur présentation du visa de long séjour obtenu au préalable au consulat belge avant le départ de la RDC. Par la suite, en cas d’échecs répétés aux études ou dans le cas où ils ne sont plus inscrits dans un établissement d’enseignement, ils perdent ce droit.
Ainsi, les migrants des trois groupes semblent être arrivés en Belgique à des étapes différentes de leur vie. Les étudiants sont jeunes, sans charge de famille, alors que les autres sont arrivés plus âgés et dans des phases plus avancées de leur vie familiale. Leurs parcours migratoires diffèrent également. Les étudiants sont majoritaires à avoir planifié leur venue dans le but de suivre des études, tandis que les autres sont venus pour des raisons différentes, et ont été confrontés à certaines difficultés administratives et à des périodes d’incertitude pendant leur séjour.
Caractéristiques des études suivies
Des différences s’observent également sur les études qui ont été suivies par les migrants. Tout d’abord, les personnes composant les deux groupes d’étudiants n’ont pas le même niveau d’instruction. Si l’on tient compte du plus haut diplôme obtenu au moment de l’enquête, on voit que la majorité des étudiants à leur arrivée ont un niveau d’instruction élevé (tableau 8) : 56 % d’entre possèdent un diplôme de deuxième ou de troisième cycle universitaire (une maîtrise, un master ou un doctorat). Les migrants des autres groupes sont quant à eux moins instruits. Près de la moitié d’entre eux ont obtenu au plus un diplôme d’études secondaires. Seulement un quart des non-étudiants et 15 % des personnes retournées suivre des études détiennent un diplôme universitaire de second ou de troisième cycle. De nombreuses études montrent que les étudiants étrangers originaires des pays du Sud viennent souvent pour obtenir un diplôme universitaire de troisième cycle dans le pays d’accueil, dans le cadre d’une spécialisation dans un domaine particulier (Borgogno et collab., 1995 ; Guisse, 2002). En général, les personnes qui viennent dans le but d’effectuer des études supérieures, que ce soit en Belgique ou dans un autre pays du Nord, sont nombreuses à poursuivre ces études jusqu’à un niveau élevé, et cela semble être le cas pour celles de notre échantillon.
Cette idée est confirmée par la durée des études suivies, qui n’est pas la même pour les deux groupes d’étudiants. La plupart des personnes étudiantes dès leur arrivée poursuivent de longues études (en moyenne 5,7 ans). Les autres étudiants, quant à eux, entreprennent des études plus courtes (en moyenne 2 ans).
Si l’on observe le domaine d’études (diplômes universitaires), les étudiants dès leur arrivée sont beaucoup plus nombreux à choisir les sciences sociales (figure 2). Guisse (2002), qui observe également une forte concentration d’étudiants africains dans ce domaine à Genève, se pose la question de l’insertion professionnelle de ces étudiants, dans la mesure où il concerne des emplois qui ne sont pas réellement en demande dans les pays d’origine et disposant déjà d’un fort contingent de demandeurs locaux dans le pays d’accueil. Dans notre échantillon, les migrants retournés suivre des études plus tard semblent quant à eux s’intéresser aux secteurs où il existe une forte demande, voire une pénurie de travailleurs. Ils sont nombreux à s’être formés dans le domaine de la santé (21 %), du commerce (13 %) et des sciences et techniques (11 %). En Belgique, ces secteurs connaissent une demande de main-d’oeuvre beaucoup plus forte que les sciences sociales par exemple.
