Résumés
Résumé
Le milieu du travail est un des principaux lieux de rencontres interculturelles, où l’apprentissage et l’adaptation au nouvel environnement social se développent et influencent la vie démocratique. Toutefois, peu de recherches font des liens entre les problématiques liées à l’emploi et la participation démocratique des migrants et des immigrants. À l’aide des données de trois recherches menées en parallèle et en nous inspirant du modèle des 3D (diversité, discrimination et dialogue) développé par White (2017 et 2018), nous effectuons une méta-analyse autour des questions concernant : les difficultés rencontrées dans l’accès à l’emploi et aux bonnes conditions de travail; et les stratégies adoptées pour entamer un dialogue interculturel. Cette analyse permet de saisir quelques stratégies permettant le passage d’une situation de discrimination et de non-reconnaissance de la diversité à un dialogue soutenant la participation citoyenne. Cet article met en avant que la lutte contre la discrimination, loin de s’opposer au dialogue, est une voie qui permet de l’établir, en vue de réduire les écarts existants entre néo-Québécois et membres de la société d’accueil. L’analyse démontre que certaines stratégies demandent un investissement non négligeable au sein de secteurs plus favorables à une ouverture auprès des néo-Québécois. Les stratégies adoptent diverses formes qui permettent aussi la reconnaissance de certaines de leurs compétences.
Mots-clés :
- immigrants,
- participation démocratique,
- interculturel,
- diversité,
- discrimination,
- dialogue
Abstract
The workplace is one of the main intercultural meeting places where learning and adaptation to the new social environment develop and influence democratic life. However, there is little research linking employment issues to the democratic participation of migrants and immigrants. Using data from three parallel studies and drawing on the 3D model (diversity, discrimination and dialogue) developed by White (2017 and 2018), we conduct a meta-analysis around questions about difficulties met in accessing employment and having good working conditions, and the strategies (pathways) adopted to initiate intercultural dialogue. This analysis makes it possible to grasp some strategies allowing the transition from a situation of discrimination and non-recognition of diversity to one of dialogue that supports citizen participation. This article highlights that the fight against discrimination, far from being opposed to dialogue, is a way to establish it, with a view to reducing existing gaps between neo-Quebecers and members of the host society. The analysis shows that some of these strategies require significant investment in sectors that are more open to New Quebecers. These strategies take a variety of forms that also allow recognition of some of their skills.
Keywords:
- immigrants,
- democratic participation,
- intercultural,
- diversity,
- discrimination,
- dialogue
Corps de l’article
Le milieu du travail est l’un des principaux espaces, avec les milieux d’éducation et de santé, dans lesquels se produisent des rencontres interculturelles entre la population immigrante et les personnes natives de la société d’accueil. En tant qu’espace où se côtoient quotidiennement des personnes ayant des horizons culturels distincts, les milieux de travail sont des lieux importants où le processus de resocialisation[1] a lieu et peut favoriser la réduction des écarts culturels, par lesquels la compréhension mutuelle et l’adaptation réciproque peuvent s’opérer. Dans le même temps, il s’agit également de contextes propices à la survenue de conflits interculturels, de préjugés et de malentendus. Entre défis et potentialités, les milieux de travail exercent une influence sur le vivre ensemble, la solidarité et, ultimement, sur la citoyenneté[2].
En effet, nous savons que la participation politique affecte et est affectée par les conditions sociales, dont les problématiques liées à l’emploi (Laur, 2016; Turcotte, 2015). Par exemple, un emploi précaire avec un statut précaire (hyper-précarité, voir plus loin pour une définition) ne donne pas accès aux meilleures conditions pour l’engagement citoyen. Toutefois, un engagement peut se produire lorsqu’on cherche à réparer une injustice (Yoon, 2019). De plus, si les difficultés économiques constituent un motif pour la participation politique – intimement liées à l’emploi –, elles semblent influencer et être influencées par la participation et l’engagement politique citoyen (Gordon et Lenhardt, 2008; Yoon, 2019). Ainsi, une personne pourra aller chercher de l’aide lorsqu’elle a eu des problèmes au travail et peut rester impliquée auprès de l’organisme qui l’a aidée ou elle peut essayer de chercher à résoudre les difficultés économiques à l’aide des connaissances acquises auprès d’un organisme ou de son implication politique.
Or peu de recherches font des liens entre les problématiques liées à l’emploi et la participation démocratique des migrants et des immigrants[3] (Frozzini et Boivin-Martin, 2015; Frozzini et Law, 2017a, 2017b; Lorrain et Nicolas, 2015; Yoon, 2019). En effet, à chacune des étapes de la vie professionnelle, quantité de difficultés (manque de qualification, non-reconnaissance des compétences, emploi précaire, préjugés, méconnaissance des codes culturels, absence de réseaux professionnels, etc.) peuvent freiner l’accès à l’emploi et à de bonnes conditions de travail, ce qui vient limiter la participation citoyenne des travailleurs issus de la migration et de l’immigration. De plus, le contexte néolibéral conduit à ce que leur condition socioéconomique se détériore beaucoup plus rapidement que celles de travailleurs nationaux (Choudry et Hlatshwayo, 2016; Pendakur et Pendakur, 2015), comme nous le verrons dans la première section de cet article. Celui-ci cherche à explorer comment les relations interculturelles en milieux de travail et associatifs peuvent contribuer à une articulation de la reconnaissance de la diversité, de la dénonciation des discriminations et du dialogue interculturel, qui peuvent être vus comme trois postures complémentaires pour favoriser la participation sociale et citoyenne des néo-Québécois[4] (White, 2017, 2018).
Cet article se penche sur une série de questions liées au contexte de « diversification de la diversité », c’est-à-dire aux dimensions et aux processus multiples affectant la participation des (im)migrants aujourd’hui :
country of origin (comprising a variety of possible subset traits such as ethnicity, language[s], religious tradition, regional and local identities, cultural values and practices), migration channel (often related to highly gendered flows and specific social networks), legal status (determining entitlement to rights), migrants’ human capital (particularly educational background), access to employment (which may or may not be in immigrants’ hands), locality (related especially to material conditions, but also the nature and extent of other immigrant and ethnic minority presence), transnationalism (emphasizing how migrants’ lives are lived with significant reference to places and peoples elsewhere) and the usually chequered responses by local authorities, services providers and local residents (which often tend to function by way of assumptions based on previous experiences with migrants and ethnic minorities) (Vertovec, 2007, p. 1049).
Dans ce contexte, l’emploi constitue un des facteurs à considérer et nous nous intéressons plus particulièrement aux liens entre l’emploi et la participation citoyenne. Plus précisément, nous chercherons à comprendre comment passer d’une expérience de discrimination à une communication interculturelle qui soutienne la participation citoyenne, dans une optique de reconnaissance de la diversité et de dialogue tout en luttant contre la discrimination. Cet article se penche ainsi sur la réduction des écarts culturels propre à une démarche de communication interculturelle[5] entrecroisant trois courants de pensée pluralistes (White, 2017, 2018) : 1) la reconnaissance des spécificités de l’autre (diversité); 2) la réduction des écarts de traitement pour garantir l’égalité entre les individus (discrimination, lutte); et 3) la mise en place de stratégies de communication interculturelle (dialogue) pour analyser les barrières à la compréhension mutuelle, réduire les écarts existants et développer des compétences de coopération et d’adaptation.
