Résumés
Résumé
Cet ouvrage de référence présente le processus de la production informative à partir de ses trois piliers : le journaliste, les plateformes de distribution et les genres informatifs. Structuré comme un manuel de journalisme, il s’agit en réalité d’un travail savant dirigé aux chercheurs et aux professionnels qui souhaitent comprendre les enjeux de la communication globale et découvrir les dernières nouveautés de la production scientifique en langue espagnole.
Mots-clés :
- analyse critique du discours,
- déontologie,
- genres narratifs,
- journalisme,
- média
Abstract
This reference work presents the process of informative production and its three pillars: the journalist, the distribution platforms and the informative genres. Structured as a journalism manual, it is in fact a scholarly work that will interest researchers and professionals who wish to understand the challenges of global communication and discover the latest research works published in Spanish.
Keywords:
- critical discourse analysis,
- deontology,
- journalism,
- media,
- narrative genres
Corps de l’article
Depuis ses origines, le champ du journalisme, en tant que domaine professionnel et en tant que discipline scientifique, s’est développé essentiellement à partir de deux perspectives paradigmatiques. La première, plus classique, vise à valoriser le rôle des médias en tant que diffuseurs d’informations, capables d’influencer le public et de modifier les comportements sociaux ; la seconde, plus innovante, vise à analyser de manière critique ce rôle pour proposer une approche humaniste dans laquelle les médias jouent le rôle de facilitateurs du développement humain. Malgré l’existence d’une abondante littérature scientifique liée à cette perspective critique[1], nous devons admettre que, du moins pour les lecteurs hispanophones, il existe peu de manuels traitant de cette approche. En réalité, les ouvrages de référence publiés à ce jour s’appuient, pour la plupart, sur la perspective classique qui privilégie l’aspect technique du journalisme et une vision de la profession ancrée dans un « neutralisme[2] » qui, aujourd’hui, est difficile à défendre. Javier Darío Restrepo nous avait déjà prévenus dans un article sur le journalisme et l’éthique publié en 2007, par la Revista Javeriana, que l’on ne peut pas faire confiance au « journalisme qui se dit impassible, ni à l’objectivité au sens formel. Le journaliste ne peut pas être un témoin impassible, il doit avoir ce qu’en psychologie on appelle l’empathie. Le journalisme soi-disant objectif et impartial ne peut donc pas exister dans des situations de conflit »[3]. Et si nous appliquons ce précepte à notre société globale, nous réalisons que des conflits sociaux existent partout et que cette maxime peut être intégrée dans le travail quotidien de tout professionnel de la communication.
Pour contrer cette absence de manuels critiques, les éditions USTA de l’Université Santo Tomás (première faculté universitaire de Colombie) et les éditions ECOE (spécialisées dans l’édition scientifique) viennent de publier Géneros periodísticos de hoy, de l’enseignante colombo-italienne Nidia Callegari Melo, avec l’ambition d’en faire un texte de référence : un manuel critique, capable de prendre en compte les nouveaux médias et les pratiques journalistiques émergentes (journalisme social, participatif, civique, citoyen ou public) et de définir, avec un langage accessible, les aspects pratiques et les réflexions éthiques nécessaires à ceux qui sont intéressés à exercer ou à comprendre ce métier. Lequel, comme le répétait Gabriel García Márquez, Prix Nobel de littérature et journaliste, est le plus beau du monde.
Le manuel est structuré en trois parties. La première partie est consacrée à la figure du journaliste, à la description de son travail et de ses compétences professionnelles. L’autrice nous offre de nombreux conseils et des orientations, elle nous y explique l’inexplicable et nous montre comment les connaissances et les compétences techniques ne peuvent rien faire sans l’aide de certaines compétences informelles qu’il est difficile d’enseigner dans un cadre institutionnel –celui des universités ou des écoles de journalisme – et qui ne peuvent être acquises qu’avec l’exercice quotidien et patient du « travail sur le terrain », l’observation et l’analyse critique des faits. À cet effet, l’autrice nous propose une longue section (voir section 4.2) consacrée à décrire cette « condition étrange qui a été appelée “avoir du nez” » (p. 22, notre traduction) et une autre (voir 4.5) pour nous apprendre à « gagner en crédibilité pour nous-même et pour notre média » (p. 24, notre traduction). Entre autres choses, l’autrice aide à comprendre comment narrer, décrire, argumenter ; tout lecteur lui sera éternellement reconnaissant d’avoir intégré dans ce chapitre plusieurs sections consacrées au style et à la rédaction. Notamment, la section 5.4 est entièrement dédiée aux connecteurs grammaticaux, les meilleurs « alliés de l’écrivain ».
