Corps de l’article

Introduction

Depuis 2001, la France à travers son ministère de la Santé, a engagé une politique nutritionnelle forte avec la mise en place du PNNS (Programme national nutrition santé) donnant lieu à une multiplication des messages qui soulignent le lien entre l’alimentation et la santé (Burzala-Ory, Hugol-Gential et Boutaud, 2017). Le PNNS a fortement publicisé la dimension nutritionnelle de notre alimentation (Romeyer, 2015). Des campagnes d'information et d'éducation conçues par les pouvoirs publics en lien avec un conseil scientifique sont menées pour faire prendre conscience aux mangeurs et mangeuses du lien étroit entre leur alimentation et leur santé.

De nombreux sociologues de l’alimentation contemporains (Claude Fischler, Jean-Pierre Poulain, 1990 – 2009) ont souligné le glissement vers la médicalisation de notre alimentation. L’alimentation est un enjeu de santé publique gérée en grande partie par des discours étatiques qui promeuvent la responsabilité individuelle visant à limiter les pratiques dites « à risque ». Les campagnes de santé publique valorisant une alimentation saine ont une incidence sur les représentations sociales[1] des citoyen·ne·s. En effet, Pascale Hébel (2010) souligne qu’il y a désormais un lien de plus en plus fort qui est fait entre alimentation et état de santé.

Pour autant, la nutritionnalisation de l’alimentation (Dodds et Chamberlain, 2017) a poussé à la montée d’un discours contradictoire (Hébel et Pilorin, 2012) reconfigurant le plaisir, la convivialité et le goût, qui retrouvent une certaine légitimité (Dupuy, 2013). Par ailleurs, la notion de consommation engagée a connu un essor sans précédent au cours du XXe siècle (Dubuisson-Quellier, 2009) donnant naissance à de nouvelles modalités d’approvisionnement comme le circuit court[2] (Beaudoin, 2014), le développement du commerce équitable et, plus globalement, une valorisation et une promotion de l’écologie et de l’éthique dans de nombreux discours alimentaires.

Transitions écologiques et transitions alimentaires sont liées. Dès 2008, Céline Pascual Espuny met en lumière que la communication verte se diffuse de manière massive et analyse l’explosion de l’argument écologique dans les publicités vertes. Dans leur revue de la littérature portant sur les recherches en communication environnementale, Catellani et al. (2019) soulignent le succès de l’expression « développement durable ». Force est de constater que cette expression a également pénétré les discours circulant autour de l’alimentation. Les auteurs et autrices notent par ailleurs que la thématique de la communication environnementale est prégnante dans tous les médias depuis 2007 et qu’elle connaît une forte montée en puissance depuis 2014 (Catellani et al., 2019). Un glissement paradigmatique s’opère entre le bien à manger qui recouvre les dimensions nutritionnelles de notre alimentation promues notamment dans le cadre du PNNS et le bon à manger qui agrège santé, éthique et durabilité en lien avec le contexte social et politique qui souligne l’urgence environnementale et climatique.

Le dernier rapport du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) datant d’avril 2022 indique plusieurs pistes à suivre pour contrer le réchauffement climatique et avoir une énergie moins carbonée. Plusieurs pistes sont évoquées dont l’alimentation fait partie avec une réduction de la consommation de viande et la lutte contre le gaspillage alimentaire. L’alimentation « bonne » considère alors la pluralité des dimensions de l’alimentation ne la réduisant pas seulement à la santé mais prenant aussi en compte la logique d’écosystème qui fait le lien entre durable et santé. Ce nouveau prisme fait également la lumière sur de nouveaux défis qui relèvent aussi bien de la production que de nos choix alimentaires : « pour répondre aux exigences environnementales, l’évolution des normes diététiques semble donc nécessaire, au même titre que celles des productions agricoles » (Darmon, 2015, p. 266).

Quels sont les enjeux de ce glissement ? Comment cela s’incarne-t-il dans les discours promouvant l’alimentation durable au niveau de l’État ? Quels sont les autres discours mis en circulation autour de l’alimentation durable ? Quelles sont les incidences sur les représentations sociales des mangeurs et leurs pratiques ?

Le présent article s’articule en deux parties. La première vise à rendre compte des discours étatiques et de leur circularité autour de l’alimentation en s’intéressant plus particulièrement à l’alimentation durable. La deuxième partie s’inscrit dans une enquête de terrain engageant des citoyens-mangeurs et des citoyennes-mangeuses. Elle porte plus spécifiquement sur la réception de ces discours et vise à rendre compte des représentations sociales et des pratiques alimentaires qui s’agrègent autour de l’alimentation durable en mobilisant une méthodologie allant de la recherche participative à la recherche-action.

1. Méthodologie : de l’analyse des discours à une analyse de terrain

Les données présentées sont issues d’un projet avec une métropole française de taille moyenne (environ 250 000 habitant·e·s) qui vise à devenir le modèle de l’alimentation durable tant dans sa production que dans sa consommation et qui s’appuie sur un consortium de citoyen·ne·s engagé·e·s dans la recherche. Le dispositif dans lequel s’inscrit la recherche est une gouvernance locale alimentaire. Ce type de gouvernance se multiplie depuis plusieurs années et vise à engager les citoyens dans une logique se rapprochant parfois de la « démocratie alimentaire »[3] (Fouilleux et Michel, 2020). Ces dispositifs-là ont été peu investis par les programmes de recherche (Fouilleux et Michel, 2020) et pourtant ils constituent des espaces publics qui se reconfigurent à l’aune de politiques locales conduites. En outre « en tant que vecteur de la critique, l’alimentation serait ainsi susceptible de donner lieu à des innovations institutionnelles, sociales et politiques majeures, qu’il s’agit de mettre au jour et de comprendre » (Fouilleux et Michel, 2020, p. 35). Un premier corpus de discours est composé des différents programmes nationaux et des lois qui régissent l’alimentation, d’une centaine de campagnes de communication émanant de différents acteurs et actrices alimentaires (État, industries agroalimentaires, interprofession, ONG…). Un deuxième corpus compile les données collectées dans le cadre d’une enquête de terrain conduite de 2019 à 2022 avec notamment quarante entretiens, six entretiens de groupe et une enquête par questionnaires (n=300).

