Corps de l’article

Parmi les thématiques de prévention politiques et de santé publique qui se multiplient dans l’espace public s’inscrivent les violences faites aux femmes. Constituées en préoccupation commune par un travail de politisation féministe (Fraser, 2001, p.143) et en problème public à l’échelle internationale via plusieurs conventions et déclarations depuis 40 ans, les violences faites aux femmes s’inspirent d’une approche féministe en Europe à partir des années 1990 (Jaspard, 2011, p.8). Ces violences sont physiques, sexuelles, psychologiques et économiques. Parmi ces violences, l’ONU pointe le fait que plus d’un tiers des femmes dans le monde ont subi des violences physiques ou sexuelles de leur partenaire ou des violences sexuelles d’un non-partenaire à un moment de leur vie[1]. En France, la récente enquête Violences et Rapports de genre, d’ampleur nationale, rapporte que 14,47 % des femmes de 20 à 69 ans déclarent avoir subi au moins une forme d’agression sexuelle au cours de leur vie, tous espaces de vie confondus (Debauche et al., 2017). Dans le champ universitaire, les violences faites aux femmes se définissent et constituent un continuum en termes de fréquence et d’expérience (Kelly, 2019), des violences « commises par des hommes en tant qu’hommes envers les femmes en tant que femmes » (Bereni et al., 2012, p.83). Elles s’envisagent par le prisme sociologique et leur définition

doit tenir compte de l’usage de la force et de la menace comme moyen d’obliger les femmes à se comporter ou à ne pas se comporter de telle ou telle façon. La mort se situe à un extrême et la menace à l’autre. Entre ces deux, on trouve toute sorte de comportements quotidiens, depuis les coups superficiels jusqu’aux blessures graves en passant par l’agression sexuelle et le viol. (Hanmer, 1977, p.72).

La prévention, notamment à travers les campagnes de communication persuasive et d’intérêt général, constitue un des leviers de la lutte contre ce problème, aux côtés d’autres moyens déployés par les États (sur les volets législatif, judiciaire, etc.), mais aussi par la société civile (via l’accompagnement des victimes, la plaidoirie, les mobilisations sociales féministes) ou encore par la recherche universitaire. La communication comme support à la prévention est ici envisagée en sciences de l’information et de la communication et en psychologie sociale. Elle est mobilisée par une organisation – des partenaires publics ou privés dont les ministères et les associations (Bernard et Joule, 2005, p.195) – dotée d’intentionnalités, cherchant à orienter les publics, eux aussi dotés d’intentionnalités, dans le sens du message (Chabrol et al., 2004, p.6). Ces campagnes « procèdent d’une utilité publique » et relèvent ici d’une cause sociale (Zémor, 2008, p.48).

Ces campagnes de communication peuvent s’envisager de manière interdisciplinaire quant à leur production, diffusion et réception (Romeyer et Moktefi, 2013, p.33‑35). Si les recherches portant sur la production et les dispositifs de ces campagnes sont développées, rares sont celles portant sur leur réception. Cet article vise à enrichir ces dernières. En effet, les enjeux de l’étude de la réception de tels supports sont sociaux, politiques et scientifiques. Les violences faites aux femmes constituent un phénomène social d’ampleur dont la prévention constitue un axe de lutte important. Pour lutter contre ce phénomène, le cadrage de ces campagnes de prévention, mais aussi leur capacité à informer et à sensibiliser les publics posent question (Romeyer et Moktefi, 2013, p.34-35; Zémor, 2008, p.51‑53). Ainsi, nous proposons d’analyser les processus de réception et l’influence de dispositifs de lutte contre les violences faites aux femmes et le sexisme. En particulier, nous nous penchons sur des dispositifs communicationnels, artistiques et militants issus de la société civile et mobilisant une stratégie créative particulière : le détournement du genre (DDG). Ce dernier perturbe des relations, des normes et des représentations genrées. Créé par des artistes ou des associations, il se distingue d’une source institutionnelle publique telle que le Ministère ou le Secrétariat d’État à l’égalité femmes-hommes et, par conséquent, du cadrage de la communication étatique. Il prend possiblement le contre-pied du cadrage et des manques de la communication de l’État français. L’originalité de notre approche de la réception tient à ce qu’elle combine volontairement une double perspective : celle de la co-construction des sens des créations en réception et celle des effets sur les publics. Elle s’inscrit dans la « troisième génération » des études de réception, ainsi mentionnée par Breton et Proulx (2012, p.235‑261) : une génération « hétérogène » dans ses travaux et approches. En ce qui nous concerne, cette étude empirique se positionne et a pour intérêt « l’élargissement de la problématique de la réception à l’ensemble de la culture produite par les médias ». Pour ce faire, nous privilégions une approche et une épistémologie principalement constructivistes et de genre.

Dans une première partie, nous situons la recherche à travers l’état de l’art et ses manques, puis notre approche épistémologique et interactionnelle de la réception avant de présenter les objectifs et questions de recherche. Après une deuxième partie présentant la méthodologie mixte et triangulée suivie, la troisième explicite les principaux résultats de la recherche. Enfin, après la synthèse des résultats, la conclusion pose les limites et les perspectives de cette recherche.

1. Contexte théorique et objectifs de recherche

Dans le champ de la prévention et des campagnes de communication contre les violences faites aux femmes, rares sont les études portant sur leur réception. La recherche s’axe davantage sur les dispositifs, par une approche sémiotique, ce qui permet d’explorer les cadrages et créativités, mais aussi de juger de la pertinence d’investiguer leur réception.

L’analyse de Hernández Orellana et Kunert (2014) illustre plusieurs limites des campagnes de l’État français contre les violences faites aux femmes, en particulier quant à leur cadrage : une focalisation sur (1) les violences conjugales physiques (délaissant les autres formes de violences conjugales et extérieures à ce cadre) et (2) la responsabilité individuelle. Ainsi, les femmes ont pour injonction de libérer la parole, mais sont souvent privées de cette capacité d’agir. (3) Les hommes et les auteurs sont quasi-absents de ces campagnes (dans le champ, en tant que cible) et enfin (4) les violences ne s’envisagent pas par l’angle du genre, du patriarcat, autrement dit des rapports dissymétriques et structurels. Nous avons alors proposé l’analyse de dispositifs dépassant possiblement ces limites (Basile-Commaille, 2019a) : créés par des artistes et des associations, ces dispositifs diversifient les formes de violences dénoncées (harcèlement, violences sexuelles, sexisme, etc.) et mobilisent une stratégie créative de détournement du genre (abrégée « DDG »). Il s’agit de perturber des relations, des normes et des représentations socialement construites du féminin et du masculin, des femmes et des hommes, sans que ces bicatégorisations se superposent exactement (Coulomb-Gully, 2010). De plus, ces dispositifs décrient différentes formes de violences, incluent les hommes dans le champ et dans le public-cible. Ce sont ces dispositifs de DDG qui font présentement l’objet de notre étude en réception.

Dans la littérature, plusieurs notions et concepts sont proches du DDG (Butler, 1990; Damian-Gaillard et al., 2014; Dayer, 2014; Kunert, 2012; Quemener, 2014), telle que la parodie au service d’un propos de déconstruction du genre. Ce sont les effets de sens (approche sémiotique) qui y sont étudiés et non les effets sur le public ou leur réception plus largement. La question de leur compréhension, interprétation, efficacité, effet ou impact est souvent posée sans être l’objet de recherche, à de rares exceptions près (Girel, 2017; Trépanier-Jobin, 2013). La réception est évoquée comme question en sus de la recherche sur les dispositifs et la créativité, qui vient dans le prolongement de l’étude sémiotique, voire philosophique. À ce titre, Butler (1990, p.262) pointe l’impossibilité d’analyser a priori la capacité de la parodie à déconstruire le genre, mais elle rappelle la nécessité d’explorer la réception : « faire une typologie des actions ne serait vraisemblablement pas suffisant, car la déstabilisation parodique, même le rire parodique, dépend d’un contexte et de condition de réception qui permettent d’entretenir les confusions subversives ».