Les enjeux mentionnés plus haut seront examinés à partir du point de vue de personnes immigrantes, celles-ci s’étant exprimées sur leur parcours relatif à l’emploi au Québec dans le cadre de trois projets de recherche exploratoires menés en parallèle. Les données présentées reposent sur les partenariats construits dans le cadre d’une subvention de partenariat (Mireille Tremblay, CRSH 2012-2015) dans laquelle les trois chercheurs de cet article ont chacun tissé des liens avec des organismes concernés par les questions de travail et d’immigration. Le fil conducteur du questionnement étant la participation citoyenne, nous cherchons à savoir dans quelle mesure les expériences vécues dans les milieux de travail influencent et sont influencés par la participation citoyenne. L’article se clôt sur une réflexion concernant l’importance de la communication interculturelle (Gratton, 2009; White et Gratton, 2017) en milieu de travail.
Des obstacles bien documentés dans l’accès à l’emploi et à de bonnes conditions de travail
L’accès à l’emploi et à de bonnes conditions de travail sont d’une importance cruciale, pour tout un chacun, car ceci détermine le bien-être matériel, mais aussi la reconnaissance sociale, par l’estime sociale que soutient cet accès (Honneth, 1995[6]). Malheureusement, non seulement l’écart des revenus s’accentue entre les natifs[7] et les néo-Québécois, mais ces derniers connaissent un taux de chômage élevé, en particulier dans les premières années suivant leur arrivée au Québec, et beaucoup ne trouvent pas d’emploi dans leur domaine (Boudarbat et Boulet, 2010; Boudarbat et Connolly, 2013; Girard, Smith et Renaud, 2008; Rioux, 2015; Posca, 2016). Ainsi, selon Statistique Canada (2018), en 2017, le taux de chômage s’établissait à 14,1 % chez les personnes arrivées au Québec dans les cinq dernières années, tandis que pour l’ensemble de la population québécoise il se situait à 5,3 %. Si cet écart s’amenuise pour atteindre un taux de chômage de 7,7 % après 10 ans de résidence au Québec, il est notable qu’un écart non négligeable existe entre le Québec (8,7 % de chômage chez les immigrants reçus versus 4,5 % chez les natifs) et l’Ontario (5,8 % versus 4,5 %) et le Canada dans son ensemble (6,4 % versus 5 %), selon les statistiques les plus récentes (Statistique Canada, 2018). De plus, dans un contexte de « gestion de la diversité » (Frozzini, 2014; Rocher et White, 2014), on remarque que la majorité des néo-Québécois se retrouvent dans la grande région de Montréal, malgré des efforts réalisés pour attirer cette population dans d’autres zones urbaines du Québec (Rioux, 2015; Rocher, 2017; Vatz-Laaroussi, 2005).
À ces chiffres, s’ajoute la précarité des conditions de travail dans un contexte de mondialisation qui contribue à façonner des inégalités et des situations d’hyper-précarité, où il y a intersection entre un statut d’immigration précaire et un emploi précaire (Frozzini et Gratton, 2015; Frozzini et Law, 2017a, 2017b; Lewis et al., 2015; Sharma, 2006, 2015; Standing, 2011; Zou, 2015)[8]. Il appert ainsi que cette précarité d’emploi (re)devient la norme, face à l’exception historique des Trente glorieuses dont les travailleurs du Nord ont bénéficié, puisqu’à l’échelle internationale, la majorité n’a pas profité des protections sociales créées à cette époque (Frozzini et Law, 2017a; Millar, 2014; Munck, 2013; Neilson et Rossiter, 2008; Şenses, 2015). Ainsi, on observe qu’au Québec, « les immigrants sont désavantagés sur le plan de la qualité d’emploi par rapport aux natifs, toutes choses étant égales par ailleurs » (Boulet, 2013, p. 311), et qu’en moyenne, « pour chaque dollar gagné par les natifs en 2012, les immigrants touchaient 0,92 $ au Québec » (Bourdabat et Connolly, 2013, p. 28). Dans un contexte où le néolibéralisme est prédominant (Dale, 2012; Evans et Sewell, 2013; Fine et Saad-Filho, 2016; Harvey, 2005; Peck, 2010), on observe en effet une détérioration des conditions de travail et de vie pour l’ensemble de la population (Feldman, 2015; Nail, 2015; Vosko, 2006), la population néo-québécoise étant davantage concernée par ces phénomènes qui font obstacle aux emplois stables, offrant une sécurité sur le plan du revenu, du développement professionnel et de la santé (Standing, 2011).
Un élément essentiel du contexte nord-américain est par ailleurs celui de la responsabilisation individuelle, lié au phénomène de « institutionalized individualism [where] people are invited to constitute themselves as individuals: to plan, understand, design themselves as individuals and, should they fail, to blame themselves » (Beck, 2005, p. 9). Le poids de la réussite et des échecs se trouve ainsi mis sur les épaules de l’individu tout en rendant presque invisibles les mécanismes, les structures et les interactions sociopolitiques qui influencent les parcours singuliers. Faire face à des préjugés et malentendus (Amin et Gonin, 2007) n’est en effet pas sans incidence sur les occasions professionnelles. De plus, dans le cas des néo-Québécois, l’absence d’un réseau social durant les premières années sur le territoire, pour la grande majorité d’entre eux, les rend plus vulnérables. Dans ce contexte, les difficultés liées à l’accès et au maintien en emploi ont des répercussions encore plus grandes sur plusieurs aspects de la vie en société, dont celle de la participation démocratique. En effet, comment participer activement à la vie démocratique lorsqu’on se trouve dans une dynamique de précarité, voire de survie au quotidien? Comment garantir que les personnes immigrantes participeront, dans un contexte social qui semble de moins en moins favorable? Sans pouvoir répondre globalement à ces questions, nous tenterons de dégager des pistes permettant de nuancer un portrait de l’insertion professionnelle et sociale qui peut sembler pessimiste, car des initiatives et des réussites dans le monde du travail et le monde associatif ouvrent la porte de la participation à divers niveaux.
Le modèle 3D : diversité, discrimination et dialogue
Il ne fait plus de doute, aujourd’hui, qu’un bon niveau de vie favorise le développement du potentiel humain (Barnes et Hall, 2013; Evans et Sewell, 2013). C’est d’ailleurs la raison qui pousse la comparaison des indices de développement humain ou de niveaux de vie entre pays membres des Nations Unies dans l’espoir de mieux cibler les éléments qui permettent l’accroissement et ainsi éviter le déclin de ces conditions. Or, malgré la sélection des néo-Québécois effectuée par le gouvernement québécois ou canadien, la grande majorité des nouveaux arrivants ont de moins bonnes conditions de vie par rapport aux natifs du Canada, bien que la plupart aient une bonne connaissance de la langue française et un niveau de scolarité qui dépasse la moyenne québécoise (Gauthier, 2014). Ainsi, comment peut-on réduire les inégalités observables entre les populations natives et néo-québécoises? Des réponses différentes seront données à cette question, selon les courants de pensée mobilisés pour envisager les relations interculturelles.