Par conséquent, le projet d’entreprendre des études en Belgique semble avoir des significations et des objectifs différents pour les deux groupes d’étudiants. Comme on pouvait s’y attendre, le retour aux études quelques années après l’arrivée en Belgique apparaît comme une réelle adaptation aux besoins du marché du travail, pour des personnes qui sont initialement arrivées dans le pays pour une autre raison, et qui après un certain temps ont décidé de se former de nouveau pour pouvoir trouver un travail dans le pays d’accueil. Leurs études sont donc courtes et orientées vers des secteurs dans lesquels la demande en travailleurs est élevée. Leur projet diffère de celui des autres étudiants, qui entreprennent de longues études en Belgique, choisies indépendamment de la situation du marché du travail et donc sans véritable objectif d’insertion. La durée moyenne écoulée entre l’arrivée en Belgique et le retour aux études, pour les migrants du troisième groupe, est de 3 ans pour les hommes et de 6 ans pour les femmes. L’âge moyen de début des études est de 27,6 ans pour les étudiants dès leur arrivée, ce qui correspond à leur âge à l’arrivée en Belgique. Par comparaison avec l’âge moyen des étudiants nationaux, ils sont déjà assez âgés. Cela tient au fait qu’ils ont souvent déjà fait des études universitaires dans leur pays d’origine et qu’une partie d’entre eux vient pour effectuer une spécialisation dans son domaine et obtenir un diplôme de troisième cycle (Borgogno et collab., 1995 ; Guisse, 2002). Dans le second groupe d’étudiants, ceux qui ont repris des études plus tard, l’âge moyen au moment de la reprise d’études est de 35,7 ans : le retour aux études se fait beaucoup plus tard dans la vie de ces migrants.
Il est intéressant d’observer le lieu d’obtention du diplôme le plus élevé détenu par les migrants. L’ensemble des non-étudiants pour lesquels la date d’obtention du diplôme est connue a obtenu leur diplôme le plus élevé à l’étranger avant d’arriver en Belgique. Pour les étudiants dès leur arrivée, 65 % d’entre eux ont obtenu leur diplôme le plus élevé après leur immigration en Belgique. Leur séjour leur a donc permis d’obtenir une qualification plus élevée que celle qu’ils détenaient à leur départ de RDC, et cela correspond à l’objectif de spécialisation par un diplôme plus élevé souligné par Borgogno et coll. (1995) et Guisse (2002). En revanche, dans le second groupe d’étudiants, ils sont moins nombreux à avoir obtenu leur diplôme le plus élevé après leur entrée en Belgique : c’est le cas pour seulement 43 % d’entre eux. Ces chiffres, associés à la courte durée de la formation entreprise, semblent accréditer l’hypothèse d’un retour aux études non pas en continuité avec la formation antérieure mais pour acquérir des compétences de base dans une autre branche, plus porteuse sur le marché du travail. Ainsi, les migrants qui se trouvent dans ce cas de figure ne poursuivent pas de longues études et semblent vouloir s’intégrer au plus vite sur le marché de l’emploi.
Une comparaison de l’insertion professionnelle des migrants étudiants avec celle des non-étudiants
Cette section vise à analyser l’insertion professionnelle des migrants des trois groupes en Belgique. Notre hypothèse est que l’accès à l’emploi est plus rapide et concerne davantage de personnes au sein de ceux qui ont étudié en Belgique, car leurs compétences et leurs qualifications sont reconnues sur le marché du travail local.
Au moment de l’enquête, 48 % des non-étudiants, 46 % des personnes venues pour études et 72 % des personnes ayant repris des études travaillent (tableau 9). En excluant les personnes toujours étudiantes à cette date, la proportion de personnes qui travaillent passe à 67 % pour ceux qui ont étudié en Belgique dès leur arrivée, contre 80 % pour celles qui ont repris des études. Les personnes ayant étudié en Belgique sont plus nombreuses que les autres à travailler.