Les études portant sur la réception de dispositifs de lutte contre les violences faites aux femmes restent rares (Potter et al., 2011; Romero, 2020; Sapio, 2020). À rebours, celles sur la réception de campagnes portant sur d’autres objets et causes sociales de santé publique sont investies, tels que l’alcool, le tabac ou les violences sur les enfants, quant à l’appropriation (Berthelot-Guiet et Ollivier-Yaniv, 2001; Kivits et al., 2014) et la compréhension des messages de prévention (Dacheux, 2009) par méthodologie qualitative; quant au changement d’attitudes et intentions d’agir par expérimentation (Courbet, 2003). Elles illustrent la diversité des recherches contemporaines de la troisième génération des études en réception, appuyées sur la théorie à laquelle nous adhérons considérant que « la circulation et la réception sont bel et bien des “moments” du “procès de production” […] La réception constitue également un “moment” du processus de production. » (Hall, 1994, p.30‑31)

Cet article, en associant étude de genre et de réception, participe d’un courant encore naissant porté par quelques chercheur·es en SIC, dont Biscarrat (2015) et Vörös (2014), et aux rares études sur la réception des campagnes contre les violences faites aux femmes. Il vise également à compléter dans cette revue les approches sur la production de représentations médiatiques des femmes au prisme du genre (Abouna, 2018; Karamifar, 2015; St-Pierre, 2018), et celles sur la réception qui ne portent pas sur les femmes ou sur le genre (Ghebaur, 2013; Gueraud-Pinet, 2019; Labrecque-Lebeau, 2016; Mastrangelo, 2019; Souissi, 2018).

Nous cherchons à mieux comprendre la réception du DDG au service de la communication persuasive et d’intérêt général contre les violences faites aux femmes. Nous envisageons deux aspects de la réception, peu traités dans une même étude, comme processus et comme résultats (Méadel, 2009), à travers la co-construction des sens, les processus de réception et les effets des dispositifs de DDG contre les violences faites aux femmes sur les publics. La communication et la réception du DDG s’envisagent comme formes d’interactions humaines et sociales médiatisées (Fourquet-Courbet, 2010), où les sujets sociaux en réception sont en interaction avec le dispositif, mais aussi en interaction asynchrone avec les créatif·tives. L’influence s’envisage ainsi comme processus et résultats de la réception : elle correspond, d’une part, à un processus dynamique au moment de l’exposition au dispositif communicationnel lors de la réception; et, d’autre part, aux résultats plus « statiques » après l’exposition, et selon la temporalité, qui constituent les effets de la réception (Courbet et Fourquet, 2003a, p.9).

Il s’agit ainsi d’articuler une analyse sémiotique et interactionnelle des dispositifs de DDG (Basile-Commaille, 2022 sous presse) à l’étude de la réception, c’est-à-dire à la co-construction des significations, ainsi qu’à l’influence médiatique et interpersonnelle. La question des publics se pose, en particulier selon deux axes inégalement investis : actif/passif et individuel/collectif (Méadel, 2015). Nous adoptons ici une double approche : les sujets sociaux en réception sont à la fois actifs et passifs, c’est-à-dire complexes (Courbet et Fourquet, 2003b; Fourquet, 1999); de plus, notre approche intègre deux niveaux d’étude, intra-individuel et interindividuel. Que le public s’envisage au niveau individuel ou collectif, il est un sujet social renvoyant à « un “espace public” de discussion » (Breton et Proulx, 2012, p.258), considérant que le public engage une sociabilité, qu’il a une capacité de délibération interne et une capacité de performance, c’est-à-dire de présentation de soi face à d’autres publics (Dayan, 2000, p.433). En outre, la réception s’envisage par le prisme du public, exposé à des dispositifs de DDG s’opposant à une pensée ou idéologie dominante patriarcale et d’un genre naturalisé (Butler, 1990; Delphy, 2013, p.42‑43), créés en majorité par des contre-publics subalternes (Fraser, 2001). Les dispositifs de DDG circulent en majorité sur Internet, alors envisagé comme un espace public médiatique et politique, un lieu de réception et de capacités d’agir, relevant en partie de formes d’activisme électronique (Allard et Blondeau, 2007).

Ainsi, cette recherche fait appel à une double épistémologie : premièrement, une épistémologie constructiviste (Benoit, 2004; Martineau, 2007), considérant la subjectivité et l’intersubjectivité comme moyens de construction des savoirs (Anadón et Guillemette, 2007) et une épistémologie de genre en envisageant que le genre relève à la fois de la réalité sociale et qu’il constitue une question ouverte pour l’analyse de cette réalité (Paveau, 2018). Deuxièmement, notre épistémologie envisage une réalité décrite par la science qui serait à la fois relative à notre connaissance et indépendante de nous, articulant ainsi une construction sociale de la réalité et le réalisme (au sens des physiciens) (Courbet, 2004, p.50). Il s’agit alors d’une approche explicative des effets du DDG en tant que dispositif persuasif sur les attitudes des récepteur·trices.

Cette étude a trois grands objectifs auxquels sont articulées plusieurs questions de recherche. Le premier objectif est de mieux comprendre la réception de dispositifs de lutte contre les violences faites aux femmes mobilisant le DDG, à travers la co-construction des significations des sujets sociaux face aux dits supports, considérant ce processus à travers, d’une part, le modèle à une voie (Kruglanski et Thompson, 1999) et, d’autre part, une réception à la fois individuelle et collective (Breton et Proulx, 2012; Dayan, 2000). Nous formulons dès lors quatre questions de recherche. (1.1) Quelles sont les significations co-construites par le public sur les violences faites aux femmes ? Et (1.2) quels sont les leviers et lieux de résistance au changement social ? En outre, (1.3) quels sont les marqueurs significatifs du DDG pour les publics et comment sont-ils envisagés ? Enfin, (1.4) comment agissent les interactions et les discussions sur l’orientation des opinions ?

Le deuxième objectif est de mieux comprendre les processus de réception à l’œuvre, en particulier en nous intéressant et en questionnant l’empathie virtuelle (Daignault et al., 2018; Rogers, 1995) liée au point de vue proposé ainsi que la phase d’inconfort de la dissonance cognitive (Festinger, 1957; Fointiat, Girandola, et al., 2013; Vaidis et Gosling, 2011) liée à l’hypertextualité (Genette, 1982). Le premier processus, l’empathie virtuelle, désigne la capacité d’un·e récepteur·trice à adopter la perspective d’un personnage dans le dispositif médiatique, à se projeter dans la situation mise en scène, mais aussi à ressentir et à comprendre les émotions du personnage tout en gardant conscience de lui·elle-même (Daignault et al., 2018a, p.44). Il repose sur notre analyse des dispositifs de DDG, lesquels envisagent de donner à (rece)voir les violences depuis le prisme des victimes, considérant que les « conditions de vie sont aussi des conditions de vue » (Puig de la Bellacasa, 2004, p.190). Une première question de recherche émerge (2.1) : dans quelle mesure l’empathie virtuelle est-elle à l’œuvre dans la réception du DDG ? Le dernier processus est la dissonance cognitive, liée aux caractéristiques hypertextuelles du DDG. Il s’envisage ici suite à l’exposition à une information inconsistante (sur le monde et les représentations sociales genrées) qui génère un inconfort psychologique (cognitif et affectif) lié au dédoublement de la lecture auquel invite le DDG. Cette première phase est suivie d’un travail cognitif de réduction de l’inconfort pouvant conduire notamment au changement d’attitudes. Ainsi, nous nous questionnons (2.2) sur la place de l’inconfort psychologique dans la réception du DDG.