La deuxième partie traite des médias à partir d’une classification générale basée sur leur forme de diffusion. Organisée en quatre chapitres – (1) presse écrite, (2) télévision, (3) médias en ligne et (4) radio –, cette partie nous montre comment l’actualité géopolitique mondiale a façonné le paysage médiatique global, tout en transformant les médias classiques et les pratiques professionnelles. L’autrice expose clairement l’impact de cette transformation (faisant souvent référence à des figures paradigmatiques de la recherche en communication en Espagne et Amérique latine, comme Eric Torrico[4], Pedro Antonio Rojo Villada[5] et Llorenç Gomis Sanahuja[6]) qui a conduit de plus en plus les salles de rédaction à favoriser l’immédiateté et le sensationnalisme pour survivre. Pour chaque support de diffusion on présente l’histoire, les techniques de rédaction qui lui sont propres, des exemples de publications, une approche théorique – qui nous aide à comprendre le discours scientifique autour des médias – et une discussion critique – qui fait dialoguer le point de vue des journalistes et celui des spécialistes en communication sociale. Le chapitre consacré à la radio est particulièrement intéressant car il montre comment un média qui, il y a quelques années encore, était considéré comme menacé d’extinction, a pu refaire surface malgré la montée d’Internet. Elle associe ce relèvement aux nouvelles perspectives offertes par les radios communautaires qui, encore aujourd’hui, possèdent un rôle particulièrement important pour les communautés les plus isolées et marginalisées.
Enfin, la troisième partie du manuel décrit les différents genres journalistiques, nommément : l’article, le reportage, la chronique, le profil, l’interview, les éditoriaux et les chroniques d’opinion, pour terminer par un long chapitre sur le photojournalisme et l’infographie. Chaque genre est traité selon les quatre supports de publication possibles préalablement discutés : presse écrite, médias en ligne, télévision et radio. En outre – et c’est probablement l’une des contributions majeures de son travail – Nidia Callegari Melo nous propose de penser la production informative en contexte[7]. Puis, en argumentant à partir des données issues des recherches les plus actuelles, elle reconnaît « l’impossibilité » de certains genres (comme exercer le « profil » dans le journalisme en ligne[8]) mais aussi l’émergence de genres innovants et originaux (comme les méga-infographies). Loin de tout jargon académique, l’autrice nous propose ici quelque chose de bien différent d’un simple manuel de style : non seulement elle nous explique les modèles de référence pour l’écriture et la production orale, mais elle nous donne d’abondants exemples et réflexions sur l’impact que la structure de l’information peut avoir en termes de « production de discours » (en se basant surtout sur les apports théoriques de Teun Van Dijk[9]).
La bibliographie mobilisée dans cet ouvrage est riche et s’appuie fortement sur la recherche ibéro-américaine la plus récente (représentée par des auteurs comme Carlos Abreu, Jon Baggaley, Miguel Ángel Bastenier, Juan Cantavella, Sonia Parratt Fernández, Armand Mattelart et Omar Rincón, pour n’en nommer que quelques-uns[10]) sans oublier les grands classiques du journalisme planétaire (Gabriel García Márquez, Guy Talese, Oriana Fallaci et Ignacio Ramonet, par exemple).
Nous sommes ici confrontés à un véritable OVNI de la littérature scientifique dans le domaine des sciences de la communication et de l’information : ce produit issu d’années de recherche dans le domaine de la production informative est à la fois accessible et complet, tout en adoptant une position critique. En effet, il ne faut pas oublier que l’autrice est une figure incontournable de la communication sociale en Amérique latine depuis au moins trois décennies. Journaliste dans les principaux groupes de presse de Colombie, directrice de plusieurs publications scientifiques (dont Universitas Humanistica et Revista Javeriana), enseignante et chercheure dans les facultés de communication sociale les plus reconnues du pays (Universidad Santo Tomas, Universidad Pontificia Javeriana, Universidad de La Sabana), Nidia Callegari Melo a été à l’origine de l’introduction des pratiques de journalisme public en Amérique latine et une défenseure infatigable des principes éthiques et de l’engagement social dans le travail informatif. En reconnaissance de son travail d’investigation, elle a reçu en 2008 la prestigieuse Médaille Félix Restrepo pour sa contribution au progrès de la science.