En effet, il est possible de distinguer trois grands courants[9] de la pensée pluraliste, sur la base d’une prise en compte de la pluralité culturelle : le pluralisme originel (Panikkar, 1979) devient un pluralisme normatif quand il « prend la pluralité comme objet et comme objectif » (White, 2017, p. 32) et se divise ensuite en tendances pluralistes diverses, possédant chacune leurs particularités. Bob White (2017), à partir d’une réflexion menée au sein du Laboratoire de recherche en relations interculturelles (LABRRI), identifie, en ce sens, trois grandes tendances dans la société québécoise : le courant de la diversité, celui de la discrimination (lutte contre) et celui du dialogue. Chaque courant fait appel à ses propres ensembles conceptuels et historiques, tout en partageant l’ancrage pluraliste en cherchant, « chacun à sa façon, à réduire l’écart entre les gens d’ici et ceux qui sont venus d’ailleurs» (White, 2017, p. 37).
Le premier courant, celui de la diversité, promeut avant tout la reconnaissance de l’autre, de ses spécificités. La diversité est ici quelque chose de positif devant être protégé et valorisé, car elle est considérée comme une source d’enrichissement (White, 2017). Le deuxième courant est celui de la discrimination, qui cherche à réduire les écarts de traitement[10], surtout concernant les lois, afin de garantir l’égalité (de chances, de traitement, etc.) entre les individus. Sa finalité est de combattre les inégalités sociales et économiques produites par les divers types de discrimination : systémique, raciale, etc. Le dernier courant est celui du dialogue, au sein duquel la communication entre individus devient primordiale, en vue d’analyser les barrières à la compréhension mutuelle, de réduire les écarts qui conduisent à l’exclusion et de développer les compétences de coopération et d’adaptation, dans une logique de réciprocité.
Cette grille de lecture permet de mieux comprendre les tensions surgissant régulièrement entre les divers acteurs qui se préoccupent des questions interculturelles : ceux-ci sont ancrés dans « trois courants de pensée qui parfois s’opposent, parfois s’entrelacent, parfois s’ignorent, mais qui rarement s’interpellent comme forme de savoir » (White, 2017, p. 36). Or, selon White (2018), ces postures peuvent être vues comme complémentaires les unes par rapport aux autres :
—the recognition of diversity, the fight against discrimination, and the need for dialogue—can be seen as the basic pillars of planning and evaluation for intercultural policy frameworks. From this point of view, one might say that an intercultural city is a city that makes deliberate use of the diversity and antidiscrimination paradigms in order to facilitate long-term, constructive interactions between citizens of diverse origins (p. 28).
Par ailleurs, ces courants ont des zones communes par lesquelles ils peuvent être articulés les uns aux autres, comme l’illustre le schéma proposé par White (2017, p. 47), reproduit ci-dessous (Figure 1) :
Ainsi, ces trois tendances se rencontrent et peuvent prendre appui les unes sur les autres, dans le même temps que leurs particularités peuvent créer des oppositions dans les manières de penser ou d’orienter l’action. Ce modèle peut être relié aux trois sphères de la reconnaissance définies par Honneth (1995) : amour, droits et estime. Ainsi, plusieurs éléments, dont l’amitié, l’égalité des droits ou de traitement devant la loi, ainsi que l’estime de la fonction sociale de l’agent, font partie des 3D. Toutefois, Honneth se situe à une échelle plus large, car il parle de la société dans son ensemble et non seulement des relations interculturelles. Parmi les trois sphères, celles des droits et de l’estime sont celles qui se rapprochent le plus du modèle des 3D. En effet, cet ensemble de conceptions partage des bases communes, dont celle du respect de la personne ainsi qu’une volonté à vouloir développer le potentiel humain.
Finalement, il est important d’ajouter que la complexité dans la prise en compte de la pluralité tient également au fait que, si nous sommes tous des porteurs de traditions (Gadamer, 1996; Panikkar, 1979; Vachon, 1995) qui nous rattachent à des collectifs, il y a toujours une pluralité de ces ancrages et de la signification qui leur est accordée :
La pluralité sociale existe dans toutes les sociétés, mais elle varie d’une société à une autre, non seulement dans sa forme (ethnique, religieuse, linguistique, etc.), mais aussi dans la façon d’expliquer sa pertinence (voir Das et al. 2008). De surcroît, il y a une pluralité à l’intérieur de chaque individu : ce n’est pas seulement que les individus prennent conscience de leur individualité à travers le regard de l’autre [...], mais aussi que chaque individu est l’amalgame de plusieurs parcours, expériences et traditions (Nancy 1996). (White, 2017, p. 31.)
Dans cette perspective, aucun individu ne peut être réduit à une seule appartenance, et aucune culture ne peut être réduite à une seule tradition. Cette précision est importante, afin de se garder d’approches culturalistes qui tendraient à préjuger des caractéristiques d’un individu ou d’un groupe (valeurs, habitudes de vie, croyances, etc.) sur la base d’un seul trait culturel ou d’un seul horizon culturel.
Méthodologie
Les données présentées dans les sections suivantes proviennent de trois démarches de recherche exploratoires menées de façon parallèle dans le cadre d’une subvention de partenariat portant sur l’harmonisation des relations interculturelles (Mireille Tremblay, CRSH 2012-2015). Les auteurs de cet article ont tous trois travaillé avec des organismes menant une action dans la sphère de l’emploi sous des angles différents. Nous proposons une méta-analyse d’une partie des résultats de ces recherches afin d’examiner le discours et le vécu des agents, à partir de notre cadre d’analyse (les 3D). Dans les lignes qui suivent, nous présentons brièvement un aperçu de ces recherches afin d’exposer leurs objectifs et quelques données concernant les participants.
La première recherche, initiée avec le CAMO-PI[11] et ensuite appuyée par l’organisme Destination Travail du Sud-Ouest de l’île de Montréal[12], a porté sur l’accès au travail et à de bonnes conditions de travail pour la population immigrante. Une enquête quantitative basée sur un questionnaire en ligne a permis de recueillir, par l’intermédiaire de plusieurs organismes ayant transmis par courriel une invitation à participer à leur public[13], le point de vue de 153 personnes issues de l’immigration. Celles-ci ont répondu à des questions portant sur leur insertion professionnelle, la reconnaissance de leurs compétences et les relations de travail, dans le cadre d’une démarche exploratoire et descriptive. Cet échantillon non représentatif présente la particularité d’un niveau de diplomation largement supérieur à la moyenne[14], ce qui est intéressant pour observer les enjeux spécifiques d’une population très qualifiée. Les données collectées ont permis d’obtenir des statistiques descriptives, à partir desquelles l’influence de facteurs tels que l’appartenance à une minorité visible, ou encore le nombre d’années de résidence au Québec, a été analysée par les tests de Khi2 et de Mann-Whitney. Ces tests statistiques ont ainsi permis d’examiner les différences de moyennes constatées entre certains groupes (hommes/femmes, membres de minorités visibles ou pas, date d’arrivée au Québec antérieure à 2, 5 ou 10 ans, en particulier).