Enfin, notre troisième objectif vise à mieux comprendre les influences du DDG et interroge (3.1) dans quelle mesure le DDG peut avoir des effets sur le public en réception, en particulier sur ses attitudes (Girandola et Fointiat, 2016, p.31‑78) ?

2. Une méthodologie triangulée et mixte

La réception est étudiée par une méthodologie triangulée et mixte permettant « d’obtenir des formes d’expressions et de discours variés » (Mucchielli, 2014, p.285‑286). Premièrement, des focus groups, couplés à l’étude des cognitions verbalisées en réception (ECER) répondent aux questionnements sur la co-construction des sens face au message et dans la dynamique de groupe. Deuxièmement, un protocole avant-après (ou prétest/post-test) nous a permis de mesurer les changements d’attitudes après exposition à un dispositif de DDG. Ces méthodes s’appliquent à deux populations différentes.

2.1 Méthodes des focus groups et cognitions verbalisées

Les focus groups sont pertinents pour explorer et favoriser l’expression sur des sujets « sensibles » comme les violences faites aux femmes. Particulièrement intéressants pour étudier la réception médiatique et le changement social, les focus groups permettent de susciter un débat d’opinions, des consensus et désaccords, ainsi que de faire émerger et d’analyser les représentations sociales à travers leurs processus de construction, de transmission et de transformation (Baribeau, 2010, p.36; Touré, 2010, p.8‑10). Aussi, nous les envisageons pour et par leur approche : phénoménologique (Baribeau, 2010; Bradbury-Jones et al., 2009), qui axe l’intérêt scientifique sur l’expérience vécue des sujets sociaux comme savoir, notamment des groupes minoritaires (Bertini, 2009, p.123); et abductive (Anadón et Guillemette, 2007), qui vise à nous détacher des cadres théoriques et préjugés, pour nous laisser « surprendre » lors des échanges et des constructions de la réalité des sujets. Enfin, si les influences interpersonnelles et du groupe sont parfois présentées comme limites, il s’agit pour notre part d’adhérer à l’approche selon laquelle « l’essentiel de l’activité sociale inhérente au processus de recherche (la discussion au sein du groupe) fait partie de ce que l’on souhaite comprendre » (Tschannen, 2010).

Dix-sept sujets (neuf femmes et huit hommes) se répartissent dans trois focus groups mixtes, paritaires et avec des profils diversifiés[2], organisés en mars 2018 à Marseille (France). Lors de chaque focus group, un dispositif de DDG différent est projeté[3]. Bien que ces trois dispositifs diffèrent quant à leur forme de DDG (Basile-Commaille, 2022 sous presse) ou à leur genre (filmique, clip musical, BD), tous traitent de violences de genre de manière transversale (sexisme et violences sexuelles notamment) et mobilisent des situations de violences telles que les créatif·tives les décrivent comme des « histoires vraies », au sens de reprises d’expériences et de témoignages. Les intentions et effets visés des concepteur·trices convergent, dans une visée réflexive et persuasive (Basile-Commaille, 2019b) : révéler le sexisme quotidien et les violences par le prisme genré et les relations asymétriques qui se jouent, faire sentir et ressentir une gêne, et offrir une lecture depuis le point de vue des femmes victimes.

Lors des focus groups, les sujets sont exposés à un dispositif de DDG et invités à réagir à voix haute pendant la projection : cette méthode de collecte des verbalisations concomitantes en réception (ECER) permet de « “pister” (…) l’élaboration cognitive et les indices déclencheurs du traitement » (Fourquet-Courbet et Courbet, 2004). Ensuite, les récepteur·trices discutent lors des focus groups semi-dirigés, à l’aide d’une grille d’entretien, visant à favoriser les réactions « à chaud », puis la compréhension du message.

Plusieurs analyses sont faites de ces focus groups filmés et retranscrits : thématique (manuelle, assistée du logiciel Nvivo) (Mucchielli et Paillé, 2012; Negura, 2006) et conversationnelle (manuelle) (Cristea, 2003; Kerbrat-Orecchioni, 1986; Mondada, 2017; Vincent, 2001), pour une approche compréhensive et qualitative; lexicale et cognitivo-discursive (semi-automatisées avec le logiciel Tropes) (Ghiglione et al., 1998; Ghiglione et Trognon, 1993) pour une approche quasi-qualitative et socio-pragmatique. Les analyses des focus groups présentées sont horizontales (inter focus groups), mais leur traitement a aussi nécessité des analyses verticales (intra focus groups), par exemple pour appréhender les dynamiques de groupe.

2.2 Un protocole avant-et-après pour mesurer les changements d’attitudes après exposition à un dispositif de DDG

Nous avons mis en place une seconde méthode, un protocole avant-et-après (ou prétest/post-test) pour mesurer les attitudes (de sexisme hostile, bienveillant et moderne) d’un autre groupe de sujets avant et après l'exposition à un dispositif de DDG permettant d’inférer des relations de cause à effet (Moscovici et Philogène, 2003). Vingt-trois sujets[4] ont répondu à un même questionnaire sur les attitudes sexistes en deux temps (Annexe 1) : en T1, puis, une semaine plus tard en T2, immédiatement après avoir été exposés au dispositif de DDG C.L.I.T., qui s’adressait à un public « jeune » adulte. Le questionnaire, randomisé, est autoadministré ; il est composé de 26 items sous forme d’échelles d’attitudes, sur la base de deux échelles existantes. La première est l’échelle de sexisme ambivalent (18 items) (Dardenne et al., 2006), qui articule sexisme hostile et bienveillant, en cohérence avec le dispositif de DDG projeté, lequel vise à révéler la misogynie, la normalisation de la culture du viol et l’objetisation des femmes, mais aussi d’opposer aux codes masculins des codes féminins associés à la puissance féminine. La seconde échelle est celle de sexisme moderne (8 items) (Swim et al., 1995), qui s’intéresse à la dimension collective des discriminations envers les femmes (et son déni), aux revendications des féministes et plus largement des femmes ainsi qu’aux femmes dans les médias, en cohérence avec le message porté par le dispositif de DDG projeté. L’échelle de Likert est harmonisée en six points. Le test T de Student permet d’analyser les moyennes des items attitudinaux et d’évaluer leurs écarts-types.

À ce questionnaire sur les attitudes sexistes sont ajoutées deux grilles permettant de mesurer les processus en réception : celle sur l’inconfort psychologique (via l’échelle de Norton et al. [2003] utilisée par Vaidis et Gosling [2011]) (Annexe 2) et celle sur l’empathie virtuelle (Daignault et al., 2018; Daignault et Paquette, 2009) (Annexe 3) que nous avons réduite et adaptée. Ces deux processus sont liés au DDG et à son hypertextualité visant à générer une dissonance et un changement de perspective chez les sujets en réception. L’analyse procède par moyenne des items et leurs convergences ou non avec les effets visés du dispositif. Même si notre échantillon, essentiellement constitué de femmes, ne permet pas de faire des comparaisons entre les genres, le protocole mis en place vise principalement à étudier d’éventuels changements d’attitudes immédiatement après que les sujets ont été exposés au dispositif.

3. Principaux résultats et discussion

Les résultats sont présentés successivement en lien avec les trois objectifs (et questions) de recherche, afin de mieux comprendre la réception du DDG à travers : la co-construction des significations; les processus d’inconfort psychologique et d’empathie virtuelle; et enfin des effets sur les attitudes sexistes.