Son magnum opus est principalement destiné aux étudiants universitaires des Facultés de communication sociale et journalisme. Cependant, les chercheurs intéressés à connaître les mécanismes du travail informatif, ainsi que les dirigeants d’entreprises culturelles et médiatiques et, enfin, les journalistes expérimentés à la recherche de nouvelles idées, trouveront dans ce manuel des exemples et des réflexions critiques sur la profession et les pratiques informatives les plus innovantes.
Ce livre original, où la théorie et la pratique s’unissent pour nous donner une vision optimiste du journalisme, arrive à point. Il va sans dire qu’en cette saison de crise et de conflits, nous avons besoin de nouvelles utopies et, comme Nidia Callegari Melo nous l’enseigne, le journalisme critique, pour sa capacité à contredire le discours dominant, peut contribuer activement et positivement à ce changement.
Parties annexes
Notes
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[1]
Elle a, entre autres, inspiré le paradigme de la communication pour le développement – communication pour le développement ou C4D – qui a alimenté durant des décennies la vision de la communication des plus importantes organisations intergouvernementales et non gouvernementales : UNESCO, UNICEF, Oxfam ou Save the Children.
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[2]
Le « neutralisme » étant, autrement dit, le refus d’adhérer à un camp dans un champ donné ; une idéologie de la neutralité.
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[3]
Notre traduction, p.54 : Restrepo, J D. (2007, marzo). Periodismo y Ética. Revista Javeriana, 732, 54-60.
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[4]
Professeur à l’Universidad Andina Simon Bolivar de La Paz, en Bolivie. Spécialiste du journalisme en contexte post-colonial, il a notamment publié Hacia la comunicación decolonial (2016).
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[5]
Depuis deux décennies il étudie l’impact des TICE sur la production médiatique : son premier essai sur cette thématique, Producción periodística y nuevas tecnologías: Estrategias de la prensa ante la convergencia mediática, a été publié en 2003. Il enseigne à l’Universidad católica San Antonio de Murcie, en Espagne.
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[6]
Intellectuel catalan antifranquiste, journaliste et poète, Llorenç Gomis Sanahuja (1924-2005) a enseigné à l’Universidad Autónoma de Barcelona et il a publié plusieurs essais qui ont longtemps obtenu une large reconnaissance dans les écoles de journalisme espagnoles, dont, par exemple, Teoria dels gèneres periodístics (1989, en catalan) et Teoría del periodismo. Como se forma el presente (1991, en espagnol).
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[7]
À partir de la considération que le contexte – c’est-à-dire l’écosystème socio-économique, déterminé par les dynamiques historiques et les relations interculturelles – structure les discours circulants, produisant des modèles communicatifs (les discours dit « dominants »), des valeurs mais aussi des dogmes et des stéréotypes.
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[8]
Selon notre autrice, en effet, « les cyberespaces ne sont pas conçus pour des genres qui, comme le profil, demandent au lecteur une attention soutenue » (p. 353, notre traduction).
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[9]
Le célèbre linguiste néerlandais est considéré comme l’un des pères de l’analyse critique de discours, dont il défend l’approche cognitiviste. Professeur émérite à l’Universidad Pompeu Fabra de Barcelone, il a publié Discourse as social interaction (1997) et Society and Discourse. How social contexts control text and talk (2009).
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[10]
Carlos Abreu, spécialiste du photojournalisme et de l’infographie, enseigne à l’école de journalisme de l’Universidad Central de Venezuela. Jon Baggaley est professeur de communication à l’Université de Liverpool et directeur de la revue Journal of Educational Television. Miguel Angel Bastenier, ancien grand reporter, fut pendant longtemps professeur à l’école de journalisme d’El País, le principal journal espagnol. Juan Cantavella (spécialiste des interviews) et Sonia Parratt Fernández (spécialiste du new journalism et de l’utilisation des techniques littéraires dans la rédaction informative) enseignent à la Faculté de journalisme de l’Universidad Complutense de Madrid. Le sociologue belgo-français Armand Mattelart – qui a enseigné à l’Université Rennes 2 et à Paris VIII – a consacré la plupart de ses travaux de recherche à l’étude des relations entre culture, communication et média. Omar Rincón dirige le centre de recherches sur le journalisme (Centro de Estudios en Periodismo) de l’Universidad de Los Andes de Bogotá, en Colombie.