La deuxième démarche de recherche-action portait sur une évaluation du projet de mentorat[15] mis sur pied par le Centre d’encadrement pour jeunes femmes immigrantes (CEJFI)[16]. Il s’agissait, dans un premier temps, d’interroger des femmes accompagnées par une mentore ayant participé au projet au sujet de leurs expériences et de leurs apprentissages. Dans un deuxième temps, nous leur avons demandé leur perception concernant l’accès à un emploi, aux postes de décision et à l’implication citoyenne au Québec. Des entretiens semi-dirigés ont été réalisés afin d’avoir accès au vécu et aux perceptions de cinq participantes[17]. Il s’agit donc d’un échantillon non probabiliste. Ces entrevues ont été transcrites et anonymisées en utilisant des codes alphanumériques, puis une analyse thématique de contenu a été réalisée à partir des propos recueillis au cours de chaque entretien. Cette méthode nous a permis « d’aller en profondeur dans le vécu et la compréhension des participants, principalement parce que ces derniers deviennent des collaborateurs : ils s’investissent tant cognitivement qu’affectivement afin de comprendre leur réalité et nous la faire comprendre » (Frozzini et Law, 2017b, p. 139). Trois entrevues ont été ici retenues en raison de leur dimension emblématique.
La troisième démarche a examiné plus directement l’expérience citoyenne de travailleurs issus de l’immigration, en rencontrant des personnes jouant un rôle de représentants syndicaux. La recherche-action[18], appuyée par la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ), visait l’analyse d’une expérience sociale spécifique, c’est-à-dire celle de travailleurs immigrants syndiqués, aux prises avec des préoccupations quotidiennes liées à la resocialisation et au maintien au travail. Elle a été réalisée auprès de dix travailleurs syndiqués issus de l’immigration, choisis à partir de listes de délégués syndicaux travaillant dans différents secteurs professionnels. Ce choix s’est fait suivant la règle d’un échantillon raisonné, pouvant offrir un maximum de variété de participants en fonction des secteurs de travail couverts par la centrale syndicale, du genre, du parcours migratoire et de l’expérience d’engagement syndical. Le choix d’une méthode de production des données s’est porté sur des entretiens en profondeur, semi-dirigés, du type récits d’expérience. Trois entretiens en collectif ont été réalisés, avec un retour lors de la troisième rencontre. Les données ont fait l’objet d’une analyse thématique. Les catégories de la grille d’analyse ont été les suivantes : (1) parcours de vie personnelle et relations primaires, (2) parcours migratoire, (3) problématique de la reconnaissance de soi par autrui, (4) investissement personnel dans le syndicat, (5) respect des droits et libertés humaines et l’ensemble sociopolitique immédiat dans lequel les représentants syndicaux se retrouvent (le Québec, le Canada), (5) engagement collectif, au travers de l’implication syndicale et citoyenne. Un autre lieu d’appartenance a fait l’objet central de la recherche : l’appartenance ethnoculturelle[19], qui définit en partie le représentant syndical lui-même ainsi que ses interlocuteurs, ses collègues ou ses supérieurs. Nous avons pu examiner, sous deux lectures différentes, par monographie (récit individuel) et par thèmes transversaux, comment se développement les représentations de l’engagement syndical et citoyen, de la dimension ethnoculturelle et des communications interculturelles à partir de ces catégories d’analyse.
Dans le cadre de cette méta-analyse de données issues des trois démarches de recherche, qui s’appuie sur le modèle des 3D, nous tentons d’illustrer les stratégies pouvant être utilisées pour effectuer le passage d’une situation discriminatoire vers un dialogue interculturel. Nous situer à une échelle d’analyse plus globale permet ici de soulever des éléments communs aux trois recherches et d’effectuer des liens. Dans ce but, deux grands thèmes sont retenus : les difficultés rencontrées (accès à l’emploi et conditions de travail) et les stratégies adoptées pour entamer un dialogue interculturel et favoriser la participation citoyenne.
Témoignages des difficultés rencontrées dans l’accès à l’emploi et à de bonnes conditions de travail
Les données collectées dans le cadre des deux premières démarches de recherche, menées selon des modalités quantitatives et qualitatives, sont complémentaires, car les parcours dont témoignent les femmes rencontrées en entrevue viennent illustrer les constats plus généraux de l’enquête par questionnaire. Dans celle-ci, bien que l’échantillon comprenne des personnes hautement qualifiées, nous constatons tout d’abord qu’environ la moitié des participants déclare avoir rencontré des difficultés pour trouver un emploi (peu de difficultés, 12,4 %; quelques difficultés, 13,1 %; beaucoup de difficultés, 29,2 %). Les participants qui déclarent rencontrer des difficultés les associent à leur manque d’expérience de travail au Québec, en premier lieu, mais il est notable que la seconde cause invoquée soit celle des préjugés ou de la discrimination, la troisième cause identifiée correspondant aux problèmes de reconnaissance des qualifications (Tableau 1).
Ces résultats descriptifs peuvent être mis en rapport avec la déclaration suivante, issue du second terrain de recherche, dénonçant les attitudes de disqualification des travailleurs immigrants :
A : C’est parce que les employeurs ne croient pas... par exemple, on doit travailler le triple pour montrer que l’on est capable de faire. [...] Le fait d’être immigrantes, ils pensent que l’on ne connaît rien, c’est la première fois que l’on voit un ordinateur, la première fois que l’on utilise le guichet automatique, ce sont des préjugés.
Ces expériences et l’interprétation qui s’y relie peuvent être liées au modèle des 3D et à l’éthique de la reconnaissance de Honneth (1995). En effet, l’absence de reconnaissance de l’autre, de ses spécificités et de ses capacités peut conduire à la discrimination. Le sentiment de devoir travailler plus pour faire ses preuves semble montrer l’impact de la catégorisation[20] des individus et semble traduire une communication plus difficile.
D’autre part, les tests statistiques réalisés sur les données du Tableau 1 montrent que le sentiment de faire l’objet de préjugés ou de discrimination est significativement plus fort chez les personnes qui résident depuis plus longtemps au Québec (p=0,025[21]), ainsi que chez les personnes déclarant être membres d’une minorité visible (p<0,001[22]). Ceci fait écho aux propos recueillis dans le cadre d’une autre entrevue de la recherche qualitative sur les parcours de femmes immigrantes :
B : Quand tu es encore immigrante, tu vois que non, tu n’as pas ta place là-dedans. C’est l’affaire des gens d’ici, c’est leur affaire. On dirait qu’on le sent nous-mêmes et on nous le fait sentir en même temps. Et puis, certaines réactions de certaines personnes nous font sentir que vous êtes encore étrangers, alors que vous avez la nationalité canadienne. Ce n’est pas rare que quelqu’un te dise, tu viens de te présenter et il va continuer : « Toi, ton pays, c’est quoi? » « Mais, moi je suis canadienne. » Mais le fait que j’ai la peau noire, on sent que peu importe les années que tu fais ici, tu resteras toujours étranger dans ce pays.
Nous retrouvons ici la dénonciation d’un traitement discriminatoire, qui conduit à remettre en question le sentiment d’appartenance à la société d’accueil. On observe ainsi que l’estime de soi et le sentiment d’appartenance sont affectés par un écart entre le plan du droit (avoir le statut de citoyenne canadienne) et le plan relationnel (être considérée comme étrangère).