3.1. Co-construction et représentation des violences à travers le détournement du genre

Les résultats, relatifs au premier objectif de recherche, permettent une meilleure compréhension de la réception du DDG. Ils abordent successivement (1.1) la co-construction des significations sur les violences faites aux femmes; (1.2) les leviers et lieux de résistance au changement social; (1.3) les marqueurs significatifs pour les sujets sociaux en réception. Ils explorent également (1.4) les interactions et discussions et leurs influences sur la dynamique de groupe et les opinions. En plus des analyses lexicale, sémantique, cognitivo-discursive et conversationnelle des focus groups, les résultats se basent sur une analyse thématique (Annexe 4).

3.1.1. La co-construction des significations sur les violences faites aux femmes

Nos résultats (1.1) illustrent qu’en réception, après exposition à un dispositif de DDG, les récepteur·trices co-construisent les violences faites aux femmes en discutant principalement de leur dimension collective, plus qu’individuelle, à travers la société, son état sur les violences et l’égalité femmes-hommes. Une opinion transversalement partagée porte sur le constat que les femmes sont socialement touchées par ces violences. Ces dernières sont souvent associées à un manque de respect, dépassant ainsi les violences pour un objet plus large sur les inégalités. Les sujets évoquent par exemple que « la femme a toujours été considérée comme le sexe faible », pointent les « rapports de domination des hommes sur les femmes dans la culture en général » ou encore que « la force, le manque de respect… C’est de la violence ». Lorsque les actes violents sont mentionnés, ils portent principalement sur le harcèlement, les agressions sexuelles, puis les violences physiques. De manière générale, les dispositifs sont jugés positivement : intéressants et rapprochés à « quelque chose d’existant », autrement dit à des situations de violences vraisemblables dans le monde commun, des « histoires vraies », prenant position et délivrant un message.

Les récepteur·trices mettent aussi au centre de leurs discours les femmes, puis les hommes, principalement en évoquant l’égalité femmes-hommes. Si le sujet principal demeure les femmes, les hommes sont aussi mis en scène dans les discours des récepteur·trices (à la fois les personnages, mais aussi les hommes dans le quotidien, ou les agresseurs). Les récepteur·trices font référence aux hommes (en général, dans la vie commune) à travers le sexisme, les comportements sexistes, le pouvoir historique et de domination qu’ils exercent, tandis que les auteurs de violence sont davantage envisagés à travers les dispositifs de DDG et lors d’histoires expérientielles des sujets en réception. Alors que les hommes (et les auteurs de violence) sont souvent absents des campagnes de prévention publiques, leur présence dans les discussions des récepteur·trices du DDG est un possible effet de leur inclusion dans le champ et dans le public cible des messages de DDG.

Les violences, les femmes victimes et les hommes auteurs de violences apparaissent également à travers le thème des expressivités et des perspectives de changement. Premièrement, plusieurs réceptrices font état et narrent des violences, inégalités et discriminations genrées subies, tandis que les récepteurs relatent plutôt des situations d’inégalités et de discriminations sexistes dont ils ont été témoins. Par exemple, un récepteur fait part de son constat : « je travaille dans une petite entreprise, et des cas de comportements sexistes, j’en ai vu. Et même de mon patron. » Deuxièmement, apparaît la réutilisation d’items propres au DDG (par exemple, une réceptrice dit « et si c’était nous qui violions les hommes ? »). Troisièmement, il s’agit d’évoquer des solutions de réduction de la violence, en particulier l’éducation et la prévention. Par exemple, une réceptrice explique que, « comme on devrait ouvrir les yeux aux enfants sur l’usage de la drogue, il faut parler [de sexualité] aux filles et aux garçons, il faut prévenir ». Et enfin, quatrièmement, il s’agit de porter un méta-regard et d’interpeller les autres discutant·es. En guise d’exemple, une réceptrice rebondit sur un propos minimisant une situation de harcèlement : « et si on la transformait en une blague raciste ? La blague raciste, on ne l’accepterait pas du tout ! »

Ces éléments – dimension collective des violences, femmes au cœur des préoccupations, hommes inclus dans la problématique et expressivités et perspectives de changement – participent d’une co-construction des significations allant dans le sens des objectifs des dispositifs de DDG. Ils illustrent aussi que des liens sont faits entre le monde mis en scène dans les dispositifs de DDG et le monde social tel qu’il est expérimenté. Si ces premiers éléments vont dans le sens des objectifs des messages et si des leviers au changement social sont exprimés, plusieurs lieux de résistance à l’influence apparaissent.

3.1.2 Deux leviers et trois lieux de résistance au changement social

En réception, deux leviers et trois lieux de résistance à l’influence des dispositifs de DDG apparaissent (1.2). Considérant les violences et les inégalités envers les femmes, les récepteur·trices avancent deux principaux leviers de changement social : l’éducation et la prévention dans une perspective d’égalité. D’une part, l’éducation est évoquée principalement à travers l’enseignement et la responsabilité des parents et de l’école, donc des lieux d’éducation primaire et secondaire. L’éducation dont il est question n’est pas nécessairement liée au genre (l’école peut être évoquée sans lien avec cet objet). Lorsque l’éducation est liée à la problématique posée par les dispositifs de DDG, les récepteur·trices l’envisagent clairement en lien avec l’apprentissage du respect. Un lien est tissé entre problèmes d’éducation et comportements violents. D’autre part, la prévention occupe également une place certaine face aux lieux de résistance au changement social. Fait intéressant, l’éducation et l’enseignement sont plus abordés en fin de discussion, un thème arrivant comme forme conclusive aux échanges. Les sujets exposés au DDG sont plus enclins, par le contenu et la dynamique des échanges, à développer une conception socialement construite du problème et de la solution contre les violences.

Le premier lieu de résistance au changement social relève non pas des dispositifs de DDG, mais d’une représentation négative et d’une défiance vis-à-vis de la loi et du féminisme contemporains. La loi est principalement abordée de manière négative : associée à son incapacité à « changer les choses », à être appliquée ou à participer au changement social. Le féminisme, lorsqu’il est envisagé, est clivant : positivement quand il s’agit des droits des femmes (éléments que nous pourrions associer aux premières vagues féministes : le droit de vote et la parité), négativement quant à ses revendications contemporaines (par exemple : le harcèlement versus la drague ou la féminisation de la langue française). Un récepteur dit à ce sujet : « je suis entièrement pour la cause des femmes, mais je ne pense pas que ça [la féminisation de la langue] va faire avancer vraiment la cause. Absolument pas. […] Il y en a [des féministes] qui font du forcing pour que ça passe. » Or, ces sujets ne sont pas atemporels : le harcèlement ou la féminisation de la langue française en France suivent un agenda militant et politique concomitant avec la période des focus groups (projet de loi de la Secrétaire d’État sur le harcèlement et les violences sexuelles en 2018, précédé des mobilisations sociales féministes sur le harcèlement et d’une loi dès 2012; la question vive de la féminisation de la langue française à la fin de l’année 2017). Ainsi, les discours sur ces thèmes pourraient-ils être liés à un agenda setting (McCombs et Shaw, 1972) initié par les réseaux féministes (des possibles « faiseuses » d’agenda au sens de Boussaguet (2009)), les médias et les lois successives. Rappelons également que depuis octobre 2017, le mouvement #metoo est porté à un niveau international. Enfin, sur ces objets – la loi et le féminisme contemporain – , nous notons le paradoxe d’une reconnaissance des acquis par la loi pour les droits des femmes quand ce moteur de changement social suscite la défiance au moment des échanges entre les sujets. Couplées, ces discussions des focus groups nous évoquent l’influence des minorités par cryptomnésie sociale (Mugny et Pérez, 2013), selon laquelle « l’émergence d’une idée minoritaire, contraire à des principes dominants, tend d’abord à induire différentes résistances au changement ». Si à terme l’idée minoritaire est acceptée et appropriée par l’ensemble – parce qu’elle aura atteint une certaine saturation et aura « incubé » comme les revendications des premières vagues féministes – le collectif peut en « ignorer leur origine minoritaire ». Il en est de même avec l’éducation (liée aux questions d’égalité femmes-hommes), considérant que ce levier est lui aussi issu de milieux féministes dès les années 1970 (Mozziconacci, 2017, p.20). Ainsi, le lien entre éducation et respect, y compris pour l’égalité de genre, deviendrait une « idée dissidente [féministe qui] a fait son chemin ».