Dans un premier temps, il s’agit alors de faire un état des discours mis en place autour de l’alimentation et plus précisément autour de l’alimentation durable. L’approche pragmatiste déployée ici permet également de souligner la circularité entre différentes arènes mais également la production de nouvelles connaissances. Cette circularité fait également écho à la notion de « trivialité » développée par Yves Jeanneret (2008) qui renvoie aux transformations que connaissent « nos savoirs, nos valeurs morales, nos catégories politiques, nos expériences esthétiques » (Tétu, 2019) dans leur transmission, tout en se chargeant de nouvelles valeurs. Caroline Ollivier-Yaniv indique que « dans certains secteurs (santé, environnement, sécurité) la communication est un instrument traditionnel des politiques publiques de prévention, notamment en vue d’agir sur les comportements individuels » (2019, p. 670) et note la nécessité de saisir « la matérialité discursive et médiatique de l’action publique » (2018, p. 6) afin de de saisir les enjeux symboliques liés.

Dans une perspective pragmatiste, le rôle des personnes enquêtées est essentiel pour saisir ces connaissances dans une logique située (Cefaï, 1996 ; Cefaï, 2016). Il s’agit alors dans un second temps, de s’interroger sur les dispositifs méthodologiques mis en œuvre pour saisir les représentations induites par les discours circulants, mais aussi d’intégrer les mangeurs et mangeuses à la création de nouveaux messages visant à informer mais aussi faire agir (Bernard et Joule, 2004).

Au-delà de la performativité des communications développées, il faut alors penser l’engagement des citoyens-mangeurs et des citoyennes-mangeuses[4] dans ces dispositifs. Comme le note Christian Le Moënne, on observe une « réorientation importante des recherches vers l’analyse des logiques d’action et des pratiques sociales en situation, dont certains auteurs suggèrent qu’elle appelle un dépassement de l’épistémologie vers une praxéologie » (2018, p. 109). Un appareillage méthodologique combinatoire avec un ensemble de données issues d’entretiens individuels (n=40), d’entretiens de groupes (n=6) et d’une enquête par questionnaires (n=300) a été mis en place. Si la première partie de l’enquête vise à avoir un panel de personnes enquêtées représentatif de la population locale de la métropole française étudiée, la dernière partie qui visait à mettre en œuvre un atelier culinaire autour des légumineuses s’est focalisée sur des populations dites précaires, avec un travail particulier auprès d’une épicerie solidaire partenaire du projet qui au-delà d’être un lieu d’achat vise à proposer des ateliers participatifs : cours de cuisine, échanges sur la nutrition, élaboration conjointe de recettes afin d’accompagner de manière pratique et ludique les bénéficiaires dans leur alimentation.

Cette contribution vise donc à interroger la matérialité discursive et communicationnelle de l’alimentation durable dans l’espace public et médiatique ainsi que les enjeux sur les représentations sociales des mangeurs et mangeuses. Il s’agit également de s’interroger sur la mise en œuvre d’une méthodologie participative afin de co-construire des messages avec des mangeurs ou mangeuses visant à favoriser une alimentation saine et durable dans une logique d’alimentation « bonne ». L’article est composé de deux grandes parties, l’une traitant des politiques publiques déployées entraînant une mise à l’agenda de la question de l’alimentation durable avec la mise en circularité de nombreux discours, l’autre interrogeant la participativité des mangeurs-citoyens ou des mangeuses-citoyennes et présentant la méthodologie combinatoire déployée dans le cadre de cette recherche qui s’inscrit dans une politique territoriale alimentaire d’une métropole française.

2. Le bien et le bon à manger dans les discours français : entre enjeux sanitaires et enjeux socio-écologiques

La question alimentaire est aujourd’hui portée par de nombreux acteurs et nombreuses actrices dans l’espace public et médiatique. Sur le plan étatique, trois ministères (Santé, Agriculture, Écologie) sont concernés avec un élargissement des problématiques à traiter. Au départ, il s’agissait d’une prise en compte prioritaire de la lutte contre l’obésité et aujourd’hui on observe un traitement plus large des questions de santé qui intègrent désormais des dimensions environnementales et des enjeux de durabilité. C’est ainsi que « se développent des actions politiques et publiques qui lient les problèmes écologiques et les problèmes sanitaires au souci de soi et de son alimentation » (Adamiec, 2017, p. 37).

Cet élargissement a conduit également à la mise en visibilité de nouvelles catégories d’aliments. Depuis plus de 20 ans, ce sont les fruits et les légumes qui sont largement valorisés. Désormais avec l’arrivée de nouvelles politiques publiques autour de la transition écologique, les légumineuses sont depuis quelques années promues d’abord à un niveau mondial par l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) puis à un niveau national en France avec des discours ministériels. Ces discours étatiques sont repris par les acteurs et actrices de la filière et les marques agroalimentaires. Aussi voit-on se construire une circularité des discours autour des questions de l’alimentation durable promouvant des modalités de communication valorisant d’abord les comportements individuels et la responsabilisation de chacun·e.