Dans les résultats obtenus au questionnaire, il est notable que le genre, l’âge ou l’appartenance à une minorité sexuelle ne sont par contre pas corrélés au sentiment de faire l’objet de préjugés ou de discrimination dans la recherche d’emploi, dans les réponses à notre questionnaire. Le sentiment de faire l’objet de préjugés ou de discrimination peut toutefois, au-delà de l’attribution de ce facteur au fait de rencontrer des difficultés pour trouver un emploi, émerger à nouveau après avoir été embauché. Globalement, parmi les répondants, ceux qui occupent un emploi (N=102) estiment rencontrer peu de difficultés liées à leur parcours d’immigration dans le cadre de leur travail : sur une échelle de 1 (pas de difficultés) à 5 (beaucoup de difficultés), la moyenne se situe à 1,65. Cependant, lorsque des difficultés se présentent avec des collègues de travail, les répondants identifient les préjugés comme première cause (Tableau 2), et pointent ensuite des situations d’incompréhension mutuelle.
L’extrait d’entrevue suivant fait écho aux déclarations de certains répondants et illustre les problèmes pouvant se poser en ce qui concerne de la communication interculturelle et la discrimination, au point de démissionner d’un emploi stable :
B : C’était trop lourd, je pleurais souvent dans les toilettes, puisque ce n’était pas accueillant du tout. On me traitait de n’importe quoi. Les responsables de l’entreprise t’engagent, mais ils ne vont pas gérer ta vie de chaque minute avec tes collègues. J’étais engagée, je venais d’arriver en février, j’avais fait une formation, donc je suis parmi les gens qui avaient accédé à l’emploi dans le système du gouvernement. Mais rester dedans, ce n’était pas facile. Moi je dirais que c’est des deux côtés, ils ne sont pas prêts à te comprendre et toi non plus tu ne les comprends pas, alors ça devient comme un choc. Je vois que beaucoup de femmes immigrantes vivent cette situation […]. Il y a une fille infirmière qui elle-même a quitté le poste. Je l’ai rencontré ici et quand elle parlait de ça, ça fait mal. Donc, on te met dans une situation où c’est tendu, insupportable, invivable, de façon que tu dois quitter ou bien tu deviens comme non fonctionnel. Ce n’est pas évident.
Face au manque de volonté à comprendre l’autre et à l’absence d’ouverture, cet extrait signale qu’en l’absence de reconnaissance (dans la sphère de l’amitié, de l’égalité ou des droits), la situation vécue dans un milieu hostile peut se dégrader au point de devenir intenable et conduire à quitter un emploi stable.
Entre les difficultés d’accès à l’emploi et celles rencontrées pour le maintenir, il est compréhensible qu’un certain découragement puisse se manifester :
C : Je fais beaucoup d’efforts depuis que je suis arrivée ici, et voilà, le résultat n’est pas assez éloquent pour moi. [...] Tu viens ici, tu fais plein de choses, tu t’impliques dans la société, tu fais un bac ici et ce n’est pas fait par tout le monde. Malgré ça, tu n’arrives pas à trouver un emploi, qu’est-ce qu’il faut faire d’autre? Donc, je ne sais pas quoi répondre et c’est la réalité.
Ce sentiment de découragement a une incidence directe sur l’estime de soi au travers du regard de l’autre, influençant celui qu’on porte sur soi-même. Parmi les répondants qui cherchaient un emploi au moment de renseigner le questionnaire, environ la moitié de ceux qui ont déclaré être peu ou moyennement actifs mentionnaient être découragés. Le fait que les efforts fournis ne donnent pas les résultats escomptés semble donc, sans grande surprise, avoir un impact sur la confiance. Cependant, nous allons voir que les dynamiques de discrimination et de non-reconnaissance de la diversité dénoncées ici ne conduisent pas nécessairement au désespoir, cette critique pouvant mener au dialogue, en tant que volonté de communiquer pour mieux se comprendre ou réduire les écarts culturels, mais aussi développer de nouvelles compétences (White, 2017).
Les voies d’un dialogue interculturel permettant de lutter contre les logiques discriminatoires
Malgré les difficultés structurelles rencontrées par les néo-Québécois, ceux-ci développent toutefois des stratégies variées pour faire face aux logiques qui les défavorisent sur le marché du travail. L’une de ces stratégies consiste à se diriger vers des milieux plus enclins à ouvrir leurs portes à des néo-Québécois, tels que le milieu communautaire. Celui-ci peut en effet être plus favorable à la reconnaissance des compétences des personnes et confier rapidement des responsabilités, ce qui appuie le dialogue interculturel – comme l’illustre ce témoignage issu du second terrain de recherche :
A : Quand je suis arrivée, ils m’ont donné beaucoup de choses à faire, un peu de bénévolat et avec l’expérience que j’avais et les besoins qu’a notre clientèle, ils m’ont demandé si je pouvais aider en suivant des filles selon leurs besoins. Par exemple, on a un programme de lancement d’entreprise pour aider à être autonome, pour ouvrir une entreprise selon sa formation et ses expériences. Alors, j’ai de l’expérience en petite enfance, alors moi, c’était plus pour faire des suivis, des échanges pour les aider à devenir autonomes dans l’ouverture d’un service de garde par exemple. Avec installation ou à la maison.
Nous observons ici manifestement un cas de reconnaissance des spécificités et des capacités dans un climat de réduction des écarts culturels pour arriver à une situation où des compétences d’adaptation et de coopération sont possibles.
Une autre stratégie consiste à reprendre une formation, voire à changer de domaine. Cet extrait d’entrevue montre que le développement des compétences peut porter ses fruits :
A : Si on a l’opportunité d’étudier, de faire valider les équivalences, de faire un autre diplôme, ça, ça va ouvrir les portes. […] Il faut faire des équivalences et s’adapter au système éducatif d’ici, je pense que c’est ça. Des portes vont s’ouvrir comme ça. Et c’est très important de continuer. Des fois, il faut persévérer, les personnes ne trouvent pas ce qu’ils veulent la première année, alors ils ne continuent plus. C’est très important de continuer, de ne pas lâcher et après on va avoir tout ce qu’on veut. Regarde, je ne pensais pas que, par exemple, quand j’ai étudié la pédagogie, je me suis dit que ça ne sert à rien, mais quand j’ai commencé à donner des cours, des formations et tout ça, je me suis dit : « Regarde, je n’ai jamais pensé faire ça et maintenant, je travaille. Ce n’était pas dans mon domaine. »
Globalement, les efforts se déploient sur une multitude de dimensions de la vie des personnes depuis leur arrivée, étant donné le cumul de difficultés auxquelles elles doivent faire face, dont la pauvreté, le choc culturel, l’apprentissage des nouvelles façons de faire, l’apprentissage de la langue ou des langues, la compréhension des codes culturels :
C : Bien sûr, c’est le début et comme tous les immigrants le début est le même pour tout le monde, je pense. C’est un choc culturel, une autre culture, un autre pays, des choses à faire que tu ne connais pas. On rentre dans la pression, dans la pauvreté aussi. Il y a plein de choses. [...] Donc, de mon point de vue, c’était la langue le plus grand obstacle.