Le second lieu de résistance au changement social, en lien avec les dispositifs de DDG, est hétérogène et a trait au genre. Des opinions opposées de même ampleur traversent les discussions. Les premières sont en défaveur du message des dispositifs de DDG : condamner la transgression des comportements de femmes et son versant de réassignation genrée (aux femmes et aux hommes), éluder la dimension genrée des violences ou des rapports femmes-hommes, évoquer la responsabilité des femmes ou qu’elles puissent « accuser à tort » des hommes de violences. Par exemple, un sujet élude la dimension genrée des violences, en expliquant que « peu importe la victime, homme ou femme, on parle de valeurs et de normes qui se sont perdues dans la société. Mettre un mec comme victime de violence, c’est caricaturer un peu la vie ». Opposées à elles, des récepteur·trices défendent une deuxième catégorie d’opinions reconnaissant le poids du genre, en particulier les injonctions faites aux femmes et la difficulté à dépasser les rôles genrés et à transgresser les normes pour les femmes et pour les hommes. En guise d’exemple, des sujets expliquent que « la société n’est pas forcément tendre avec les papas qui gardent leurs enfants, font le ménage, la cuisine ». D’autres récepteur·trices argumentent en faveur de la liberté des femmes de s’habiller sans avoir « à se cacher » ou à se dénuder et « de ne pas être violées ». Ils et elles s’expriment aussi sur la peur que peuvent ressentir les femmes. Ainsi, si le poids du genre est reconnu, les récepteur·trices peuvent aussi faire appel à des représentations réassignant le genre. Par ailleurs, si les intentions des créatif·tives sont plutôt comprises (prise de conscience sur le sexisme et les violences, voire changement de comportements), il est aussi fait état de la possible incapacité des dispositifs de DDG à atteindre leurs buts (par exemple, une réceptrice concède à une autre qu'« il y a effectivement peut-être une accumulation de choses qui peuvent être perçues comme des clichés »).

Enfin, le troisième lieu de résistance au changement, qui s’envisage plus largement à travers la réception médiatique, est le « third-person effect » (Sun et al., 2008). Les récepteur·trices font ici appel à des tierces personnes (les hommes, les hommes violents, ou les jeunes) qui seraient les destinataires du message, mais sur lesquels le dispositif n’aurait pas les effets escomptés. Pour cause, un seul dispositif ne pourrait pas changer les comportements. Ce phénomène permet à celles et ceux qui évoquent un autre public en réception de construire un exogroupe. Néanmoins, il est parfois reconnu par les récepteur·trices que chacun·e porte et est, dans une certaine mesure, conditionné·e par le sexisme dans ses actions.

3.1.3 Les marqueurs forts du DDG

Nos résultats (1.3) pointent vers deux marqueurs forts des dispositifs de DDG : les personnages et l’ancrage dans la réalité des violences.

Premièrement, il s’agit des personnages qui incarnent la stratégie créative et ses perturbations genrées. Les personnages hommes sont souvent critiqués négativement, par exemple « trop féminisés » ou « ridicules » lorsqu’ils sont représentés en victimes ou « pas tous comme ça » représentés en auteurs de violence. Ces jugements ne font pas consensus dans les focus groups, mais ils illustrent une tendance à disqualifier ces personnages quant à leur masculinité (diminution) ou à les déqualifier (est-ce des hommes représentés ?). Ces appréciations négatives reposent sur deux éléments : la représentation de ces personnages, au sens performatif du terme, mais aussi l’appel à des tiers hommes pour les évaluer, construits par les récepteur·trices. Ces tiers hommes, auteurs ou non de violence, appartiennent à la vie quotidienne : ils se mettraient difficilement à la place des victimes de violences mises en scène, ou encore ils seraient peu impactés par l’illustration de la misogynie. En guise d’exemple, un des sujets dit : « je pense que certains hommes diraient que cet homme [le personnage du film] est trop faible. » Une nette différence genrée apparaît néanmoins dans les focus groups : des réceptrices reconnaissent plus facilement la dimension prédatrice des auteurs de violences mis en scène, quand certains récepteurs peuvent exprimer que « tous les hommes ne sont pas comme ça ».

Concernant les personnages femmes agresseuses mises en scène, elles sont appréciées de manière différenciée. Elles peuvent être jugées « vulgaires » ou « trop dénudées », avant que soit révélée l’inversion, mais aussi rapprochées, dès le départ, des comportements masculins sexistes et violents (et donc allant dans le sens du message). Lorsque les personnages femmes (ou hommes) sont mis en scène en tant que victimes, ils évoquent aux réceptrices au moment de la diffusion des pensées similaires qu’elles ont partagées avec les personnages ou des expériences semblables de violences vécues. Par exemple, une réceptrice rapporte, en rebondissant sur un indice du dispositif de DDG : « moi ça m’arrive dans le métro on va me traiter de sale pute parce que je n’ai pas répondu ». Les personnages femmes transgressives, qui se réapproprient et associent des codes féminins à des symboles de puissance, nécessitent une métacommunication entre les sujets en réception afin de débloquer ce lieu de résistance.

L’analyse des discussions sur les personnages du DDG suggère que les représentations acceptées ou non des masculinités et féminités sont tenaces et peuvent agir comme lieu de résistance à l’influence. Néanmoins, les personnages hommes et femmes (agresseur·ses et victimes), bien que critiqués, servent, d’une part, de ponts entre mises en scène de DDG et scènes de vie du monde social, car les récepteur·trices leur accordent que ces violences sont vraisemblables et perçoivent une correspondance avec le monde social tel qu’il peut être expérimenté. D’autre part, ils servent de supports pour projeter et pointer les hommes agresseurs dans la vie quotidienne, ce qui corrobore les intentions des créatif·tives de déplacer le regard sur eux et de penser ces violences depuis le point de vue des victimes de violences en réception. Réagissant en direct face à un dispositif de DDG, un récepteur se met à la place de la victime face à l’agresseur : « J’aurais grillé le feu rouge moi ! Je n’aurais pas attendu le vert ! »

L’attention portée aux personnages hommes et femmes agit comme des vases communicants et plutôt dans le sens des intentions des créatif·tives : le personnage homme victime de violence, bien que critiqué, permet de montrer ce que peuvent vivre les femmes victimes; les femmes agresseuses mises en scène incarnent des comportements masculins (et des normes) sexistes jugés négativement; enfin, les personnages femmes victimes et hommes agresseurs offrent une lecture depuis les témoignages des premières et pointent les comportements des derniers. En outre, ces personnages suscitent des discussions sur la manière dont les femmes expérimentent le monde social, les violences auxquelles elles font face, mais aussi sur ce qui fait violence et ceux qui font violence et participent à relier monde social et dispositifs. Dans la chronologie des discussions, après les critiques négatives des personnages, parfois transférées aux personnes (« la faute des femmes » ; des hommes « pas tous comme ça ») les échanges enchaînent sur les victimes et les auteurs dans le monde social, puis sur le problème de l’éducation (des hommes) et de la construction de la masculinité, et des perspectives de changement dans l’intérêt des femmes.