2.1 Un triple portage ministériel de la question alimentaire en France

La durabilité de notre alimentation est aujourd’hui portée par l’État français, par le ministère de la Santé, le ministère de l’Agriculture, le ministère de l’Écologie mais aussi par des marques agroalimentaires, des distributeurs, des distributrices ou bien encore des influenceurs ou influenceuses.

Le PNNS mis en place depuis 2001 en France poursuit plusieurs objectifs : la réduction de la prévalence du surpoids de l’obésité chez l’enfant, la réduction de consommation de sel et de sucre, l’augmentation de la consommation de fruits et légumes. Ces différents objectifs ont entraîné la nutritionnalisation des discours (Romeyer 2015; Poulain, 2009) qui souligne le lien étroit entre la santé et l’alimentation. Ainsi voit-on émerger une dichotomie opposant santé et plaisir dans nos comportements alimentaires. L’un des premiers messages du premier plan a été de promouvoir la consommation de fruits et légumes avec dans un premier temps des messages du type « mangez 10 fruits et légumes par jour », puis une réduction des ambitions avec « mangez 5 fruits et légumes par jour ». Le « 5 fruits et légumes par jour » devient un véritable slogan lors de la mise en place du PNNS 2 en 2006. Dans sa thèse de doctorat, Hélène Burzala (2018) souligne que plusieurs discours cohabitent autour des légumes comme objets de santé avec le déploiement d’un discours sanitaire en prise avec les recommandations du PNNS, un discours valorisant le terroir ou bien encore un discours socio-écologique valorisant saisonnalité et durabilité.

Le légume permet alors de faire le lien entre les différents programmes ministériels. En effet, le PNNS porté par le ministère de la santé n’est pas le seul programme public traitant de notre alimentation. Le PNA (Programme national pour l’alimentation) a été mis en place par le ministère de l’agriculture en 2010. Son nouveau plan de 2019-2023 traite de plusieurs thématiques : l’éducation alimentaire, la justice sociale, la lutte contre le gaspillage alimentaire, les projets alimentaires territoriaux ou bien encore la restauration collective. Pendant 18 ans, il y a donc eu deux portages ministériels concernant l’alimentation : l’un du côté de la santé, l’autre du côté de la production et de la durabilité.

Depuis 2019, un nouveau plan unissant les deux ministères (Santé et Agriculture) a été mis en place : le PNAN (Programme national de l’alimentation et de la nutrition) issu d’un comité interministériel. Le PNAN fait alors le lien entre enjeux nutritionnels et enjeux de durabilité tout en prenant en considération les logiques d’acteurs et actrices sous-jacentes mais aussi les problématiques communicationnelles. Dans un document publié en septembre 2019, le PNAN présente plusieurs actions phares allant de la promotion de nouvelles recommandations nutritionnelles à la protection des enfants et des adolescent e s d’une exposition à la publicité pour des aliments et boissons non recommandés, en passant par des enjeux de transparence des acteurs ou actrices et la lutte contre la précarité alimentaire.

La question de l’alimentation durable a d’abord été prise en charge par le PNA et le ministère de l’Agriculture en promouvant notamment de manière forte la lutte contre le gaspillage. Ce travail autour de l’anti-gaspillage s’est inscrit dans un pacte national de 2013 puis dans la loi Garot de 2016, et la loi EGalim de 2018 avec un objectif de réduire le gaspillage alimentaire de 50 % d’ici 2025 par rapport à son niveau de 2015 dans les domaines de la distribution alimentaire et de la restauration collective et, d'ici 2030, de 50 % par rapport à son niveau de 2015 dans les domaines de la consommation, de la production, de la transformation et de la restauration commerciale[5]. En outre, le ministère de l’Agriculture développe des outils de communication autour de l’anti-gaspillage en mobilisant un discours pédagogique, informatif mais aussi humoristique à l’image des contes de l’anti-gaspi (image 1). Ces contes ont été présentés en septembre 2020 à l’occasion de la journée internationale de sensibilisation aux pertes et gaspillages alimentaires. En mobilisant des supports faisant appel à un imaginaire collectif, en les détournant, il s’agit de fédérer plusieurs générations en lien avec un patrimoine commun.

Image 1

Les contes de l’anti-gaspi

Les contes de l’anti-gaspi

-> Voir la liste des figures

Fondé en 1971, le ministère de l’Écologie en France est depuis 2012 le ministère de la Transition Écologique. Ce dernier a pour mission de soutenir un système alimentaire durable et de veiller « à l'intégration des enjeux environnementaux dans les politiques agricoles et alimentaires aux échelles nationale et européenne[6] ». C’est ainsi qu’une stratégie bas carbone est déployée par le ministère. La culture de la légumineuse est mentionnée dès 2015 notamment pour l’alimentation animale. Dans le plan de 2018, la culture des légumineuses est promue pour réduire les émissions de gaz à effet de serre en soulignant le développement de la culture pour l’alimentation humaine et le travail avec les filières agroalimentaires. En outre, la loi Climat et résilience de 2021 fait également apparaître l’alimentation durable comme un pilier de la transition en s’appuyant notamment sur la loi EGalim de 2018 et la mise en place de repas végétariens au moins une fois par semaine dans les cantines scolaires à compter du 1er janvier 2023. Cette obligation légale incite les collectivités à développer l’offre en protéines végétales et donc en légumineuses.