Une des stratégies pour mieux comprendre la société québécoise, toujours dans cette optique de dialogue, est celle de rejoindre des groupes communautaires ou d’effectuer du bénévolat, ce qui permet également d’acquérir de l’expérience :
C : Je pense que les femmes au niveau personnel, avec leur enfant, elles s’impliquent un petit peu même si elles ne font pas d’implications sociales. Mais à la garderie, à l’école, à la bibliothèque, c’est une autre façon de s’impliquer, de pouvoir démocratique à une petite échelle, à l’échelle quotidienne.
C : Comme emploi, c’était beaucoup de bénévolat depuis 2008, j’ai commencé à m’impliquer. En 2011-2012, [...] ce n’était pas un emploi payé, c’était du tutorat pour les personnes immigrantes, c’était du bénévolat. Parce que j’avais commencé à voir la réalité des immigrants sur le terrain. Donc, je me suis impliquée avec eux, pour les personnes immigrantes, pour les réfugiés. [...] Je suis toujours impliquée socialement pour les immigrants. J’ai été élue cette semaine administratrice pour le conseil d’administration du [organisme d’aide aux immigrants]. Donc, je continue mon implication, mais je suis toujours à la recherche d’emploi pour pouvoir trouver quelque chose que j’aime faire et que je peux faire.
Ces lieux de rencontre et d’action sont d’une importance cruciale. En effet, ils constituent des endroits où des personnes de tous les horizons convergent et interagissent. Il s’agit ainsi d’une occasion de dialogue interculturel dépassant la seule adaptation de la personne immigrante, cette dernière pouvant alors influencer, en retour, le milieu dans lequel elle s’implique. Cette participation citoyenne passe par une communication interculturelle pouvant prendre des formes conflictuelles, mais qui n’en cherche pas moins à trouver des solutions ou à réduire les écarts observés.
La troisième démarche de recherche, étudiant l’engagement syndical de travailleurs issus de l’immigration, permet de saisir le nouage d’une dénonciation de la discrimination à l’établissement d’un dialogue interculturel. En effet, en se rapportant à la question de l’implication syndicale, une des valeurs qui apparaît à de nombreuses reprises, a trait à la justice, comme en témoigne Frida : « quand je vois quelque chose d’injuste, […] je prends leur défense ». Pour Lucien, être conscient des problématiques sociales est une voie d’engagement dans l’action : « par manque d’information, certaines personnes s’impliquent moins ». La sensibilité à des enjeux sociaux se traduit alors dans la volonté de contribuer au rétablissement d’une égalité de droits, de traitement, de considération entre chaque personne, dans les milieux de travail. De même, pour Rachida, la connaissance du droit du travail et le soutien aux travailleurs néo-québécois qui ne le connaissent pas sont un moteur d’engagement et de lutte. Ainsi, tous les participants témoignent du fait que la question de la place des néo-Québécois dans le syndicat et, plus largement, dans la société québécoise les interpelle :
Quand j’arrive ici, je constate que les gens ont peur de revendiquer leurs droits [dans l’entreprise]. (Amin)
La plupart ne connaissent pas les droits… […] D’où ma croisade pour pouvoir informer les gens de cette communauté qui en ont plus besoin que les Québécois. (Lucien)
Partant de cette indignation au sujet d’un constat d’injustice, l’engagement dans l’action amène à jouer un rôle d’interface, de facilitation de la communication interculturelle :
Si on reste à l’extérieur, on peut bien critiquer, mais il faut rentrer dedans pour voir qu’est-ce qui se passe. [...] C’est pour ça que je suis très apprécié dans le syndicat, parce qu’ils [les dirigeants de la compagnie] engagent beaucoup d’immigrants et quand ils [les salariés néo-québécois] me voient, ben, ça les rassure un peu. (Jean)
C’est pour aider le monde parce qu’il y a beaucoup de migrants qui ne parlent pas vraiment français. (Frida)
Le dialogue peut néanmoins prendre une forme plus conflictuelle, dans un positionnement clairement situé du côté des travailleurs néo-québécois :
Aujourd’hui, se faire respecter, on le fait autrement [par l’action syndicale]. Connaître ses droits syndicaux et aller jusqu’au bout de la procédure. On a payé cher de s’être battu seul. (Amin)
La logique d’opposition est ici affirmée dans la communication, en vue de réaffirmer sa place ou, en d’autres termes, de se repositionner sur le plan identitaire au sein du dialogue. Cet engagement dans une action qui cherche à modifier les rapports sociaux permet, dans le même temps, de prendre appui sur le collectif. Le syndicat, aussi imparfait qu’il soit dans ses formes de soutien à la défense des droits des travailleurs, représente, pour le travailleur néo-québécois, une appartenance et une participation à la vie démocratique qui permet de réduire les écarts culturels. En tant que regroupement de personnes pour la défense des droits, de par les appuis divers, les formations, les lieux d’écoute qu’il offre, le syndicat offre également une alternative à l’isolement, qui guette souvent les néo-Québécois – de façon individuelle ou collective.
Au travers de l’exemple de l’implication syndicale, on observe ainsi comment peuvent s’articuler les courants de dénonciation de la discrimination et de développement du dialogue interculturel, dans l’expérience concrète de travailleurs néo-québécois, qui passent par la reconnaissance de la diversité. De plus, nous pouvons avancer qu’en suivant Honneth (1995), la participation syndicale et communautaire permet le développement de l’estime (sociale), de la confiance (les amitiés) et du respect de soi (droits).
Quelles perspectives?
Partant de ces constats, quelles perspectives peuvent être dégagées pour réduire les écarts entre populations native et néo-québécoise, que ce soit sur le plan des conditions de vie (l’accès à l’emploi et à de bonnes conditions de travail jouant un rôle majeur dans celles-ci) ou sur le plan de la communication? À court terme, le développement de projets de mentorat dans les milieux de travail, tout d’abord, est une piste intéressante que plusieurs acteurs ont appelé de leurs vœux lors du sommet citoyen sur l’harmonisation des relations interculturelles qui s’est tenu à l’Université du Québec à Montréal en mai 2016 (Tremblay, 2016). Toutefois, celui-ci gagne à être accompagné par la mise en place de formations permettant le développement des compétences interculturelles[23] dans divers milieux (gouvernemental, communautaire et privé) et chez divers acteurs. Les compétences interculturelles doivent rester au sein des structures afin de favoriser leur maintien et leur transfert. En d’autres termes, ces compétences devraient être généralisées, au sein des milieux de travail, pour éviter la perte des expertises et la surcharge (épuisement) des individus. La formation en cours d’emploi et les stages en entreprises peuvent également faciliter l’adaptation au fonctionnement et à la culture des entreprises, tout en favorisant le maintien en emploi (Posca, 2016). Ces propositions s’inscrivent dans l’optique du dialogue propre à la communication interculturelle, car, en développant des compétences de coopération et d’adaptation, la « relation de coprésence culturelle entre individus ou groupes » (Hsab et Stoiciu, 2011, p. 10) produit un changement dans la situation communicationnelle de ces individus. Ainsi, la réduction des écarts culturels et la participation citoyenne sont favorisées, au travers de la transmission d’informations pertinentes pour la valorisation des spécificités de l’autre. Une meilleure compréhension des situations discriminatoires peut ainsi survenir, en vue d’agir sur les écarts pouvant conduire à l’exclusion. Par ailleurs, des sanctions pour réduire la discrimination sont nécessaires et souhaitables, en situation de harcèlement ou d’atteinte aux droits des individus ou des groupes.