Deuxièmement, un marqueur fort du DDG, en lien avec les intentions des créatif·tives d’ancrer dans la réalité des violences mises en scène en imitant les réalités sociales (et en les transformant), se retrouve dans les discours en réception. Les scènes de violences des dispositifs sont souvent reprises dans les discussions, à travers les indices verbaux de culpabilisation des victimes, la misogynie et le harcèlement de rue, et les indices visuels d’agressions physiques et sexuelles. Le caractère réel de ces violences est aussi envisagé : elles sont proches de ce qu’il peut se passer dans la vraie vie, c’est-à-dire ancrées dans la réalité et envisagées par le prisme des femmes. Plusieurs éléments permettent de mieux comprendre comment ces dispositifs de DDG rendent cette articulation possible. Premièrement, il s’agit de considérer, scène par scène, les violences dénoncées. En effet, si l’accumulation de scènes violentes sur un même sujet peut paraître peu crédible, chaque scène « peut arriver » et est jugée proche de la réalité que les femmes peuvent vivre. Deuxièmement, il semblerait pertinent d’éviter les représentations stéréotypées (par exemple, un viol dans la rue), bien que celles-ci puissent paraître crédibles par les sujets : elles participent à construire et à alimenter un imaginaire loin des situations constatées dans les études. La présentation de données (en guise d'exemple, sur les cas de violences ou sur des représentations sociales liées à la sexualité hétérosexuelle et androcentrée sexiste) participe davantage à déconstruire ces représentations stéréotypées de la violence. Enfin troisièmement, lorsque le DDG détourne aussi un dispositif initial (comme cela est le cas pour le clip C.L.I.T.), il est nécessaire en réception de connaître l’hypotexte avant l’hypertexte afin de pouvoir comprendre la démarche des créatif·tives, de saisir le message, de déconstruire l’œuvre initiale et détournée, et ainsi de rendre compte de l’ancrage dans la réalité des textes détournés.

3.1.4 Les interactions : dynamique, influence et représentations de soi et des autres

L’influence des femmes sur la dynamique et de discours orientés féministes

Nos résultats (1.4) concernant les interactions et les dynamiques de groupes permettent d’entrevoir deux tendances transversales. Premièrement, lors des échanges, relativement paritaires, ce sont des réceptrices qui vont avoir le plus d’influence sur les dynamiques de groupe. Elles sont plus nombreuses à émettre des oppositions structurant les échanges, par exemple sur la capacité du dispositif à atteindre son but et sur l’ancrage dans la réalité des violences mises en scène, ou à jouer un rôle d’agitatrices des opinions (en en opposant elles-mêmes plusieurs, en interpellant les autres discutant·es), ou encore à opposer des idéologies, l’une conservatrice, l’autre féministe. Par exemple, une réceptrice se disant au départ « choquée par la vulgarité et l’agressivité des filles, leur vocabulaire » dans C.L.I.T. se ravise ensuite, disant que « finalement le clip est trop gentil ». Elle interpelle ensuite un autre récepteur, en tant que parents : « on est un peu responsables. Les garçons qui parlent mal, c’est nos fils quoi. Peut-être que tu te sens ni gêné, ni responsable, mais… Tu n’as pas beaucoup parlé. Tu n’as pas donné beaucoup de ressentis… »

Deuxièmement, les sujets sociaux qui défendent des opinions plutôt orientées féministes et qui expriment des critiques alimentant une réflexivité dans la discussion ont une influence pro-message sur les opinions des pair·es en réception. Une réceptrice dans chaque focus group, plus rarement un récepteur, tient ce discours et ce rôle. Si une certaine idéologie sexiste est présente chez les hommes et les femmes en réception, le travail de déconstruction des représentations et injonctions est principalement réalisé par des femmes réceptrices.

La construction de soi et des autres

En réception (1.4), les focus groups constituent des moments de vie dans lesquels les individus sont en représentation, considérant que des logiques externes, notamment biographiques, y sont aussi partagées. Parmi ces dernières, plusieurs sujets femmes réceptrices ont relaté des histoires de sexisme, discrimination et violences subies. Elles évoquent l’intériorisation de normes sexistes, des stratégies d’évitement dans l’espace public, des violences vécues (harcèlement, discriminations, violences conjugales), avec une mise en scène discursive plus ou moins impliquante. Des récepteurs évoquent des violences en tant que témoins (discrimination et sexisme). Face à des interlocuteur·trices inconnu·es (les sujets ne se connaissant pas en dehors du groupe), ces témoignages des réceptrices illustrent non seulement des « moments » d’expressivités biographiques et une relative mise en danger du soi, mais ils constituent aussi des prolongements d’inconforts ressentis en réception (tel que peut l’être la réception d’un tel témoignage, d’autant plus lorsqu’il est exprimé de manière impliquante). En guise d’exemple, une réceptrice rapporte qu’une scène de viol conjugal dans le dispositif de DDG Les Crocodiles la « renvoie à une situation de couple » qu’elle a vécue, suscitant un long silence chez les sujets.

Les sujets en réception construisent également des autres. Premièrement, ce sont les créatif·tives qui sont envisagé·es à travers leurs intentions. Si la plupart est relativement bien comprise, certains choix créatifs, tels que des paroles misogynes ou l’esthétique des personnages (dénudés, zoomorphés), suscitent davantage de débat et de métacommunication pour dénouer le sens de ces marqueurs. Deuxièmement, les « hommes » sont envisagés dans les discussions à la fois dans la relation égalité femmes-hommes, en tant que récepteurs du DDG, mais aussi à travers les comportements masculins violents, la domination masculine historique et le pouvoir historique qu’ils exercent. Ils sont aussi qualifiés de « pas tous comme ça », autrement dit par l’accroche « not all men », forme d’argumentation par méiose, une expression critiquée ou tournée en dérision dans les milieux féministes, car considérée comme un argument qui vise à éluder et minimiser ce phénomène social. Par exemple, un récepteur exprime sa gêne : « on n’était que des crocos [dans la BD], c’est excessif, contreproductif. Il n’y a que des connards quoi finalement. » Cette co-construction du sens manque ici d’une médiation qui aurait permis d’envisager qu’il s’agit de dénoncer « un problème de société[5] » et non de pointer individuellement chaque homme comme un agresseur. À l’instar de l’épiphore féministe expéditive « not all men », les discours visant à lutter contre les violences nécessitent une pédagogie féministe permettant possiblement aux individus de situer le problème au niveau collectif et de s’unir sur la base d’un engagement personnel contre le sexisme. Troisièmement, les « jeunes » sont construits comme des autres et sont discutés par un double prisme : en tant que cibles de communication du dispositif; en tant qu’hommes jeunes et violents. Les « hommes » et les « jeunes » sont parfois associés à des caractéristiques de localité ou d’origine (par exemple, parler des « jeunes des cités », des hommes, jeunes ou non, d’origines latine, méditerranéenne, maghrébine), participant ainsi d’une stéréotypisation (Lehmans, 2018) d’âgisme, de classisme et de racisme. Ces éléments nous apprennent principalement qu’une attention particulière dans les choix et les jeux de représentations des personnages hommes est importante, afin d’éviter ces biais. Enfin, quatrièmement, les « gens » sont très largement convoqués dans les discussions, représentant une entité généralisante, une pensée commune et hégémonique, de ce qui se fait, ce qui est pensé collectivement sur les hommes, les femmes et les violences d’après les récepteur·trices. Ces gens sont aussi des autres, tels que : ceux qui sont témoins de situations de violence (mais qui n’agissent pas); ceux qui manquent de respect ou sont violents. Ce processus de construction des autres participe d’une réception qui fait appel à des tiers pour construire un exogroupe, un autre public-cible auquel s’adresserait le dispositif, constituant un biais en réception, un lieu de résistance à l’influence, tel que nous l’avons décrit plus haut.