Le niveau d’études des migrants semble induire des différences dans le statut d’activité pour ceux qui ont étudié en Belgique. Si les taux de personnes qui travaillent varient peu selon le niveau d’études chez les non-étudiants, on observe un écart assez important chez les autres : les étudiants qui n’ont pas obtenu de diplôme universitaire sont beaucoup moins nombreux (37 %) à travailler que ceux qui ont un diplôme d’études supérieures (57 %). En plus de cette question du niveau d’instruction — et en lien avec elle — se pose le problème de l’adéquation entre le niveau d’études et l’emploi occupé pour ceux qui travaillent. En effet, la surqualification (définie comme l’écart entre le niveau d’études supérieur qu’ils possèdent et le niveau inférieur requis par l’emploi qu’ils occupent) touche un très grand nombre de migrants dans les pays du Nord (Chicha et Deraedt, 2009). Ce déclassement professionnel concerne par exemple près d’un quart des immigrés possédant au moins un diplôme d’études supérieures aux États-Unis en 2006 (Batalova, Fix et Creticos, 2008). Dans notre échantillon, si près d’un migrant sur deux occupe un emploi nécessitant de faibles qualifications[6] (tableau 10), on constate que les personnes concernées sont plus nombreuses dans le groupe des non-étudiants (73 %) et moins nombreuses dans le groupe des étudiants (33 %). La surqualification des migrants est notable : une part non négligeable de ceux qui possèdent un diplôme d’études supérieures occupe un emploi peu qualifié (52 % des diplômés de premier cycle et 21 % des diplômés des cycles supérieurs). Elle est cependant moins marquée chez ceux qui ont suivi des études dans le pays d’accueil. Leurs résultats sur le marché du travail sont meilleurs, de ce point de vue, que ceux des non-étudiants.
Au-delà de la simple observation de la situation au moment de l’enquête, il est également possible d’étudier l’évolution de l’accès à l’emploi. Dans cet objectif, le premier indicateur utilisé ici est la durée écoulée entre l’arrivée en Belgique et l’obtention du premier emploi, car cette variable peut révéler la relative difficulté ou la relative facilité d’accès au marché du travail local (figure 3).
La figure 3 reporte les estimateurs de Kaplan Meier sur la durée écoulée entre l’année d’arrivée en Belgique et l’accès des migrants à leur premier emploi. L’axe des abscisses montre le nombre d’années écoulées depuis l’arrivée et l’axe des ordonnées la proportion de migrants qui n’ont pas encore trouvé leur premier emploi (ou ceux qui l’ont trouvé si l’on considère la partie supérieure au-dessus des courbes du graphique) à différentes dates. Deux ou trois ans après l’arrivée, les non-étudiants sont un peu plus nombreux à avoir déjà trouvé un emploi, mais la différence reste faible. Après cinq années de résidence, un plus grand nombre de personnes retournées suivre des études (près de 48 %) ont trouvé un premier emploi, par opposition aux personnes des autres groupes (près de 23 %). Après dix années de résidence, l’écart entre les groupes se creuse, mais beaucoup plus d’étudiants, quel que soit leur groupe d’appartenance, ont déjà exercé un emploi en Belgique : près de 45 % des personnes retournées suivre des études et 50 % des étudiants dès leur arrivée ont déjà été employés. Il est important de noter que les non-étudiants sont potentiellement disponibles pour le marché du travail dès leur arrivée sur le territoire, tandis que pour les étudiants, ils sont d’abord occupés par la poursuite de leurs études, et donc ont une probabilité plus faible de travailler dès leur arrivée.
Néanmoins, les étudiants apparaissent comme ayant un meilleur accès au marché du travail, et les différences entre les trois groupes sont significatives (Pr > chi2 = 0,0042). Le taux d’emploi au moment de l’enquête est beaucoup plus élevé chez les personnes ayant repris des études plus tard, ce qui confirme ce résultat.
Pour dépasser cette simple mesure transversale, nous allons comparer les trajectoires professionnelles des trois groupes.
La figure 4a donne une vue générale des trajectoires professionnelles individuelles des migrants congolais depuis leur arrivée et pour leur première période décennale de résidence en Belgique[7]. Trois statuts d’activité sont observés : les études, l’emploi et l’inactivité. La zone gris pâle représente la troncature (nombre d’années manquantes pour compéter la période décennale) pour les migrants arrivés depuis moins de 10 ans. Près de 60 % de l’échantillon n’est pas tronqué à dix ans. On peut voir également sur cette figure les courts retours aux études des étudiants du second groupe (2 à 3 ans). Avant le retour aux études, une grande partie d’entre eux sont inactifs. Sont bien visibles également les longues lignes commençant dès la première année associées aux longues études des étudiants du premier groupe. Enfin, on observe qu’une partie des migrants occupent un emploi dès l’arrivée en Belgique, et que ces derniers sont peu nombreux à changer de statut en reprenant des études ou en tombant dans l’inactivité par la suite.