Plus largement, le fait de favoriser l’implication citoyenne des néo-Québécois en milieu de travail, mais aussi dans la vie démocratique des quartiers, des écoles, des municipalités, etc., est riche de potentialités, comme nous l’avons vu dans les données présentées au fil de cet article. Non seulement cette participation permet de rompre l’isolement dont souffrent souvent les néo-Québécois, mais elle s’avère aussi une occasion de dialogue, en tant que communication favorisant l’adaptation réciproque, mais aussi le développement de compétences, de part et d’autre (populations néo-québécoise et native). L’accès à des séances d’information et de formations sur le fonctionnement politique pourrait ainsi être mis de l’avant pour l’ensemble de la population. Comme ce type de formation gagne à commencer au plus jeune âge, afin de favoriser le développement d’un habitus, le milieu scolaire peut contribuer à jouer un rôle en ce sens.
À moyen et long terme, la sensibilisation de la population aux réalités des populations néo-québécoises et au dialogue interculturel pourrait contribuer à déconstruire les conceptions et les préjugés laissant dans l’angle mort la part du structurel et du contexte social et politique qui défavorise les populations néo-québécoises. À titre d’exemple, l’implantation de programmes d’accès à l’égalité dans les entreprises pour les immigrants doit être accompagnée par l’éducation des travailleurs sur place afin d’éviter des préjugés et des tensions qui ne favorisent pas le maintien en emploi (Chicha et Charest, 2009, 2013; Posca, 2016), comme nous avons pu l’observer auparavant. Une critique des conceptions coloniales qui habitent notre société est encore à mener, de façon plus large, afin de remettre en question les privilèges dont bénéficient les natifs par rapport aux néo-Québécois et qui se traduisent, entre autres, par le peu de représentativité de ces populations dans des postes de pouvoir au sein des institutions et des entreprises. Plus globalement, l’acquisition d’un niveau de vie décent, pour toutes et tous, est cruciale pour contrer les tendances lourdes de l’hyper-précarisation (intersection entre un statut d’immigration précaire et un emploi précaire) et la montée de tendances xénophobes et racistes qui fleurissent actuellement. Un « succès du racisme politique, donc idéologique, a toujours des conséquences sur la vie sociale et culturelle, provoquant une intensification des pratiques discriminatoires » (Bataille, 2003, p. 33), et c’est pourquoi la lutte contre celles-ci présente une grande actualité.
Suivant cette logique, une remise en question des divers statuts d’immigration et, plus particulièrement, des barrières aux services est à effectuer pour construire une société plus juste. Ces éléments permettront ainsi d’améliorer les situations de communication interculturelle et de communication internationale en ce que les groupes et les mouvements transnationaux de ceux-ci pourront s’effectuer dans un esprit de coopération et d’ouverture. C’est donc ici que le croisement entre la communication interculturelle et internationale devient le plus évident, car les deux font appel, entre autres, à la coopération et à l’ouverture qui, rappelons-le, sont constitutives du courant dialogique dans le modèle des 3D. De plus, n’oublions pas que le dialogue, ici, part des bases de la reconnaissance de cette diversité et de la lutte contre la discrimination.
Pour conclure, soulignons que le modèle des 3D peut servir de grille afin de s’assurer que ces trois piliers se retrouvent dans tout milieu de rencontre interculturelle : la reconnaissance de la diversité, la lutte contre la discrimination et l’existence d’un dialogue. Les deux premiers courants sont essentiels pour atteindre le troisième et ainsi permettre une situation où nous pouvons vivre pleinement des interactions conviviales.
Parties annexes
Notes
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[1]
Habituellement, on utilise le terme intégration, mais celui-ci fait référence à l’effacement de l’autre (integer : « qui n’a pas été touché »). Étant donné que ce n’est pas ce qui est souhaité dans un idéal interculturel, nous utilisons le terme resocialisation. Nous reprenons ici la définition de la socialisation de Guy Rocher (2010), selon laquelle elle est « le processus par lequel la personne humaine apprend et intériorise tout au cours de sa vie les éléments socio-culturels de son milieu, les intègre à la structure de sa personnalité sous l’influence d’expériences et d’agents sociaux significatifs et par là s’adapte à l’environnement social où elle doit vivre » (p. 131). Le néo-Québécois va donc entreprendre l’apprentissage et l’intériorisation des éléments socioculturels du nouveau milieu afin de s’y adapter tout en conservant certains traits culturels. Notons que les expériences et les acteurs en contact avec ces personnes auront un rôle capital dans ce processus, de là l’importance d’interactions ayant un caractère convivial.
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[2]
Le terme citoyenneté ne fait pas seulement référence au fait d’habiter un endroit et d’y avoir certains droits et devoirs, mais aussi au fait de pouvoir participer à la chose politique parce que la personne est reconnue comme appartenant à cette collectivité. Ainsi, la citoyenneté est cette faculté de participer à une sphère où la capacité humaine pour l’action (discours raisonnables et contrats pratiques en accord avec la justice [Arendt, 1958]) peut s’exercer à l’aide de notre phronèsis – une sagesse pratique, c’est-à-dire un jugement et une capacité à agir pour le bien commun (Aristote, 1998). Nous faisons référence, ici, à une forme de gouvernement où « citizens enjoy an equal ability to participate meaningfully in the decisions that closely affect their common lives as individuals in communities » (Barney, 2000, p. 22).
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[3]
Ailleurs, nous spécifions autrement ces différences et ces limites : « Nous utilisons le terme “(im)migrants” (Sharma 2001 : 416) afin de parler des migrants et des immigrants en même temps. Cette graphie permet de reconnaître que ce ne sont pas tous ceux qui, traversant les frontières pour travailler au Canada, arrivent avec le même statut ou les mêmes droits. Cependant, ils partagent certaines caractéristiques. » (Frozzini et Law, 2017b, p. 132.)
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[4]
Nous utilisons cette graphie afin de mettre l’accent sur le fait que toute personne fait partie de la société québécoise peu importe son statut. Toutefois, pour les besoins de cet article, nous utilisons, à quelques endroits, le terme immigrant afin de parler de toute personne qui a la résidence permanente ou la citoyenneté par naturalisation.
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[5]
Cette approche peut être appliquée non seulement à la rencontre d’individus, mais aussi à celle des relations entre groupes d’acteurs, institutions, etc. Cela est ainsi parce que chaque groupe ou institution a ses propres codes culturels, etc.