3.2 Dissonance cognitive et empathie virtuelle dans les processus de réception du DDG

Les résultats, propres au second objectif visant à mieux comprendre les processus de réception à l’œuvre, portent, d’une part, sur l’inconfort de la dissonance cognitive (2.1) et, d’autre part, sur l’empathie virtuelle (2.2). Ils sont étudiés lors des focus groups et du protocole de mesure avant-et-après.

3.2.1 L’inconfort psychologique de la réception du DDG

Premièrement, lors des focus groups, les réactions des récepteur·trices en direct face aux messages sont proches de celles envisagées par les créatif·tives, qui visent à susciter gênes et questionnements. En guise d’exemple, la comédie dystopique Majorité opprimée participe à l’émergence de réactions positives (sourire), puis négatives (recul, grimace); l’hypertextualité suscite rejet, puis compréhension du message et des intentions créatives, à condition de connaître l’hypotexte de l’œuvre (dans le cas de C.L.I.T.), ainsi que la mise à l’épreuve des jugements et l’émergence de questionnements sur les choix créatifs (pour les trois dispositifs).

Des verbalisations corroborent ces inconforts, avec des lemmes de type « être mal à l’aise, ressentir du dégoût, de l’embarras, être choqué·e, se demander tout le long si… être anxieux·se, être en suspens ». Ils sont parfois prolongés en discussion, ce qui constitue une dissonance interactionnelle (Fointiat, Gosling, et al., 2013, p.26‑28). Si cette dernière peut apparaître lors des désaccords (c’est ainsi qu’elle est théorisée par Festinger), ces inconforts dans la discussion surgissent également à deux occasions. D’une part, lorsque des situations vécues de sexisme ou de violences sont narrées par des réceptrices, et d’autre part, lorsque certaines en interpellent d’autres sur leurs propos en discussion, ou en les relançant sur leurs ressentis, leurs positions. Ces narrations et interpellations ont un caractère genré : en effet, elles sont quasi-exclusivement celles de réceptrices face à des récepteurs.

Deuxièmement, lors du protocole avant-après, nous avons mesuré juste après l’exposition au dispositif de DDG (le clip C.L.I.T.) les affects positifs (joyeux·se, bien, optimiste) et négatifs (gêné·e, mal à l’aise, embarrassé·e) permettant d’évaluer l’inconfort psychologique. La moyenne des affects négatifs est supérieure à celle des affects positifs, attestant de l’inconfort lors du processus de réception. Celui-ci se vérifie également avec le listage des pensées post-réception (Fointiat et al., 2012; Greenwald, 1968), qui font état ,d’une part, de gêne et d’embarras et, d’autre part, d’une majorité de cognitions allant dans le sens du message (par exemple, un sujet note : « C’est fou que je sois gênée [face au clip] vu que quand j’entends ces paroles avec la perspective masculine au quotidien, je ne suis pas gênée »). Ces expressivités traduisent l’inconfort en réception et des évaluations pro-messages des sujets.

3.2.2 - Moins d’empathie que de projection du sexisme

En réception, nous avons cherché à éprouver si l’empathie virtuelle était présente. Nos résultats sont mitigés. Ainsi, se mettre à la place d’un des personnages et ressentir une empathie est souvent renvoyé à un public tiers (les hommes, les jeunes) par les sujets lors des focus groups, et principalement en adoptant l’idée de l’incapacité de ces deux publics construits comme des « autres que soi » à la ressentir.

Par ailleurs, les sujets sociaux en réception vont porter attention aux victimes de violences dans la « vraie vie », plus qu’à celles des personnages, en faisant des liens entre des histoires mises en scène dans les dispositifs de DDG et celles de la vie sociale. Lorsque les récepteur·trices narrent des violences subies ou en tant que témoin, ils et elles prennent appui sur des éléments filmiques ou BDiques, tels que « il y a des choses qui me sont arrivées c’était similaires à ça hein » ; « nous on a un copain qui est un peu crocodile [...] il ne peut pas s’empêcher d’avoir un humour gras ». En outre, parmi ces liens entre dispositifs de DDG et vie quotidienne, l’analyse cognitivo-discursive montre que, en discussion après visualisation des films dystopiques, les récepteur·trices s’expriment sur la réalité sociale en utilisant des passés ou présents imaginés de manière significative : cette mise en langage relève de la projection vers d’autres réalités possibles[6], proche du modèle persuasif et réflexif du DDG. Dans les discussions apparaît aussi, lorsque les récepteur·trices y portent un regard réflexif, le manque de soutien aux victimes. En guise d’exemple, il s’agit de pointer les raisons pour lesquelles les sujets eux-mêmes et les autres (les « gens ») n’agissent pas lorsqu’ils sont témoins d’une agression; on peut retenir la peur ou la nécessité d’être plusieurs à agir.

Enfin, au regard de l’empathie virtuelle mesurée lors du protocole avant-après, les résultats illustrent que les sujets sont moins « embarqués par le clip » que « touchés par le sexisme et les violences dénoncées par le clip », confirmant l’inconfort émotionnel. Quant à l’effort empathique, sur son versant cognitif, il offre des résultats moyens : les sujets se projettent moyennement à la place des femmes habituellement cibles des propos misogynes, mais ils envisagent « assez bien » le point de vue du clip. Le listage de pensées confirme la compréhension du dispositif et sa lecture hypertextuelle. Ainsi, l’empathie virtuelle semble moins présente que la projection (du sexisme, des violences, des femmes en général ciblées par le sexisme). Ce sont davantage le sexisme et les violences en général, puis le point de vue proposé par le clip et celui des femmes ciblées par le sexisme et les violences qui se jouent en réception.

3.3 DDG et baisse significative d’attitudes sexistes

Les derniers résultats, relatifs au troisième objectif et à la question de l’évaluation de l’influence (3.1), présentent les effets significatifs du DDG sur les attitudes sexistes. Ils sont mesurés à l’aide du questionnaire administré lors du protocole avant-après. Nos résultats montrent qu’après exposition au dispositif de DDG C.L.I.T., les récepteur·trices ont vu leur sexisme ambivalent (hostile et bienveillant) diminuer de façon statistiquement significative, ce qui constitue des changements d’attitudes allant dans le sens du message. Ce résultat est d’autant plus intéressant que les récepteur·trices, très majoritairement des femmes, sont exposées à un dispositif qui dénonce la culture du viol (Renard, 2018; Rey-Robert, 2019) en jouant de l’inversion des codes misogynes, en se réappropriant des codes féminins et en les associant à des symboles de puissance féminine. Après exposition au message, elles (et ils) sont moins enclines à légitimer l’idéologie « visant à justifier et à maintenir l’inégalité entre groupes sexuels [...] qui permettraient au groupe masculin d’assurer [...] sa domination sur le groupe féminin [...] tout en recevant les faveurs du groupe dominé » (Dardenne et al., 2006, p.237).