Au-delà des discours étatiques, la circularité des discours entre différents acteurs publics ou actrices publiques et médiatiques a été analysée. Aussi, en se reposant sur un large corpus visant à recenser les différents émetteurs ou émettrices autour de l’alimentation, une cartographie de qui parle de notre alimentation – et notamment de l’alimentation durable, laquelle dépasse les simples prérogatives nutritionnelles parce qu’elle nécessite de penser à une alimentation bonne pour tout un écosystème (image 2) – a été élaborée. Les acteurs et actrices sont nombreux et nombreuses à s’emparer des questions de durabilité entre perspectives sanitaires, environnementales et sociales : industries agroalimentaires bien sûr mais également les distributeurs, les ONG à l’image de Greenpeace fondée en 1971 la même année que le ministère de l’Écologie, des applications mobiles ou bien encore des influenceurs ou influenceuses qui s’incarnent dans différentes figures qui investissent les médias et les réseaux sociaux : chefs ou cheffes, médecins, influenceurs ou influenceuses lifestyle

Image 2

Cartographie des acteurs et actrices qui parlent de l’alimentation dans l’espace public

Cartographie des acteurs et actrices qui parlent de l’alimentation dans l’espace public

-> Voir la liste des figures

2.2 Les légumineuses au cœur des discours depuis 2016

Un travail particulier de veille a été réalisé autour des légumineuses, car si dès 2001 les légumes ont été un des éléments forts de la communication du PNNS, les légumineuses ont été valorisées seulement dans la 4e version à partir de 2017 avec la préconisation de consommer des légumineuses deux fois par semaine. Pour autant, si les légumineuses bénéficient aujourd’hui d’une image positive d’un aliment sain, durable et peu coûteux, elles sont peu choisies par les mangeurs et mangeuses car mal connues autant dans leurs propriétés organoleptiques que dans leurs modalités de préparation. Dans le cadre de sa thèse de doctorat, Juliana Melendrez-Ruiz (2020) préconise de placer le goût et le plaisir au cœur de la communication, mais aussi de transmettre des informations culinaires pratiques plus que théoriques.

La végétalisation des assiettes est un des enjeux forts des politiques publiques en France. En 2016, la FAO avait déclaré l’année des légumineuses, promouvant à un niveau mondial la consommation des légumineuses avec comme slogan « des graines pour nourrir l’avenir ». Ce programme centré sur les légumineuses poursuivait comme objectif d’un point de vue communicationnel de « mieux faire connaître les légumineuses, notamment pour une agriculture durable et pour la nutrition ». Le directeur général de la FAO, José Graziano da Silva déclarait : « l’année internationale des légumineuses contribuera à mieux faire connaître ces cultures importantes qui sont essentielles pour favoriser la durabilité de l’agriculture et de la nutrition ». En 2017, le PNNS en France recommande d’en consommer deux fois par semaine. En 2019, le PNA fait aussi mention des légumineuses, notamment au sein de la restauration collective. On retrouve également cette prérogative au sein du PNAN unissant le PNNS et le PNA. Puis, en 2021 le ministère de l’Agriculture lance une « stratégie nationale pour les protéines végétales » pour plus de souveraineté alimentaire et pour faire face aux défis environnementaux avec la volonté notamment de réduire la dépendance de la France aux importations et de développer une offre riche en protéines. Cette stratégie de souveraineté fait directement écho à la pandémie de la COVID-19. En effet, dès l’annonce du premier confinement en France le 12 mars 2020, le président de la République française Emmanuel Macron annonçait[7] :

Ce que révèle cette pandémie, c'est qu'il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché. Déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner notre cadre de vie au fond à d'autres est une folie. Nous devons en reprendre le contrôle, construire plus encore que nous ne le faisons déjà une France, une Europe souveraine, une France et une Europe qui tiennent fermement leur destin en main.

Se retrouvent alors au cœur des discours les notions de bien commun et de souveraineté alimentaire (Badau et Hugol-Gential, 2020) et la mise en place de nouveaux plans gouvernementaux qui visent à élargir la production de légumineuses pour l’alimentation humaine et non pas uniquement pour l’alimentation animale. Après la campagne de la FAO en 2016 puis l’inscription des légumineuses dans la quatrième version PNNS en 2017, les acteurs et actrices de la filière ont également développé un ensemble de campagnes visant à promouvoir la production et la consommation des légumineuses sur les différents territoires français. L’interprofession des huiles et protéines végétales Terres Univia, coordonne ainsi treize projets territoriaux pour structurer la filière. Outre des dispositifs techniques, technologiques et agricoles, la filière a également lancé en 2022 une communication en s’unissant à la Fédération Nationale du Légume Sec (FNLS), la Fédération des Industries d’Aliments Conservés (FIAC) et à l’Interfel (l’Interprofession des fruits et des légumes frais). Cette communication s’appuie sur les préconisations du PNNS de 2017 en donnant à nouveau des repères : « les légumineuses c’est deux fois par semaine » mais aussi en travaillant autour de la déclinaison d’une « idée légumineuse » (image 3).

Image 3

Campagne « Une idée légumineuse »

Campagne « Une idée légumineuse »

-> Voir la liste des figures

Dans le communiqué de presse du 22 février 2022 lançant le début de la campagne, il est indiqué :

L’objectif est de mettre un coup de projecteur sur les légumineuses auprès des jeunes de 8 à 18 ans et de leurs parents. […] La campagne, résolument tournée vers le plaisir, met en scène des recettes gourmandes dans l’optique de faire (re)découvrir et aimer les légumineuses dans la cuisine du quotidien. L’objectif est de faire adhérer tous les publics à la recommandation de consommer des légumineuses au moins 2 fois par semaine.

Dans cette logique de transmission, la Fédération Nationale du Légume Sec (FNLS) avait déjà antérieurement développé une campagne autour des « super légumes secs » (2019) (image 4) avec le développement de recettes et de kits pédagogiques pour les enfants à l’école élémentaire ainsi qu’un guide pour l’enseignant·e.