La figure 4b présente une vue globale des carrières de l’ensemble des migrants. La première année de leur arrivée en Belgique, près de 45 % des migrants étaient étudiants, 40 % inactifs et 15 % travaillaient. Parmi les répondants dont la trajectoire n’est pas tronquée cinq ans après leur arrivée, plus d’un tiers sont étudiants, un tiers sont en emploi et un peu moins d’un tiers sont inactifs. Après 10 ans de résidence en Belgique, plus de la moitié des répondants dont la trajectoire n’est pas tronquée travaillent, moins d’un tiers sont inactifs et 16 % sont étudiants. Il y a ainsi un net accroissement de la proportion de personnes qui travaillent, essentiellement au détriment de la catégorie des étudiants, et dans une moindre mesure de celle des inactifs.
La figure 5 présente le même exercice pour les trois groupes de migrants précédemment définis. Les trajectoires professionnelles individuelles des migrants (graphiques du haut) soulignent clairement les spécificités des différents groupes, tandis que la distribution des migrants selon le statut d’activité (graphiques du bas) synthétise les informations des individus de chaque groupe. Par définition, les non-étudiants n’ont suivi aucun cursus d’études en Belgique. À leur arrivée, 70 % des personnes de ce groupe sont inactives, et cette proportion diminue avec la durée de résidence dans le pays, pour s’équilibrer progressivement avec l’emploi. Cinq ans après leur arrivée, près de 50 % des migrants de ce groupe travaillent et, dix ans après leur arrivée, ce statut concerne près de 60 % d’entre eux. Le premier élément qui distingue les deux premiers groupes relève de nos définitions et est clairement visible sur les trajectoires d’études : les étudiants dès leur arrivée commencent leur formation dès la première année, tandis que ceux qui sont retournés suivre des études ne se consacrent à ces études que plus tard. Les études apparaissent ainsi comme étant plus dispersées dans le temps et dans les trajectoires pour ceux qui ne sont pas étudiants dès leur arrivée. Ces graphiques confirment également ce qui nous avons mentionné précédemment : les études entreprises par ceux qui se forment plus tard au cours de leur séjour en Belgique sont plus courtes, les étudiants dès leur arrivée restant beaucoup plus longtemps en formation.
La proportion de personnes actives augmente avec le temps dans les deux groupes, et de manière assez similaire : autour de 50 % des migrants de chaque groupe travaillent cinq ans après leur arrivée en Belgique. La proportion de migrants inactifs diminue rapidement pour la catégorie de ceux qui sont retournés suivre des études : plus de 8 migrants sur 10 de ce groupe étaient inactifs à leur arrivée et ce statut concerne moins de 3 d’entre eux sur 10 au bout de dix ans de résidence. La part de personnes inactives parmi les étudiants dès leur arrivée tourne autour de 20 % après dix années passées en Belgique.
Nous avons mesuré la probabilité d’accès au premier emploi grâce à une régression logistique utilisant à la fois des variables fixes et des variables variant dans le temps. Les résultats (tableau 11) montrent que ni le sexe du migrant ni son âge n’induisent de différences significatives quant à sa possibilité de trouver son premier travail. En revanche, la situation matrimoniale et familiale est significative : si le conjoint du migrant est à l’étranger, ce dernier a moins de chance de trouver un emploi que les célibataires. Si le conjoint du migrant réside lui aussi en Belgique, cela augmente la probabilité de ce dernier de trouver un premier emploi. Ce résultat peut être lié au rôle du réseau social du migrant (dont fait bien sûr partie son conjoint déjà installé) dans la recherche de travail. Un partenaire déjà installé dispose en effet de différentes informations sur le marché du travail et d’un réseau de contacts qu’il peut activer, ce qui peut faciliter la recherche d’emploi du migrant (Nieto et Yepez, 2008). Cela peut également être le signe d’une plus grande disponibilité et d’une certaine flexibilité de la personne sur le marché du travail, car cela permet des aménagements familiaux dans le cas d’emploi à fortes contraintes horaires par exemple.