D’une part, on constate une diminution du sexisme hostile significative pour un item (Q1 = 1 ; Q’1 = 0.69 ; t(22) = 2.08 ; p<.05) et fortement tendancielle pour un autre (Q21 = 1.81 ; Q’21 = 1.22 ; t(22) = 2.08 ; p=.05) (voir Annexe 1). Le sexisme hostile envers les femmes, lié à la domination masculine et à la sexualité hostile envers les femmes, est ainsi moindre. Les supposés recherches de faveurs spéciales des femmes (Q1) ou plaisirs à exciter les hommes pour ensuite refuser leurs avances (Q21) sont ainsi plus rejetés par les sujets après réception du message.

D’autre part, on observe une diminution du sexisme bienveillant, significative pour deux items (Q7 = 1.65; Q’7 = 1.08; t(22) = 2.13; p<.05) et (Q9 = 1.47; Q’9 = 0.95; t(22) = 2.15; p<.05) (voir Annexe 1). Le sexisme bienveillant, qui attribue aux femmes un statut et des rôles inférieurs, leur confère une forme de « pureté » et qui constitue de plus une base cognitive pour blâmer les victimes de viol, est ici aussi atténué. En particulier, les sujets jugent moins que les femmes doivent être mises sur un piédestal par leur compagnon (Q7), ou que la plupart des femmes ont une « espèce de pureté » que les hommes n’ont pas (Q9).

Conjointement, la baisse de sexisme hostile et bienveillant participe à des évaluations plus favorables des femmes et de leur sexualité, dans un cadre hétérosexuel.

Synthèse des résultats

L’étude de la réception de dispositifs luttant contre les violences faites aux femmes mobilisant le DDG a permis de mieux comprendre la co-construction des significations, les processus cognitifs et émotionnels en réception ainsi que les effets sur les attitudes sexistes.

Premièrement, les violences faites aux femmes co-construites lors de la réception du DDG sont envisagées davantage au niveau collectif qu’individuel, et élargies à la question de l’égalité femmes-hommes et au manque de respect. Les femmes demeurent centrales, mais les hommes sont aussi discutés. Cette double perspective va dans le sens d’une construction d’un problème social et inclusif, plutôt qu’individuel et uniquement centré sur les femmes. Des passerelles entre dispositifs de DDG et vie sociale se créent à travers : les personnages et les individus, les histoires de violences mises en scène et celles vécues en tant que victime ou témoin et la réutilisation d’items du DDG dans les échanges. Dans une perspective de changement social, les sujets sociaux exposés au DDG plébiscitent deux leviers, l’éducation et la prévention à l’égalité, mais émettent aussi trois lieux de résistance : une défiance vis à vis de la loi et des revendications féministes contemporaines, une condamnation de la transgression ou le fait d’éluder le genre dans la construction du problème des violences, et enfin l’appel à des tierces personnes (les hommes, les agresseurs, les jeunes) comme cibles du message (potentiellement peu impactées par le dispositif de DDG). Par ailleurs, la co-construction des significations passe aussi par deux marqueurs du DDG, tels que les personnages et les scènes de violences, qui favorisent le débat sur les réalités sociales expérimentées par les femmes et l’ancrage dans la réalité des violences dénoncées. L’intérêt des focus groups est aussi d’envisager la co-construction des significations via les interactions et les influences. Si les discussions sont relativement paritaires, ce sont en majorité des réceptrices qui, d’une part, animent la dynamique de groupe et, d’autre part, ont une influence sur les débats dans le sens du message lorsqu’elles ont des discours plutôt féministes et une posture réflexive sur le sexisme. En outre, les discussions sont aussi le terreau, d’une part, de la représentation de soi, telle que l’expression de données biographiques et notamment de violences vécues pour des réceptrices ou en tant que témoins pour des récepteurs. Et, d’autre part, de la représentation des autres, tels que : les créatif·tives de DDG et leurs intentions, relativement comprises en réception; les « hommes », comme groupe social, ceux ayant des comportements sexistes ou « pas tous comme ça », et les auteurs de violences, possiblement non touchés par le message s’ils y étaient exposés; les « jeunes », en tant que cibles du message; et enfin les « gens », soit la construction d’une opinion généralisante de ce que penserait tout le monde. Les « hommes » et « les jeunes » associés au sexisme ou à la violence sont parfois caractérisés, par stéréotypie, à leur classe sociale ou leurs origines, participant d’un propos âgiste, classiste, raciste.

Deuxièmement, afin de mieux comprendre les processus de réception, les focus groups et le protocole avant-après permettent d’appréhender l’inconfort cognitif et l’empathie. L’inconfort psychologique est présent en réception, lié à l’hypertextualité des violences et du genre. Quant à l’empathie virtuelle, elle semble moins ressentie que la compréhension et la projection du sexisme et des violences ciblant les femmes plus largement.

Enfin, troisièmement, afin d’évaluer l’influence du DDG en mesurant ses effets sur les changements d’attitudes, nos résultats illustrent une baisse significative de sexisme bienveillant et hostile après exposition. Le dispositif de DDG C.L.I.T. opposé à la culture du viol et à la misogynie dans le rap, participe à réduire des attitudes portant sur « la domination et la supériorité masculine ainsi que sur une forme hostile de sexualité [et] à maintenir les femmes dans un rôle et un statut inférieurs » (Dardenne et al., 2006, p.236).

Conclusion

Des limites à l’étude de la réception sont liées à la méthodologie. Si celle-ci aboutit à des résultats riches, issus d’une méthodologie mixte, trois limites sont notables : (1) l’étude des cognitions verbalisées en réception (ECER) lors de focus groups suscite peu de verbalisations, ce qui est possiblement le résultat de la non-interconnaissance des sujets, favorisant peu la démonstration. (2) Dans le protocole de mesure du changement d’attitude après exposition au dispositif de DDG, notre échantillon comprenant une large majorité de femmes et peu d’hommes, il n’est pas possible de procéder à une comparaison entre ces sujets. Toutefois, le sexisme étant véhiculé par la culture et intégré par les individus, ce protocole permet de mettre en exergue la diminution des attitudes sexistes des récepteur·trices après exposition au message de DDG : c’était bien là un de nos objectifs de recherche. (3) Enfin, la méthodologie des focus groups ne permet pas la généralisation des résultats, bien que son atout premier, heuristique, est de faire émerger des manières de comprendre, des champs sémantiques et thématiques (Demers, 2010). Il aurait aussi pu être judicieux de proposer aux trois focus groups un seul et même dispositif de DDG, ce qui aurait apporté un éclairage plus étayé sur sa réception, mais n’aurait toutefois pas permis l’étude des transversalités dans la réception du DDG.

Une perspective de recherche est l’étude de la réception d’autres dispositifs de DDG, mettant en scène des hommes ou des auteurs de violences, ou non, ainsi que la réception de performances militantes ou artistiques de DDG. Plus largement, l’étude de la réception des campagnes institutionnelles des gouvernements, notamment de l’État français, permettrait d’évaluer leur compréhension et leurs effets et de les comparer à ceux du DDG issus de la société civile. Il serait aussi intéressant d’envisager dans quelle mesure les créations de la société civile constituent, potentiellement, un lieu de ressources et d’influence dans la construction des campagnes de l’État (et réciproquement) contre les violences faites aux femmes.

Annexes

Annexe 1 : Questionnaire échelles d’attitudes sexistes T1 et T2

Tableau

-> Voir la liste des tableaux

Annexe 2 : Echelle de mesure de l’inconfort psychologique (T2)

Tableau

-> Voir la liste des tableaux

Annexe 3 : Échelle de mesure de l’empathie virtuelle

En regardant et en écoutant le clip, cela me correspond…

Tableau

-> Voir la liste des tableaux

Annexe 4 : Analyse thématique de la réception du détournement du genre des focus groups

Tableau

-> Voir la liste des tableaux