Image 4

Campagne « Super légumes secs »

Campagne « Super légumes secs »

-> Voir la liste des figures

Si les acteurs et actrices de la filière donnent à voir des éléments pratiques, les marques agroalimentaires promeuvent de leur côté la praticité mais aussi le plaisir[8]. Ces différents dispositifs visent, en lien avec les recommandations étatiques, à instituer les légumineuses dans le modèle alimentaire des Français·es. Pour autant, les communications observées chez les industries agroalimentaires promeuvent les protéines végétales en vantant goût, santé et facilité mais communiquent peu sur la substitution à la viande ou bien encore sur les enjeux environnementaux.

3. La construction d’un dispositif engageant : une enquête de terrain participative

Les campagnes de santé publique promouvant une alimentation saine dès le début des années 2000 ont eu une forte influence sur les représentations des mangeurs et mangeuses (Hébel, 2010). Dans son analyse successive des 3 plans du PNNS à partir de 2001, Hélène Romeyer souligne néanmoins une modification du discours au cours des dernières années qui s’inscrit dans une logique de démédicalisation de la question nutritionnelle. Cette démédicalisation a été particulièrement visible dans la nouvelle politique sur les recommandations de l’alimentation, de l’activité physique et de la sédentarité présentée le 22 janvier 2019 par Santé publique France : « Les nouvelles recommandations combinent la simplicité pour le plus grand nombre et la précision pour ceux qui souhaitent aller plus loin. Ainsi, les recommandations sont réparties en trois groupes : Augmenter, Aller vers et Réduire[9] ». Ces recommandations visent alors la simplicité mais également la compréhension des modes de vie des mangeurs et mangeuses. Cette réalité quotidienne est ainsi mise en scène dans la campagne « Commencez par améliorer un plat que vous aimez déjà » lancée le 22 octobre 2019. La démarche est bien ici compréhensive et s’enracine dans cette mouvance globale d’une démédicalisation de l’alimentation et d’une perspective engageante. Caroline Ollivier-Yaniv indique que « la démarche de recherche a donc intérêt à prendre en considération les circonstances et les interactions locales tout autant que les propriétés sociales et culturelles des personnes » (2018, p. 10). Cela souligne alors l’apport d’une méthodologie en prise avec le terrain permettant d’apporter une finesse qualitative.

La démarche participative dans la recherche se retrouve dans un ensemble de dispositifs de recherche tels que : recherches participatives, recherches collaboratives ou bien encore recherches-actions. Si ces différentes manières de faire impliquent l’intégration de la personne enquêtée cela se fait à des degrés divers. Les frontières entre les différentes modalités de recherche ne sont pas fermes, mais il est observé une distinction entre un dispositif qui intègre le ou la participant·e dès la définition de l’objet et de la méthodologie de recherche et un dispositif dont la personne enquêtée a pour rôle délimité de fournir des données (Audoux et Gillet, 2015). Dans le cadre de ce projet, en parallèle de l’analyse et de la circularité des discours, il s’est agi de saisir la réception de ces discours, les représentations sociales de l’alimentation durable à travers la réalisation d’une série de quarante entretiens, de six entretiens de groupe et d’une enquête par questionnaires. Les entretiens de groupe poursuivaient l’objectif de co-construire avec les citoyens-mangeurs et les citoyennes-mangeuses des messages autour de l’alimentation durable. Enfin, dans ce dispositif méthodologique combinatoire, un atelier culinaire a également été déployé dans la perspective de favoriser l’engagement et la diffusion de messages. Au regard de la richesse du matériau collecté, le présent article ne vise pas à rendre compte de l’ensemble des résultats obtenus, mais s’attardera notamment sur les modalités communicationnelles reçues et imaginées par les citoyens-mangeurs ou les citoyennes-mangeuses de même que sur les dispositifs engageants mis en place à l’image de l’atelier culinaire.

3.1 L’alimentation durable à l’aune des citoyens-mangeurs et des citoyennes-mangeuses

Six entretiens de groupe ont été menés ces douze derniers mois ainsi que des enquêtes par entretiens et par questionnaires pour saisir les représentations de l’éthique et de la durabilité dans la sphère alimentaire, mais aussi pour faire participer à l’élaboration de messages visant à favoriser une alimentation saine et durable. Les entretiens ont été réalisés entre le début de 2019 et la fin de 2020 sur un panel de quarante citoyens-mangeurs et citoyennes-mangeuses âgé·e·s de 19 à 63 ans. Ce corpus visait une certaine représentativité concernant les différents âges de la vie, les structures familiales, le sexe ou bien encore les catégories socio-professionnelles. Plusieurs thématiques étaient traitées dans le cadre de ces entretiens : les habitudes alimentaires, les représentations de l’agroalimentaire, les enjeux environnementaux mais aussi les moyens d’information mobilisés autour de l’alimentation et la réception de ces discours. Au-delà des outils mobilisés pour s’informer (réseaux sociaux, applications mobiles, sites Internet, documentaires…), ce qui nous interpelle ici ce sont les valeurs qui s’agrègent autour de l’alimentation durable avec une dichotomie qui oppose d’un côté l’éthique, la morale et de l’autre les pratiques non vertueuses telles que l’écoblanchiment qui a émergé de manière saillante dans les entretiens conduits.

La transparence a longuement été discutée dans les entretiens avec notamment l’importance de la lisibilité des étiquettes ou bien encore les conditions d’élevage. Cette question de transparence est reliée à la notion de respect des consommateurs et consommatrices en particulier mais également de tout un écosystème en général. Aussi la défiance concernant les industries agroalimentaires est grande et généralisée à l’ensemble du corpus : « Ils font genre de se mettre un peu à faire voilà des bons produits, sauf que en fait quand tu regardes la composition il n’y a rien, il y a toujours autant de produits nocifs » (E24) ou bien encore « Je pense un peu à effet de mode, de la part des entreprises. Je suis pas sûre que ce soit quelque chose de vrai… » (E3). La transparence est réduite à des stratégies marketing et communicationnelles et non à des pratiques réelles : « Je pense que c’est surtout un argument de vente et une stratégie marketing qui visent à faire croire aux consommateurs que le produit est un produit responsable vis-à-vis de l’environnement » (E18).