Dans le même ordre d’idée, la variable portant sur la présence d’un enfant de moins de 6 ans dans le ménage sert à estimer la disponibilité du migrant pour le travail. On peut supposer qu’en présence d’un enfant en bas âge, les contraintes liées à l’accès ou non à un mode de garde peuvent limiter la possibilité de travailler. Cependant, dans notre modèle, cette variable n’est pas statistiquement significative.
En ce qui concerne le statut vis-à-vis des études en Belgique, il est important de souligner que, dans notre modèle, cette variable varie dans le temps pour ceux qui sont en reprise d’études. En effet, au moment où ils arrivent en Belgique, ils sont d’abord considérés comme non-étudiants, car ils n’ont pas encore suivi de programme d’enseignement dans le pays d’accueil. Par la suite, à partir de l’année où ils reprennent des études, ils sont dans la catégorie de ceux qui sont retournés suivre des études. Les résultats sont très significatifs pour cette variable. Ceux qui ont suivi des études en Belgique, quelle que soit la catégorie à laquelle ils appartiennent, ont une plus forte probabilité d’obtenir un premier emploi que les non-étudiants. Les personnes retournées suivre des études ont quant à elles quatre fois plus de chance que les non-étudiants de trouver un premier emploi. Ainsi, des études suivies en Belgique ont une influence quant à l’intégration professionnelle des migrants. Cependant, le niveau d’études n’a pas d’influence significative sur cette probabilité. Ce résultat pose la question de la reconnaissance des compétences des migrants, car les résultats des migrants sur le marché du travail ne varient pas en fonction de leur qualification ou de leur faible niveau d’études.
Détenir un titre de séjour valide n’a pas d’effet significatif sur l’emploi. Ce résultat plutôt inattendu semble contrevenir à l’idée qu’un statut légal stable est la première condition à l’obtention d’un emploi. On observe en fait que le fait de ne pas avoir de titre de séjour valide diminue les chances d’accès à l’emploi si on le compare avec l’acquisition de la nationalité belge (naturalisation). Rakotonarivo et Phongi (2012) montrent que c’est cet accès à la nationalité belge, plus que celui à un titre de séjour légal, qui facilite l’accès à l’emploi des migrants, en leur ouvrant davantage d’opportunités sur le marché du travail, notamment celui des fonctions publiques régionale et fédérale.
Ni l’âge du migrant à son arrivée ni le motif lié à sa décision de venir en Belgique n’ont d’influence significative sur l’accès à un premier emploi sur le marché du travail du pays d’accueil.
Une durée de résidence moyenne en Belgique variant entre cinq et neuf ans augmente les chances de trouver un emploi par rapport à une arrivée récente ou à une installation datant de plus de dix ans et l’inactivité, mais cette variable n’est pas statistiquement significative.
Ni le fait de détenir une expérience professionnelle avant l’arrivée en Belgique, ni la présence en Belgique de proches et d’amis autre que le conjoint ne sont, eux non plus, des variables statistiquement significatives.
Conclusion
Les premiers résultats de cette étude montrent qu’il est pertinent de distinguer les étudiants selon le moment où ils suivent des études dans le pays d’accueil et surtout selon la place de ces études dans leur projet migratoire global. Nos deux groupes d’étudiants sont hétérogènes à plusieurs points de vue, non seulement en termes de parcours d’études mais également en termes de parcours familial, migratoire et administratif. Si leur point commun est d’avoir suivi une formation dans le pays d’accueil, leur migration et leurs études s’effectuent à des stades différents de leur vie et elles répondent à des motifs, des préoccupations et des objectifs différents. Pour les migrants qui suivent des études dès leur arrivée, cette scolarité s’inscrit dans la continuité de leur formation entamée dans le pays d’origine. Ils la poursuivent dans le domaine de leur choix, sans nécessairement avoir une optique d’insertion dans le pays d’accueil. Ces études sont longues et conduisent souvent à des diplômes universitaires élevés. Le second groupe de migrants, lui, retourne suivre des études par nécessité, après quelques années passées sur le sol belge, bien souvent en inactivité. Des études courtes, orientées vers les secteurs en demande sur le marché du travail, serviront à acquérir des compétences de base pour accéder au plus vite à un emploi. C’est d’ailleurs le groupe qui obtient les meilleurs résultats sur le marché du travail. La crainte des autorités occidentales de voir les étudiants étrangers vouloir s’insérer à tout prix et rester sur le territoire ne semble pas fondée. Ces derniers n’étudient pas dans le but de trouver du travail dans le pays d’accueil. Les migrants qui sont déjà installés pour d’autres raisons sont plus à même de pénétrer le marché du travail et de s’installer durablement.