-
[6]
Honneth (1995) ne parle pas de l’emploi spécifiquement, mais il traite de son importance en faisant référence à Mead et Marx, entre autres. Ainsi, sa troisième forme de reconnaissance, qui coïncide avec l’estime de soi, liée aux fonctions sociales remplies par les agents (sphère de l’estime sociale), tient compte de cette activité qui est l’emploi, parmi tant d’autres activités sociales importantes pour les agents sociaux. De plus, n’oublions pas que son modèle fait aussi référence à la reconnaissance affective (love) et à l’égalité des droits (rights). C’est la dernière sphère – des droits – qui permet la construction du respect de soi et qui est donc aussi liée aux questions de discrimination dont nous parlerons plus loin.
-
[7]
Ce sont les personnes nées sur le territoire, en incluant celles qui ont des parents ou des grands parents nés à l’étranger.
-
[8]
Une personne dans une situation d’hyper-précarité n’a pas accès à tous les services octroyés à un citoyen ou l’accès est plus difficile (assurance maladie, chômage, cours de langue, etc.), mais aussi elle ne jouit pas de bonnes conditions de travail avec les tendances de flexibilisation de la main-d’œuvre (emplois sans horaire stable, à temps partiel, sans convention collective, etc.).
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[9]
Nous nous inspirons ici des travaux effectués au sein du Laboratoire de recherche en relations interculturelles (LABRRI). Pour une discussion détaillée du pluralisme, voir White (2018, et particulièrement 2017).
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[10]
Malgré le fait que les droits sont octroyés à l’ensemble de la population, certains groupes minoritaires sont systématiquement victimes de discrimination, pensons au profilage racial, à l’accès aux services (par exemple, selon le statut d’immigration de la personne), etc. De plus, il y a plusieurs formes de discrimination : directe, indirecte et systémique (Carpentier et Fiset, 2011; Legault et Rachédi, 2008).
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[11]
Le Comité d’adaptation de la main-d’œuvre pour personnes immigrantes a été le partenaire initial de cette démarche, mais l’organisme a été dissous au moment où l’élaboration du questionnaire était en cours. La démarche de recherche s’est tout de même poursuivie, en sollicitant l’appui de divers organismes pour rejoindre des participants.
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[12]
Cet organisme œuvre à l’insertion professionnelle des primo-arrivants au Québec.
-
[13]
Nous remercions Montréal international, l’Alliance des communautés culturelles pour l’égalité dans la santé, Centrafrika et Destination travail du Sud-Ouest de l’Île de Montréal, entre autres organismes qui ont apporté leur soutien pour le recrutement de participants.
-
[14]
Environ la moitié de l’échantillon déclare être titulaire d’un diplôme universitaire de cycle supérieur, tandis que ce taux est de 18 % dans l’ensemble de la population immigrante (Gauthier, 2014).
-
[15]
Le mentorat est une stratégie de jumelage d’une personne qui a peu ou pas d’expérience dans un domaine particulier (la mentorée) avec une personne qui possède une bonne expérience (la mentore). Le mentorat favorise le transfert d’information et permet de profiter de l’expérience de l’autre.
-
[16]
Le CEJFI est un organisme à but non lucratif qui « œuvre à l’intégration sociale, économique, culturelle et civique des jeunes femmes immigrantes de 12 à 35 ans, en favorisant une approche interculturelle » (http://www.cejfi.org/about/).
-
[17]
Ce nombre constitue le maximum de personnes que le CEJFI a pu nous fournir selon leurs propres critères et leurs codes de conduite. Parmi les codes, il y a la règle non écrite de ne pas trop déranger les personnes qui ont déjà participé aux activités afin d’éviter de les surcharger et ainsi éviter de les aliéner auprès du Centre. Nous tenons à remercier toutes les femmes qui ont si généreusement accepté de participer aux entrevues. Cette recherche n’aurait jamais eu lieu sans leur inestimable participation. Nous voudrions aussi remercier chaleureusement mesdames Cristina Bajenaru et Dominique Abana du CEJFI pour leur aide tout au long de cette recherche. Un dernier remerciement à madame Rachel Boivin-Martin, pour son aide en tant qu’assistante de recherche lors de la collecte et de l’analyse des données.
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[18]
Coréalisée avec la chercheure Cécile Nicolas, chargée de cours, Université du Québec à Montréal (UQAM). Nous remercions ici le service de la francisation de la FTQ, qui a apporté son soutien pour le recrutement des participants.
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[19]
La notion réfère à l’ensemble des caractéristiques culturelles liées à l’origine ethnique, définie selon le pays d’origine, la langue, la religion et d’autres acquis historiques et habitudes de vie liés à cette appartenance. Cette référence à l’ethnoculturalité est le résultat de tout un travail identitaire, personnel et social, développé par l’expérience sociale et dans toute l’histoire de vie de la personne, et cela à travers un réseau complexe d’interactions sociales.
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[20]
Le processus de catégorisation est important, car « [l]’appartenance catégorielle affectera d’autant plus la représentation que l’on se fait de la personne ou du groupe que la catégorie est mal connue. Ainsi, dans les contacts interculturels, l’individu tend souvent à exagérer les différences entre un étranger et un compatriote; il aura une représentation d’autant plus stéréotypée de l’étranger que sa culture lui est peu familière. Le fait de percevoir une personne comme appartenant à une catégorie amène à lui attribuer les caractéristiques associées à cette catégorie et à mettre l’accent sur celles qui différencient cette catégorie de celle à laquelle le sujet appartient » (Ladmiral et Lipiansky, 2015, p. 204-205). Ainsi, nous associons des traits à des gens perçus comme semblables même s’ils ne le sont pas réellement.
-
[21]
Test de Mann Whitney pour tester la différence de moyennes entre la durée de résidence et le fait d’attribuer les difficultés à trouver un emploi à des préjugés ou de la discrimination.
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[22]
Test du Khi-carré mettant en relation la déclaration d’appartenance à une minorité visible et le fait d’attribuer les difficultés à trouver un emploi à des préjugés ou de la discrimination.
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[23]
« La question des compétences (du latin competentia, “rapport proportionnel”) fait habituellement référence à un ensemble de connaissances et d’expériences (juger ou accomplir un acte) afin de traiter d’une question particulière. En effet, cette qualité de juger et de décider d’un acte à entreprendre requiert un rapport proportionnel entre les acquis de la personne et l’acte à poser pour résoudre la situation. En cela, elle est plus qu’une simple capacité d’adaptation à des personnes d’autres cultures comme certains auteurs le laissent entendre (voir Cerdin, 2012). Les compétences interculturelles sont, comme toute compétence, créées et transmises d’une génération à l’autre dans les sociétés (UNESCO, 2013). Elles permettent l’intervention en tant que techniques de réduction des écarts culturels (Gratton, 2009), mais elles sont plus que des techniques, car elles constituent de “nouvelles compétences sociales et organisationnelles qui vont au-delà d’un raisonnement purement économique (White, Gratton et Rocher, 2015), autant pour les citoyens d’ici et d’ailleurs que pour les professionnels qui interviennent auprès des clientèles issues de l’immigration”. (White et Gratton, 2017, p. 3). Ainsi, elles peuvent être conçues comme une capacité (habilités, prédispositions et attitudes) à manier un savoir culturel (habilités et connaissances) afin de produire les conditions nécessaires à la réduction des écarts culturels et finalement la pleine participation dans la société » (Frozzini et Tremblay, 2018, p. 5)
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