Le sens donné à notre alimentation conduit à penser les enjeux de choix, de responsabilité, d’influence et les enjeux qui se retrouvent ancrés dans des logiques éthiques et environnementales fortes. Dans les choix relatifs au bon à manger, il faut aussi prendre en considération une dimension plus large qui repose sur la prise en compte de l’environnement au sens de ce qui entoure les individus (et pas seulement sous le prisme écologique). Aussi, les notions de morale et d’éthique se rajoutent et elles influent sur le contenu des assiettes. La production agricole doit alors permettre le respect de la personne, qu’elle soit productrice ou consommatrice. Ce qui est consommé doit également permettre au producteur ou à la productrice de gagner dignement sa vie, tout comme le consommateur et la consommatrice doit pouvoir manger en toute confiance et se faire plaisir.

Aussi, l’alimentation durable telle qu’elle est définie par les personnes enquêtées renvoient à différentes dimensions. La possibilité d’un futur et donc une alimentation qui n’a pas de conséquences pour les générations à venir. On note également l’importance des aliments qualitatifs (bio, local, de saison…), la protection de la planète et des ressources, la responsabilité liant éco-responsabilité mais aussi le respect (image 5).

Image 5

Représentation de l’alimentation durable

Représentation de l’alimentation durable

-> Voir la liste des figures

Cette question de la responsabilité a été étayée du point de vue individuel sur plusieurs plans :

  • responsabilité de s’informer;

  • responsabilité de consommer durable;

  • responsabilité de se conformer aux discours de santé publique.

Si dans un premier temps, la mise en conformité des comportements individuels avec les normes dont l’État fait la promotion est largement plébiscitée par les personnes enquêtées, très rapidement un ensemble de freins sont évoqués pour justifier une non-conformité : le temps, les moyens, le niveau de santé ou bien encore les connaissances culinaires. En outre, si la non-transparence des entreprises apparaît très rapidement dans les entretiens conduits, la question de la responsabilité politique apparaît également en contrepoint d’une responsabilité individuelle avec des thématiques fortes : le bien-être animal et la réglementation de l’usage des produits phytosanitaires.

Se dessinent alors une défiance institutionnelle et la remise en cause de certaines politiques publiques. La question de la responsabilité, de la défiance, de la transparence a été une des thématiques clés traitées dans le cadre de nos entretiens de groupe lesquels visaient à saisir des représentations mais aussi à co-construire des messages autour de l’alimentation durable.

3.2 Une voie de reconstruction possible autour de l’engagement ? Résultats issus des entretiens de groupe

En analysant les discours mis en œuvre au sein de nos différents corpus, est apparue de manière prégnante, la présence d’un discours valorisant le pouvoir d’agir. Cette dimension a également été fortement soulignée par les personnes enquêtées dans le cadre des entretiens individuels réalisés. François Bernard souligne : « nous aspirons à l’autonomie en tant qu’individu et nous recevons de nombreuses sollicitations et injonctions à nous montrer autonomes et… responsables en ‘toute situation’ » (2015, p. 85) et désigne alors les limites de tels dispositifs. Ces limites sont mises en débat dans le cadre des entretiens de groupe afin de confronter les avis et les perspectives. Six groupes de discussion de huit à douze personnes ont été réunis. La volonté ici était de favoriser la rencontre entre des participant·e·s d’horizon contraires, notamment en ce qui concerne les pratiques et régimes alimentaires (omnivores, végétariens, végans), les âges, les lieux d’habitation (urbain, périurbain et campagne) et les catégories socio-professionnelles. L’ensemble des personnes interrogées avait pour dénominateur commun le souci de bien s’alimenter et de prendre soin de l’environnement en ayant recours, par exemple, à des dispositifs de consommation qui privilégient le circuit court, le local et la juste rémunération des producteurs et productrices. Comme le notent Amandine Rochedy et Sandrine Barrey (2021), les entretiens de groupe poursuivent cinq objectifs prioritaires de connaissance : le problème social tel qu’il est formulé, les opinions des participant·e·s sur un sujet donné, les types de connaissances des participant·e··s, les représentations, le degré de consensus. Ce dernier point est complémentaire aux entretiens individuels et justifie la méthodologie combinatoire déployée.

L’une des premières questions posées dans le cadre de ces entretiens de groupe était leur perception de la communication de l’alimentation durable. Chaque participant·e devait marquer sur un papier trois mots lui évoquant l’alimentation durable. Une fois encore, la défiance s’est ici illustrée avec la mise en avant de mots autour des « problèmes » et de « l’hypocrisie ». La question de la valorisation de la proximité avec notamment la mise en visibilité des producteurs, des champs français et d’un travail communicationnel qui donne à voir ont également émergé (image 6).

Image 6

Nuage de mots alimentation durable

Nuage de mots alimentation durable

-> Voir la liste des figures

Aussi, à la question « quels éléments vous semblent-ils importants de communiquer pour favoriser les changements alimentaires ? », un triptyque est clairement ressorti : environnement, santé, conséquences. Au-delà des enjeux de représentation, il s’agissait ici de co-construire avec les participant·e·s des communications pour être mieux informés sur les pratiques durables de notre alimentation. Lors de ces échanges, les personnes enquêtées créaient à base de collages, dessins, mots pendant qu’un graphiste travaillait de son côté à la réalisation concrète de visuels. Dans l’ensemble des six groupes, trois perspectives communicationnelles sont ressorties :

  • Des campagnes chocs visant à informer véritablement le consommateur et la consommatrice sur les dangers de notre alimentation reprenant les modalités de communication de lanceurs et lanceuses d’alerte comme des associations de protection animale (exemple de l’association française L214[10]).