Les analyses montrent que les études effectuées en Belgique induisent une différence quant à l’insertion professionnelle des migrants. Les non-étudiants ont de moins bons résultats sur le marché du travail. Ils sont moins nombreux à travailler et mettent plus de temps à accéder à leur premier emploi. De plus, le déclassement professionnel ou la surqualification au travail sont beaucoup plus forts dans ce groupe. Ces résultats sont intéressants dans la mesure où le lieu de formation des migrants induit des différences dans les résultats sur le marché du travail. La formation dans le pays d’accueil procure un avantage aux migrants. La question de l’absence de reconnaissance des diplômes et des compétences obtenus à l’étranger reste donc centrale pour expliquer les taux de participation des migrants au marché du travail, qui restent beaucoup plus faibles que ceux des « natifs ». Ces résultats doivent être approfondis, en particulier en analysant le type de formation courte suivi par les migrants, en s’intéressant aux déterminants de l’appartenance à l’un ou à l’autre groupe d’étudiants et également en creusant la question des étudiants retournés dans leur pays d’origine après leurs études en Belgique. Cette étude apporte néanmoins plusieurs éléments de réponse quant aux effets des études sur l’insertion professionnelle en Belgique.
Parties annexes
Notes
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[1]
Visa délivré pour un séjour d’une durée supérieure à 3 mois.
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[2]
Le visa de long séjour ne peut être obtenu que sur présentation d’une préinscription dans un établissement d’enseignement ainsi que celle d’une preuve de ressources matérielles suffisantes.
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[3]
Ce chiffre ne concerne que les étudiants de nationalité congolaise inscrits dans l’une des universités francophones de Belgique (Université de Liège, Université catholique de Louvain, Université libre de Bruxelles, Université de Mons, Facultés universitaires Notre-Dame-de-la-Paix, Facultés Universités Saint-Louis et Facultés universitaires catholiques de Mons). Il ne comprend pas les étudiants des autres institutions d’enseignement supérieur francophones (Hautes écoles), ni les étudiants des établissements d’enseignement supérieurs de langue néerlandaise ou allemande. Les étudiants d’origine congolaise de ces universités précitées ayant acquis une autre nationalité sont également exclus de ces calculs.
-
[4]
Les écarts entre ces trois populations, celle née congolaise, celle née avec une autre nationalité étrangère et celle née belge, persistent même en contrôlant les données par âge, sauf en ce qui concerne les 18 à 29 ans pour lesquels la population belge est relativement plus nombreuse que la population congolaise à détenir un diplôme de l’enseignement supérieur (Schoonvaere, 2010). L’écart entre ces deux groupes pour cette classe d’âge est de l’ordre de 3 points de pourcentage pour les hommes et de 8 points de pourcentage pour les femmes.
-
[5]
La région de Bruxelles Capitale a le statut de région bilingue, les deux langues utilisées étant le néerlandais et le français. La région wallonne est francophone, tandis que la région flamande est néerlandophone.
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[6]
Les emplois pris en considération ici sont les emplois de manutentionnaire, d’employé au nettoyage, de domestique ou de personnel de maison, de vendeur ambulant, de garçon de courses et tout autre emploi élémentaire dont l’exercice ne nécessite pas de formation ni de qualifications particulières.
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[7]
Les graphiques sont construits avec l’outil TraMineR du logiciel R développé par l’Université de Genève.
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