  • Des campagnes visant à valoriser les comportements individuels avec les « héros du quotidien » reprenant ici la responsabilité individuelle dont on fait largement la promotion dans l’espace public et médiatique.

  • Des campagnes visant à visibiliser les « petits gestes du quotidien ». Cette modalité communicationnelle ressemble à la dernière campagne de Santé publique France Augmenter, Aller vers, Réduire, plusieurs personnes enquêtées s’y sont référées spontanément de manière positive. Toutefois du point de vue des personnes enquêtées il ne s’agissait pas seulement de valoriser les petits gestes des mangeurs et mangeuses, mais également les petits gestes des producteurs, productrices, agriculteurs, agricultrices, distributeurs et distributrices visant à visibiliser les responsabilités de chacun·e dans un écosystème global (images 7 et 8).

Images 7 et 8

Résultat des campagnes co-construites avec des citoyens-mangeurs et citoyennes-mangeuses

Résultat des campagnes co-construites avec des citoyens-mangeurs et citoyennes-mangeuses

-> Voir la liste des figures

Figure

-> Voir la liste des figures

Les trois campagnes co-construites ont été présentées plus largement à un panel de 300 citoyens-mangeurs et citoyennes-mangeuses via une enquête par questionnaires. La dimension communicationnelle « les petits gestes du quotidien » a été celle qui a fait le plus l’unanimité dans nos groupes de discussion et lors de l’enquête par questionnaires. Pour autant, si la dimension engageante et accompagnante de la notion « des petits gestes du quotidien » a été évaluée positivement, certains freins et limites ont été soulevés et notamment la mise en place de savoirs pratiques afin de pouvoir réellement « faire ».

La question du savoir est ici reliée aux dimensions expérientielles, la communication ne se suffisant pas à elle-même. C’est dans cette perspective qu’une nouvelle étape de la recherche a été pensée et construite en dialogue avec les personnes enquêtées et la métropole française partenaire du projet. Cette volonté d’agir est soulignée par Françoise Bernard : « L’imaginaire contemporain en cours d’élaboration semble être, notamment, caractérisé par la place significative qui est attribuée à la communication, la participation, l’expérimentation, l’action et l’initiative citoyennes » (2014, p. 87). Il s’agit alors de réaliser des expérimentations inspirées de la psychologie sociale pour développer une communication engageante en se basant sur un soubassement comportemental visant à étudier les « liens entre le co-exister et le co-agir » (Bernard et Joule, 2004). L’alimentation durable étant une perspective trop large, il a été décidé conjointement avec les personnes enquêtées et les partenaires du projet de se centrer sur les légumineuses pour la mise en œuvre d’un atelier culinaire. Très rapidement, il a été envisagé de s’orienter vers l’épicerie solidaire pour cette expérimentation. Ce choix a été motivé par la nature même de l’épicerie solidaire mais aussi par la volonté de mener une transition alimentaire qui inclut largement les citoyens du territoire. L’épicerie solidaire ne vise pas seulement à proposer des produits à moindre coût pour un public précaire, mais elle vise aussi à créer du lien social et à accompagner les bénéficiaires au-delà du simple approvisionnement. L’épicerie solidaire du projet bénéficie d’un tiers-lieu nourricier permettant de faire la cuisine et de se réunir[11].

3.3 L’atelier culinaire comme dispositif de médiation

Les ateliers de cuisine ont de multiples intérêts, allant du partage, à la communication en passant par la socialisation et le réapprentissage (Sidobre et Ferry, 2000). Au regard de l’ensemble des discours mis en circulation dans l’espace public, les ateliers culinaires devaient aborder les besoins nutritionnels, les approches sensorielles et les techniques culinaires. Une animation pluridisciplinaire a été mise en place avec d’un côté une spécialiste de la cuisine ayant rédigé plusieurs livres de cuisine, dont un sur l’alimentation durable, et des chercheurs et chercheuses en sciences de l’information et de la communication (SIC) ayant travaillé sur la question des légumineuses. En outre, en amont de l’atelier culinaire, il s’est agi de développer un livret pédagogique accompagnant l’atelier en mobilisant les différents éléments communicationnels qui avaient été analysés lors de la veille médiatique et de l’analyse discursive. Aussi, l’idée de la mascotte a été retenue avec la création de Yupea (image 9), de même que des éléments du PNNS et de Terres Univia incluant le rappel des repères « les légumineuses c’est deux fois par semaine », des éléments de Santé publique France et des carnets de recettes. Lors de l’atelier, trois recettes ont été réalisées : une entrée, un plat et un dessert. Ce choix a été réalisé afin de pouvoir ensuite partager un repas complet. Trois contraintes principales ont été prises en compte dans le choix des recettes proposées : le temps de préparation, les ingrédients disponibles à l’épicerie solidaire mais également la mobilisation d’un équipement minimal afin de prendre en compte les contraintes du public visé.

Image 9

Mascotte Yupea pour les ateliers culinaires

Mascotte Yupea pour les ateliers culinaires

-> Voir la liste des figures

Lors de cet atelier, plusieurs discours en co-présence ont été relevés : un discours hédonique en lien avec le goût, un discours culinaire sur les pratiques de cuisine et un discours éthique-santé reprenant les dimensions du bon à manger. En outre, cet atelier a permis de remettre en question les idées reçues autour d’une alimentation à base de légumineuses comme sur le temps de préparation ou sur le goût. Ce nouveau dispositif a alors permis de réfléchir conjointement à la création d’un support pédagogique qui va au-delà de la simple affiche et qui vise à donner les éléments pour insérer les légumineuses dans le répertoire alimentaire avec, par exemple, des idées de menus à la semaine. En outre, au-delà du faire et d’apprendre, ce sont aussi les enjeux de convivialité, de l’être et du faire ensemble qui sont favorablement soulignés lors de la réalisation d’ateliers culinaires.

Il semble alors que ce type de dispositif dans le cadre d’une gouvernance territoriale alimentaire est parfaitement adapté pour échanger, créer une dynamique qui pourra ensuite essaimer auprès d’autres citoyens-mangeurs ou citoyenne-mangeuses tout en transmettant en complément de l’information sur les savoir-faire culinaires. S’il ne semble pas évident de massifier de tels dispositifs au regard des moyens que cela requiert, l’échelle locale avec des dispositifs d’animation complémentaires s’intègre ici parfaitement dans une perspective de démocratie alimentaire. Au-delà d’une recherche participative, l’atelier culinaire poursuit ici une logique de recherche-action : au-delà de l’implication des citoyens et citoyennes, ce sont bel et bien des changements sociaux et politiques qui sont ici poursuivis.

Conclusion

Au regard de l’urgence climatique et environnementale, l’alimentation n’est plus uniquement traitée dans une perspective nutritionnelle. Une approche holistique alliant durabilité et santé se dessine dans l’espace public et médiatique. L’alimentation devient alors « bonne » : bonne au goût, bonne pour soi, bonne pour la planète (Hugol-Gential, 2018). Ce changement paradigmatique entraîne des changements de politiques publiques, de médiatisations, de représentations sociales. Pour autant, face à l’urgence, changer les pratiques et les modèles alimentaires n’est pas aisé tant dans les pratiques agricoles que dans les habitudes alimentaires.

La présente contribution a poursuivi l’objectif de rendre compte des discours mis en circulation dans l’espace public autour de l’alimentation durable. Cet état des lieux permet de donner à voir tout l’arsenal politique et législatif s’accompagnant de communications publiques. Il a permis de comprendre le contexte social, politique et communicationnel du cadre national français et d’observer avec précision les reconfigurations locales auxquelles a donné lieu le déploiement d’une politique territoriale.

L’empowerment, le pouvoir d’agir, l’autonomie participative (Bretonnière et al., 2017) sont aujourd’hui des vocables répandus, que cela soit dans le monde social ou dans la recherche. Ces concepts s’accompagnent de démarches et conséquemment, de nouvelles modalités de recherche et de communication. Jocelyn Raude souligne : « à la démarche de prévention descendante hiérarchique, certains promoteurs de santé entendent opposer désormais une démarche participative et respectueuse de l’histoire et des valeurs des groupes concernés par des enjeux sanitaires et sociaux spécifiques » (Raude, 2013, p. 59). Après de nombreuses années à formuler des discours injonctifs traçant une ligne très fine entre pouvoir et devoir, les politiques publiques déploient de nouvelles modalités communicationnelles, à l’image de la dernière campagne de Santé publique France qui ouvre la voie à des dispositifs engageants. Les démarches participatives et compréhensives aujourd’hui développées sont salutaires, car elles sont intégratives, pensées dans une logique de contraintes et de leviers disponibles. Néanmoins, elles ne peuvent pas faire l’économie d’un appareillage critique autour des enjeux d’individualisation limitant les responsabilités publiques, politiques et mettant au cœur de l’action le mangeur ou la mangeuse comme unique acteur ou actrice de sa santé et de la filière agroalimentaire. Les dispositifs participatifs permettent d’intégrer les citoyens-mangeurs et les citoyenne-mangeuses, de renouer avec eux ou elles et de répondre à cette défiance institutionnelle dans la mesure où ils offrent une occasion de saisir les enjeux de trivialité des discours au sens entendu par Yves Jeanneret (2008).

La démarche compréhensive avec le croisement de différentes méthodologies qui sont en rupture avec la logique des dispositifs disciplinaires permet d’analyser les multiples données collectées et de reconnaître les enjeux de reconfigurations locales : « les conflits de valeurs sont ainsi particulièrement visibles lors du passage à l’arène des politiques publiques, où se décident les actions concrètes à mettre en place : problèmes précis à traiter, instruments à calibrer, modalités pour la mise en œuvre » (Fouilleux et Michel, 2020, p. 332). Dans un premier temps, les entretiens individuels ont permis de saisir les représentations sociales et les pratiques déclarées, les entretiens de groupe ont été l’occasion de mettre en discussion les représentations et de co-construire des messages qui ont ensuite été évalués lors d’une enquête par questionnaires. Enfin, l’atelier culinaire a permis de travailler sur la réception des discours en situation, mais aussi de travailler à de nouveaux dispositifs qui engagent les citoyens-mangeurs et citoyennes-mangeuses à une échelle locale. Un continuum se forme alors ici entre recherche participative et recherche-action en vue de l’atteinte d’objectifs de réception et de compréhension des discours, d’implication et de co-création, de changements sociaux et politiques.

Aussi, l’alimentation est aujourd’hui un espace de politisation bien réel entraînant la multiplication des discours. L’alimentation durable devient alors un phénomène communicationnel. La réalisation de projets territoriaux et de recherche-action rend possible la reconfiguration des modalités de communication au niveau local car ces projets valorisent l’action citoyenne et la création de dispositifs engageants, qui dépassent les logiques individuelles pour plutôt s’inscrire dans une perspective de démocratie citoyenne.